Se faire réveiller par le son strident de son réveil était une des pires façons de commencer la journée. À l'inverse, se faire doucement tirer du monde des songes par les petits couinements joyeux de son cochon d'Inde se classait comme le meilleur moyen de quitter son lit le sourire aux lèvres, charmé par tant d'énergie adorable dès les premières heures de la matinée.

Pour ensuite, toujours dans cette douce bonne humeur, aller donner à manger à cet adorable petit animal.

Se faire brusquement couper dans sa tranquille somnolence par le petit bruit haut perché de la sonnette d'entrée se classait entre les deux. Progressif et insupportable, à lentement agacer en donnant l'impression que la sonnerie devenait de plus en plus insistante. Et que la personne annoncée alors qu'elle n'était pas attendue insistait lourdement pour s'imposer par la force s'il le fallait.

Heureusement, cette nuisance sonore n'avait pas dérangé Stripe. Le cochon d'Inde dormait toujours paisiblement dans son coussin pour chaton, que son ami humain avait autrefois dérobé juste pour que son compagnon animal puisse avoir sa propre petite place confortable sur le lit.

Rectification : Craig avait en fait emprunté (Volé...) ce coussin à sa sœur, qui ne devait plus en avoir l'usage puisque son chaton était maintenant trop grand pour ce tout petit coussin parfaitement adapté à la taille et aux besoins de Stripe.

Tricia avait d'ailleurs sûrement trouvé l'animal de son frère tout simplement adorable dans le coussin qu'elle avait acheté avec son propre argent de poche pour son chaton, à l'époque. Et n'avait donc pas délogé le rongeur ou fait d'esclandre suite à ce crime supposé impardonnable. Mais avait tout de même rapporté à ses parents le mauvais geste de son grand frère qui avait déjà une âme de voleur.

Si son père avait abordé le problème avec beaucoup de détachement, en argumentant que ce n'était pas la peine de faire toute une histoire juste à cause d'un coussin pour chaton, sa mère s'était montrée plus intransigeante. Et avait privé son fils de télévision, sans penser que celui-ci irait après l'école chez son ami Clyde pour regarder comme d'habitude la série Red racer.

Aujourd'hui encore, Stripe se montrait sous un jour extrêmement mignon lorsqu'il faisait une sieste dans le fameux coussin. Sauf que cette fois, le pouvoir ultra mignon d'un petit cochon d'Inde endormi ne suffisait pas à calmer le haut degré d'agacement de celui qui adorait pourtant ces petits rongeurs.

Ce n'était vraiment pas le bon moment pour déranger son repos et encore moins pour venir lui rendre une visite surprise. Pire, le réveiller à moitié en sursaut d'un demi sommeil pas du tout réparateur qui donnait juste l'impression d'être cassé en deux. Un état d'esprit parfait pour accueillir un invité d'avance pas franchement le bienvenu. Déjà que les visites inattendues lui tapaient sur les nerfs...

Bien sûr, le visiteur en question ne pouvait pas deviner que le seul occupant actuel de cette maison s'était assoupi alors qu'il était occupé un lire un bouquin sur l'astronomie. Un sujet à pourtant toujours fortement passionner Craig Tucker, qui avait plutôt l'habitude de somnoler durant certains cours juste terriblement ennuyeux.

Sauf depuis environ une semaine. Depuis un certain jour fatidique. Depuis que sa petite vie agréablement ennuyeuse s'était compliquée et embrouillée. En le lui faisait particulièrement ressentir le soir, au moment où tous les gamins étaient censés s'endormir paisiblement, pendant que Craig passait de longues heures à se tourner et retourner dans son lit en pensant, avec des émotions contradictoires, à un sujet devenu encore plus récurent que d'habitude.

Le sujet dont l'acteur principal se trouvait justement devant lui quand le fan de cochons d'Inde avait enfin ouvert la porte. Alors qu'il n'avait sûrement aucune envie de se retrouver nez-à-nez avec le spécimen devenu une trop grande source de problèmes.

À travers le flot de pensées qui bourdonnaient dangereusement dans sa tête, Clyde, alias le gars qui s'invitait toujours à la dernière minute, et le grand sujet de réflexion de son meilleur ami avec lequel il était un peu en froid, constatait qu'un des pires scénarios ne s'était pas produit. Celui dans lequel Craig lui aurait directement claqué la porte au nez en découvrant l'identité de ce visiteur et après avoir insulté ce dernier. Le gamin au bonnet péruvien l'avait souvent fait avec des gens qu'il ne supportait pas. Ou qu'il n'avait simplement pas envie de voir ce jour-là.

Et même parfois avec son ami Clyde, quand celui-ci avait épuisé sa patience et commençait à ensevelir son complice de paroles plaintives ou de plans qui agaçaient déjà son interlocuteur. Mais, en général, quand le soupirant de Bebe Steven se mangeait une porte, il revenait aussitôt à la charge et sans prendre la mouche. Sûrement en raison de sa connaissance bien rodée du caractère de son compère et parce qu'il savait que ce n'était pas une attaque personnelle. Craig n'aimait pas perdre son temps ou accorder de l'importance à des choses futiles ou trop risquées.

Dans la situation actuelle, peut-être aussi que le fan de cochons d'Inde n'en voulait pas complètement à ce gars parfois trop naïf qui était, sait-on jamais, encore un peu son ami. Ou bien qui se classait comme pire qu'un titre d'ennemi mortel et Craig cherchait juste quel type d'humiliation lui faire subir pour que ce loser regrette de l'avoir ainsi importuné.

Cela pourrait expliquer pourquoi ce cher (et probablement ancien) ami à qui Clyde venait de faire une visite surprise pour une très bonne raison avait cette mine atroce de déterré, semblait d'une humeur massacrante et donnait donc à son visiteur non annoncé la pressente envie de directement rebrousser chemin.

Courir sans se retourner en se répétant que devenir un indésirable aux yeux de Craig Tucker allait illustrer le fait de vivre dangereusement. Ou prendre une grande inspiration en se faisant la réflexion sûrement très juste que son ami devait juste être immensément étonné de le voir débarquer à l'improviste alors qu'ils étaient censés être fâchés.

Ouais voilà. Craig était simplement surpris voire hésitant. C'était sûrement l'occasion rêvée pour renouer le dialogue et repartir sur de bonnes bases. Si on mettait de côté l'aspect beaucoup moins amical et encourageant du regard de son ami. Cet ami qui venait de justement poser sa main sur la porte, prêt à la refermer aussi sec.

Mais pas tout de suite, le gamin au bonnet péruvien voulait d'abord se délecter de la souffrance de son ex-ami, ou lui laisser une chance de s'expliquer pour mieux lui pardonner.

Toujours confiant, Clyde penchait pour la seconde théorie. En se disant que même s'il était déçu de son attitude, son ancien meilleur ami devait encore être sensible à l'expression faciale extrêmement mignonne et implorante que le gamin venait de faire.

Et céder pour faire le premier pas vers une éventuelle réconciliation. Ou une amitié figée dans le glas du mépris.

- Qu'est-ce que tu fous ici ?

Certes, il ne s'agissait pas vraiment de la phrase amicale idéale pour se rabibocher. Elle n'était pas aussi compréhensive et rassurante que Clyde l'avait espéré. Mais elle venait bien de la part de Craig Tucker et son vieil ami était le mieux placé pour être habitué à son tempérament. Ce n'était pas le genre de gars à prendre des pincettes, user de tact ou oublier la franchise pour préserver une personne. S'il en voulait à quelqu'un il ne passait pas par quatre chemins, même pour s'adresser à un proche.

À ce sujet, le gamin ressentait un bref soulagement de retrouver son ami, de presque lui parler à nouveau. De ne plus l'éviter effrontément et si longtemps, même si cette idée d'éloignement total avait été imaginée par son esprit tourmenté et paniqué à cause d'un changement de programme radical et imprévu dans leur amitié. Une séance de plaisir, censée être parfaite, à avoir sensiblement déraillé.

D'ailleurs, au point où ils en étaient, le moment était peut-être tout choisi pour demander à Craig la confirmation de son homosexualité. Et pourquoi pas en même temps, pour en avoir le cœur net, lui faire cracher le morceau et savoir s'il était bel et bien amoureux du gars à se définir lui-même comme le plus cool de l'école, c'est-à-dire Clyde Donovan.

Ce matin même, alors que Cartman passait un dernier coup de téléphone à son petit protégé qu'il prenait sous son aile de confident bienveillant, il avait parié avec Clyde qu'il ne serait pas capable de poser toutes ces questions à Craig, de la manière la plus franche et directe possible. Si le défi était réussi et qu'il s'en sortait vivant, Cartman lui avait promis 40 dollars. Et un bonus de 15 dollars si Clyde embrassait son ami. En mettant la langue bien sûr, sinon ce n'était pas un vrai baiser.

À l'annonce de ce programme ambitieux, le champion censé réussir toutes ces missions s'était senti furieusement rougir. Et avait manqué de raccrocher au nez de ce gros porc qui ne comprenait vraiment rien à une situation sérieuse. Puis, plus calmement, en allant s'allonger tranquillement sur son lit, Clyde avait de nouveau étudié la question. Mais cette fois de la manière la plus professionnelle possible.

Au final, l'offre de Cartman résultait à bien peu d'argent pour une si grande prise de risques. À peine de quoi s'acheter la nouvelle veste très classe qu'il avait vue dans son magasin préféré. Mais une belle petite fortune pour se payer un repas de roi à la Casa Bonita...

Et puis, d'un point de vue plus personnel et humain, ça serait sûrement un peu bizarre d'embrasser son meilleur pote, même en admettant qu'il soit gay et ait des sentiments pour lui. Il allait peut-être se sentir gêné, ou vexé. Ou, au contraire, lui rendre son baiser.

Clyde se demandait d'ailleurs si cela serait aussi agréable que les baisers échangés avec une fille. Doux, sucré, terriblement enivrant...

Tout le contraire du style de son compère, puisque Craig ne devait pas être du genre tendre et romantique. Peut-être même qu'il refusait d'embrasser.

Des racontars rapportés par Kenny disaient que certains gays détestaient tout ce qui était embrassades diverses et variées. Son cher ami pourrait bien correspondre à ce genre de profil.

Et pour Clyde il était impensable de construire une relation sans geste de tendresse, des bisous échangés de la façon la plus romantique possible, et des câlins à la fois mignons et pleins de promesses. Tout comme il était gravement anormal de s'imaginer en couple avec son meilleur ami. L'éternel soupirant de Bebe Stevens voulait juste se réconcilier avec cet ami apprécié et respecté et non lui rouler une pelle pour gagner un stupide pari.

Le gamin à moitié découragé par cet accueil glaçant voulait aussi avoir un peu de courage et d'inspiration et ainsi trouver la meilleure phrase pour présenter ses excuses très sincères malgré tout. Ou mettre à l'aise un bon ami avec lequel les relations avaient été tendues ces derniers jours. Ne plus avoir à se sentir mal à l'aise en présence de ce gars avec lequel il aurait aimé tout partager.

Finalement, les conseils avisés de Cartman, même lâchés d'un ton moqueur et mielleux, auraient peut-être mérité davantage d'attention. Que l'effet de son arrivée surprise serait mieux passé avec un bouquet de roses rouges et des chocolats présentés dans une grande boite en forme de cœur. Inévitablement (Clyde connaissait mieux que personne l'animal à amadouer), Craig lui aurait sans aucun doute fait bouffer ses fleurs pour ensuite garder les chocolats rien que pour lui, car les friandises étaient, paraît-il, dangereuses pour les cochons d'Inde.

Un vrai gag digne d'une comédie romantique ringarde beaucoup moins drôle dans la réalité. Surtout que le seul qui ne pourrait pas rire de cette bonne blague estimait avoir eu assez de vexations amoureuses comme ça. Au moins pour les dix prochaines années.

De plus, Clyde n'était pas venu les mains vides. Bien au contraire, puisqu'il était question de fêter quelque chose ce soir.

Son meilleur ami au titre encore incertain et bringuebalant venait d'enfin poser les yeux sur les sacs que tenait cet invité pas vraiment attendu. Des sacs qui venaient de Taco Bell, un lieu quasi sacré pour Clyde Donovan, qui y avait souvent traîné son ami adoré. Un ami au final toujours bien conciliant pour partager un repas et d'une grande aide pour trouver l'éclair de génie aidant à décoincer une situation bloquée au point mort. Incapable de s'amorcer jusqu'au petit déclic miraculeux.

- Comme c'est l'anniversaire de Stripe, j'avais pensé qu'on pourrait marquer le coup !

Encore une fois les dires et les rumeurs se confirmaient. Les sujets à concerner de près ou de loin son cochon d'Inde faisaient toujours un effet immédiat sur Craig Tucker. Encore plus cette fois-ci, où son regard incrédule passait sur son ami beaucoup plus sûr de lui et à afficher un petit sourire réjoui, pour ensuite se reposer une nouvelle fois sur le précieux chargement qui avait brisé la glace fragilisant leur relation.

Reprenant ses marques et sa confiance, que certain qualifieraient d'attitude de sans-gêne, Clyde avait profité du moment d'absence de son ami pour s'engouffrer dans la maison des Tucker. Une maison étrangement calme, alors qu'elle était d'habitude animée par la présence omniprésente des parents. Quand ce n'était pas Tricia qui insistait pour venir saluer le meilleur ami de son frère en premier.

- Tu es tout seul ?

Clyde s'était davantage adressé aux pièces à première vue inoccupée qu'à son ami, mais c'était beaucoup moins intimidant que de l'affronter en face à face. Pour le moment. Le gamin avait juste besoin de reprendre un peu de force et de courage après ce coup de maître, avoir réussi à entrer sans faire de grabuge et légèrement apaisé la mauvaise humeur apparente de son complice.

Sans chercher à capter son regard, en fermant mécaniquement la porte et en se contentant de répondre au dos de son invité, Craig lui avait simplement répondu que ses parents étaient invités chez les Marsh (Stan étant chez Kyle, il n'avait pas vu l'intérêt d'aller lui aussi là-bas) Et sa sœur en avait profité pour aller dormir chez une amie.

Parfait. On ne pouvait être plus clair. Ils étaient donc seuls. Rien que tous les deux.

Avec Stripe.