COMME CHIEN ET CHAT

Il est riche. Il n'aime personne. Il n'a aucune morale.

Elle a du mal à joindre les deux bouts. Elle est adorable. Elle tient à ses valeurs.

Bientôt, ils seront voisins.

Aïe...

Chapitre 1

LE DIABLE HABITE EN FACE DE CHEZ MOI

Cela faisait plus de vingt minutes que je tournais dans mon appartement tel un lion en cage. Vingt minutes que je jetais des regards assassins à travers le judas pour apercevoir quel abruti daignait emménager dans l'appartement en face du mien.

Il y a une semaine, Mme Gray m'avait informé de l'arrivée d'un nouveau locataire. Elle était enjouée et m'avait gratifié d'un clin d'œil en ajoutant que ça me ferait du bien de sortir un peu de mon ermitage.

Cette vieille bique de concierge aux grosses fesses passait son temps à épier les habitants de « son » immeuble. Elle et son chien galeux me sortaient littéralement par les trous de nez. Toujours son sourire hypocrite et édenté lorsqu'elle me questionnait sur mon manque de vie amoureuse.

L'amour. Ce truc dégoulinant qui vous rend plus abruti qu'un supporter de football américain...

Hors de question que je tombe si bas. Les femmes sont des emmerdeuses. Elles pleurent tout le temps, passent un temps fou dans la salle de bain et ont un don incroyable pour envahir votre espace vital sans même que vous ayez eu le temps de souffler. Merci, mais non merci.

Les meubles et les cartons défilaient en un balai incessant et très agaçant, signant la fin de ma paix chérie. Meubles bas de gamme, sans goût. Cartons dégueulant de vaisselle et de chiffons. Sacs poubelle prêts à s'éventrer... Attendez, sacs poubelle ? Mais qui déménage ses biens à l'aide de sacs poubelle ? Merde, il était hors de question que cet immeuble abrite un clochard amélioré, et encore moins en face de chez moi. Je suis un pianiste professionnel, moi. Un esthète. Il fallait que j'aie très rapidement une petite conversation avec le responsable de l'immeuble.

Je me penchais encore sur l'œilleton de ma porte d'entrée. Horreur ! Un chien. Un roquet. Un truc petit, hideux, sale, plein de bruit et de bave. Il courait en jappant joyeusement, passant vivement entre les jambes des déménageurs. Si l'un d'entre eux tombait par sa faute, peut-être cela retarderait-il l'emménagement de l'intrus ? Peut-être même que ça ferait office de mauvais présage et que mon abruti de nouveau voisin préférerait partir ? J'en souris d'avance.

C'est là que mon enfer personnel a commencé. Quand je l'ai entendue. La voix du diable. « Roger ! Roger ! Viens par là mon beau ! Ton nouveau ''chez toi'' te plaît ? »

Le diable avait appelé son chien Roger. Mais qui oserait appeler un cabot Roger ? Incontestablement, le diable était un simple d'esprit !

J'écrasai mon visage contre la porte et je la vis. Brune, petite, fine. Une chieuse en short et débardeur vulgaire qui dévoilait une poitrine fière et ferme, sans la moindre trace de soutien-gorge. Une aguicheuse de bas étage.

Je lui trouvai immédiatement un nom : Lucifer.

Je quittai l'entrée d'un pas rageur et me dirigeai dans la pièce qui me servait de studio d'enregistrement. Totalement insonorisée, cette salle était mon havre de paix. Là, pas de clébard hurlant ni de Lucifer toute poitrine dehors. Non. Juste moi et ma musique. Je m'installai sur le confortable petit banc devant mon piano et commençai à jouer.

Plusieurs heures passèrent sans que je ne m'en rendis compte. La faim commençait à se faire sentir et la nuit était sur le point de tomber. Pas le moindre bruit dans le couloir : Lucifer avait certainement terminé son invasion et devait couler des heures joyeuses autour d'un casse-croûte rance avec son médor, ses trois mouflets morveux et son mari alcoolique, le tout au beau milieu des cartons et des sacs poubelle. Pathétique.

Je saisis le combiné de mon téléphone et appelai mon traiteur italien favori, Gino.

- Trattoria Gino, bonsoir !

- Oui c'est ça, bonsoir, passez-moi Gino.

- C'est à quel propos ?

- Pour une commande, bien sûr. Pourquoi voulez-vous que j'appelle ? Une coupe de cheveux ?

- Euh... C'est que Monsieur Gino est le patron de cet établissement. C'est moi qui prendrai votre commande monsieur...?

- Cullen. Edward Cullen. De la résidence Kensington sur la 42ème. Appartement 203B.

- Bien monsieur Cullen. Que prendrez-vous ?

- La même chose que d'habitude.

(Moment d'hésitation à l'autre bout de la ligne)

- Mais... c'est que je ne sais pas ce que vous commandez habituellement monsi...

- Ah ! Vous voyez ! C'est pour ça que je veux Gino.

(Silence)

- Monsieur Cullen, quel plaisir ! Excusez mon serveur, il ne travaille ici que depuis quelques jours et il ne connaît pas encore vos habitudes.

- Et bien virez-le.

- C'est à dire... que c'est mon neveu, Monsieur Cullen. Ma sœur me l'a confié pour qu'il puisse payer ses études.

- Et bien il peut aussi distribuer des journaux. Plein de jeunes font ça. C'est formateur.

- Cela ne se reproduira plus, Monsieur Cullen. Je vous fais parvenir votre commande pour 21h00, cela vous va ? Nous vous offrons une bouteille d'un excellent lambrusco en guise de dédommagement.

- 21h00. Parfait. Et gardez votre pinard infecte. Je suis un connaisseur, Gino. Vous ne me ferez jamais boire de la piquette.

Je raccrochai.

Non mais où allait le monde ?

Je mis la stéréo en marche et écoutai d'une oreille critique le dernier morceau que je venais de composer dans le cadre d'une bande-son pour un nouveau film. Debout face à la grande baie vitrée, j'observais l'animation dans les rues New-yorkaises. Une silhouette sortant du parc attira tout de suite mon attention. Elle faisait un jogging. Ses longs cheveux bruns étaient noués et elle portait une tenue de sport qui moulait ses formes. Ses seins semblaient tressauter de joie à chaque nouvelle foulée. À ses côtés, Roger gambadait dans tous les sens, pissant sur les buissons ou faisant la fête à quiconque daignait lui faire une grattouille sur la tête. Lucifer était une sportive : à la bonne heure ! Ça allait sentir la femelle en sueur et le chien mouillé dans le couloir. Il faudrait que je pense à demander à la société de nettoyage de désodoriser de temps à autre.

La sonnerie du téléphone me sortit de mes pensées horrifiques. Je regardai le cadran et reconnus l'identité de l'appelant. Je laissai sonner jusqu'à ce que le répondeur se mette en route.

- Bonjour, vous êtes bien sur le répondeur d'Edward Cullen (bruit de chute d'un objet lourd sur la moquette) _merde ! Ça va faire une tache_ laissez un message et je vous rappellerai.

- Bonsoir mon chéri, c'est maman. Tu sais, tu devrais vraiment changer le message de ton répondeur. Ça fait un peu... brouillon... Enfin, bref, j'imagine que tu dois encore être devant ton piano. Bon, j'ai appris que tu avais une nouvelle voisine. Super, non ? Je suis tellement contente ! Il paraît qu'elle est adorable. En plus, il semblerait qu'elle soit très jolie. Tu dois certainement te demander comment je sais tout ça ? En fait c'est une nouvelle collègue de ta sœur. Elle vient d'intégrer le Central Hospital en tant qu'infirmière. Le monde est petit, non ? Je pensais que ce serait vraiment bien que vous fassiez connaissance tous les deux. Alice ne tarit pas d'éloge sur elle. J'imagine que tu le sais déjà mais elle s'appelle Isabella Swan. Je l'ai invitée à notre barbecue de samedi prochain. Tu te souviens bien qu'on a un barbecue samedi prochain, hein ? Toute la famille sera là alors je compte sur ta présence, Eddy. Pas de fausses excuses cette fois-ci. Ta musique attendra. Je t'embrasse, mon chéri. Bonne nuit.

Ma mère, toujours enjouée et dans l'espoir que je me marie et lui donne des petits-enfants avant mes 40 ans...

Ma mère, qui était en train de fomenter un plan avec ma sœur pour que je m'acoquine avec Lucifer.

HORS – DE – QUESTION !

Cette nuit-là, j'eus le sommeil agité. Des cauchemars peuplés de chien à nom d'homme et de seins gonflés pointant vers moi pour mieux me tenter.

Je me réveillai dans un sursaut... et avec une étrange révélation :

LE DIABLE HABITE EN FACE DE CHEZ MOI