Titre : Biographie du Ventre

Auteur : Tachika's Lullaby et Lou-des-bois

Rating : M

Couple : Comme si on allait vous le dire ! Mais en gros X, Y et Z devraient y avoir un rôle ;).

Genre : Romance et Wammy's (Oui la Wammy's est un style à part entière). Disons qu'il y a de l'amûûuuur et un scénario complexe en bonus surprise.

Disclaimer : Ah bah si ils nous appartiennent. Y'a juste Mello, Watari et les murs qui nous appartiennent pas. Raaaah (Le cri du coeur pour Mello).


Bonjour gens de la planète ! (Au moins, pas de discrimination, tout le monde est concerné !)

Oui, nous sommes là. Enfin, là, je suis là. Qui ? Je suis... Je suis... Quelqu'un ! Appelez-moi Tach, ça suffira grandement. Quoique, ce surnom étant réservé à Debi-chan, je préfère Tachika. (J'ai gaspillé trois lignes pour une histoire de surnom, ON va m'en vouloir...)

Bref ? Que dire ? *fouille dans ses papiers* Oui. Voilà. Donc. Vous connaissez Death Note ? C'est bien Death Note. Vous connaissez Another Note, la nouvelle basée sur le manga ? C'est bien Another Note. Y'a Beyond Birthday dedans.

Mais là n'est pas la question.

Vous voyez l'une des dernières phrases du livre ? Là où un chocomaniac blond évoque trois lettres. Enfin, trois personnes. Derrière les lettres.

Genre, au pif, X, Y, et Z.

... Ben voilà ~ Que dire ?... Je vais pas m'aventurer là-dedans, j'ai peur de fâcher. Laissons la moitié docteur-des-nyeux-responsable-adulte-mature du compte parler de choses sérieuses. Moi je vais joyeusement faire les warnings. I'm so diabolic 3:)

Rated : On ne va pas gâcher l'histoire en spoilant, hein. Mais, comment vous expliquer que ce petit M bleu dans un coin va être amplement justifié ? Donc, warning. Nous sommes dans un orphelinat DE GARCONS. Qui y grandissent. Toute leur vie. Y passent leur adolescence. Leur puberté. Hormones, ce genre de choses. Et bon. Quand tu es coincé toute ta vie avec des gens de même sexe que toi, et que tu... Enfin, voilà. (Message subliminal !)

Et puis ils sont pas frais dans leurs têtes. Genre, pas du tout. On va pas vous mentir : c'est la merde sous leur petit crâne. Qui sait ce qu'ils sont capables de faire... BREF !


Heuheheuh! Bonjour! Alors apparemment, je suis déjà connue sous appellation docteur-des-nyeux-responsable-adulte-mature mais c'est faux!

Disons que si on prends en compte nos âges respectif (dix-huit ans en moyenne avec un «léger" écart type, lalalala...), Tachika-choupinette est beaucoup trop mature par rapport à ses pairs et moi vraiment pas assez -_-.

Bref, moi c'est Louise et vous pouvez m'appeller Lou tout court ;).

Bref, je ne vois pas trop quoi dire de plus à part un détail ou deux qui me paraissent importants.

Ensuite un détail que j'aime beaucoup c'est que cette fic est écrite comme si Mello en était l'auteur, cad exactement comme dans les deux romans.

Ensuite, rectification pour l'école de garçons cités plus haut, il y a potentiellement une fille ou deux qui essayent de survivre dans ce monde de brute, mais elles comptent pour du beurre.

Et enfin, nos X, Y et Z, on les adore, on les fantasmes, on les épouserai bien.

On espère de tout cœur que vous ressentirez la même chose même si c'est une fic ou n'apparaissent pas nos personnages officiels adorés (du moins pas pour l'instant -_-).

Ah oui, on aime toutes les deux dessiner donc on a déjà fait plusieurs portraits, donc on vous tiendra au courant si on les poste sur deviantart ou autre chose.

Et franchement, si quelqu'un trouve qu'ils détonnent dans le cadre merveilleusement glauque de la Wammy's, qu'il le dise et j'irai me pendre!


ENJOY !


Introduction

Soyons clair. Si j'ai écrit ce livre, c'est purement et simplement pour moi.

Je ne sais pas qui vous êtes et je ne sais pas comment ce manuscrit a atterri entre vos mains. Ce qui est sûr, c'est que ce petit arrogant de Near doit surement y être pour quelque chose.

Enfin, si vous êtes-là, c'est sans doute que cette histoire vous intéresse.

Et comme je vous le disais il y a quelques lignes, j'ai écrit ce roman uniquement pour moi. Je voulais parler d'un endroit qui reste fortement lié à ce que je suis, même aujourd'hui, après l'avoir déserté pendant tout ce temps et avoir cherché à l'oublier.

Je devine à moitié que vous savez déjà de quoi je parle. Et pour peu, je dirais même que le nom de «Wammy's House» ne vous est pas inconnue. Si vous en savez tant, ça veux dire que je peux aller plus loin.

Ce que je veux dire par «je l'écris pour moi», c'est que quitte à parler de cet orphelinat tout en gardant mon anonymat, je vais raconter l'histoire de trois de mes congénères. Et je l'avoue, je ne leur ai pas demandé la permission.

Je vais vous faire des confidences sur une période de l'orphelinat qui vous est sans doute inconnue.

La Wammy's telle que X, Y et Z l'ont habitée. Une Wammy's bien avant que le L que nous connaissions (ne faites pas les innocents) ne vienne au monde. Brute. Neuve. Aussi impitoyable mais plus sûre d'elle.

Bien sûr, je n'étais pas encore né moi-même, donc pas là pour voir de mes yeux. Ce que je vais vous relater est issu des confidences que L m'a faites, le jour même où il me relata les étranges faits de l'affaire B.B. des meurtres de Los Angeles ainsi que les circonstances particulières de sa naissance. Cela n'aurait sans doute pas suffit à me plonger dans l'inconscient des protagonistes du drame, mais j'ai la chance de compter certains des principaux personnages parmi mes proches connaissances et j'ai ainsi pu recueillir leur confidences à la source. Certains documents confidentiels étant entrés en ma possession par des moyens que je qualifierai moi-même de douteux -car je fais vœu de ne dire que la vérité sur cette affaire- enrichiront également le dossier qui nous intéresse.

Pour commencer je tiens à rétablir quelques vérités qui se seront perdues en chemin à propos de l'institution dont il est question.

D'abord à propos de sa fondation. S'il est de notoriété publique que le créateur en est Mr Wammy, peu en revanche savent qu'il ne s'agit pas du fait du célèbre Quilsh Wammy, célèbre inventeur et multimilliardaire, mais de feu Monsieur Andrew Wammy Père.

Monsieur Andrew Wammy ne dirigea jamais l'établissement. Il en confia immédiatement la charge à l'ainé de ses fils, rêveur inconsidéré, inventeur bohême survivant de la fortune familiale et apportant déception sur déception à son aristocrate de père.

Car il n'était marqué nul part que le destin de cet homme serait de devenir l'ombre du plus célèbre détective du monde. Non, il aurait pu se contenter de sa situation d'inventeur marginal, qui bien que délaissant la compagnie féminine aurait pu se trouver une amie aimable et aurait survécu d'une modeste rente toute son existence.

Pourquoi accepta t-il ? Il faudra lire pour le savoir.

Les portes de l'établissement ouvrirent en 1968, après cinq ans de travaux- et compta bientôt une dizaine d'enfants d'âges variés.

L'histoire nous dira également par la suite le pourquoi de cette brusque chasse aux génies qui obsédait soudain Mr Wammy Père, redirigeant pour toujours le futur de son fils.

Maintenant, retraçons en quelques mots le monde dans lequel émerge ce microcosme égocentrique si fermé: Nous sommes à cheval entre la fin des années 60 et le début des années 70.

Fermez les yeux et laissez vous immergez dans l'ère de la libération sexuelle, où la pop music bat son plein. Une génération neuve voit le jour, pleines d'espérances, issus de procréateurs qui ont connu la grande guerre.

Les humains rêvent d'un nouveau monde idéal. La jeunesse tient les rênes. On fantasme la modernité. La science fiction explose. L'Homme se tourne vers l'espace. La Guerre froide en toile de fond. En 1965, Mary Quant invente la minijupe. Le monde se teinte de couleurs trop vives. Psychédéliques. Twiggy fait la une des magasines.

En 1969, Gainsbourg chante «69, année érotique».

Quoi d'autre?

Pour être précis, notre histoire commence exactement en 1975.

La liste continue: Loi Veil pour l'avortement. ABBA. Mort de Chostakovitch. Guerre civile au Liban. Janis Joplin. Juan Carlos monte sur le trône en Espagne. Bee Gees. Sex Pistols. Mort de Franco.

Je pourrais rallonger cette liste de trois pages, mais comment vous dire que cela n'a aucune importance.

Vous êtes à la Wammy's house. Le monde n'existe pas. Vous êtes en huit clos entre des morveux à l'intelligence géniale et de vieux intellectuels dépassés par les évènements.

Internet n'est pas là pour vous parler du monde extérieur. Les journaux qu'on vous donne n'ont pas de photographies et les phrases qu'ils distillent sont des phrases sérieuses et aseptisées.

Votre univers parle de chiffres, de molécules, de politique. Les meurtriers sont des portraits types. Les victimes des peluches éventrées.

La Wammy's n'aime pas non plus les livres. Attention, je ne vous parle pas des manuels -bien sûr!-! Je vous parle des romans. Parce que ce petit monde étroit déteste l'imagination. Il hait les gens qui s'affirment et qui se dressent contre l'autorité.

Le chaos qui règne à l'extérieur le terrifie alors il se referme sur lui même, sur ses petits orphelins parfaits. Cassés à l'intérieur mais impeccablement lissés afin de dissimuler toutes traces de sentiments.

Mais il y avait une exception littéraire à ce désert culturel.

A la Wammy's, il y avait un livre de conte. Un seul.

Il était là depuis le début. Petit tome jauni dont la couverture est à moitié déchirée.

Les Aventures de Pinocchio de Carlo Lorenzini.

Une histoire qui raconte les malheurs d'un pantin qui ne voulait pas obéir aux règles. Un conte qui prône la raison au détriment du plaisir et de la liberté.

Il y a comme un message caché derrière tout ça ne trouvez-vous pas?

J'y ajouterai quelque chose... Sans doute ce conte ne vous est pas inconnu... Vous souvenez vous quand enfin Pinocchio retrouve ses esprits et décide de devenir un enfant sage, il réalise que son père s'est lancé à sa recherche. Afin de le retrouver, la marionnette devra traverser la mer et se verra avalé par la baleine géante que Walt Disney nommera Monstro.

Le voilà en huit clos avec l'autorité paternelle, dans l'antre moite et étouffant de la panse du mammifère marin.

Ça ne vous rappelle rien?

Il y a malgré tout un passage que j'apprécie dans cette histoire (Ou comment, en allumant un feu, Pinocchio fera éternuer Monstro afin qu'il les recrache).

Un dernier mot encore.

Suite au dernier paragraphe, j'aurais pu résumer ce qui va suivre comme ceci :

Ou comment X, Y et Z firent éternuer la Wammy's House et ce qui en résulta.

Mais ça n'aurait pas été rendre justice au sérieux et au tragique de cette histoire alors je vous dirais simplement que voici le récit de comment nos trois compères résolurent une importante affaire de bioterrorisme.

Ce qui est beaucoup plus aux normes de l'endroit d'où je viens.

Cher lecteur, il est temps d'entrer.

Mais après vous, je vous en prie.

Claustrophobes s'abstenir.

Mello.


Un portail de fer surmonté d'une enseigne sur laquelle il lut quelques lettres.

L'enfant ne savait pas si c'étaient des mots ou des noms, il s'en moquait. C'était le portail qui l'intéressait, lui. L'homme qui l'avait accompagné venait de le passer, et la porte grinçait en se refermant avec lenteur. Les piques qui le « décoraient » lui évoquèrent la bouche d'un prédateur. Trop de dents, trop pointues. Quel animal pouvait avoir une dentition pareille ? Un loup.

Il n'avait pas envie de se jeter dans la gueule du loup comme ça.

Il le fit quand même, avec le désagréable sentiment que s'il lâchait les piques de fer du regard, elles allaient s'abattre sur lui et le déchiqueter. Il n'en fût rien, et le portail resta inerte lorsqu'il le passa. Il n'y avait pas de loups, pas de dents. Il n'aimait pas son imagination, finalement. Elle lui faisait cruellement manquer de logique.

L'homme l'attendait au bout du chemin, croisant les bras dans une mimique d'impatience. Il pressa le pas, les mains dans les poches pour éviter de se les manger. Il se doutait pourtant que ses efforts seraient vains. Une fois qu'il fût arrivé à son niveau, l'homme avança encore et passa une nouvelle porte, vitrée celle-là.

L'enfant hésita quelques instants. Rien n'évoquait la gueule monstrueuse d'un animal, mais elle le mettait un peu plus mal à l'aise. Il soupira. Et franchit la double porte qui allait se refermer.

Ici, c'était calme. Un calme étrange, peut-être un peu trop lourd. Il n'y avait aucun bruit provenant de l'extérieur, pour commencer. Avant, il avait entendu des oiseaux, ce genre de choses. Pas ici. Il était dans une sphère. Même les vitres étaient voilées. On ne voyait pas bien ce qu'il y avait dehors.

L'air était chargé d'humidité. Il allait sûrement bientôt pleuvoir. Il avait presque l'impression d'être totalement environné d'eau. Une sphère pleine de fluide… Ca lui faisait penser à quelque chose, sans qu'il ne parvienne à savoir quoi. Perturbant. Après le monstre dentu, une bulle. Il avança un peu dans cet endroit étrange.

Aussitôt, sept paires d'yeux se braquèrent sur lui. Il n'osa pas regarder ailleurs et les soutint sans faiblir. C'étaient des enfants, comme lui. L'un d'entre eux se mit à rire tout bas, un rire moqueur qu'il connaissait bien. Son apparence. Peau, corpulence surtout, tout y était déjà passé. Car oui, il était gros. Pas énorme, pas obèse, juste gros. Il plissa les yeux mais ne releva pas.

Au moins, le corps humain lui restait compréhensible.

Il alla à petits pas derrière l'homme qui l'avait accompagné. Il mourrait d'envie de ronger ses ongles. Il les regarda, se dit que finalement ce n'était pas grave, et attaqua le pouce avec violence. L'ongle céda au bout de plusieurs morsures, glissant sur sa langue.

Ça le défoulait. Il croqua le deuxième encore plus fort, ses dents s'entrechoquant lorsqu'elles ripaient du morceau qu'elles s'acharnaient à casser.

Douleur inutile, claquement, fissure. Ses ongles y passèrent les uns après les autres.

L'homme entra dans une pièce, l'enfant le suivit. Il parla longtemps avec un autre homme exténué derrière un bureau. Assez longtemps pour qu'il se mette à arracher la peau qu'il restait sous le premier pouce mangé. Ici, il semblait y avoir moins d'humidité. Comme si ici, on sortait de l'espèce de bulle.

Finalement, l'homme derrière le bureau passa une main sur son visage et se pencha vers l'enfant, marmonnant des mots qu'il ne comprenait pas. Cela dût se lire sur son visage car l'homme abandonna vite et fit un geste en direction de la porte. Ca, il comprenait. Il hocha la tête en faisant voler ses cheveux noirs et sortit.

Il retomba très vite parmi le groupe de sept qu'il avait vu en entrant, à croire qu'il n'y avait que ces personnes-là dans toute la maison. Eux aussi parlaient sans que l'enfant ne comprenne, et il essaya de dire quelque chose pour leur faire saisir qu'il n'était pas comme eux.

- Perdón, no entiendo la lengua, fit-il prudemment.

Grosse erreur. L'un des enfants éclata de rire et continua à parler d'une voix surexcitée, qui lui vrillait les oreilles. En fait, il préférait le calme déroutant qui l'avait accueilli. Il baissa les yeux et attendit de voir ce qui allait se passer, quand il saisit au vol le mot « yogur ».

Il releva les yeux. Ça, c'était de l'espagnol. La prononciation était un peu limite, mais ça restait espagnol. Peut-être que l'un d'entre connaissait sa langue ? Seulement voilà. A peine eut-il levé la tête que trois d'entre eux partirent dans un violent fou-rire en continuant à piailler le mot que l'enfant avait entendu. Ce ne fut qu'en voyant un des garçons le montrer d'une main qu'il comprit.

C'était lui qu'ils désignaient ainsi.

Il secoua la tête.

- No me llama Yogur, pero Ys…

Probablement alerté par le bruit que faisait le groupe d'enfants, l'homme que l'enfant avait vu dans le bureau vint vers eux et se mit à parler aux autres. Ceux-ci se calmèrent et lui répondirent. Il entendit le nom dont on l'avait affublé dans une des dernières phrases. L'homme ouvrit de grands yeux, sembla réfléchir puis acquiesça. L'enfant plissa les yeux. Ça ne lui disait rien qui vaille.

Finalement, le garçon qui avait lancé le mot en premier se planta devant lui et réussit à ânonner une phrase.

- Estás Yogur ahora, por todos eternamente.

La phrase était lamentable, avec une inversion de verbes en prime, mais le sens était, lui, très clair.

On venait de le déposséder de son nom pour lui en donner un autre, infiniment moins beau que le premier. Même pas un nom, ça, « Yogur ». Un pseudonyme.

Il essaya de protester. Personne ne l'écouta. Plutôt, personne ne fit l'effort de comprendre ce qu'il disait. Pourtant il avait des questions, beaucoup de questions auxquelles il aurait adoré avoir une réponse. Qu'est-ce qu'il faisait là ? Qui étaient ces gens ? Pourquoi on avait changé son nom ? Resterait-il longtemps ici ?

Cette question était stupide, en fait. Il savait qu'il resterait longtemps ici. Personne ne viendrait le chercher, après tout, puisque ses parents étaient morts. De guerre lasse, il s'éloigna du groupe de sept et chercha un endroit plus calme pour penser en paix. Loin du noyau, du centre, où s'agitaient des poissons dans leur fluide vital.

Encore cette impression de déjà-vu. Tout ça lui rappelait vraiment une autre situation, une autre métaphore, cette idée… Mais quoi ? Il décida de l'oublier.

Combien de temps mettrait-il pour apprendre l'anglais ? Du moins les rudiments. Cinq jours en écoutant attentivement. Pour pouvoir poser toutes ces questions qui éclataient dans sa bouche, sûrement plus. Un mois, peut-être. Un mois et il pourrait avoir des réponses…

Il s'assit dans un coin près des escaliers, gardant un œil sur les enfants qui l'avaient accueilli, quand il entendit un son ténu derrière lui. Enfin, perçut, plutôt, tellement ce son était faible. Il tourna quand même la tête… Et sursauta. Ici, il y avait déjà quelqu'un.

Un être humain avec un pull bleu foncé informe, trop grand, et au visage à peine visible. En fait, l'être ne semblait montrer de lui-même qu'une bouche et un nez. Le reste était occulté par un long, long rideau de tissu noir et lisse qui s'effilochait sur les marches. Il mit quelques secondes avant de comprendre que ce n'était pas un rideau mais des cheveux.

Il s'en écarta avec méfiance. On aurait dit un fantôme. Le fantôme de Raiponce, peut-être. Cette princesse de contes de fées aux cheveux d'une longueur démesurée.

Il ne bougeait pas, appuyé sur le mur blanc, et l'enfant le crut un instant mort. Avant que la bouche ne s'ouvre en grand et que le bruit doux qu'il avait entendu ne se reproduise. Un bâillement… L'être tourna vers lui son semblant de visage et pencha la tête sur le côté. Incompréhension. Il murmura quelques mots et, en voyant qu'il ne semblait pas déchiffrer ses paroles, le montra du doigt.

- Soy…

Il hésita un instant. La voix du garçon qui l'avait rebaptisé Yogur avait eu quelque chose de définitif. C'était ça ou rien. Son vrai prénom n'existait plus. Mais… Il se mordit la langue.

Mais en même temps, il faisait ce qu'il voulait.

- Soy Ysmaël, Ysmaël Ramonatxo.

L'être sembla surpris et lui fit le signe de se taire, un index sur ses lèvres pâles. Raté. Manifestement, on n'avait pas le droit de dire son prénom à tort et à travers. Alors il était bel et bien Yogur… Mon Dieu. Il détestait ce surnom. C'était plus que de la moquerie, c'était de l'humiliation, du rabaissement. Il se vengerait. Un jour ou l'autre, il se vengerait de ces enfants-là.

L'autre eut l'air de réfléchir, puis une ombre de sourire passa sur son visage.

- Soy Zoran Bonnaventure, chuchota t-il.

La prononciation du mot était impeccable. Comment avait-il fait, ça, il l'ignorait. Il ne paraissait pas espagnol, d'après le peu qu'il en voyait. Il avait sûrement copié ses paroles… A la perfection. La preuve fut qu'il le remontra du doigt, puis bougea sa main comme on dit « environ ». Environ toi-même. Pas totalement. La fausse partie. Le surnom…

- Yogur.

L'être hocha gravement la tête et se remit à parler, de la même voix presque inaudible qu'il avait déjà employée.

- Zéphyr.

Les deux enfants se regardèrent un instant avant de se mettre à sourire. Pas un très grand sourire, évidemment, on les aurait vus. Mais un sourire quand même. Il y avait des choses qu'on ne se disait que dans l'ombre pour mieux les cacher. Yogur supposait que leurs vrais prénoms en faisaient partie. Il sut aussi, à peu-près au même moment, qu'ils ne les diraient pas à n'importe qui. Enfin, plus.

Il n'y a qu'un ami qui peut garder un secret.

Ils pouvaient le jurer tout deux, Zéphyr l'enfant courant d'air et Yogur l'enfant humilié. Dans l'obscurité des marches d'escalier, dans un coin de la sphère, c'était de l'amitié qui s'était créée.


Sa silhouette pâle et longiligne se découpait sur l'encre de la nuit, comme découpée au cutter dans du papier noir. Petit corps mince et frêle d'elfe, de farfadet échappé d'une mythologie dépassée.

Les lumières de la fête foraine l'entouraient comme un nuage agaçant et merveilleux de lucioles. La foire s'étalait dans un fouillis monstrueux de spots, de musiques vulgaires et tapageuses qui lui ravageaient la rétine et les tympans. Telle une corolle gigantesque de rires, de hurlements et de sueur humaine.

Perché de là où il était, il les dominait tous. Ses membres minces et pâles s'agrippèrent davantage à la grande structure de métal. Ses immenses yeux vert jaune s'écarquillèrent et il sourit.

Il avait un sourire inhumain. Un sourire en V de pervers qui s'accordait à la perfection avec cette façon qu'il avait de toiser ses interlocuteurs par dessous, à travers ses longs cils bruns.

On disait de lui qu'il était sournois.

Et il l'était vraiment.

Le reflet des néons de la grande roue glissait sur sa peau dans une caresse languide et sensuelle, qu'il accepta comme un monarque qui tolère qu'un courtisan lui effleure les pieds.

Il lécha sa lèvre supérieure, encore poisseuse du caramel de la pomme d'amour qu'il avait croquée du bout des dents, il y a moins d'une heure, avant de la jeter dans la poussière de la fête, à peine entamée.

Les manèges vrombissaient et tournaient tous en même temps, comme des nuées de créatures géantes surgit des entrailles de la terre.

Il aimait ça.

Il arc-bouta son petit corps en arrière, exposant la peau tendre de son ventre de pré(-pré)-adolescent au visage de la lune. Alors qu'il étirait ses bras, un bruit de métal tinta, provenant des dizaines de bracelets de métal dorés à six sous et des grelots qu'il avait attaché à ses poignets comme à ses chevilles.

Comme vêtements, il ne portait qu'une grande jupe ample et rouge comme celle que portent les gitanes. Et un foulard noué négligemment autour de son cou.

Il était ainsi perché sur les échafaudages du train fantôme. Comme étant lui même une de ces étranges statues en plastique mal peintes faites pour effrayer les enfants et faire rire les adultes.

Loup-garou idiot, vampire maladroit, momie risible.

Mais il n'avait rien d'un monstre d'opérette. Les traits de son merveilleux visage étaient coupés à la serpe par le jeu d'ombre et de lumière des attractions, qui ne faisaient qu'accroitre l'étrange perfection de ceux-ci.

Il ressemblait à ces statues de marbre grecques que l'on expose dans les musées. L'éclat d'une créature de Botticelli.

Le visage enfantin, et blanc comme la crème, était encadré d'un nuage de boucles épaisses couleur châtaigne dégradées dans la nuque. Il secoua la tête et les mèches roulèrent tendrement devant ses yeux avant qu'il ne les chasse d'un geste d'impatience.

Ainsi alangui, presque nu sur les poutrelles de métal, il avait l'air d'un jeune dieu, tout droit sortit d'un panthéon exotique et païen.

Ses épaules de lait s'évasaient sur les clavicules et le torse étroit qui s'ouvrait sur le ventre bombé en avant. Comme un reste émouvant d'enfance chez ce corps qui semblait s'étirer comme celui d'un jeune félin, que déjà on ne pouvait plus appeler chaton.

Il bâilla et les lumières se réverbérèrent sur les canines blanches et pointues.

La couleur de ses cheveux, de sa peau et de ses yeux indiquaient sans conteste ses origines irlandaises. Mais cette lueur dans ses yeux, la courbe de ses reins de mômes, le galbe du pied fait pour danser, tout ça trahissait le quart d'hérédité gitane qui courait dans ses veines comme un cheval fou.

Il avait le diable dans le corps. Collé dans le pli moqueur de sa bouche cruelle.

Oh qu'il était beau !

Il avait cette beauté terrifiante, magique ! Celle que la jeunesse projette comme une arme au visage de ceux dont le temps est passé et ne reviendra plus. Il suffisait de le regarder dans les yeux pour se sentir humilié sous le poids de son regard d'enfant souverain.

Il dilata ses narines. L'air était presque poisseux du sucre des barbes à papa et des berlingots.

- Descend de là, petit bâtard ! C'est interdit de monter là haut ! Tu vas abimer le matériel !

La voix de l'homme qui avait crié était violente et rauque. Elle était pleine d'une menace de coups et d'insultes.

Il frissonna. De plaisir.

L'excitation envahit son corps comme une vague sur la plage.

- Espèce de petite pute! Tu vas voir si je t'attrape.

Le garçon se redressa, ramenant ses genoux noueux contre l'étroitesse de sa poitrine et il contempla -toisa- l'individu trapu et musculeux qui l'assommait d'insultes.

Il le connaissait bien. C'était l'homme avec qui sa mère couchait. Celui du stand de tir.

Depuis deux ans, il partageait sa caravane avec lui et sa génitrice.

La nuit, quand seule la lune éclairait un peu sa couette, il les entendait baiser. Il ne voulait pas dormir avant que ça ne soit terminé. Il écoutait avec un étrange sentiment d'ivresse les grognements et les gémissements mêlés. Il imaginait les deux grands corps qui s'étreignaient brutalement, mélangeant leur fatigue, leur crasse et leurs sécrétions.

L'odeur de sexe envahissait l'étroite habitation et il restait là à la humer longtemps, très longtemps après que les adultes ne se soient endormis.

Son irlandais de père -jongleur et voleur de profession- était parti il y a quatre ans. Avec une pétasse blonde. Celle du stand de gaufres. Un jour, il s'était barré avec la vieille boite de chocolat en fer où ils cachaient toutes leurs économies. Ils n'avaient plus jamais entendu parler de lui.

Sa mère lui avait dit qu'ils ne s'entendaient plus, mais l'enfant ne l'avait pas crue. Il savait que son père était parti parce que la fille blonde était plus belle et plus jeune que sa mère de dix ans. C'était comme ça. Ça ne l'avait pas rendu triste.

- Killian !

Sa mère et lui avaient continué leur chemin. De ville en ville, de foire en foire.

Faisant des tours de cartes, nettoyants les manèges, lisant les lignes de la main, faisant la manche, parfois pire.

Killian aimait sa vie de la même façon que certaines femmes aiment les hommes qu'elles ont épousés et qui les battent le soir après avoir bu un coup de trop au café.

Mieux que personne, il savait distinguer le vrai de l'illusion.

Il savait d'instinct que les ballons de couleurs qui s'envolaient parfois vers le ciel, abandonnés par des mains d'enfants, que les peluches roses et bleues et la musique entraînante, tout ça ce n'était que de la poudre aux yeux.

Encore plus faux que les dents de la vieille de la billetterie de la grande roue, qui devait être là depuis quatre-vingt ans.

Devant ses yeux, les manèges tourbillonnaient et les montagnes russes semblaient dessiner un énorme visage. Celui d'une grosse prostituée vieillissante, aux cheveux décolorés et aux lèvres peintes en rouge.

Il eut envie de se lever et de sauter. Avec un peu de chance il pourrait s'envoler et se fondre dans l'éther comme un fantôme. Mais la voix brute de l'homme le rappela malgré lui à la réalité. Avec regret, il baissa les yeux une fois de plus. L'homme le fixait de son regard noir et charbonneux et la rage le déformait :

- Si je t'attrape, je vais te…

- Les fées existent ! cria Killian.

-QUOI !

- Les fées existent ! Les fées existent ! J'y crois !

Le jeune garçon sourit quand il vit l'amant de sa mère déboucler sa ceinture et la retirer avant de l'agiter dans sa direction d'un air menaçant.

- Tu l'auras voulu, j'espère que tu sais serrer les dents !

Killian sourit -sourire en V- et cracha dans un cri :

- Viens et prends ton pied surtout ! Fils de chienne!

L'homme commença à escalader les échafaudages.

Le garçon renversa le visage en arrière et son rire partit dans les aigus. Et tout cela, sa beauté de faune, son hilarité de fou, et la douleur qu'il avait déjà l'impression de ressentir, tout cela se mélangeait autour de lui et en lui.

Il aimait ça. Il chantonna encore, comme une formule magique contre le monde et -surtout- contre lui-même :

- Les fées existent ! J'y crois !


Au rez-de-chaussée, il y avait une salle que plus personne n'utilisait. Enfin…

C'était une ancienne salle de musique, qu'on avait abandonnée depuis que le professeur faisait cours dans une pièce plus grande. Il y restait quelques partitions qui prenaient la poussière sur le sol, deux guitares aux cordes cassées, et un piano défectueux. Y appuya sur une des touches de ce dernier. Il n'y eut aucun son.

La petite salle de musique était désormais leur propriété.

Par leur, Yogur entendait la sienne, évidemment. Il s'y était fait une place plus tôt que prévu. En fait, il avait appris que la Wammy's n'avait pas compté le garder en son sein, au départ. Elle doutait de son intelligence, et se disait qu'il n'avait pas sa place ici s'il ne connaissait pas le langage.

Alors, pour lui montrer son erreur, il avait appris la langue à une vitesse effroyable. En fait, il ne voulait pas partir. Il avait peur de tomber sur pire. Il possédait maintenant plus de vocabulaire, maîtrisait mieux la grammaire, que beaucoup d'adultes, et la Wammy's avait dû capituler.

Deux semaines et quatre jours lui avaient été nécessaires, avec l'aide de Zéphyr qui avait personnellement veillé à ce qu'il s'en sorte. Les premières nuits qu'il avait passées ici, il n'avait pas dormi. Il était penché sur son bureau, à côté du brun, qui s'était attaché les cheveux pour ne pas les laisser traîner sur les feuilles. Quand il butait sur un mot, il daignait lui parler et le corriger d'un murmure. C'était suffisant pour que Yogur y arrive. Ca avait été compliqué, évidemment.

Mais maintenant qu'il avait les mots, tout était ridiculement simple. Vengeance personnelle sur les autres enfants qui peinaient à arriver à son niveau. Car dès qu'il avait su suffisamment de choses, il avait passé les tests comme les autres. Et il avait été propulsé en deuxième place du classement, juste derrière Zéphyr.

Le même Zéphyr qui dormait en classe, ne participait jamais, ne faisait pas ses exercices. Il se contentait de répondre aux contrôles et était toujours le premier à terminer. Y lui avait posé tellement de questions qu'au bout d'un moment, fatigué, il lui avait dit qu'il lui suffisait d'écouter un peu pour tout comprendre. C'était un génie. Point.

Forcément, la salle de musique lui appartenait aussi.

Et puis il y avait K.

La numéro trois.

Oui, K ou Korria -nommée du nom d'une fleur asiatique- était une des deux seules filles tolérées à l'orphelinat.

Elle avait les yeux noirs et bridés propres à son Japon natal, et ses cheveux coupés en carré plongeant lui faisaient comme un casque brillant et noir, dont la frange soulignait ses fins sourcils en ailes d'oiseaux.

Elle était très belle et très froide. Son regard acéré ne semblait pas vraiment savoir sourire mais surplombait un visage long et sans défauts, parfait de sobriété et d'harmonie. Elle travaillait tout le temps.

C'est d'ailleurs à ça qu'elle devait sa troisième place. A son incroyable persévérance, son acharnement à apprendre et à sa grande rigueur qui contrastait avec le flegme de Zéphyr.

On pouvait la trouver jour et nuit dans la salle de travail, la nuque courbée sur des dossiers plus lourds qu'elle, son corps filiforme et un peu masculin flottant dans un uniforme pour fille sans colifichets.

Elle ignorait Zéphyr et Yogur le plus possible, sauf quand ils étaient obligés de travailler ensemble, ce qui arrivait souvent vu qu'ils étaient le trio gagnant de la Wammy.

C'était toujours sur eux trois que tombaient les plus gros dossiers, et ils devaient les résoudre ensemble.

De son passé, on ne savait rien si ce n'est que Korria gardait sur ses jambes de longues cicatrices effilées et nettes -comme taillées au cutter-.

Pour elle, monter au plus haut du classement était la seule chose qui en valait la peine. La seule chose qui puisse témoigner de sa valeur en tant qu'être humain et pouvait la distinguer d'une poupée vide.

C'était elle qui avait la dernière partie de la salle.

Ils formaient un trio stable, finalement, plus que ce qu'ils ne le laissaient paraître. Y et Z bossaient un peu en duo, K s'y mêlait pour les plus grosses pièces, repartait comme elle venait. Il n'y avait pas d'accroc, pas d'histoires, pas de dialogue permettant une possible haine. Pas d'entente non plus. Et c'était tout ce qu'ils voulaient.

« Travaille et tais-toi », c'était comme ça qu'ils procédaient.

- Eh.

Ce fut le murmure de Zéphyr, qui revenait de la pièce d'à côté où il avait reçu un coup de téléphone, qui sortit Yogur de sa rêverie. Il enleva la main du piano. Le dernier mi bémol, le plus aigu, sortit une note tremblotante. Ce piano aurait dû être jeté depuis longtemps. Il n'était d'aucune utilité ici.

- Je suis désolé, je réfléchissais, répondit-il en se rasseyant.

Le brun haussa les épaules, la moitié de ses cheveux en profitant pour glisser dans son dos. Il les ramena devant d'un geste machinal.

- As-tu une piste ? demanda Y en reprenant la lecture de son propre dossier là où il l'avait arrêtée.

- Aucune. Je bloque complètement.

Il savoura la phrase avec un léger sourire aux lèvres. C'était rare que Zéphyr parle aussi longtemps, même si ce n'étaient que quatre mots. Enfin non. Pour être honnête, c'était rare qu'il parle aussi longtemps pour les autres. Devant lui, il se privait moins de la parole.

Il se sentait pratiquement fier d'être le seul à avoir accès aux pensées de Z. Il n'accordait pas sa confiance facilement. A lui, si. Certes, il ne connaissait pas tout de lui, car il était naturellement renfermé. Mais c'était déjà beaucoup.

- Je croyais que cette piste, avec les empreintes, était la bonne.

Z montra d'un signe de tête la pièce adjacente, là d'où il venait de sortir.

- On m'a dit que ce n'étaient pas celles de l'agresseur.

- De qui ? La victime ?

Il hocha la tête et mit son visage dans sa paume, tirant vers lui les pochettes de photos. Yogur s'abîma dans sa lecture. Il n'aimait pas voir ce genre de photographies, même après deux ans passés à la Wammy's.

Attention. Quand je parle de photographie, ici, ce ne sont pas des photos édulcorées pour les enfants. Elles avaient été prises pour que des enquêteurs puissent faire leur travail : aucun détail n'avait été négligé.

La vue parfaite sur la victime, ouverte de haut en bas comme un animal, plus des gros plans sur diverses parties, était répugnante. Sauf que les enfants s'en moquaient, ou plutôt, devaient s'en moquer. Mais je m'égare.

Au bout d'une dizaine de minutes, Y releva la tête et soupira faiblement. Quelque chose lui échappait dans l'histoire. Quelque chose qui paraissait en trop, déplacé. Le problème était qu'il ne savait pas où et quoi.

- Zéphyr ? demanda t-il pour avoir l'avis de son ami.

Pas de réponse. Les yeux verts de l'espagnol se firent durs. Il se leva, et secoua sans ménagement le brun. Très fort. Parce que ça n'aurait pas suffi à le réveiller, sinon. Ce dernier releva lentement la tête avant de la tourner vers lui, un vague sourire d'excuse flottant sur ses lèvres. Y croisa les bras.

- Attends. Tu prends bien tes médicaments pour ne pas t'endormir en pleine journée, n'est-ce pas ?

Z marmonna quelque chose d'incompréhensible en se calant contre le dossier de sa chaise. Yogur n'insista pas et préféra se rassoir. Il savait qu'il ne ferait que perdre du temps à essayer de le convaincre. Cette saleté avait toujours détesté prendre ses médicaments, et préférait compter sur lui pour le réveiller.

Car oui, Zéphyr était malade. Il ne souffrait pas de narcolepsie, plutôt d'une forme moins évoluée. Et, malheureusement pour lui, beaucoup plus rare. Yogur l'avait étudié à fond dès qu'il avait su qu'il l'avait. Une somnolence excessive, appelée par son vrai nom à l'orphelinat, hypersomnie idiopathique.

Hypersomnie parce qu'il dormait trop, beaucoup trop, dans à peu-près n'importe quelles circonstances. Et idiopathique parce qu'on ne savait pas d'où pouvait venir cette somnolence. Aussi simple que ça dans le fond, mais sérieusement handicapant.

C'était l'une de leurs habitudes. Y réveillait toujours Z quand il s'endormait. Parce que personne d'autre n'aurait voulu le faire, d'abord. Zéphyr n'avait pas d'autre ami à part lui. Et puis aussi parce qu'il travaillait avec lui, et que le laisser s'endormir, c'était passer deux, trois, cinq heures à l'attendre qu'il sorte de son sommeil. Qui ne le reposait même pas.

Telle était sa maladie.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? murmura t-il avant de bâiller longuement.

-Aide-moi à trouver ce qui cloche, s'il te plaît. Je suis certain qu'il y a une chose qui nous échappe.

Z soupira longuement et prit un élastique – un très vieil élastique qu'il fallait serrer dix fois pour qu'il tienne quoique ce soit – qui traînait à côté d'une sucette intacte. Trace de Y.

Si le péché principal du brun aux cheveux longs était la paresse, le sien était la gourmandise. Ce n'était pas pour rien qu'il était gros. Il s'en fichait, parce que personne ne le lui faisait – encore – remarquer. Il attrapa d'ailleurs cette unique survivante, déplia le papier coloré et croqua dans le bonbon. Avant de se pencher à son tour sur le dossier.

Si quelqu'un autre que Korria était passé dans la pièce à ce moment-là, il en aurait conclu que les deux garçons n'étaient pas grand-chose l'un pour l'autre. S'ils étaient amis, ça ne se sentait pas. Pourquoi ? Parce que la Wammy House le voulait ainsi. Elle les avait élevés dans ce but, ne jamais montrer ses sentiments.

C'était pour cela que le moindre chuchotis de la part de Zéphyr, Y le prenait comme une sorte de trésor. Parce qu'il n'y avait qu'à lui qu'il parlait, et à lui seul. C'était donc l'unique marque, l'unique possibilité de lui prouver son importance.

De là à penser que Z n'était qu'à lui, il n'y avait qu'un pas.


La mère de Killian mourut un jour du printemps 1977 lors d'une manifestation féministe qui tourna mal. Elle fut frappée par un policier dans la mêlée, s'é d'être piétinée par des centaines de pieds en panique.

Killian la trouva une heure plus tard, dans un silence total. Elle était inerte par terre, parmi les tracts, avec ses grosses boucles d'oreilles en plastique colorés et ses colliers assortis.

Il avait contemplé longtemps son visage figé dans une mort qu'il ne comprenait pas, fasciné par le sang rosâtre qui se mêlait à la salive qui lui coulait sur la joue.

Il se dit qu'elle était vachement jolie. Il resta là pendant deux heures. Et puis des policiers vinrent le ramasser.

Il resta pendant quelques mois dans un orphelinat de Chicago.

Et puis Quillsh Wammy vint.

Ce fut une scène dont le vieil homme se souviendrait toute sa vie. Il était allé à Chicago afin de réunir des éléments qui concernaient une affaire de meurtre dont la Wammy's s'occupait. Il en avait profité pour faire le tour des orphelinats de la ville afin de faire passer son test à des enfants, et de déterminer qui étaient les plus brillants d'entre eux.

C'était le début de l'automne et le vent était vif et imprévisible. Il avait traversé la cour d'un pas vif, le visage dissimulé dans le col de son pardessus, une mallette à la main. Une bourrasque l'avait pris par surprise et il avait laissé tomber la valise. Celle-ci s'était ouverte et les documents s'étaient envolés en tous sens.

Il avait ravalé un mot de mécontentement et s'était mis à la poursuite de tous ses papiers. Au bout de quelques minutes, il en avait ramassé les trois quart quand soudain il s'était retrouvé nez à nez avec un môme qui lui brandissait les derniers feuillets.

- C'est à vous?

Le responsable de la Wammy's avait contemplé Killian en acquiesçant. Dès les premières secondes, il avait remarqué que ce garçon était étrange. Peut-être à cause du sourire, qui contrastait avec le visage angélique.

Peut-être à cause du khôl qui cernait ses grands yeux verts ou le collier de perles en plastique qui lui tombait jusqu'au nombril ou encore l'uniforme trop grand, dont la chemise déboutonnée laissait voir une épaule et le début d'un torse, comme pour dire qu'il était bien un garçon.

Il avait pris les feuillets en articulant quelques mots :

- Oui... Merci.

Il s'était senti horriblement mal quand le jeune garçon lui avait rendu les photos. Une femme éventrée. Il avait frissonné. Les yeux du garçon s'étaient un peu dilatés et il avait contemplé bizarrement l'image du cadavre, avec une curiosité morbide.

Nerveusement, Quillsh avait caché l'image avec la photo qui se trouvait juste en dessous. Une prise de vue de la scène du crime, prise en plongée.

Et puis le jeune garçon, de ses neuf ans et des poussières, avait souri encore avant de dire:

- Ce truc là ! C'est une carte, non?

Stupéfait, il avait vu Killian lever le doigt vers la photo et longer du doigt les contours du tapis en peau posé sur le carrelage bleu.

Et puis le doigt s'était posé à l'endroit où le contour de la victime indiquait qu'elle avait pointé son index. Il leva les yeux :

- A cet endroit... Avez-vous trouvé ce que vous cherchiez ?

L'homme avait frissonné en contemplant l'enfant et il se souvint que Y et Z avaient mis deux semaines avant de déceler que la pièce était une carte géante et que la victime indiquait elle-même l'endroit où le tueur avait décidé de cacher les documents qu'il cherchait à protéger.

Il lui fit passer les tests. Les résultats furent médiocres en logique pure et Killian était d'une ignorance crasse. Néanmoins, il avait été suffisamment troublé pour lui laisser sa chance.


Quand les grands battants de métal s'étaient refermés sur lui, il avait sentit son pouls accélérer. Ses pupilles s'étaient dilatées et il avait souri pour se donner du courage.

Il avait contemplé nerveusement les trois mètres de briques du mur d'enceinte qui allait l'isoler définitivement du monde extérieur. Le sang qui lui battait aux tempes avait un rythme grisant.

Les mains qu'il avait glissées indolemment à l'intérieur des poches de son pantalon trop grand devinrent moites.

Une peur délicieuse et mêlée d'un brin de panique l'avait envahi tout entier. Il sourit plus fort. Ses gencives lui faisaient mal à force de serrer les dents.

Devant lui, la grande ombre de l'homme qu'il avait rencontré dans la cour de son ancien orphelinat n'était d'aucun réconfort.

Il y avait quelques enfants -que des garçons- groupés par deux ou trois autour des marches qui menaient à l'entrée en verre -un luxe pour l'époque !-.

Il détailla sans vergogne ces gosses qui dardaient sur lui leurs grands regards sombres et inquiets, et il se rappela de la fête foraine et des gamins de forains qui courraient pieds nus avec leurs guenilles sur le dos.

Il pensa que les enfants qu'il avait sous les yeux étaient exactement pareil que ceux d'avant. Ils avaient ce même aspect décharné et sauvage. Il avait beau être mince comme eux, ses genoux à lui avaient un galbe charmant qui ne ressemblait pas à leurs articulations saillantes et leur peau écorchée. Ses cheveux d'or liquide semblaient un affront à ces tignasses coupées courtes dans un but de praticité inesthétique.

Néanmoins, il se sentit rassuré par leur dégaine. Il les connaissait bien ces germes d'humains avec leurs grands yeux méfiants et leurs petits poings prêts à frapper déjà. Tant de hargne, tant de colère pour dissimuler au mieux la grande faille dans l'âme.

Blessure d'amour qui fait de nous des brutes, tu ne demande pas mieux au fond, que d'être cajolé de nouveau, rassuré au possible.

Killian serra ses bras autour de son torse en un geste instinctif de protection, mais déjà son cerveau pensait à l'attaque. En le regardant, les enfants se murmuraient des choses à voix basses et l'un d'eux rentra à l'intérieur en courant. Qu'importe, il avait l'habitude de ce genre de réaction. Il secoua la tête en pouffant et ses colliers cliquetèrent les uns contre les autres.

Il chantonna comme pour lui même:

- Enfant perdu... Enfant perdu... Enfant perdu...

Il saurait bien les attraper, malgré leur réticence. Comme tous les autres.

Il se mordilla les lèvres. La porte approchait et à nouveau il ressentit la panique que ressent tout animal la première fois qu'on le met en cage. Il eut envie de crier, de griffer, de déchirer, d'écarteler les barreaux de la grille et de fuir très très loin de cet endroit.

C'est alors qu'il leva les yeux et qu'il le vit. Un garçon appuyé contre la fenêtre du premier étage.

Il semblait être assis de profil sur une banquette qui longeait la vitre et sa tête reposait à moitié contre le verre. Contrairement à la majorité des enfants qu'il avait vus jusque là, il n'avait pas des cheveux courts mais une longue chevelure noire et épaisse qui lui tombait en rideau sur les épaules.

Une lourde frange lui barrait le visage, laissant juste apparaitre la pointe d'un nez et un bouche qui à intervalle régulier venait déposer un nuage de buée sur la vitre.

Celui-là avait l'air différent. Et si on tenait compte de la façon dont était incliné son visage, alors il pouvait penser que ce dernier le regardait également.

Killian lui sourit. Pas de son sourire en V mais un vrai beau sourire. Celui qui enjôlait si bien.

Mais l'enfant derrière la vitre ne réagit pas. Même pas un peu.

Il aurait pu se détourner ou bien lui rendre son salut mais non.

Cette indifférence le déconcerta et il haussa les épaules avant de réaliser en jetant un dernier coup d'œil au premier étage que le jeune garçon était à présent accompagné.

Il y avait un autre visage tourné vers lui, qui lui jeta une œillade farouche avant de lancer un regard soupçonneux et protecteur vers le deuxième garçon.

Il le secoua gentiment avant que le deuxième ne réagisse et ils disparurent de la vue de Killian.


- Pride !

Le garçon releva la tête et se tourna vers son ami, un gamin maigrichon aux cheveux gris souris. Il venait de courir à toutes jambes vers lui, et avait l'air essoufflé.

- Hm ?

- Des… Enfin, un… Ouais… Enfin je crois… Je ne suis pas sûr…

- Arrête de tourner autour du pot ! s'énerva t-il. Qu'est-ce qu'il se passe ?

Son ami s'arrêta un instant et médita sa pensée. Un tic qu'il connaissait. Truth, car c'était son pseudonyme, n'aimait pas mentir, de quelque manière que ce fût.

- Quelqu'un arrive, finit-il par dire.

Les yeux de Pride s'écarquillèrent. Encore un autre orphelin ? Ils arrivaient à une vitesse affolante… Les génies étaient rares, pourtant, et là, ils déboulaient sans prévenir.

Ils étaient bien en petit comité. Plutôt, avaient été biens. Six ans s'étaient écoulés sans la venue de quelqu'un de l'extérieur, c'était rassurant… Et puis Z, Y, et maintenant ça en l'espace de deux ans. Beaucoup trop de gens.

- Un nouveau ?

- Ou une nouvelle, rectifia t-il dans un souci d'impartialité.

- Comment ça ? Je veux dire, c'est censé se voir, si c'est une fille ou un garçon…

Truth haussa les épaules et s'assit, essayant de reprendre un souffle normal. Il n'était pas bien résistant, détestait courir, se battre. Tout le contraire de lui, en somme.

- Je pense que c'est un garçon… fit-il d'une voix lente. Pas de poitrine. Mais… Je ne sais pas… Il a plein de colliers. Et du maquillage noir autour des yeux.

- Bon sang, on va se récupérer un travesti… gronda Pride en mettant sa tête entre ses mains. Après Z qui joue au fantôme et Y qui vient carrément d'un autre pays…

L'autre hocha lentement la tête et eut soudain un léger sourire.

- Quoi ? fit aussitôt P, sur la défensive.

- C'est un garçon.

Il montrait de l'index la double-porte vitrée qui venait de claquer. Il y avait Watari, évidemment. La personne en noir, la grande, celle qui les avait tous conduit ici. Tout le monde la connaissait, cette silhouette en imperméable luisant. Il ne s'y attarda donc pas.

Et puis il y avait l'autre.

La première pensée qui traversa l'esprit de Pride, en la voyant, ce ne fut pas « c'est un garçon » ou l'inverse. Non, c'était quelque chose de beaucoup plus abstrait, qui n'aurait même pas dû lui passer par la tête.

« C'est le Diable. »

Deux grands yeux verts, immenses, brillants, encadrés par des cils presque trop longs pour être vrais. Soulignés de noir comme ceux d'une call-girl, fardés de ténèbres. Chevelure épaisse en ondulations, des courbes, rien d'anguleux. Un corps enfantin, courbé lui aussi. Blanc, surtout. Pas le blanc crayeux, le blanc d'hôpital de leurs couloirs et de leurs chambres. Un blanc mille fois plus attirant, mille fois plus… Juste plus. Breloques cliquetantes et clignotantes à son cou et à ses poignets. Ca les faisait paraître encore plus fins.

Cet enfant était beau. Dieu qu'il était beau…

La beauté n'avait pas sa place ici. Pas à la Wammy's. Pas là. Ils ne connaissaient pas la beauté, ces petits orphelins-là. Pas du tout. On la leur avait aspirée avant de recracher ce qu'il restait, des ersatz de gamins froids et gris.

Et on leur avait appris à ne plus la voir. Alors comment pouvaient-ils la supporter ? Un aveugle qui voit pour la première fois ne peut pas regarder le soleil en face. Il se met à le haïr. Quelqu'un d'aussi beau ne pouvait pas vivre ici.

Parce que la Wammy House exécrait – et exècre – la beauté. Ce n'est pas utile, ce n'est pas intéressant. Ca pourrait les distraire. Même Korria n'était pas vraiment belle, puisqu'elle ressemblait à une poupée vide. Ca oui, la Wammy's l'acceptait, et même l'encourageait. On était soit parfait dehors et détraqué dedans, soit détraqué tout court.

Mais lui, ce n'était pas ça. Lui, il était détraqué dedans, oui… Et non. Pas vraiment. Pas encore. Il brillait du dedans malgré tout. Ce genre de beauté sauvage, vraiment magnifique, ils ne la connaissaient pas.

Et ce dont ces gamins avaient le plus peur, c'était de leur ignorance.

Ca… Ca, c'était placer le loup au milieu des agneaux divins.

Ou plutôt, un enfant-roi au beau milieu d'une assemblée d'orphelins silencieux, ternes, vidés de leur splendeur.

La beauté n'avait pas sa place ici.

Cette chose non plus.

Pride se secoua et détourna les yeux. Truth, lui, restait stupidement happé par le spectacle, ferré comme un poisson. Il avait l'air choqué. Terrorisé. Depuis quand Watari laissait-il le Diable entrer comme ça ? Il ne savait pas. Ne voulait pas savoir. Tout ce qu'il osait comprendre, c'était que, génie ou non… Cet enfant, là… Il devait partir. Loin. Maintenant.

Il aperçut, du coin de l'œil, que le démon s'était adossé contre un mur, bras serrées autour de la poitrine, un sourire pointu sur le visage. La seule chose tranchante de son apparence. Les poings de Pride se serrèrent. S'il avait été plus attentif, il aurait vu que les doigts du garçon étaient livides à force d'agripper ses coudes.

Une autre porte claqua, à l'autre bout du hall. Craquement de bonbon. Il y eut brusquement un lourd silence de la part des enfants présents. Le garçon se tourna vers ceux qui venaient d'entrer. Y et Z.

Quelqu'un devait être allé les prévenir, qu'un nouvel orphelin était entré. C'était rare, pour eux. Après tout, Yogur était le dernier arrivé.

Deux garçons côte à côte qui fixaient le nouveau.

Le nouveau qui fixait les deux garçons.

L'atmosphère devint plus tendue. Orageuse, même. Ouais, c'était ça, orageuse. Il n'y avait plus de bruit du tout. Quelque chose se passait. C'était bizarre, impossible à définir. Pride n'osait plus respirer. Tout devenait étouffant. Aucun des trois gamins ne semblait vouloir parler. Ils se jaugeaient. Trop calmement pour que ce soit normal. Les yeux d'Y s'étaient faits froids face au sourire en V de l'autre. Quant à Z… Impossible à déchiffrer.

Le diable s'agita, et Pride craignit un instant qu'il ne vienne frapper ses deux adversaires.

Sauf qu'il ne fit rien d'autre que de pencher la tête sur le coté d'un air intrigué tandis que son sourire se fanait.

Pride grimaça et Y fut sur le point de dire quelque chose, mais l'autre le devança, regardant directement Z et articulant d'un air candide qui jurait avec sa précédente expression:

- Woaaa ! Tes cheveux sont vraiment très beaux...


La phrase lui fit l'effet d'un coup de poignard dans le dos.

Alors ça, c'était perfide.

Yogur se mordit la langue et essaya de contenir la brusque bouffée de jalousie qui lui montait à la tête.

Il fallait réfléchir logiquement, on ne gagnait pas une parole ou un geste de Zéphyr comme ça. Quand même pas. Il ne communiquait pas avec des inconnus, surtout pas avec des orphelins qui arrivaient comme ça d'un coup et…

Mais en même temps, il l'avait bien vu, dans la cour, à son arrivée ! Il avait vu le sourire – ce sourire mille fois trop lumineux, mille fois trop charmeur ! Un sourire que personne ne savait faire, ici ! Et ce sourire-ci, à qui était-il offert ?

A Z. Il n'était destiné qu'à Z. L'enfant courant d'air, auquel on ne savait plus prêter attention. Mais ça, évidemment, l'autre n'en avait pas le droit. Il n'y avait que lui pour lui parler, pour l'approcher. Il. N'y. Avait. Que. Lui.

Et puis voilà que ce gamin, là… Ca ! Ca arrivait et ça essayait de charmer Zéphyr ! Pourquoi ? Pourquoi lui et pas un autre orphelin aux grands yeux de poupée de verre ? Qu'on le lui laisse, enfin !

Il lui rappelait les serpents qui hypnotisent les oiseaux avant de les dévorer. Juste en les regardant, ils les paralysent, embrument leur cerveau, puis se jettent dessus alors que l'oiseau rêve.

Rester calme, surtout. Non. Non, le brun ne flancherait pas. Le brun ne le trahirait pas. Pas de cette façon-ci, Y en était certain. Il n'allait pas accorder d'attention à ça, pas juste à cause d'une phrase en l'air, quand même. … N'est-ce pas ?

Et malgré tous les raisonnements sensés que Yogur se faisait, il ne pouvait pas s'empêcher d'avoir peur. Parce que si Zéphyr le laissait pour cet enfant enjôleur, lui, il n'avait plus rien. Plus personne et plus rien, pour être exact. Et puis même, c'était lui qui avait réussi à comprendre Z en premier ! C'était à lui que le mérite revenait… Juste à lui…

Y ne put pas s'empêcher de tourner la tête, son cœur se mettant à battre d'une manière aléatoire.

S'il osait… Oh, s'il osait dire ne serait-ce qu'un mot, ne faire qu'un mouvement… Yogur ne savait pas de quoi il serait capable. Mais s'il essayait de se venger, ce serait douloureux. Pas une vengeance futile d'enfant, non, quelque chose de bien plus grand, bien plus complexe. Et surtout bien plus dangereux.

A côté, Z ne bougeait pas. A peine un frémissement des lèvres, à la limite de l'imperceptible. Mais ça, le serpent d'en face ne pouvait pas le voir. Les deux le savaient. S'il avait voulu faire un signe d'assentiment, il aurait fait quelque chose de plus visible. Donc Zéphyr…

Zéphyr ne l'avait pas trahi.

Un sourire de victoire fleurit sur son visage, incontrôlable, un sourire qui ne toucha pourtant pas ses yeux. Ceux-ci restèrent gelés face au regard boudeur de l'autre. Le serpent n'avait pas encore eu son ami. Il ne l'aurait pas. Jamais.

Une mangouste face au serpent, pour protéger l'oiseau.

Peut-être qu'il avait lancé une guerre, il n'en savait trop rien. En tout cas, si c'était là la conséquence de ses actes, tant pis, il la jouerait, cette guerre.

Les dés en étaient jetés.


Et puis soudain la porte du bureau s'était ouverte, et l'homme qui avait amené Killian lui fit signe d'entrer d'un mouvement de la tête.

Alors il s'était glissé nerveusement dans l'entrebâillement de la porte qui diffusait sur le carrelage froid une lueur plus chaude et chaleureuse.

Le jeune garçon avait froncé son petit nez en observant la nouvelle pièce.

Bureau de hêtre et bibliothèque d'ouvrages reliés en cuir se côtoyaient sur la tapisserie sombre. Une large cheminée en marbre abritait un feu ronflant. Ses chaussures usées s'enfoncèrent dans le tapis épais et moelleux, riches de motifs orientaux.

Il croisa ses bras maigres sur sa poitrine et ses doigts vinrent jouer avec les breloques à dix sous qui lui pendaient au cou, tandis qu'il sentait sur lui le regard de l'homme.

Il tourna le visage et sourit d'un air mutin avant de le fixer par en dessous, enjôleur.

Watari fit un effort pour se contrôler et ne pas faire de remarques devant ce regard volontairement provocateur.

Debout derrière lui se trouvait un autre individu.

Roger avait été le compagnon d'étude de Quillsh et son ami le plus intime depuis de nombreuses années. Bien qu'il soit de nature casanière et réservé, il avait suivi son double dans cette aventure douteuse malgré son aversion profonde pour les enfants et leurs pleurnicheries. Il renifla devant l'attitude de la nouvelle recrue.

- Killian, commença Quillsh d'une voix calme et posée qu'il allait garder jusqu'à la fin de sa vie. Je t'ai fait venir afin que l'on te trouve un surnom. Tu dois comprendre que dans notre institution, nous divulguons le moins possible ce qui a trait à la vie privée de nos protégés. A partir d'aujourd'hui, il faudra que tu gardes ton prénom pour toi seul.

Pour toute réponse, Killian se mordilla le bout des lèvres, tout en continuant de sourire.

Sans se démonter, Quillsh insista :

- Est ce que tu as une idée d'un nom qui pourrait te convenir?

Killian répondit du tac au tac:

- Oui. Peter.

Il y eu un silence seulement brisé par Roger qui se racla la gorge. Quillsh, assis au bureau, soupira et croisa lentement ses doigts devant son visage:

- Je suis désolé, ce n'est pas possible Killian. La lettre P est déjà prise. Tu sais déjà ce que sont les lettres n'est-ce-pas ? Je te l'ai appris sur le trajet.

De plus, ce que Mr Wammy ne pouvait pas dire, c'est que Peter était le véritable prénom de Pride. Autant dire que lui attribuer son prénom aurait pu constituer un arrêt de mort pour le nouveau venu.

Le sourire du nouveau se tordit en une moue boudeuse qui rendait son visage encore plus charmant, si bien que Roger eu le sentiment qu'une goutte de sueur glacée lui coulait le long de la colonne vertébrale.

Le jeune garçon s'étira en arrière et son ventre se bomba vers l'avant comme celui d'une gamine :

- Kenneth alors.

Quillsh cligna deux fois des yeux. Kenneth. Prénom irlandais signifiant «très beau». Il se demanda l'espace d'une demi seconde jusqu'où cet enfant avait conscience de son pouvoir de séduction.

- Ce n'est pas possible... Le K a également déjà été choisi.

Les grands yeux verts se plissèrent dans un éclat qui pouvait faire penser à de la colère:

- Quelles lettres reste t-il alors?

Les deux hommes se regardèrent du coin de l'œil. Il y avait une douzaine de gamins dans l'établissement. Plus Roger et lui et les quelques agents de leur père disséminés de part le monde pour aider leur enquêtes cela faisait...

- Il reste seulement le X...

Killian éclata d'un rire sans joie avant de grimacer férocement :

- Kenneth, répéta t-il en les regardant fixement et les deux adultes se sentirent impuissant face à cette enfance toute puissante.

- Killian, tu...

Mais le garçon se détourna. Roger et Quillsh crurent qu'il allait sortir mais il se mit simplement de profil. Puis il plaça une jambe devant lui et une jambe derrière lui et fit de même avec ses bras.

La lumière dansante du brasier rencontra sa silhouette et projeta sur la porte l'immense ombre d'un X.

Il éclata de rire et son corps quitta son attitude raide. Aussitôt, son ventre se bomba, ses reins se creusèrent et avec perplexité, les deux hommes virent le grand X osciller pour se transformer en K.

- Kenneth, répéta l'enfant-roi, les yeux brillants et les canines féroces.

Comme sachant d'avance qu'il avait gagné.


Nul besoin de vous dire que le fardeau de l'éducation de X, Y et Z allait donner à notre cher Watari une dure leçon de vie qui allait sans doute changer beaucoup de chose dans la manière dont il aborderait «notre» L bien plus tard.

Mais pour le moment il n'en était pas là. Il avait à peine conscience qu'il venait juste de faire entrer le loup dans la bergerie.

Kenneth venait d'être baptisé X. Cela sonne comme une plaisanterie n'est ce pas ? Le X, la valeur inconnue de toute équation, le X, lien direct avec la pornographie, l'interdit. Le X encore, omniprésent dans le mot trickster. Le fripon, l'enfant divin.

Il était né pour eux, pour jouer des tours à ceux-là qui l'enferment, pour séduire à tour de bras ces enfants qui se méfiaient de lui. Sans méchanceté autre que son naturel goût du jeu.

Mais peut-être plus que tout, il était là pour faire voler en éclats cette douce paix que Y et Z -plus intelligents et plus fragiles que les autres- avaient construit autour d'eux comme un cocon rassurant.

Voilà. Tous nos protagonistes sont réunis. Déjà les lignes du drame se mettent en place. L'histoire peut commencer. Les grilles de l'institution se sont refermées. Ils se sont tous jetés dans la gueule du loup.

Je vous laisse en huis clos.

Votre serviteur.


Lou : Voilà pour cette fois. N'hésitez pas à nous faire part de vos impressions. C'est déjà dur d'insérer un OC mais quand on ne jongle qu'avec ça, on a vraiment peur que ça ne plaise à personne.

Tach-pistache : Et puis avec le changement de style, tout ça... Ecrire à quatre mains n'est pas aussi facile que ça en a l'air ! Sérieusement, dites-nous ce que vous en pensez !

A bientôt!