Chapitre 1: Comment nos vies ont dérapé
PDV Caty
Je me réveille la boule au ventre. C'est la Moisson. Cette pensée m'obsède, ne veut plus me lâcher. C'est la Moisson.
Je m'appelle Caty et j'ai 15 ans. Je vis au district Dix, le district du bétail. Mes parents sont les co-propriétaires d'un abattoir avec nos voisins. Depuis mes 7 ans, j'y travaille avec leur fils qui a mon âge. C'est devenu mon meilleur ami au fil du temps, mon confident, mon frère de coeur ( nous sommes tous les deux enfants uniques ). Ce n'est pas que pour moi que j'ai peur. C'est aussi pour lui.
On sait tous les deux les mêmes choses; où frapper pour tuer, manier la hache, le couteau. On est tous les deux forts, endurants, rapides, agiles. Mais, face à des Carrières surentraînés, aucun de nous ferait le poids.
J'ai si peur, peur que ma vie dérape. Je voudrai tellement que ce ne soit pas la Moisson.
PDV Jason
Caty doit être réveillée. J'ai beau lui répéter qu'on a pas de tessarae, qu'on a seulement 4 papiers à nos noms, elle angoisse. J'aimerai tant pouvoir la réconforter, moi qui ne stresse qu'un tout petit peu.
Je me lève et vais me laver dans le baquet. Nous n'avons qu'un seul point d'eau courante, dans le petit jardinet derrière la maison. Je vais remplir le baquet tous les soirs en prévision du matin. Je sais que les voisins font exactement la même chose. Nos maisons, nos modes de vie se ressemblent tant !
J'admire mon image dans le miroir. C'est celle d'un grand garçon musclé à la peau tannée par le soleil enveloppé dans une serviette rêche. Ses cheveux sont brun si foncé qu'on dirait qu'ils sont noirs, et ses yeux sont noisette. Je suis beau et je le sais. Toutes les filles sont à mes pieds.
Mais la seule fille qui ne m'ait jamais intéressé me considère comme son frère.
PDV Caty
Je me regarde dans le miroir, après m'être baignée. Je suis une grande jeune fille aux muscles développés mais pas trop, à la silhouette fine et musclée, aux formes développées mais pas trop. Ma peau est plutôt pâle, mes longs cheveux tombent jusque dans le creux de mes reins. Ils sont raides et d'un beau blond doré. Mes yeux sont d'un beau bleu profond.
J'enfile une robe de coton toute simple, d'un beau vert feuille, qui met en valeur ma silhouette. Je veux être belle au cas où.
Je descends dans la cuisine. Ma mère a préparé une omelette aux champignons, un vrai luxe ! Mes parents sont attablés. Je vois bien qu'ils sont nerveux, ce qui ne fait que renforcer ma propre inquiétude.
PDV Jason
Mes parents sont déjà dans la cuisine. Ils sont parfaitement détendus, comme si aujourd'hui était un jour comme un autre. Après tout, je n'ai que très peu de chance d'être choisi, si on regarde ces grands gars de 18 ans qui prennent depuis leur première Moisson un nombre assez important de tessarae. L'année dernière, c'est un de ces mecs qui avait été choisi. Il avait fini 5eme, chose rare dans un district pauvre comme le notre. Le gagnant était, d'après mes souvenirs, le mec du Deux, un Carrière, évidemment.
- Ce soir, fiston, avant la rediff', faudra que t'aille nettoyer l'abattoir pour demain.
Pour mon père, le boulot passe avant tout. Il ne parle que de ça. Même aujourd'hui, il n'a que ça à la bouche. C'est pour ça que maman l'a quitté.
En fait, celle que j'appelle " Mère " avec déférence est la deuxième femme de papa. C'est une véritable mégère qui n'aime que le luxe et dépense des sommes astronomiques pour des robes qui n'arriveront jamais au niveau de la plus moche du Capitole. Je la déteste.
Je rends visite à ma mère, des fois. Elle aussi s'est remariée, mais avec un berger très simpathique, Barry. Ils ont eu des jumelles qui ont 8 ans. J'adore aller chez eux, mais je me sens toujours de trop dans leur bonheur. Alors, j'y vais peu, au grand regret de Juliet et Charlot, les jumelles, qui m'adorent.
PDV Caty
Ma famille n'a rien à voir avec celle de Jason, où il n'y a que des remariages. Mes parents sont un couple tout ce qu'il y a du plus ordinaire. Ils se tiennent la main pendant tout le repas.
En fait, je suis courageuse. Difficile à croire, mais je suis courageuse. C'est juste que je m'inquiète pour Jason, je m'attends toujours au pire.
- On y va ? fait enfin mon père.
J'acquiese.
Nous sortons sur le sentier. Ici, les maisons sont entourées de prés et de pâturages. Nous vivons à la périphérie, en face de notre abattoir. La Grand-Place est à peu près dix minutes d'ici, comme l'école.
Le chemin se déroule dans une atmosphère pesante. D'autres familles nous entourent. Il n'y a pas un rire d'enfant de tout le chemin. Même les plus petits comprennent l'importance de ce jour.
Enfin, nous arrivons à la Grand-Place. Je passe les guichets d'enregistrement. Jason m'attend juste derrière.
PDV Caty
Elle arrive. Elle passe les guichets et se dirige vers moi.
- Salut.
- Salut.
Nous laissons planer un silence, que je romps:
- Tu t'inquiètes trop, Caty.
- Ecoute, il y a bien des gamins de 12 ans n'ayant qu'un seul papier qui sont tirés, non ? Nous, on en a 4. On a 4 fois plus de chance que l'un de nous soit tiré.
- Caty, le cas que tu cite est rare. Rien ne va arriver. Je te promet que dans une heure on se retrouve ici.
- Ce n'est pas nous qui décidons, Jason. C'est le sort.
- Et bien, le sort nous est favorable depuis nos 12 ans ! Pourquoi ça s'arrêterait ?
Elle ne répond rien et se mord la lèvre.
A ce moment, des Pacificateurs arrivent et nous séparent, nous criant de rejoindre nos sections. Une fois à ma place, je la cherche du regard, mais je ne la vois pas.
Elle a tort de s'inquiéter.
PDV Caty
Après le discours du maire, l'hôtesse, Drucilla, se dirige vers la boule des filles. Mon coeur s'accélère.
- Et notre heureuse tribut sera... Caty Liars !
Ce n'est pas possible, il y a forcément une autre Caty Liars. Non, tout le monde est tourné vers moi. J'inspire profondément, me compose un air assuré et un sourrire de façade. Je sais bien que personne ne me sauvera, j'accepte le sort. Je grimpe à l'estrade et fait face à la foule.
- Nooon !
PDV Jason
C'est moi qui ai crié. Elle ne peut pas aller aux Jeux, c'est impossible ! Elle avait un mauvais pressentiment depuis ce matin, j'aurais du l'écouter, quoique ça ne changerait rien.
- Je suis volontaire !
Je fends la foule et la rejoint aux côtés de l'hôtesse. Caty se tourne vers moi, horrifiée. Quand elle parle, c'est à voix basse, en remuant à peine les lèvres, si bien que tout le monde n'y voit que du feu:
- Pourquoi tu as fait ça ?
- Je veux te protéger, tu en auras besoin !
Elle ouvre la bouche pour répondre, mais Drucilla l'interrompt en me prenant le bras:
- Quel courageux jeune homme ! Comment t'appelles-tu ?
- Jason Truther, et j'ai 15 ans.
- Applaudissons bien fort Jason Truther et Caty Liars !
Caty m'ignore royalement et sourit à la foule qui se contente de quelques maigres applaudissements.
