Disclaimer : Les personnages appartiennent à leur créateurs de chez Marvel Comics, mais plus particulièrement à ceux qui les ont adaptés pour le grand écran, chez Marvel Studio's, qui appartient à Disney, de même que Zootopie et tout le concept qui tourne autour. Les références sont à leur créateurs respectif.

Rating : K+

Note et Blabla : Salut ! Cette fois, on peut dire que c'est officiellement la rentrée ! J'ai été très paresseuse pendant les vacances d'été alors il n'y aura malheureusement pas de chapitre d'Un Monde Métallique ce mois-ci. Du coup, pour me faire pardonner, je vous donne ce premier chapitre d'une nouvelle fic courte. Oui, encore une nouvelle histoire, mais j'avance et j'essaye vraiment de tout finir ! J'essaye. Quoi qu'il en soit !

Pour la petite histoire, j'ai eu cette idée en regardant Zootopie. Au début, c'était juste un petit délire, mais ça s'est ensuite précisé pendant mon second visionnage et j'ai pas résisté. Je faiblis un peu ces derniers temps alors j'espère que me remettre dans le bain et recommencer à publier va me remotiver ! Bon, comme les personnages sont humains, j'ai essayé de transférer les thèmes et du coup parfois, ça peut manquer de subtilité, mais j'ai fais ce qu'il fallait pour essayer de rester vague sans entrer dans la dénonciation caricaturale, et en essayant de garder le ton du dessin-animé.

Autant dire que je me suis lancé dans un pari stupide.

Quoi qu'il en soit j'espère que ce chapitre vous plaira et je vous souhaite une bonne lecture !


Birds don't just fly
They fall down
And get up

Nobody lears without getting it wrong

Gidéon et Sarah étaient surexcités. C'était la première fois qu'ils montaient à l'avant d'un tramway et ce n'était qu'une des nombreuses raisons pour lesquelles ils n'arrivaient pas à tenir en place. New Louis dépassait, de loin, tout ce qu'ils n'avaient jamais vu. Le tramway n'était qu'une partie d'un tout. Du grand pont sur lequel ils passaient, ils pouvaient déjà voir les hautes tours de verre et de métal, contempler l'immensité de la ville qui se déployait au milieu d'un paysage grandiose, avec au loin, la mer, et de l'autre côté, les montagnes. « Entre mer et montagne », comme ils avaient toujours dit.

Sam lui-même ne retint pas une exclamation de surprise en se collant à la vitre avec ses deux cadets. Il se laissa se perdre dans la contemplation de la grande cité, à l'architecture si différente que tout ce qu'il avait imaginé. Le peu de grandes villes où il avait mis les pieds transpiraient l'architecture coloniale, de grandes villas aux couleurs claires et aux toits blancs, aux multiples fenêtres, chargées de colonnes et de poutres. Ici, il y en avait quelques-unes, mais elles se perdaient au milieu d'habitations tout aussi colorées les unes que les autres, rouges, vertes, jaune, bleues, et des grands immeubles modernes qui dominaient tant le paysage qu'ils étaient visibles du tramway.

Et si depuis le début, Sam avait tenté de refréner son enthousiasme, il ne se retint plus quand ils pénétrèrent pleinement les rues. Des drapeaux différents sur toutes les fenêtres et les balcons de bois, une infinité de lampadaires, des cinémas aux façades illuminées, des palmiers par dizaines sur les trottoirs, les tours de verres se mêlaient aux vielles cathédrales avec une aisance naturelle.

Les gens étaient vêtus de milles et une étoffe de couleur, les taxis circulaient en si grand nombre qu'ils occultaient les voitures particulières. Le tramway passa devant de grands blocs d'immeubles aux pierres sombres et aux multiples fenêtres semblables, et au milieu de sublimes quartier résidentiels, avant d'enfin passer dans le quartier que la famille Wilson allait habiter. Sam interpella le chauffeur et lui demanda de s'arrêter devant un grand immeuble rouge à angles ronds.

Les fenêtres du bas étaient hautes et en forme d'arc, avec des vitres sans tain dans le ton de l'orangé. Au premier étage, des fenêtres à guillotine couplées à des sombres volets à double battants. Les balcons étaient chargés de fleurs et formaient une terrasse ombragée protégée du soleil par un prolongement métallique de la toiture. Sam plissa les yeux, valise en main, alors que son frère, avec juste un gros sac, mettait sa main en visière. Sarah quant à elle, s'était mise à sautiller tout son possible, joyeuse comme il n'était sans doute pas permis de l'être.

Sam essayait de ne pas se faire d'illusion. Il savait que New Louis était la ville qu'elle était, qu'elle avait son lot de promesse et il avait pu le voir lui-même, son lot de merveilles. Comme beaucoup de villes du Nord. Le Nord qui avait aboli la ségrégation, qui laissaient les peuples et les ethnies se mélanger, qui avaient promis la liberté de culte à tout le monde, après un long conflit avec le Sud qui avait toujours refusé de changer sa législation. Alors oui, dans une ville du Nord, sa situation serait toujours meilleure que celle d'autrefois. Mais il se disait qu'il fallait garder les pieds sur Terre, que tout n'allait pas être tout rose, surtout pour quelqu'un comme lui, mais en voyant la mine si radieuse de ses deux cadets, qu'il n'avait pas le souvenir d'avoir vu si heureux depuis l'enterrement de leur mère, il se permit, rien que pour une journée, de s'imprégner de joie et d'espoir en posant le pied sur le trottoir.

La fratrie s'en alla jusqu'à la grande porte verte à double battant, et ce fut Sarah qui, se mettant sur la pointe des pieds, appuya sur la sonnette. Quelques instants plus tard, une petite dame à la peau tannée et au visage entourée d'un foulard venait leur ouvrir. Sous son nez aquilin, elle leur servit un grand sourire.

« Enchantée, dit-elle calmement. Vous devez être les Wilson ? Sam, c'est bien ça ?

- Enchanté, répondit l'aîné en lui offrant son sourire le plus charmeur.

- Muneeba Khan, répondit la femme en les invitant à entrer. Votre appartement est prêt. »

Le couloir dans lequel elle les entraîna, même pour un couloir public, avait quelque chose de chaleureux. Le parquet était couvert d'un long tapis persan, les murs décorés de quelques tableaux et de nombreuses plantes donnaient vie à l'endroit. Quatre portes peintes en rouges étaient incrustées dans les murs pistache, chacune marquée d'un beau numéro doré, avec, un fond, un escalier en colimaçon.

Muneeba lâcha quelques mots en arabe et quelques instants plus tard, une jeune adolescente déboulait des escaliers. Elle avait de longs cheveux sombres, un visage fin et un nez tout aussi aquilin que celui de Muneeba, un menton pointu, et de grands yeux marron, pétillants d'intelligence. Elle échangea quelques paroles avec sa mère avant de se tourner vers Sam, Gidéon et Sarah.

« Ma fille Kamala va vous montrer votre nouveau chez vous, annonça-t-elle.

- Salut, se réjouit ladite Kamala. Bienvenus à New Louis ! »


Ils partageaient l'étage avec Claire Temple, une infirmière à la peau brune et aux cheveux noirs, qui avait l'air constamment épuisé et dont la moitié du vocabulaire était constitué de soupirs, de son petit ami Matthew Murdock, un aveugle aux cheveux oscillant entre le roux et le brun, de la famille Morales, dont le fils, Miles, était un ami proche de Kamala, et des frères Summers, qui « étaient bruyants et ne s'excusaient pas ».

Leur appartement était aussi cosy qu'élégant. Deux chambres, une salle de bain et une pièce unique pour la cuisine, le salon et la salle à manger, c'était bien plus qu'ils n'auraient imaginé dans une aussi grande ville. Bien sûr, les pièces étaient étroites, peu meublées, mais c'était assez.

Sam légua à ses deux cadets la chambre la plus grande étant donné qu'ils allaient se la partager, ainsi que le lit double qui se trouvait à l'intérieur, afin qu'ils aient tout de même un peu d'espace. A part la table de chevet et le placard, la pièce ne pouvait rien accueillir d'autre.

La chambre de Sam n'avait quant à elle qu'un lit une place et un bureau. Sans la chaise.

Le salon était équipé d'un sofa deux places et une télévision antique ainsi qu'un poste de radio, la cuisine, d'un lavabo, petit frigidaire et une cuisinière, ainsi qu'un plan de travail qui servait aussi de placard pour ... tout. Nourriture, ustensiles de cuisines, et produits divers. Mais les murs étaient peints, les sols couverts de tapis et les fenêtres mariées à de beaux rideaux, ce qui donnait malgré tout un air chaleureux à la maison.

Sarah et Gidéon s'en allèrent directement dans leur chambre défaire leurs valises, alors que Sam se contentait de mettre la sienne au pied de son lit, avant d'aller ouvrir la porte. Muneeba Khan se tenait là, un grand plat couvert en main.

« Madame, » s'étonna Sam.

Il la trouvait très élégante dans son hijab bleu foncé ornés d'orchidées violettes. Face à elle, dans sa chemise blanche mal repassée, avec ses bretelles et son pantalon brun vieillot, il n'eut pas réellement l'impression d'avoir fière allure.

« Je vous ai préparé un plat pour vous souhaiter la bienvenue, annonça-t-elle avec fierté. C'est la tradition chez nous, pour les nouveaux locataires. »

Sam resta béat quelques secondes, les yeux ronds, avant de revenir sur le plancher des vaches et de secouer la tête. Il tendit les mains, dans lesquelles elle plaça le grand plat, rond et creux. Un sourire lui échappa.

« Merci beaucoup, madame.

- Bienvenus à New Louis. »


« Je vais vous réveiller à sept heures, dit Sam. Je vous dépose à l'école, et Muneeba viendra vous chercher. Et vous resterez chez les Morales jusqu'à mon retour.

- D'accord Sam, » dirent Gidéon et Sarah d'une même voix.

Sam, finissant de les border, s'assit au bord du lit, à côté de Sarah, qui avait la tête toute décorée de bantus knots. Gidéon, lui, s'endormait déjà. La journée avait été longue pour tout le monde. Entre le voyage et l'installation, l'euphorie qui l'avait fait se lever à cinq heures du matin l'avait enfin quitté. Sam passa rapidement sa main sur la joue de son cadet, et se pencha pour l'embrasser, lui et Sarah, sur la joue. Celle-ci garda ses grands yeux noirs dardés sur lui un long moment.

« Tu vas vraiment être policier, » demanda-t-elle à mi-voix.

Un sourire triste échappa à Sam. Même si Sarah n'avait pas la même crainte mélangée à de la haine envers le corps de police de leur petite ville du Sud, il ne pouvait que comprendre cette incrédulité. Toutefois, il hocha la tête. C'était lui qui l'avait choisi, après tout.

« Mais t'avais pas le droit, dans le Sud, tenta sa petite sœur.

- Eh bien, c'est pour ça qu'on a quitté le Sud, non ? Répondit calmement son aîné.

- Tu peux, ici ? »

Son étonnement lui avait fait écarquiller les yeux et ses lèvres brunes décrivirent un grand « o » de surprise. Sam haussa les épaules, continuant de sourire.

« Eh bien, admit-il, faut croire.

- Et ça te fait pas peur, » chuchota sa sœur qui avait compris le sous-entendu.

Sam s'étonnait toujours de la clairvoyance de sa petite sœur dans ce genre de situation. Et s'il ne pouvait pas s'empêcher d'être fier d'elle et de lui dire la vérité, il espérait sincèrement que cette sincérité ne finirait pas par lui jouer des tours, plus tard. Il se demandait s'il ne devait pas garder le masque fort et bienveillant que son père avait toujours eu. Son père qui n'avait jamais montré ses doutes et ses faiblesses, et qu'il avait toujours considéré comme un modèle de force de la nature.

Certitude qui avait, malheureusement, fini par s'effondrer.

Alors il décida d'être honnête, parce que c'était, pour l'instant, tout ce qu'il pouvait offrir à sa petite sœur.

« Si, un peu. Je sais que ça va être difficile, mais c'est ce que je veux, pour moi –pour vous. »

Le silence de sa sœur traduisit toute l'attention qu'elle lui portait. Elle essayait de comprendre à quel point cela pouvait être important, mais elle ne pouvait, naturellement, emmagasiner tous les enjeux. Sam était quelqu'un de déterminé, il avait beaucoup hésité avant de prendre cette décision, mais c'était ce qu'il avait toujours voulu. Changer la donne, montrer que tout était possible même pour quelqu'un comme lui.

Et New Louis lui avait offert cette possibilité, alors, malgré les doutes, il se devait de la saisir. Mais Sarah n'avait pas à s'occuper de ça. Tout ce qu'elle avait à faire pour le moment, c'était être une petite fille, aller à l'école, et profiter de sa nouvelle vie où, il l'espérait, elle n'aurait pas à craindre que des hommes tous vêtus de blanc fassent irruption au milieu de la nuit pour leur donner la chasse et brûler leurs maisons. Il l'espérait de tout son cœur.

Elle eut le droit à une nouvelle bise, sur les deux yeux.

« Bonne nuit Sarah, murmura Sam.

- Bonne nuit… »

Elle s'endormait déjà. Sam attendit que sa respiration devienne régulière, ce sur quoi il ferma les volets, éteignit la lampe de chevet, et quitta leur chambre pour gagner la sienne.

Il se laissa retomber sur son lit et s'autorisa enfin un long soupir. Qui mélangeait un peu tout. Fatigue, soulagement, euphorie, mais aussi une mortelle appréhension.

New Louis était la ville de tous les possibles à ce que l'on disait. Enfin, c'était ce que l'on disait de toutes les grandes villes du Nord, mais New Louis avait un statut encore plus à part. Parce que New Louis avait, dans son programme électoral, plusieurs mesures destinées à avantager les minorités, à les mettre en valeur dans la société et leur octroyer un vrai statut.

L'accepter dans la police avait été l'une d'elle.


L'image de Sarah et Gidéon s'en allant en courant dans la cour de l'école l'accompagna, dans le tramway, comme un sort réconfortant, jusqu'au Poste de Police Principal, dans le centre-ville.

C'était un gigantesque bâtiment d'une dizaine d'étages –Sam n'en avait jamais vu d'aussi haut d'aussi près, si bien qu'il resta bouche bée une poignée de secondes, la tête complètement renversée, et les yeux ronds. En bas, de multiples portes de bois en forme d'arc, et au-dessus, ce qui semblait être une infinité de petites fenêtres rondes. Le toit, quant à lui, était totalement plat. Sam, emballé dans son uniforme policier tout neuf, passa la porte principale en trottinant, espérant juste ne pas être en retard.

Tout un pan de mur était percé de grandes fenêtres qui laissaient ruisseler la lumière du matin sur le sol fait d'un carrelage si lisse et brillant qu'il semblait fait d'une seule pièce. Le plafond était exceptionnellement haut, et chargé de lustres. Dans le grand hall circulait une foule civile qui se mêlait aux hommes en uniformes.

Sam tenta de ne pas les fixer trop intensément alors qu'il se dirigeait vers le bureau de l'accueil, au fond du hall, occupé par un homme de sa tranche d'âge, plutôt fin, aux cheveux foncés et coupés courts. Ses traits étaient anguleux et la pointe de ses oreilles ressortait de sa petite touffe de cheveux, et ses yeux en amande étaient d'un vert pâle tout constellé de marron. « Scott Lang », disait la petite plaque devant lui.

En voyant Sam, le visage de Scott s'illumina avec la rapidité d'un luminaire et il se pencha au-dessus de son bureau pour le voir de plus près, alors que Sam n'avait même pas eu le temps de glisser un mot.

« Eh ! S'écria-t-il. Alors c'est vrai, ils nous ont embauché un petit chocolaté ! Comment ça va, je m'appelle Scott ! »

Sam se rembrunit et tenta de ne pas avoir l'air trop abrupt alors que ses sourcils retombaient sur son front.

« Je sais, articula-t-il d'une voix monocorde, c'est écrit là. Mais, à ce propos… »

Scott leva de hauts sourcils, pour montrer qu'il était totalement attentif.

« Comment dire, soupira Sam en se pinçant le nez. Ne m'appelez pas « chocolaté », s'il-vous-plait.

- Hein, s'étonna Scott en levant les épaules, mais…

- Je vous explique, l'interrompit Sam en levant une main, le ton grave. Qu'un noir appelle un autre noir « chocolat », ça va. En revanche, si quelqu'un d'autre le fait, ça sonne plutôt… Dégradant. Vous voyez ? »

Il s'attendait à une réaction d'incompréhension comme il en avait essuyé des dizaines depuis son enfance, et pourtant, l'expression du visage de Scott se métamorphosa du tout au tout, et il eut soudain l'air paniqué, levant les mains devant lui comme pour montrer qu'il était désarmé.

« Oh, balbutia-t-il soudain, je, je suis désolé, je savais vraiment pas, enfin, c'est sorti tout seul, mais, oh bon sang, désolé, vraiment, je vous jure que je voulais pas sonner… Raciste ou quoi que ce soit… ! »

En le voyant ainsi s'emmêler les pinceaux avec des excuses qui, bien que maladroites, avaient l'air bien sincère, Sam décida d'arrêter les frais, et lui offrit un sourire rassurant.

« C'est rien, dit-il simplement, y a pas de mal. Je m'attendais pas à ce que vous… Compreniez, en fait. »

Scott posa sa main sur son cœur en poussant un long soupir de soulagement, les joues gonflées, et d'agaçant, Sam lui trouva soudain un air attendrissant, ce qui agrandit son sourire.

« Mais, si c'est pas trop indiscret, rebondit Scott, d'où vous venez ?

- Du Sud, » se contenta de dire Sam qui n'avait pas trop envie d'entrer dans les détails.

Le visage de Scott apparut encore plus désolé, et il faillit balbutier de nouvelles excuses mais Sam finit par rire et l'arrêta d'une tape amicale sur l'épaule. Il était maladroit, mais absolument pas méchant. Peut-être que cette journée ne serait pas si terrible en fin de compte.

« Enfin, dit Scott en tapant dans ses mains, dans quelle équipe vous avez été assigné ?

- Celle du chef Odin, dit Sam après un temps d'hésitation.

- Oh, s'écria Scott, alors c'est au troisième étage, prenez cet ascenseur.

- Merci Scott, bonne journée. »

Scott et lui échangèrent un sourire et Sam fila jusqu'à l'un des quatre ascenseurs qui se trouvaient au fond du hall, prit le deuxième en partant de la droite, que Scott lui avait désigné, s'infiltra à l'intérieur, et laissa les portes se refermer derrière lui alors qu'il appuyait sur le bouton 3.

La salle de réunion était encore plus bruyante que Sam se l'était imaginé. Entre ceux qui jouaient au bras de fer, ceux qui échangeaient des blagues grasses, ceux qui se tapaient dans le dos et ceux qui s'amusaient à chahuter entre les casiers, il y avait de quoi se faire tout petit. Sam n'était pourtant pas mal fait de sa personne, aux larges épaules et à la stature musclée, mais là, au milieu de tous ces gens qui empiétaient sur l'espace de tout le monde sans se laisser marcher dessus, il se sentait vraiment comme une fourmi.

Il alla s'installer derrière une table, juste devant l'estrade, pour le moment vide, et sonda la salle du regard, avant qu'une main ne tapote son épaule. Sam fit volte-face pour se retrouver face à une compagnie inattendue. Une femme, grande, mince et élancée, aux bras musclés et aux cheveux courts et blonds, avec de grands yeux d'un azur pur. Elle lui offrit un petit sourire en coin.

« Vous êtes Sam Wilson, pas vrai ?

- Euh, oui ? Balbutia Sam alors qu'elle tendait la main vers lui.

- Carol Danvers, se présenta-t-elle avec enthousiasme. Il parait que vous êtes originaire du Sud ?

- Malheureusement, soupira Sam alors qu'elle lui serrait vigoureusement la main –et décidemment, quelle poigne. Mais comment…

- Vous avez complètement coupé le souffle à Scott et j'ai dû le faire taire pour qu'il arrête de parler de vous, répondit une Carol foncièrement amusée, avant de poser ses mains sur ses hanches. Ça doit vous changer d'être ici alors.

- Plutôt, oui, admit le nouvel arrivant.

- Je viens du Nord, pour ma part. Mais même dans ma cambrousse, on voulait pas de moi. Je suis venue ici en voulant faire l'armée, et je me suis retrouvée ici. »

Malgré son ton léger, ce constat semblait la remplir d'amertume. Un sourire plein de compassion étira les lèvres de Sam alors qu'elle s'asseyait à côté de lui.

« Alors je suppose qu'on est dans le même bateau vous et moi, dit-il. Vous êtes là depuis longtemps ?

- Deux mois, répondit Carol. Mais honnêtement, on m'a pas encore laissé l'occasion de faire mes marques. »

Avant toutefois que Sam n'ait le temps de demander pourquoi, la porte s'ouvrit sur un homme vieux et pourtant massif, à la barbe blanche fourni, possesseur d'un fier cache-œil. Les yeux rivés sur les dossiers, il fit son chemin jusqu'à l'estrade alors que la salle devenait mortellement silencieuse.

Puis il posa ses dossiers sur son pupitre, et son œil unique embrassa les lieux du regard, avant de se poser sur Sam. Celui-ci aurait pâli s'il avait pu. Il n'eut même pas besoin de regarder son badge pour identifier le fameux chef Odin.

« Bien, amorça ledit chef d'une voix forte. Aujourd'hui, nous accueillons parmi nous une nouvelle recrue : Samuel Wilson. Mais nous n'avons pas le temps pour les formalités. Nous vous rappelons que dans deux mois, notre ville aura l'honneur de recevoir T'Chaka, roi du Wakanda, ainsi que son fils, pour une durée déterminé avant qu'ils ne rejoignent tous les deux la capitale pour rencontrer le président. Rumlow, vous vous chargez de la mise en place de la sécurité avec vos hommes et des arrangements avec la mairie. C'est un roi qu'on reçoit, pas un chanteur, alors faites les choses bien. Autrement, nous avons sur les bras une signalisation sur la onzième. Ward, votre équipe s'en charge. Cambriolage sur la septième, Coulson, c'est pour vous et votre troupe. Les autres, à la circulation. »

Et sachant que tous avaient quitté la pièce au fur et à mesure que l'on appelait leurs noms, il ne restait que Carol et Sam dans la pièce. Très bien. C'était donc ce que sa collègue voulait dire par « On m'as pas laissé l'occasion de prendre mes marques. »


Quelque part, Sam se doutait fortement que ça allait finir de cette manière. Il l'avait senti mais avait persisté à y croire jusqu'à ce qu'Odin ne prononce sa sentence. Résultat, lui, qui était tout de même lieutenant, ce qui n'était pas supposé être rien, ce qui était supposé le rendre plus ou moins important, s'était retrouvé avec un sifflet dans la bouche, planté au milieu d'un carrefour, à passer la journée à faire des moulinets avec les bras.

ça n'avait l'air de rien comme ça, mais ça l'avait épuisé.

Lui et Carol s'étaient échangé un regard dépité à leur retour du poste mais n'avaient même pas eu la force d'échanger un mot, se saluant de loin.

Au coin d'une rue, Sam avait fait une petite pause dans une cabine téléphonique, avait demandé aux Morales s'il était possible de garder Sarah et Gidéon un peu plus longtemps, et s'était réfugié dans un petit « diner » qui avait l'air sympathique mais aussi tranquille.

Il avait mis une pièce dans le jukebox, Fly Me To The Moon, de Frank Sinatra, avant de se laisser retomber sur une chaise au hasard, le fauteuil vide à face à lui, et laissa sa tête retomber sur la table, à côté de la salière. Une serveuse, du nom d'Angie, une sympathique petite femme à la peau hâlée, aux boucles miel et aux lèvres rouges, vint le voir.

Sam s'était contenté de demander une bouteille de bière. Une seule, parce qu'il n'était même pas assez riche pour se saouler mais aussi et surtout parce qu'il n'avait pas envie de trop tarder. Et aussi des pancakes, tant qu'à faire.

Sa mère lui faisait souvent des pancakes quand il avait le moral en berne. Même si ça n'aurait certainement pas le goût des pancakes de Darlène Wilson.

« Buck, s'écria Angie en se détournant, tu t'occupes de la 8 !

- Okay ! »

Sam ne prêta aucune attention à cet échange, se frottant la peau du front avant de regarder par la fenêtre, lâchant un nouveau soupir. Allez Sam, se répétait-il inlassablement, c'est que le premier jour. Tu peux pas te laisser abattre le premier jour.

Et pourtant il était là.

« Eh bien, qu'est-ce qui se passe par ici ? »

Il fallut un certain temps à Sam pour se rendre compte qu'on s'était adressé à lui.

Il tourna la tête pour se retrouver face à une personne qui n'était pas Angie, mais qui avait la chemise rose réglementaire et le tablier du personnel, alors il se douta qu'il s'agissait d'un autre serveur.

Il était grand, étonnamment grand même, de forte stature, son torse semblait se débattre sous sa chemise et son bras était possesseur de biceps à toute épreuve. Son bras, parce qu'il n'en avait qu'un seul. Toutefois Sam tenta de ne pas attarder son regard sur l'espace manquant au niveau du bras gauche et retomba donc au visage du serveur, carré, taillé au couteau, avec une ligne de mâchoire digne d'une statuaire, une petite fossette au menton, des cheveux courts et bruns, des pommettes saillantes, des lèvres entrouvertes qui semblaient bien trop roses et des yeux qui n'étaient ni bleus, ni gris.

Une seconde plus tard, Sam se rendait compte qu'il avait la bouche ouverte, refermait son clapet et secouait la tête.

« J'ai l'air si mal que ça pour qu'un serveur s'inquiète, persiffla-t-il.

- J'ai failli parier sur le temps que vous alliez mettre avant de fondre en larmes, rétorqua le serveur.

- Charmant. »

Le serveur ricana avant de poser le plateau sur la table, de donner à Sam sa pinte, et ses pancakes, pour ensuite reprendre le plateau. Sam se sentit sensiblement mal à l'aise mais ne dit rien. Si ce type était serveur, il devait être habitué, et s'offenserait probablement si Sam essayait de lui faciliter la tâche.

« Vous êtes dans la police, s'étonna ensuite le serveur.

- C'est ce que je croyais ce matin, » répliqua Sam en prenant sa pinte pour la vider de quelques gorgées.

Le visage de son interlocuteur s'éclaira soudain. D'une certaine manière, tout s'expliquait.

« J'ai ma pause dans cinq minutes, dit-il. Peut-être voulez-vous un peu de compagnie ? »

Sam ricana.

« Vous avez pas l'air pire qu'un autre, ricana-t-il en levant un sourcil défiant.

Charmant, » répliqua le serveur, faussement froissé.

Quatre minutes plus tard, il venait, avec une pinte de bière pour lui, s'assoir en face de Sam. Il répondait au nom de Bucky, ou en tout cas, c'était ainsi qu'il avait tenu à ce que Sam l'appelle malgré le « James » sur son insigne, mais Sam avait décidé de ne pas poser de question dans l'immédiat.

« Ça fait du bien, quelqu'un qui ne fais pas les gros yeux en voyant la plaque de policier, » admit Sam

Bucky ricana, faisant tournoyer sa pinte dans son unique main, et se mordant la lèvre inférieure. Puis il haussa les épaules, désinvolte.

« Eh bien, vous n'avez pas posé de question sur le « pauvre handicapé qui a réussi à devenir serveur », alors disons que nous sommes quittes. »

Ce sur quoi il lui leva sa pinte. Sam l'imita, et ils prirent chacun une gorgée de leur boisson.

« Alors, reprit le serveur. C'était votre premier jour ?

- Ouais, soupira Sam. Et faut croire que mes collègues et mon chef ont voulu s'appliquer à ce que j'ai envie que ce soit mon dernier jour. »

Parce que, s'il n'y avait que le chef Odin, ça aurait pu être potable.

Mais au retour au poste, il avait fallu faire face à des gens très agréables comme Rumlow qui avait laissé échapper le bon vieux « nègre » soi-disant malgré lui, Ward, Darren Cross, et d'autres maqués de testostérones qui ne se sentaient bien qu'en rabaissant les autres.

Carol avait aussi eu droit à son lot de blagues grasses et il s'en était fallu de peu pour qu'elle fracasse le nez de Darren. Le chef Odin était intervenu à temps, mais Sam savait déjà que la blonde avait la rancune tenace et que d'une manière ou d'une autre, elle le ferait payer à Darren. Il avait hâte d'y être.

Bucky écouta avec attention, hochant la tête de manière compréhensive, avant de lui demander pourquoi il avait décidé de devenir policier. Sam haussa une épaule.

« Parce que je viens du Sud. Et quand on vit dans une petite ville comme la mienne, et qu'on entend parler de New-Louis et de son programme, on a envie d'y croire, ne serait-ce qu'un peu. Alors, je tente le coup parce que de toute façon, rien ne sera pire que là-bas. »

Ce ne fut qu'à ce moment-là qu'il se rendit compte que sa pinte était terminée. Il contempla le fond vide et la posa sur la table en soupirant. Il changea de sujet, préférant parler de Gidéon et Sarah, avant de se souvenir que l'heure tournait et qu'il devait être chez lui depuis longtemps.

Il paya dans la précipitation et offrit un pourboire à Bucky, avant d'y aller. Bucky lui souhaita bonne chance pour la suite, et le laissa s'en aller.

En voyant Sam courir à l'extérieur, il secoua la tête.

Encore un qui finirait comme tous les autres idéalistes, à n'en pas douter. Même s'il avait l'air un peu plus lucide que les autres.


Sam avait décidé de ne pas tout dire à Gidéon et Sarah. Il avait toujours voulu jouer la carte de l'honnêteté, mais tous les deux étaient si heureux de leur premier jour d'école, où ils avaient pu s'asseoir et manger à la table de camarades différents sans être insultés ou poursuivis, ou aucun professeur ne s'était permis de remarque déplacée, qu'il n'avait pas envie d'assombrir leur joie avec la réalité à laquelle il avait fait face.

Il se sentit sensiblement coupable. Il se disait que quelque part, il devait leur dire. Parce qu'il ne savait que trop ce que cela faisait de grandir avec quelqu'un qui ne voulait pas tout dire, et de faire face à la vérité seul, et complètement déboussolé. Il leur dirait. Mais pas ce soir. Pas le premier soir.

Et peut-être que les choses finiraient par s'améliorer. Après tout, ce n'était que le premier jour.


Mais les jours se suivirent et malheureusement, se ressemblèrent.

Lui et Carol finissaient à la paperasse, à la circulation, et même au stationnement. Autrement dit, les branches les plus gratifiantes de la police, où l'on passait son temps à se manger les réprimandes et les réclamations des citoyens, leur incompréhension, leur frustration et leur colère.

Malheureusement, Sam et Carol ne pouvaient rien dire. Ils faisaient leur boulot, et c'était non seulement la seule excuse qu'ils pouvaient donner, mais ils avaient, quelque part, l'impression que c'était la pire.


Au bout d'un mois, Carol décida de tirer sur la sonnette d'alarme, et d'aller prendre un café avec son collègue et compagnon d'infortune. Ils avaient mis bien assez de PV pour la semaine, et ce n'était pas comme si le chef Odin s'intéressait particulièrement à leurs résultats.

Ils étaient là par la volonté du Maire et de son programme des minorités, mais il était évident que là où ils étaient, personne ne voulait d'eux.

Tous deux restaient assis à l'avant de la voiture, avec leur café et leur donuts, à discuter de tout et de rien, en ignorant les regards surpris des ménagères et des hommes d'affaires moyens, avant d'être interpellés par le bruit d'un grand fracas.

Sur le trottoir d'en face, un jeune homme, frêle et petit de taille, était entraîné par un autre, plus grand, dans une ruelle. Le plus grand saisissait le plus petit par la chemise ou par les cheveux en fonction de son humeur, et le poussa à l'abri des regards d'un coup de poing. Et ce n'était certainement pas pour y jouer aux cartes.

Un regard, et Sam et Carol bondissaient hors de la voiture.

Ils traversèrent la rue en toute hâte avant de se rendre à l'entrée de la ruelle, restant méfiants, ne laissant dépasser que leur nez.

A quelques mètres devant eux, ils purent voir le jeune homme frêle tenter de se relever, la lèvre et le nez en sang. La créature rachitique ramassa le couvercle de la poubelle la plus proche pour la placer devant lui, à la manière d'un vulgaire bouclier en aluminium.

Aucun des deux policiers n'entendit pas ce que disait le plus grand, mais ils perçurent clairement la réponse du plus maigre :

« J'peux faire ça toute la journée ! »

Avant que Sam ou Carol ne puisse lâcher le mot « police », une nouvelle silhouette se présenta de l'autre côté de la ruelle, arrivant en courant.

Le nouvel arrivant, vêtu d'un pantalon en toile grise taille haute et d'une chemise blanche, abattit sa main sur l'épaule du plus gros des deux bagarreurs, avant de lui asséner un uppercut maison, le faisant tomber au sol. Il ne fallut qu'une seconde à Sam pour remarquer qu'il lui manquait un bras.

« Eh, dit le nouveau belligérant, pourquoi tu t'attaques pas à quelqu'un de ta taille ? »

Sans lui laisser le temps de répondre, l'homme au bras unique se permit un ravissant coup de pied dans le postérieur du large bagarreur, et Carol et Sam eurent du mal à retenir un rire.

Toutefois, ils durent bien sortir de cette état d'apathie contemplative dans laquelle ils étaient plongés, pour s'approcher et se signaler afin de stopper ce grabuge. Et ce ne fut qu'une fois arrivé à son niveau que Sam reconnut le nouvel intervenant dans la bagarre. Enfin, il avait eu un léger doute, mais de loin, il n'avait pas voulu tirer de conclusion hâtive. Pourtant, c'était bel et bien Bucky.

Celui-ci, qui aidait le blond frêle à se remettre sur ses pieds, haussa un sourcil intéressé en reconnaissant le policier à son tour, alors que Carol demandait d'une voix ferme :

« On peut savoir ce qu'il se passe ici ? (Elle se tourna vers l'homme « fort » qui avait été mis hors service par un coup de poing et un coup de pied aux fesses) Vous étiez en train d'agresser ce jeune homme.

- Il vous a fallu faire toute l'école de police pour deviner, » grinça Bucky entre ses dents.

Sam fronça les sourcils dans sa direction, alors que ledit agresseur se relevait en se frottant le bas du dos, lésé physiquement et moralement.

« Madame, monsieur l'agent, articula-t-il, les écoutez pas. Ces deux… Ces sales Juifs…

- Ça nous donne bien envie de vous croire ça, dit Sam en croisant les bras.

- Ils m'ont escroqués ! Tenta l'agresseur en les pointant du doigt. C'est bien ce que font les Juifs, non ? Ce sont de petits escrocs prêts à tout pour avoir vingt pièces à se mettre dans la poche !

- Bien, soupira Carol en prenant les menottes, on en a assez entendu. Je vous arrête pour agression physique, et diffamation. Vous avez le droit de garder le silence.

- L'un d'entre vous veut peut-être déposer plainte, enchaîna Sam en regardant attentivement Bucky et son ami.

- Non, ça va aller, répondit Bucky avant que le rachitique n'ouvre la bouche. Au plaisir, Sam. »

Sam haussa un sourcil mais opina du chef, avant de quitter la ruelle avec Carol, qui entraînait l'agresseur par le cou. Ils firent monter leur prise à l'arrière de la voiture. La policière, déjà excédée, se mit au volant et démarra.

« Tu connaissais ce type, s'étonna-t-elle en regardant Sam.

- Vaguement, répondit son collègue en se grattant la nuque. Mais il m'a semblé… Bizarre. »

Ce sur quoi il resta assis, une main sur la lèvre, faisant tapoter ses doigts sur le tableau de bord, regardant l'extérieur avec circonspection, avant de soupirer.

« Tu l'emmènes au poste ?, dit-il. J'ai un truc à faire. »

Carol approuva, comprenant où il voulait en venir, et démarra la voiture au moment où il refermait la portière derrière lui.

Sam lui fit un signe de la main en la laissant partir, et mit sa casquette sur sa tête, même s'il doutait qu'il en faudrait un peu plus pour le rendre méconnaissable.

Il s'en alla acheter un journal dans un kiosque sur le trottoir, tout en jetant quelques coups d'œil en direction de la ruelle, mais voyant qu'elle était vide, il supposa que Bucky et le chihuahua hargneux qui lui servait sans doute d'ami étaient partis de l'autre côté.

Il contourna la rue, passant devant une boulangerie et une petite librairie, et manqua de peu de tomber nez à nez avec eux, si bien qu'il se détourna brusquement et se réfugia devant le stand de sandwich le plus proche. Bucky et son ami passèrent dans son dos sans le voir.

« Un jour je vais finir par croire que tu aimes te prendre des coups, disait Bucky en tapant la maigre épaule de son chétif compagnon.

- Il m'a provoqué, répondit l'autre.

- Tu dois être convaincu que même les feux rouges te provoquent, soupira Bucky. Contrôle-toi un peu, surtout qu'il était dans son bon droit.

- Je sais Buck, mais… »

Le pauvre hère fut interrompu par une légère quinte de toux. Bucky voulu s'approcher de lui mais l'autre le repoussa légèrement d'un léger mouvement de la main.

Ils traversèrent la rue, si bien qu'ils finirent trop loin pour que Sam ne puisse encore les entendre de là où il était, le nez caché derrière son journal. Il longea le trottoir du regard. Bucky et son ami traversèrent sur le passage clouté, avant de prendre une autre rue.

Sam les suivit à une distance respectable, se cachant derrière sa casquette de flic, les mains dans les poches et son journal sous le bras. On se serait cru dans un mauvais polar.

Sa filature leur fit quitter le centre-ville, avec ses grandes avenues goudronnées à double-sens, ses multiples marchés couverts, ses échoppes sombres aux poutres blanches et ses parterres fleuris, jusqu'à une zone plus calme et industrielle, aux bâtiments de taule plus hauts mais nettement moins du se cacher derrière une poubelle pour suivre ce qui se passait.

Bucky et le petit teigneux se dirigèrent vers une sorte de garage que le chihuahua enragé ouvrit, faisant coulisser le rideau de fer vers le haut. Bucky entra dans ledit garage et en ressortit quelques instants plus tard en tirant un chariot, rempli de petites bouteilles de verres rempli d'un liquide orange ou rouge. Le gringalet voulu aider son ami au bras unique mais celui-ci le repoussa d'une parole et continua son bonhomme de chemin sur le trottoir. Tous deux longèrent la rue presque déserte avec leur cargaison, poussant Sam à reprendre sa surveillance si glorieuse.

Il les suivit jusqu'au quartier d'affaire aux hauts bâtiments de verre. L'espace entre ceux-ci était gigantesque, couvert de pavé gris, formant de grandes cours espacés et gorgé de soleil au milieu desquelles se plantaient des stands en tout genre ; vêtements, gaufres, crêpes, toutes sortes de petits commerces qui auraient débarrassé le plancher avant la fin de la nuit.

Alors qu'il passait près d'eux, aucun des marchands ne lui jeta de regard inquiet ou suspect alors Sam supposa qu'ils étaient tous en règle. Il acheta une crêpe au sucre à l'un deux et campa près du stand, une main dans la poche, l'air de rien, en regardant, au loin, Bucky et son rachitique compagnon s'établir avec leur stock de boisson.

Le policier avait eu le temps de remarquer que le maigrichon avait tendance à parfois faiblir ou se mettre à tousser sans raison apparente, mais ce ne fut qu'en le voyant sortir un inhalateur de son pantalon de toile brune qu'il comprit réellement pourquoi. Alors que sa cible semblait reprendre des couleurs, le policier regarda l'heure à sa montre. Il n'allait pas tarder à être treize heures.

Aussi ce fut bientôt l'effervescence habituelle du quartier d'affaires, avec tous ces hommes et ces femmes en costume et en tailleur, pressés et affamé, voulant juste attraper quelque chose à manger, et pourquoi pas descendre une cigarette avant de retourner dans leurs grandes prisons de verres qu'ils appelaient bureaux.

Une foule impossible ne tarda pas à noyer la place, certains prirent des crêpes salées, d'autres des salades, des petits plats à mettre dans des Tupperware, mais peu importe les plats choisis, ils avaient tous besoin de quelque chose pour faire descendre le tout et peu importait ce que scandait Bucky et son ami, la boisson qu'ils leur offraient était ce dont ils avaient tous besoin.

En trois quarts d'heure à peine, le chariot de boissons des deux compagnons s'était complètement vidé de son contenu. Ce fut alors qu'ils s'en allaient que Sam remarqua cependant que Bucky avait en main un petit seau, qu'il n'avait pas remarqué au départ. Sans doute n'aurait-il pas deviné quelle était son utilité si deux femmes en tailleur n'aurait pas, en décapsulant leur bouteille, jetés les petits bouchons dans ledit seau avant de partir.

Les sourcils de Sam tressautèrent, mais il n'eut pas le temps de réellement réfléchir puisqu'il dut de nouveau s'élancer à leur poursuite.


Le prochain arrêt fut de nouveau dans le quartier industrialisé, mais à l'opposé de là où ils s'étaient rendus la première fois. Sam commençait sincèrement à regretter de ne pas avoir gardé la voiture quand Bucky et son éternel compañero frappèrent à une porte. Sam, toujours en retrait, leva les yeux vers l'enseigne postée en hauteur sur le haut bâtiment de taule. « Lensherr Fonderies »

« Dites-moi que je rêves, » se murmura-t-il à lui-même.

Aussitôt, il fit volte-face et descendit la rue légèrement en pente pour se rendre à une cabine téléphonique qu'il avait repérée un peu plus tôt. Il composa rapidement le numéro du poste et attendit, le combiné contre l'oreille, les yeux accroché aux rares nuages au-dessus de sa tête.

« Poste de police central de New Louis j'écoute, s'écria une voix enjouée que Sam reconnut immédiatement.

- Hey Tic-Tac, dit-il, c'est Sam. Tu peux me passer Carol ? »

A l'autre bout du fil, il entendit quelque chose s'écrouler et il roula des yeux. Il supposa –à juste titre- que Scott avait du tout faire tomber de son bureau et qu'il tentait de remettre un peu d'ordre tout en articulant quelque chose qui ressemblait vaguement à « bien sûr, je te la passe tout de suite ! ». Pendant deux secondes, Sam n'entendit plus rien, puis une tonalité, avant qu'on ne décroche enfin et qu'une voix féminine ne se fasse entendre.

« Lieutenant Danvers j'écoute.

- Carol, c'est Sam. Comment ça se passe, au poste ?

- J'attendais ton retour, justement, répondit sa collègue. Le type qu'on a arrêté. D'après ce qu'il raconte, il travaille dans la métallurgie.

- Laisse-moi deviner, persifla Sam. On lui a vendu du métal défectueux ?

- Oui, s'étonna Carol, de l'acier coupé avec de l'alumi…Comment tu sais ça ? Qu'importe, tu m'expliqueras. Du coup je suppose que tu as une petite idée de l'identité de l'identité du vendeur ?

- Malheureusement oui. Tu vas pas me croire. »

Quelques temps après, Sam raccrocha. D'une part parce qu'il arrivait à court de monnaie, mais aussi parce que le fameux, ou plutôt les fameux vendeurs, ressortaient enfin de la fonderie. Bucky tirait derrière lui une énorme valise alors que son ami chétif portait un léger sac sur son dos.

Sam lâcha un long soupir. Ça allait être fastidieux.

Et puis il devait bien avouer que maintenant qu'il était là, il se sentait un peu idiot. Lui et Carol avaient bondi sur le métallurgiste parce qu'il attaquait une personne en position de faiblesse et ses propos insultants n'avaient pas vraiment aidé à établir une défense solide, mais pour rien au monde il ne se serait imaginé que le gentil petit serveur avait réellement quelque chose à se reprocher.

Les mains dans les poches, il resta planté dans la cabine téléphone jusqu'à ce que Bucky et son compagnon d'infortune passent devant lui, sans le voir, trop occupés à discuter d'une rouquine qui s'appelait « Dodo » pour qui Bucky avait manifestement dépensé tout leur argent pour lui acheter quelque chose à la foire.

Trop aimable.

Fort de son effet dramatique, Sam ouvrit la porte de la cabine téléphonique et tourna les talons dans leur direction :

« Eh bien, dit-il calmement, les mains dans les poches. Faut croire que je me suis trompé de personne quand j'ai laissé ma collègue embarquer un individu suspect au poste. »

Les deux amis qui gambergeaient joyeusement cessèrent soudain de parler, et, lentement, figés sur place, tournèrent la tête vers Sam, Bucky par-dessus son épaule gauche, l'autre par-dessus son épaule droite. Tous les deux, soudainement bien pâles, les yeux écarquillés, semblaient s'être transformés en incarnation de l'horreur. A moins que le cri de Munch ne les aient esthétiquement inspirés.

S'il avait son polaroïd sur lui, Sam aurait certainement prit une photo. Sauf que Sam n'était pas foncièrement d'humeur à rire. Les bras croisés, la tête basse, tapant du pied sur le sol, il affichait un regard sévère et une moue rébarbative, ne quittant pas ses deux cibles des yeux.

« Hey, Sam, tenta Bucky.

- Hey, Bucky, siffla Sam dans sa direction, totalement amer. Ou plutôt devrais-je dire faux serveur doublé d'un menteur et d'un escroc.

- Attendez, commença le maigrelet.

- A ma décharge, l'interrompit Bucky en faisant volte-face pour poser sa main unique sur sa poitrine, je suis un vrai serveur.

- Ça m'est égal, rétorqua Sam sans décroiser les bras en relevant le menton, vous êtes tous les deux en état d'arrestation.

- Ah, oui, fit mine de s'étonner Bucky en recouvrant son sérieux. Et pourquoi ?

- Accusation mensongère, récita Sam en comptant sur ses doigts, escroquerie, vente de boissons sans autorisation et contrefaçon.

- On peut vous expliquer, rebondit le chihuahua enragé.

- On explique rien du tout, préféra Bucky. Les accusations étaient vraies, ce type nous as agressé.

- De ce que j'ai vu, rebondit Sam, il a agressé votre ami et vous avez répliqué.

- Légitime défense, renvoya immédiatement Bucky. Ensuite, je refuse foncièrement l'accusation de vente sans autorisation.

- Et pourquoi ? Soupira le policier en levant un sourcil.

- Hm, Steve ? »

Se disant, Bucky baissa la tête vers son ami squelettique, qui, après avoir sursauté, fouilla dans les poches de son pantalon et en sortit deux cartes plastifiées qu'il tendit à Sam. Celui-ci, après un peu d'hésitation, prit les deux cartes d'entre les doigts diaphanes du jeune homme et les examina.

Certificat de commerce et permis de vente, dans les règles. Ou en tout cas, ça en avait bien l'air.

Il siffla mais consentit à rendre les cartes au fameux Steve, qui l'examinait avec précaution, un air neutre, mais presque désolé, bien loin de la défiance sauvage dont il avait fait preuve un peu plus tôt contre son agresseur. Bucky, lui, affichait un sourire à la fois carnassier et charmeur :

« Quand à la contrefaçon, vous n'avez aucune preuve, continua-t-il, et aucun témoin si ce n'est votre accusé. Mais je n'y peux rien si ce vieux pingre préfère acheter de la marchandise au rabais plutôt que celle qui se trouve facilement sur le marché, juste parce qu'il ne veut pas payer de taxes.

- Buck, soupira Steve en fronçant les sourcils et en l'accusant du regard.

- Quoi, Stevie, ricana Bucky, joue le jeu ! Admettons que ce que dise notre ami le poulet soit vrai, et que ce soit de la contrebande. On rend service, ça lui servira de leçon, il ira acheter dans un vrai magasin et paiera ses taxes comme tout le monde.

- Pas la peine de jouer au plus malin, rebondit Sam, je peux encore demander à examiner le contenu de vos valises.

- Sans mandat, s'étonna Bucky, les sourcils au niveau de la racine des cheveux, ici, dans la rue, autrement dit dans un lieu public ? Et je doute que vous ayez l'autorisation de qui que ce soit, sans flagrant délit, commission rogatoire, ou d'enquête. Vous avez ouvert une enquête sur nous lieutenant ?

- Vous êtes directement accusé de contrefaçon par un homme que nous avons au poste, insista Sam.

- Mais est-ce que votre hiérarchie vous a donné une autorisation officielle ? Insista Bucky. Dans tous les cas, sans notre consentement, il sera difficile de nous faire ouvrir nos bagages hors d'un aéroport ou d'une gare. »

Sam devait bien avouer que sur ce coup-là, il était plus ou moins coincé. Bien sûr, il pourrait aussi faire comme n'importe quel policier et se contenter d'arrêter un individu au comportement suspect mais sans collègue pour corroborer ses faits, et face à un accusé qui, contrairement à beaucoup de victimes de violences policières, semblait connaître ses droits, ça risquait d'être un bras de fer assez ardu dans lequel il n'avait pas vraiment envie de se lancer.

La vérité, c'était qu'il avait juste envie de rentrer chez lui, de dîner avec son frère et sa sœur, et de se coucher.

« C'est bien ce qu'il me semblait, dit Bucky, neutre, en récupérant la poignée de la valise, avant de faire volte-face, suivit par Steve. Faut pas te fatiguer, j'ai fais ça toute ma vie.

- Parce que tu penses que je vais te laisser faire aussi facilement ? S'indigna le policier en se mettant à le talonner.

- Tu pourrais essayer de m'en empêcher mais c'est pas dit que tes chefs te donnent suffisamment de pouvoir ne serait-ce que pour avoir ta propre enquête alors, pourquoi ne pas juste passer ton chemin ?

- Bucky, siffla Sam, tu penses vraiment que…

- Eh, l'interrompit alors Bucky, sans cesser de marcher, en jetant un rapide coup d'œil par-dessus son épaule, j'ai une petite histoire pour toi. C'est l'histoire d'un grand frère optimiste tout droit venu du Sud qui espère vivre une vie meilleure dans le Nord, et surtout à New Louis où les minorités vivent en paix et sont libres d'avoir les métiers qu'elles désirent et d'être considérées à leur juste valeur. »

Arrivé en bas du trottoir, ils débouchèrent dans une avenue au bord du fleuve, plus peuplée et espacée que celle d'où ils venaient. De là, Sam put voir, comme en arrière-plan d'une peinture, derrière les arbres qui longeaient le trottoir, le pont qu'il avait traversé avec Gidéon et Sarah le jour de leur arrivée.

« Buck, répéta Steve, cette fois un peu plus fortement.

- Attend, ça devient intéressant, le repris Bucky. Parce qu'une fois arrivé à New Louis il ne faut qu'un jour au petit nouveau pour se rendre compte que même dans le Nord, malgré la publicité, les minorités ne sont toujours pas considérées et valorisées. C'est toujours les mêmes galères, les mêmes jugements, c'est juste plus souterrain et discret. Les préjugés sont toujours là, et même si c'est meilleur que dans le Sud c'est pas non plus forcément la vie rêvée. Toutefois persistant parce qu'il veut le meilleur pour son frère et sa sœur, notre protagoniste réussit à améliorer son train de vie. En parallèle cependant, il sombre dans la misère psychologique et sera obligé tous les jours de mentir à son frère et à sa sœur pour tenter de les rassurer et d'afficher un sourire factice à chaque fois qu'il met les pieds sur son lieu de travail, en sachant qu'il ne verra jamais sa situation s'améliorer. »

Au fur et à mesure qu'il s'exprimait, le visage de Sam passa par plusieurs expressions.

D'abord, il se déconfit, lentement, laissant sa mâchoire tomber et ses yeux s'agrandir, mais le tout laissa bientôt place à la frustration et la colère et il finit sourcils froncés, et dents serrés. Steve nota toute cette évolution mais n'émit aucun commentaire parce qu'il ne pouvait pas non plus dire que Bucky était dans le faux, et il savait que le policier avait intégré cet état de fait également.

A la fin de la tirade de Bucky, le trio avait fini par arriver à un arrêt de bus, plutôt peuplée à la vue de l'heure. Sam leva rapidement les yeux vers le ciel, qui se teintait d'orangée. Toute la journée avait fini par passer. Il ne s'en était même pas rendu compte.

Bucky posa sa valise à côté de lui et mit ses lunettes sur son nez.

« Si tu veux un conseil, dit-il, reste à la circulation.

- S'il y a bien une chose dont je me passerais, répliqua Sam en croisant les bras, je crois que c'est de tes conseils.

- Alors tu n'écouteras certainement pas mon conseil si je te disais de t'éloigner de la route parce que tu vas te prendre un rétro de tram dans la seconde ? »

Sam leva un sourcil et eut tout juste le temps de tourner la tête pour voir le tramway arriver, se rendre compte qu'il était un peu trop proche de la bordure du trottoir et de faire un pas sur le côté pour ne pas finir happé stupidement.

Quand il se tourna vers les passagers qui s'agglutinaient déjà à l'entrée du véhicule tout de rouge, il aperçut Bucky lui faire signe avec un ticket, et put lire sur ses lèvres « ce sont des vrais ! ». Steve lui jeta également un regard incertain avant de monter le bus, sur les talons de Bucky. Sam regarda le véhicule s'éloigner sans dire un mot, et s'autorisa à laisser échapper un juron avant de passer ses deux mains sur son crâne, pétri de frustration.


« Du coup, vous avez laissé celui qui l'avait frappé partir ?, insista Sarah.

- Il refusait de déposer plainte, soupira Carol en levant les épaules, alors, on n'allait pas le retenir contre son gré après le temps réglementaire. Mais il a fallu tout un cours pour lui expliquer que ces deux types ne l'avaient pas escroqués parce qu'ils étaient juifs mais que ce sont juste deux escrocs qui se trouvent être juifs. (Elle soupira) Je pense qu'on aurait moins de problème si tout le monde pouvait faire la différence. »

Sam pouffa en passant sa main sur son front, mais ne dit rien de plus. Il était littéralement éreinté.

Il avait accepté de recevoir Carol pour le dîner, parce que Sarah et Gidéon avaient réellement envie de rencontrer la seule vraie amie qu'il ait réussi à se faire dans cette grande ville.

Et Carol était une force de la nature. Elle portait des pantalons taille haute, des chemises colorées –bleue ou rouges la plupart du temps, aujourd'hui elle avait opté pour le rouge-, des bottes écarlates à lacets et à petits talons, avec, pour aujourd'hui, des bretelles jaunes. Ses épaules larges, sa digne ligne de mâchoire et ses yeux perçants, de même que ses cheveux courts, faisaient d'elle une femme de caractère, très impressionnante, et quelque part, fascinante.

Par ailleurs quand les deux cadets la virent, ils gardèrent la bouche ouverte, l'air de se demander d'emblée pourquoi leur frère n'épousait pas sa collègue sur le champ.

Dans tous les cas, elle fascina suffisamment les troupes pour qu'il n'ait pas à trop s'exprimer ce soir, et il s'en réjouit. Il n'avait aucune envie de parler.

Ou plutôt si, il en avait bien envie, mais peut-être pas à ses cadets qui ne pourraient pas tout comprendre, ou à Carol qui baignait dans cette merde avec lui. Mais à une personne extérieure, qui l'écouterait et lui offrirait un sourire réconfortant.

Un serveur dans un diner qui prendrait dix minutes de pause pour l'écouter et le soutenir, par exemple.

Mais malgré la bonne impression première qu'ils avaient échangé, depuis l'incident survenu au cours de la semaine –qui leur avait couté la plus sévère réprimande du Chef Odin, ce dernier ayant estimé leur action et abandon de poste totalement inutile, et leur avait rappelé cordialement qu'il n'avait aucune envie de les avoir dans son équipe-, il n'avait plus du tout envie de penser à Bucky. Ou avoir à faire à lui de quelque manière que ce soit.


Deux semaines plus tard les locaux de l'équipe du Chef Odin étaient en pleine effervescence. Pas de bousculade, de plaisanterie ou autres chahuts d'enfants de collège, tout le monde était debout, sérieux, échangeaient des messes basses, les muscles tendus, déjà alertes.

Sam et Carol, qui avaient manqué de peu d'arriver en retard, sondèrent les lieux du regard, incertains, avant de se placer, comme toujours, aux premières tables. Le Chef Odin ne tarda pas à entrer, comme l'incarnation même de la tempête.

« Bien, énonça-t-il, dossier d'importance capitale. On nous signale depuis près d'une semaine la disparition d'héritiers de riches familles. Coulson, Ward, je me souviens vous avoir confié cette affaire.

- Nous avançons, Chef, fit ledit Ward en bombant le torse pour se donner de l'importance. Cependant, nous manquons de preuves, et de pistes… »

Sam comme Carol s'échangèrent un regard amer. Pour sûr qu'ils en avaient entendus parler, puisque c'était une des affaires qu'on leur avait refusé au détriment d'un vol à l'étalage.

Ça avait été la première et seule fois qu'ils avaient eu autre chose que la circulation ou le stationnement, parce que tout le monde avait été mobilisé par la disparition du fils du PDG de Parker Industries.

Mais voir que les choses traînaient autant avait le don de leur hérisser les cheveux de la nuque, surtout en sachant qu'ils se tournaient les pouces dans le centre-ville à manger des donuts et boire du café en chantant tout ce qu'ils reconnaissaient à la radio.

« Tout ce que nous pouvons affirmer, soupira ensuite un Coulson incertain, c'est que ses disparitions sont liées, mais il n'y a aucun vecteur commun, qui pourrait…

- Assez ! Rugit le Chef. Nous sommes à quelques jours de la visite du Roi du Wakanda ! Quelques jours ! Et vous trouvez le moyen de ternir notre réputation ! Notre bureau vient de recenser une sixième disparition et vous dites toujours que vous manquez de preuves ! »

Sam grimaça. Mine de rien, il avait un peu de respect pour ses collègues.

Ou tout du moins, pour Phil Coulson. Ward n'était qu'un gamin arrogant qui en avait plus dans les bras que dans la tête et il plaignait Phil de l'avoir dans les pattes, quelque part. Mais il se garda de commenter, en particulier parce que la voix de Carol s'éleva dans le silence.

« Si vous le permettez, chef… Tenta-t-elle. Qui a disparu cette fois ?

- Vous faites bien de le demander, Danvers, » siffla Odin en ouvrant son dossier pour en sortir une grande photo format A4, qu'il épingla sur le tableau derrière lui.

Le silence tomba raide mort dans la salle quand tous reconnurent la photographie sur le mur.

Un homme d'âge moyen, à la peau hâlée, sourire luminescent, verres fumés dans les tons du rouge, un bouc reconnaissable et un costume gris perle. Personne ne pouvait se tromper.

Odin laissa retomber sur sa lourde estrade, baragouinant sous sa moustache, avant de lâcher sauvagement :

« Le fils du maire. Anthony Edward Stark a disparu depuis maintenant trois soirs, et personne n'a la moindre idée d'où il a pu aller. »

Alors que les murmures commençaient à s'élever de part et d'autres, Sam se mit à examiner la photographie avec intérêt. Celle que le Chef venait d'exposer dans son entreprise de culpabilisation était un zoom plutôt piquant étant donné que les pixels commençaient à apparaître. Toutefois, elle devait venir d'une des nombreuses caméras qui se trouvaient sur les feux rouges.

Il plissa les yeux en se rendant compte que la rue lui disait quelque chose, et en la reconnaissant, il laissa sa main retomber sur le bras de Carol, toujours infiniment concentré.

« Chef, » tenta-t-il.

Odin, toujours aussi bourru, dirigea son œil unique vers lui et le défia silencieusement de lui faire perdre du temps. Sam déglutit, puis tenta le tout pour le tout :

« Est-ce que le lieutenant Danvers et moi-même pouvons avoir accès au dossier d'Anthony Stark ? »

Il put clairement sentir tous les regards se diriger vers lui et se mettre à lui brûler la nuque, mais celui, glacé, d'Odin, qui semblait lui engourdir le visage, était bien pire que tous les picotements qu'il ressentait dans son dos.

« Wilson, soupira Odin. Si un jour, j'avais besoin de vous dans mes services, je vous le ferais savoir. En attendant, vous et le « lieutenant Danvers » allez gentiment retourner à la circulation avant que je vous vire pour insubordination.

- Monsieur, insista Sam, cela fait une dizaine de jours et personne dans ce bureau n'as pu avancer ! Je ne vous demande pas l'ensemble du dossier, juste celui qui concerne Anthony Stark.

- Ecoutez, l'interrompit son chef. Ce n'est pas parce que vous êtes ici par la fausse bonne volonté du maire que cela vous autorise à …

- Nous sommes des lieutenants de police au même titre que tous ceux qui se trouvent ici, s'exclama Sam sans lui laisser le temps de finir sa riposte. Vous n'avez absolument aucun argument pour nous laisser en dehors de ça, à part, peut-être, la peur concrète que nous fassions mieux que tout le reste de votre équipe réunie ? »

Carol serra les dents et fit la grimace en voyant la moustache d'Odin se mettre à frétiller. Ça allait faire mal.


En refermant la porte de la salle de réunion, Sam lâcha un soupir en gonflant les joues.

Même Carol haletait légèrement, ne s'étant pas réellement attendu à une telle brimade de la part du chef surtout lors d'une situation aussi urgente. Elle savait très bien qu'il allait garder l'esprit fermé quoi qu'il arrive, mais ce qui l'avait étonné, c'était la nouvelle insistance de Sam. Ça ne lui ressemblait pas. Il savait reconnaître un débat mort-né quand il en voyant un et force était de constater que le Chef Odin était le Père de Tous les Débats Morts-Nés. Il faudrait que le maire en personne lui mettre un fusil à pompe devant son œil restant pour qu'il leur laisse prendre une enquête d'importance. Rien que le cas de vol à l'étalage lui avait donné de l'ulcère pendant quatre jours.

Posant ses mains sur ses genoux et baissant la tête comme après un marathon de douze heures, elle se permit ensuite d'interroger Sam du regard, mais celui-ci se contenta de tapoter son épaule avant de se mettre à courir dans le couloir couvert de linoléum blanc.

« Il faut qu'on parle à Scott, » murmura-t-il.


« C'est pas que je veux pas le faire, disait Scott, mais vous avez bien dit que le Chef Odin vous avait refusé cette affaire, alors pourquoi vous me demandez quand même l'accès à ce dossier ? »

Derrière son bureau, le gestionnaire d'accueil les regardait avec des yeux ronds, tour à tour, à la fois effaré et intéressé par ce que venaient de lui demander les deux agents. Sam, souriant en le regardant, se pourlécha la lèvre avant de lever la main. Il tenait un gobelet transparent, rempli d'une substance marbrée, rose et beige, que Scott n'eut aucun mal à identifier, raison pour laquelle il se sentit immédiatement misérable.

« Parce que je t'ai acheté ton double milkshake préféré, chez The Howling Commandos, dit le policier. Fraise-vanille, avec des vraies framboises à l'intérieur ?

- Ha, fit Scott en grimaçant, sachant déjà qu'il faiblissait. C'est gentil, mais il va en falloir un peu plus pour…

- Tiens, s'écria Carol en soulevant alors un petit paquet en sac en papier que Scott n'avait pas pu voir et par conséquent, appréhender. Je crois que c'est un assortiment de pâtisseries de chez Thor & Loki, encore tous chauds, mais j'en suis pas sûre… »

Scott dut se retenir pour ne pas saliver. Bien sûr que si, elle en était sûre, puisque le nom de sa pâtisserie favorite était écrit en noir sur le papier brun, elle le savait et elle ouvrait le paquet devant lui, pour laisser l'odeur se répandre autour de lui, et c'était horrible, mais à ce stade-là, qui pouvait dire qu'il n'avait pas résisté.

La main gauche de Scott se referma sur le milkshake de chez The HC, et la gauche, sur le sac en papier de chez Thor & Loki.

Carol et Sam comprirent immédiatement qu'ils avaient gagné.

Sept minutes plus tard le dossier sur la disparition d'Anthony Edward Stark était ouvert mais, autant dire ce qu'il en était, pour le fils du maire, il ne contenait pas grand-chose. Sirotant bruyamment son milkshake, Scott laissa ses deux collègues s'installer derrière son écran pour constater d'eux-mêmes la tragique vérité : le dossier ne contenait que la photographie que leur avait exposé Odin dans la salle de réunion, mais avec une vue d'ensemble.

Le fils du maire, dans toute sa gloire, si l'on pouvait dire, avançait, une main remettant ses lunettes sur son nez, mais l'autre tenait un cornet de glace –le fils Stark était de ce genre de grands enfants extravagants- dont Sam devina rapidement la provenance, pour la simple et bonne raison que c'était surtout l'enseigne à l'arrière qui avait retenu son attention.

« Cartinelli's Dinner ».

Sam ne retint pas un cri de victoire. A tous les coups, ce serait une piste qu'ils seraient les premiers à considérer, à défaut d'être les seuls. Carol, du regard, sembla lui demander un peu de retenue. C'était, après tout, d'une disparition dont on parlait.


Et voilà ! Bon c'est pas tout, mais j'ai plein de choses à faire moi, alors je vous laisse là-dessus et je vous dis à la prochaine, j'espère que ça vous as plu et comme toujours je vous invite à laisser un petit commentaire !