Quelque part dans une réalité parallèle où tout va bien...
Train se retint de pousser un soupir trop bruyant, et se contenta de laisser tomber lourdement sa tête sur son livre, avec l'expression la plus ennuyée du monde sur son visage. Un « chut ! » réprobateur lui parvint sur sa droite. Train leva discrètement son majeur sous la table en réponse. Il releva néanmoins la tête et recommença à mordiller son stylo, qui de toute façon ne lui servirait pas à écrire vu l'ennui incommensurable qui se dégageait de son sujet de dissertation. Et les quelques ouvrages qu'il avait péniblement rassemblés pour l'aider n'avaient fait que le dégoûter encore plus.
Ce fut à ce moment qu'il l'aperçut : une jeune fille venait d'entrer dans la bibliothèque, et sur son t-shirt à motif floral de kimono, Train distingua le logo Sweeper, cousu à la main. Se redressant brusquement de sa position avachie (faisant grincer sa chaise et les dents de son voisin par la même occasion), Train tenta de se positionner de manière à être dans le champ de vision de la jeune fille, afin de rendre visible son propre t-shirt Sweeper, qu'il avait acquis tout récemment en fouillant dans les tréfonds d'internet.
La jeune fille s'assit sans paraître le remarquer, mais Train n'allait pas abandonner comme ça. Pour une fois qu'il rencontrait en chair et en os une autre personne connaissant Sweeper ! Il fixa son regard sur elle, espérant que la sensation d'être épiée la ferait se retourner vers lui, mais elle ne réagit pas. Il se racla la gorge, toussa même, mais n'eût pour seul résultat que le départ de son voisin excédé. « Aux grands maux, les grands remèdes » songea Train. Saisissant son stylo, il visa du mieux qu'il pût la table de la jeune fille.
La chute de l'objet en plastique sembla résonner comme un coup de tonnerre dans la bibliothèque silencieuse. Plusieurs têtes se tournèrent, et enfin, enfin la jeune fille mit son livre de côté pour regarder ce qui avait atterri près d'elle. Elle ramassa le stylo et ses yeux tombèrent immédiatement sur Train, qui pointait son propre t-shirt avec un grand sourire. Le visage de la jeune fille s'éclaira et elle lui rendit son stylo ainsi que son sourire. Train sentit peser sur lui plusieurs regards emplis de reproche, mais il n'en avait cure. Il fit signe à la jeune fille de venir s'installer à côté de lui. Elle secoua la tête, et désignant son livre du doigt, lui fit comprendre par gestes qu'elle le rejoindrait une fois qu'elle aurait fini. Train acquiesça, puis se leva pour aller remettre en place les livres qu'il avait sortis. Il rangea ses affaires et se dirigea vers l'extérieur. Il attendit ce qui lui sembla être une éternité, mais la jeune fille finit par sortir à son tour.
Elle vint immédiatement vers lui, main tendue :
- Saya, enchantée !
- Train, moi de même, répondit –il avec un sourire qui aurait pu faire trois fois le tour de son visage.
- Alors comme ça, tu connais Sweeper ? demanda Saya qui arborait le même air joyeux.
- Si je connais ? J'adore ! s'exclama Train.
Plus tard dans la soirée, un chat blanc qui passait par là s'arrêta un instant pour observer cet étrange duo qui riait aux éclats.
