Harry souleva une paupière. Le soleil levant faisait filtrer des rais timides sous le store. Ginny, étendue à côté de lui, soupira et roula sur le côté, toujours endormie.

Harry chaussa ses lunettes et passa machinalement la main sur sa cicatrice. Cinq mois que Voldemort était mort, et il avait bêtement cru que tout reviendrait à la normale.

Mais il aurait dû s'en douter : il n'existe pas de normale dans le monde sorcier.

Il s'assit sur son lit et jeta un coup d'œil à son réveil. 9H30. La matinée commençait à peine. Il aurait bien aimé dormir plus longtemps. Il avait rendez-vous au ministère à 18h, et il savait qu'il allait avoir affaire aux journaleux qui se précipiteraient sur lui dès qu'il apparaîtrait. Quelle idée, vraiment, d'avoir tué le plus grand mage noir de tous les temps…

Ginny grogna dans son dos :

« L'est quelle heure ?

- Trop tôt. »

Il se leva et se dirigea vers la salle de bains. Il habitait au 12 square Grimmaurd depuis son retour de France. Après la bataille finale, Harry s'était invité chez la famille Delacour pour s'aérer. Ron et Hermione l'avaient suivi. Ils avaient passé trois mois chez eux, à aider, à dormir, à cauchemarder, à essayer de réapprendre à rire. Ron avait fait de fréquents allers-retours chez lui pour soutenir sa famille après la mort de Fred, mais le temps qu'ils avaient passé tous les trois loin d'Angleterre les avait plus reconstruits et réunis que toutes les séances chez les psychomages qu'ils avaient pu suivre. À leur retour en Angleterre, les trois amis avaient presque oublié que le monde avait continué de tourner sans eux, ou en tout cas l'Angleterre, et ils avaient dû reprendre pied avec la dure réalité : ils étaient des héros. Et un héros, quand on en a un sous la main, on ne le lâche pas.

Ils avaient dû renforcer les sortilèges de protection autour du Terrier et du 12 square Grimmaurd entre autres, et se réfugiaient souvent chez Hermione, qui habitait dans le Londres moldu.

Bref. Cela faisait donc deux mois que Harry, Ron et Hermione étaient de retour dans la vie réelle, et Harry se demandait tous les jours pourquoi il n'était pas resté planqué à l'étranger plus longtemps.

Après avoir pris une douche rapide, il monta au grenier voir Coucou, son nouvel hibou, pour relever son courrier. Coucou était un hibou gris au bec jaune, plus petit qu'Hedwige mais plus féroce. Harry l'avait choisi après l'avoir vu griffer et agresser un touriste qui l'enquiquinait trop. Il s'était dit qu'il ferait merveille contre les journalistes trop curieux qui tenteraient de lui piquer son courrier.

Coucou était revenu de sa chasse nocturne avec un mot d'Hermione.

Cher H.,

Les carottes sont cuites, mais ce n'est pas la fin des haricots. La cerise sur le gâteau manque : c'est pas de la tarte.

À tout à l'heure,

H.

Coucou s'était fait attraper une fois : depuis, Hermione et Harry communiquaient par messages codés par mesure de précaution. Les carottes cuites signifiaient qu'Hermione et Ron avaient une nouvelle de la plus haute importance à lui transmettre, mais la fin des haricots rendait cette information non urgente. La cerise sur le gâteau lui demandait s'il avait bien dormi. C'est pas de la tarte indiquait que leur nuit avait été agitée.

Hermione avait des nuits difficiles. C'était comme si toute l'année passée à courir de partout dans toute l'Angleterre lors de la chasse aux Horcruxes, elle avait empêché son esprit de divaguer, et que tout ressortait maintenant, des mois après. Ron avait raconté à Harry les nuits blanches qu'il passait à calmer Hermione. Mrs Weasley avait dû accepter d'avoir à demeure une Hermione aux yeux continuellement cernés. En effet, si Hermione cauchemardait si elle n'avait pas Ron à ses côtés, Ron, lui, ne s'endormait pas du tout. Mrs Weasley fermait donc les yeux sur les nuits que les amoureux passaient dans la même chambre.

Harry s'était installé au square Grimmaurd pour éviter de peser trop aux Weasley. Il devenait allergique au monde. Être dans une grande maison vide lui faisait le plus grand bien. Il passait toutefois presque toutes ses journées au Terrier. Ginny squattait de temps en temps, et il trouvait auprès d'elle le réconfort que Ron et Hermione trouvaient l'un auprès de l'autre. Comme pour Ron, Mrs Weasley faisait semblant de ne rien voir.

Harry descendit à la cuisine et croisa Kreattur dans les escaliers.

« Bonjour Kreattur.

- Bonjour, Maître. Le petit-déjeuner du Maître est prêt. Le Maître a-t-il besoin de quelque chose en particulier ?

- Non, c'est bon. Merci Kreattur. »

Une cafetière pleine l'attendait sur la table de la cuisine, ainsi que des toasts parfaitement grillés et de la confiture de mirabelles. Harry s'assit lourdement à table et commença à préparer ses tartines.

« Tu as bien dormi ?, lui demanda Ginny en entrant dans la cuisine.

- Sans plus. » Elle se posa en face de lui.

« On va au Terrier à balai ?

- Oui. Un petit sortilège de Désillusion et le tour est joué. Pas envie de transplanter. »

Depuis la bataille finale, Harry avait beaucoup de mal avec sa magie : des manifestations de magie spontanée n'arrêtaient pas de se produire. Ses transplanages devenaient hasardeux. Ron avait parlé de transplantage quand Harry avait atterri dans la mare devant le Terrier. Le terme était resté.

Ginny le regarda avec des yeux soucieux.

« Tu sais, tu devrais peut-être…

- Ne me parle pas de Sainte-Mangouste. Pas dès le matin. » se renfrogna Harry. Un médecin à Sainte-Mangouste lui avait expliqué que sa magie était liée à ses émotions et qu'il devait donc aller voir des psychomages pour gérer son stress. Harry avait failli assommer les trois psychomages qu'il était allé voir. Hermione l'avait lancé sur le yoga, et il faisait donc une heure de méditation par jour pour canaliser sa puissance magique. Si cela ne l'aidait pas pour sa magie, ç'avait au moins le mérite de l'apaiser sur l'année qu'il avait passée.

« Tu as reçu ta lettre de Poudlard ? »

Harry soupira. Ginny avait le chic pour choisir ses matins. Des jours, elle était adorable. D'autres jours, elle se transformait en Molly Weasley bis, à s'inquiéter et se préoccuper de tout. Si Harry supportait, et avait même réussi à apprécier, la sollicitude exagérée de Mrs Weasley envers lui, il avait du mal quand sa fille l'exprimait elle aussi. La lettre de Poudlard…

« Non. Une lettre d'Hermione, c'est tout.

- Rien de grave ?

- Non. »

Il se replongea dans son café. Ginny dut comprendre qu'elle n'en tirerait rien d'autre. Ils finirent leur petit-déjeuner en silence.

Harry se leva enfin et mit son bol dans l'évier. Il se rapprocha ensuite de Ginny et la prit dans ses bras :

« Je suis désolé. Je n'aurais pas dû te parler comme ça.

- Et moi j'aurais dû attendre que tu aies pris ton café pour te parler. »

Harry entendit son sourire dans sa voix. Il enfouit sa tête dans les cheveux de la jeune fille et inspira profondément son odeur. Le sentiment de réconfort auquel il s'était habitué quand il faisait ce geste s'installa en lui et le décontracta imperceptiblement. Une heure de yoga et il serait d'attaque !

OoO

Une heure plus tard, ils ouvrirent la grande fenêtre du grenier, enfourchèrent leurs balais et s'envolèrent vers le Terrier.

Voler avec Ginny était presque aussi réjouissant que voler à Poudlard, avec des cognards à éviter, un vif d'or à attraper, le tout sous les vivats d'un public rouge et or déchaîné. Elle allait vite, sûre d'elle, avec des mouvements souples et affirmés. Harry aimait toujours autant voler. Il fit un looping, un virage serré, évita une mouette, une autre, et poussa sur son balai de toute sa puissance pour rattraper Ginny.

Ils arrivèrent au Terrier trois quarts d'heure plus tard, détendus par le vol. Ils se désillusionnèrent dans le jardin. Harry eut une pensée fugitive pour Maugrey Fol Œil, comme à chaque fois qu'il ressentait cet œuf imaginaire qui se cassait sur sa tête.

La maison paraissait calme. Seule Mrs Weasley leur apparut, en train de donner des graines aux poules qui picoraient devant l'entrée.

« Harry ! Ginny ! Enfin vous voilà !, s'écria Mrs Weasley.

- Bonjour, Mrs Weasley, lui dit Harry en disparaissant dans l'étreinte chaleureuse de la femme replète.

- On était là hier, maman, répondit Ginny en l'embrassant. Où sont les autres ?

- Dans le verger. Ils jouent au Quidditch. »

Les yeux d'Harry brillèrent, ce qui n'échappa à Mrs Weasley.

« Allez donc les rejoindre, je vous appellerai quand j'aurai besoin de vous. »

Ginny saisit la main d'Harry et ils firent le tour de la maison pour aller dans le verger. Ce qu'ils virent leur arracha un rire.

Ron avait le souaffle en main et essayait de le passer à Hermione qui, malheureusement, avait du mal à guider son balai. Il l'encourageait en la houspillant :

« Allez, ma vieille ! Lâche ton balai !

- Si je le lâche, je tombe !

- Non mais lâche-le juste d'une main ! Normalement si tu le serres bien entre tes cuisses, il ne devrait pas tomber !

- Je fais ce que je peux, Ron ! Je n'ai pas les cuisses si musclées que ça ! » Elle aperçut alors Harry et Ginny et rata la rougeur soudaine qui avait envahi les joues de Ron.

« Ah vous êtes là ! »

Ron les remarqua à son tour et rit :

« Allez Hermione, montre à Harry l'atterrissage que je t'ai appris !

- Ron, j'ai appris à atterrir en première année, ne t'envoie pas des fleurs que tu ne mérites pas. » répliqua Hermione, piquée au vif. Elle descendit à la hauteur des deux nouveaux arrivants et se laissa glisser de son balai.

« Salut vous deux. » Elle serra brièvement Harry contre elle et claqua une bise sur la joue de Ginny. Ron atterrit à côté d'eux et leur annonça :

« Papa et George devraient rentrer déjeuner. Percy, je ne sais pas. Maman a encore crié ce matin pour qu'il vienne passer plus de temps à la maison, mais je crois qu'il n'ose pas affronter George.

- Mmm. Ça viendra quand ça viendra, répliqua Harry, philosophe, encore tout empreint de bonnes pensées zen. On les verra dimanche. »

Ils s'allongèrent par terre et échangèrent quelques banalités sur le temps agréable de ce mois de septembre. Poudlard rouvrait ses portes exceptionnellement en octobre, le temps de faire les travaux nécessaires à la reconstruction de certaines parties du château. Ginny avait donc encore quelques jours avant de retourner à l'école. Elle avait reçu une lettre de Poudlard une semaine auparavant, dans laquelle la directrice Minerva McGonagall l'informait qu'elle aurait du retard à rattraper suite à son absence prolongée l'année précédente. Ginny espérait que Ron, Hermione et Harry recevraient eux aussi une lettre pour retourner à Poudlard et vivre ensemble une dernière année, enfin paisible.

Pour l'instant, ils n'avaient encore rien reçu.

Ils entendirent la voix de Mrs Weasley qui les appelait pour le repas. Ils se levèrent tous les quatre et retournèrent à la maison. Ron tenait la main d'Hermione et lui chuchota quelque chose à l'oreille qui la fit rire. Harry traînait la patte, tirant Ginny vers l'arrière pour lui voler des baisers rapides.

Mr Weasley ôtait sa cape quand ils débarquèrent sous la tonnelle. Harry et Ginny allèrent le saluer tandis qu'Hermione allait aider Mrs Weasley à sortir les plats de la cuisine. Ron s'assit à côté de George et se servit un verre de limonade en lui demandant des nouvelles du magasin.

Le repas fut agréable. George et Ron se renvoyaient la balle avec, sinon de l'allégresse, au moins de la vivacité. Le poulet était délicieux, la sauce exquise et les patates sautées à souhait. Au café, George proposa à Ginny d'aller avec lui sur le Chemin de Traverse pour faire ses courses pour la rentrée.

« Pourquoi pas. Tu veux venir, Harry ? » Ce dernier n'hésita pas.

« Non. J'ai la flemme de me merdamorphoser. » Encore un néologisme, suite à la fois où il s'était colorié les cheveux à la mode Tonks. Ginny hocha la tête, compatissante, tandis que Ron gloussait en se remémorant la tignasse rose bonbon de son ami.

Ginny, George et Mr Weasley repartirent donc après le café. Mrs Weasley poussa les trois amis hors de la cuisine quand ils voulurent l'aider à faire la vaisselle :

« Hors de ma vue ! Je dois préparer le thé !

- Le thé ? Qui vient prendre le thé ? »

Mais Mrs Weasley ne daigna pas répondre à la question de son fils et elle les mit tous trois à la porte.