Intouchables

Au début, Sam ne les remarque pas.

Il faut dire, ils réussissent très bien à se fondre dans le décor. Extérieurement, tout va bien. Personne ne cherche la petite bête. Personne ne les voit réellement.

Au début, Sam aussi ne les voit pas.

Et puis un jour, il arrive en clopinant – saloperie de poltergeist qui l'a balancé dans les escaliers – et attire l'attention de la fille à côté de laquelle il s'est assis sans faire très attention.

« Qu'est-ce qui t'est arrivé ? » lui chuchote-elle.

« Mauvaise chute. »

Et là, elle lui adresse un sourire bizarre, et elle relève sa manche pour lui montrer un hématome en train de noircir, avec une vague forme de main.

« Je connais ça aussi. »

Tout d'abord, il n'enregistre pas ce qu'il a sous les yeux. Et puis la lumière se fait, et il doit ravaler son envie de vomir.

A compter de ce jour, il ne peut plus arrêter de les voir.

Il y a le garçon qui vient en classe avec des manches longues alors que le mois de juillet dans l'état du Mississippi est étouffant.

Il y a l'autre garçon qui affirme que son nez cassé et ses lèvres fendues à répétition proviennent du fait qu'il s'emmêle tout le temps les jambes.

Il y a la fille qui refuse d'enlever ses lunettes de soleil dans le bâtiment pour cacher l'œil au beurre noir qui la défigure.

Il y a le garçon qui prétend qu'il s'est brûlé tout seul en utilisant la gazinière.

Il y a des dizaines et des dizaines d'autres.

Personne ne les voit. Personne ne veut les voir. Les professeurs écoutent les excuses d'un air méfiant mais ne posent pas de questions. Au grand maximum, ils donnent des prospectus brillants qui finiront à coup sûr dans la poubelle.

Sam les voit. Sam est autorisé à les voir. Sam est autorisé à recevoir des petits clins d'œil de leur part, des sourires complices, des signes de tête qui croient savoir la vérité sur lui. Qui signifient une reconnaissance.

Sam veut vomir quand il comprend qu'ils le pensent des leurs. Mais qu'est-ce qu'il peut leur répondre ? Après tout, les excuses qu'il se trouve ne sont pas si différentes des leurs. Tombé dans l'escalier. Tombé de bicyclette. Mordu par un chien sauvage. Coupé en se retrouvant à côté d'une fenêtre cassée par un projectile.

Ils savent qu'il ment. Ils croient savoir pourquoi il ment. Ils croient le réconforter en lui signalant qu'il n'est pas tout seul.

Sam a seulement envie de pleurer quand il croise leurs regards.

Si jamais vous pensez que quelqu'un est maltraité, parlez-en. Appelez la police, les services sociaux, n'importe qui, mais parlez-en. Vous pourriez sauver une vie.