Paris sera toujours Paris

Bonjour à toutes et tous.

Voici ma dernière histoire, sur Capitaine Tsubasa. C'est une petite histoire en quatre, cinq ou six chapitres maximum, inspirée par ma bêta lectrice pour ma fic « Une histoire de cœur » (-pub pub-) Après un échange de mails, elle m'a convaincue d'écrire sur le sujet qui vient. J'espère que cela va vous plaire.

Un grand merci à Asuka/FicAndRea d'avoir endossé le rôle de bêta sur cette fic.

Dédicacé à Nix (sur fanfic-fr) ou Kiito (sur Fanfiction)

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Paris sera toujours Paris

Chapitre un : Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Tarô Misaki s'essuya les mains sur son tablier et ferma la porte de la boutique derrière le dernier client avec un soupir. L'heure d'affluence avait été chargée et plus longue que d'habitude. A ses côtés, Mme Dusfrene eut un sourire en entendant l'estomac du jeune homme gargouiller :

- « Va donc prendre ton repas. Je reste ici ! »

Le jeune homme acquiesça en silence et se dirigea vers l'arrière boutique tout en défaisant le nœud qui retenait son tablier. En passant, il l'accrocha à son clou habituel.

La pièce où il entra était inondée de soleil. La lumière rentrait à flots par les deux grandes fenêtres et jouait avec la poussière de farine qui volait et alourdissait l'atmosphère. Des volutes formaient des motifs à la limite du psychédélique, obligeant le jeune homme à cligner des yeux. La chaleur ambiante était presque étouffante, mais rapidement Tarô s'y habitua. Cela faisait presque trois ans qu'il travaillait dans ce fournil et il avait appris que le secret de la fabrication du bon pain résidait entre autre dans une fermentation à température élevée. Heureusement, la délicieuse odeur du pain tout juste cuit compensait cette moiteur suffocante.

Il était entré discrètement et la seule personne présente dans l'atelier de préparation n'avait pas noté son arrivée. Tarô sourit et s'appuya contre un mur pour bien apprécier le spectacle qui se déroulait sous ses yeux. Les sourcil froncés, le front plissé, le bout de la langue tirée entre ses dents tant il se concentrait, Kojirô Hyûga mettait la dernière touche au splendide gâteau qui trônait devant lui. Armé d'une poche à crème, le jeune homme se penchait à un millimètre du glaçage pour déposer des tourbillons de mousse harmonieusement enlacés. Après un petit moment, il se redressa avec un sourire plus que satisfait : Kojirô était fier de lui, et cela se voyait.

- « Je me demande ce que diraient les gars de la Tôhô s'ils voyaient leur Tigre faire l'apprenti pâtissier. »

- « Apprenti ? Que dalle, Coco. Regarde-moi un peu ce travail de pro. Et ils ne se sont jamais plaints de ma cuisine. Mais je te concède que ce gâteau est plus appétissant que mes onigiri. » Les poings sur les hanches, Kojirô regarda avec morgue son patriote, avant d'adoucir son attitude d'un sourire. « Tu tombes à pique. Notre repas est cuit. Je nous ai fait une mourrasse. » Il désigna l'un des nombreux fours.

- « Une quoi ? » interrogea prudemment Tarô en prenant une manicle.

- « Une mourrasse ! Le truc qu'on a mangé à Marseille, Coco ! »

- « Une fougasse, Kojirô, c'est une fougasse… » Tarô corrigea en secouant la tête. Les erreurs de français de Kojirô étaient toujours si hilarantes.

- « Si tu veux, une fougas--. »

- « Ne me dis pas que tu as refait le mélange nattô-lardons ! » rouspéta soudain Tarô en retirant le plat.

- « Mais cette fois, c'est la bonne ! »

- « C'est ce que tu as dis les trois dernières fois, Léon. »

- « Et tu es encore vivant, Coco ! »

Tarô soupira sur son triste sort. Il ne pouvait pas empêcher Kojirô d'essayer encore et encore de marier la cuisine française et les ingrédients japonais. Mais il en avait marre d'être le goûteur attitré.

- « Quand est-ce que je serais autorisé à manger un vrai repas, avec un truc mangeable ? »

- « J'ai aussi fait une pizza. »

Rassuré, Tarô dressa la table dans la petite cour arrière de la boutique et découpa la pizza en deux parts égales. Puis il contempla la fougasse d'un œil mauvais.

- « Jus de pomme ou raisin ? » appela Kojirô, depuis le frigidaire dans lequel il avait englouti sa tête.

- « Pff… de la Pérrier, plutôt… » grommela-t-il en réponse. « Il va bien me falloir ça pour faire passer le goût. »

Kojirô ne dit rien et se contenta de brancher la radio sur la station des informations sportives. Tarô ne put plus reculer et mastiqua avec appréhension l'énième essai culinaire de son voisin de table, sous l'œil acéré mais anxieux du « chef ».

- « Presque mangeable, cette fois. » Et le plus petit des Japonais s'attaqua à sa pizza avec entrain. « Mais je suis d'accord, il était bien beau, ce gâteau. Je ne te savais pas si artistique, Léon ! » taquina-t-il entre deux bouches.

- « Pff, c'est pour l'anniversaire d'une gamine de douze ans. Ma sœur a le même âge, donc je sais ce qui va plaire. »

Tarô tiqua. Il avait tendance à oublier que Kojirô avait laissé toute sa famille, là-bas, au Japon. Famille qui était la cause de ses maux de ventre et déboires culinaires. Kojirô avait appris à cuisiner très jeune, pour suppléer sa mère qui travaillait de longues heures tard le soir afin de gagner suffisamment d'argent. De plus, lui-même avait eut un petit boulot à temps partiel dans les cuisines d'un petit restaurant local. Il y avait découvert pas mal de trucs et astuces, et Kojirô ne cachait ni son plaisir ni son envie de cuisiner. Ajoutez-y son esprit aventurier – voire téméraire – et vous comprendrez pourquoi Tarô se méfait des élucubrations gastronomiques qui venaient à Kojirô.

- « C'est bien que tu l'aimes, parce que tu vas devoir le livrer. » continuait ce dernier, tirant Tarô hors de ses réflexions.

- « Hum ? »

- « Gâteau, livraison. Cet après-midi. » expliqua avec empressement Kojirô.

- « Mais… et toi ? »

- « Cours de rattrapage, Coco. »

- « Mais bien sûr. » L'ironie calme prit Kojirô à rebrousse-poil.

- « Hé, je n'ai pas demandé à passer mes vacances enfermé ! »

- « Et si tu écoutais en cours, Léon ? »

- « Et si les cours étaient moins chiants ? Déjà que l'histoire japonaise n'était pas bien excitante, alors celle des cocoricos… » Kojirô ne finit pas sa phrase. Il avait trouvé le courage de goûter à sa propre recette et venait de tourner au rouge profond. Il déglutit difficilement. « Carrément dégueu. Je laisse tomber le nattô-lardon. »

- « ALLELUIA ! »

- « … Ce n'est pas tout, je dois aller me préparer. »

Kojirô rentra, se dirigea vers la porte à côté de celle qui séparait la boutique de l'atelier. Tarô eut un grand sourire. Voilà que le tigre avait pris la mouche. Bah, cela lui passera. Le jeune homme entendit les pas un peu trop lourds de Kojirô monter les escaliers mais bientôt une voix discordante se mêla aux bruits de tuyauterie fatiguée, apprenant au moqueur que le moqué appréciait sa douche qu'il prenait pour se débarrasser de la farine dont il finissait toujours couvert.

La première fois que Kojirô s'essaya à la fabrication du pain, il finit blanc de la tête aux pieds. Tarô avait éclaté de rire devant cette mauvaise caricature de Nô : Kojirô était d'habitude tellement bronzé qu'on le penserait noir. Trois ans après, Kojirô était passé maître dans l'art de pétrir le pain, mais cela n'empêchait pas la farine de se déposer en couche fine sur ses cheveux ou ses vêtements, malgré toutes les précautions prises. Précautions que Kojirô se devait de suivre à la lettre, même si porter le filet destiné à retenir ses cheveux lui donnait l'air aussi ridicule qu'un clown. Tarô avait d'ailleurs une excellente série de clichés sur le sujet.

Une cavalcade dans l'escalier sortit Tarô de sa nostalgie. C'était incroyable que la maison fût encore en un seul morceau. Kojirô sauta les cinq dernières marches, comme à son habitude et le cadre de la porte trembla.

- « Merde je suis en retard ! » gueula-t-il en essayant de passer son sac en bandoulière avant même de mettre son T-shirt. Le jeune homme se débattit un instant avec ses « accessoires » et arriva enfin à s'habiller correctement. « Tarô, l'adresse est dans le carnet de livraison ! Tu te démerdes, hein ? » Kojirô avait parlé à toute vitesse, passant automatiquement en Japonais, ce qu'il faisait à chaque fois qu'il était stressé.

- « Sûrement mieux que toi. » répondit Taro dans la même langue.

- « Crétin ! » Kojirô ouvrit la porte donnant dans la boutique et se retourna pour fusiller du regard Tarô qui s'en foutait carrément.

- « Fais attention à ne pas te perdre. » rajouta-t-il avec un sourire, juste pour le plaisir de voir Kojirô se renfrogner encore plus.

- « Crétin ! » répéta l'autre avant de traverser la boutique et de s'élancer dans la rue.

- « En français, les garçons, en français ! » réprimanda Mme Dusfrene.

- « Le prochain fois ! » fut tout ce qu'on entendit de Kojirô qui courait déjà à perdre haleine à ses cours de rattrapage. Mais il avait parlé en français, et Mme Dusfrene craqua. Qui pouvait bien résister à Kojirô quand il massacrait la langue de Molière ?

Tarô prépara sa tournée de livraison. Outre le gâteau, il avait trois autres commandes. Il se planta devant la carte de Paris, protégée de la farine ambiante par une feuille de plastique et organisa son trajet. Enfin, il mit les boîtes remplies de pâtisseries dans une glacière et partit.

- « J'en ai pour une petite heure ! » fit-il à l'adresse de Mme Dusfrene qui lui sourit.

Parisien depuis presque six ans, Tarô n'eut aucun problème pour traverser la ville des lumières et y retrouver son chemin. Il eut un autre sourire en repensant à l'empressement de l'ancien capitaine de la Tôhô à lui refiler la livraison. Qui aurait cru que Kojirô Hyûga n'avait pas le sens de l'orientation ? Il connaissait leur quartier comme sa poche, mieux que les résidents, tous les chemins possibles pour aller du lycée au stade, du stage à la maison et de la maison au lycée, mais après ça… rideau. Kojirô ne sortait jamais sans sa carte de Paris, une loque infâme qui ne résistait à la loi de la gravité que par les actions conjointes de bouts de scotch jaunis et d'une couche de crasse qui raidissait le tout. A chaque fois qu'il la sortait, il avait l'air d'un vrai touriste.

Cela avait surpris Tarô. En fait, plus il fréquentait Kojirô, plus il était surpris. D'ailleurs, surprenant n'était pas le premier adjectif qui vous venait à l'esprit pour qualifier le Tigre, mais Tarô le trouvait fort à propos. Et après trois ans de cohabitation avec l'animal, Tarô se considérait comme LE spécialiste ès Kojirô. Une distinction qui ne l'avait pas ravi au départ.

Un concours de circonstances, certaines heureuses, d'autres plus sinistres avaient réunis les deux jeunes hommes dans la capitale française.

Pour Tarô, cela s'était cristallisé depuis longtemps. Il avait passé ses trois années de collège en France, et pour la première fois dans sa vie, trois ans dans la même ville : Paris. Son père le jugeait assez grand pour le laisser seul quand il partait faire des repérages pour ses toiles, et le reste du temps, Ichirô Misaki restait peindre dans son atelier.

Du coup, Tarô avait pu bénéficier d'un environnement plus stable. L'apprentissage de la langue française était déjà un obstacle important à son intégration, le jeune garçon avait apprécié de ne pas avoir à changer de collège tous les deux mois. Aussi avait-il rapidement rejoint la mini équipe de foot de son quartier et au fils du temps, s'était laissé convaincre de supporter le PSG, même si cet engouement ne l'empêchait pas d'apprécier le talent des autres équipes.

Pourtant, quand ses amis avaient tenté leurs chances à la journée de recrutement de l'équipe PSG des 13-15 ans, Tarô avait refusé de participer. Quelque part, il avait peur. Une blessure profondément ancrée et cachée en lui, mêlée au désir de préserver le plus beau souvenir de sa vie. Durant toutes ses années où il avait suivi son père à travers le Japon, Tarô n'avait jamais pu participer de bout en bout à une compétition de foot. Jamais, jusqu'à la Nankatsu. Il avait non seulement participé mais remporté le tournoi benjamin, l'été avant son départ pour la France. Etrangement, Tarô pensait qu'en rejoignant les 13-15 PSG, non seulement allait-il s'attirer le mauvais œil et devoir déménager dans les trois jours à venir mais également qu'il trahissait ses amis. Il n'y avait qu'un équipe pour lui, la Nankatsu.

Mais puisque que la plupart de ses amis, qui s'étaient énormément améliorés à son contact, avaient été acceptés dans ce club, Tarô se mit à traîner avec eux. La direction du club n'avait pas apprécié la présence de cet intrus, mais devant son talent, s'était inclinée et avait laissé ce joueur fantôme s'entraîner avec eux. Tarô assistait aux matchs depuis le banc de touche, prodiguant encouragements et premiers secours quand cela était nécessaire. En même temps, l'entraîneur tentait sans succès de le convaincre de signer chez eux pour de bon.

Le succès et la victoire des Nippons à la coupe du monde pour les moins de 13 ans organisée à Paris attirèrent l'attention des clubs sur Tarô. Son talent fut reconnu et apprécié et le fait que le jeune sportif parlât un français presque parfait ne fit que renforcer leur détermination à recruter cet inconnu. Le PSG multiplia ses offres et les clubs faisaient des pieds et des mains pour l'approcher, lui qui n'était inscrit encore nulle part.

Au moment même où les offres juteuses pleuvaient au domicile Misaki, Ichirô prit la décision de retourner au Japon pour parfaire l'œuvre de sa vie : peindre le mont Fuji. Pour Tarô, il n'y avait pas à se poser de questions inutiles : il suivait son père là où il allait. Il avait déjà emballé la plupart de ses affaires quand son père entra dans sa chambre, un peu tard le soir.

- « Tarô, tu fais la bêtise de ta vie. »

- « Nous en avons déjà parlé. Je t'ai toujours suivi et je ne veux pas te laisser seul. »

- « Je n'ai pas besoin que tu restes avec moi tout le temps ! Je sais prendre soin de moi ! Et je ne veux pas passer pour un vieil égoïste ! »

- « Tu n'es pas égoïste ! » protesta Tarô.

- « Et dans ce cas, tu n'es pas un lâche ! » rétorqua son père.

Le visage de Tarô s'était décomposé sous le choc et le cœur de son père s'était serré. Ichirô avait conscience de l'énormité de ses mots, il savait qu'ils dépassaient de loin sa pensée mais il les avait choisi avec soin, ces mots.

Ce n'était pas une chose facile pour un père que de voir son fils fuir son avenir. Ce n'était pas une chose facile pour un père de que voir son fils le prendre, lui le père, pour prétexte, excuse et cause de cette fuite. Ce n'était pas une chose facile pour un père que d'en prendre conscience, mais ce n'était rien face à la difficulté d'un père qui devait blesser son fils, volontairement.

Ichirô voyait à quel point son fils aimait jouer au foot, et à quel point il était bon. Il savait aussi à quel point il était difficile de faire le grand pas et de décider de vivre de sa passion. Lui, avec la peinture et Tarô avec le foot, étaient devant un parcours semé d'obstacles souvent intérieurs, de grands doutes et de difficultés que seuls la passion et l'entêtement pouvaient vaincre. Il y avait deux peurs absolues qu'il fallait taire.

La peur de ne pas réussir, ou pour être plus précis, la peur de ne pas réussir aussi bien qu'on le voudrait, était la peur de tous les artistes. Tous avaient cet idéal en tête, celui qu'ils voulaient atteindre : peindre la plus parfaite des toiles du Mt Fuji, être le meilleur footballeur au monde. Une chose quasi-irréalisable, si un cible haute qu'on peinait à l'atteindre, et qu'après chaque tentative, qui même réussie ne vous semblait jamais assez bien, vous restiez en colère, dégoûté par votre propre inhabilité à transcrire cette perfection telle que vous l'imaginiez. Dans ce cas, la flamme de la passion pouvait s'éteindre, remplacée par une morosité et un découragement. Et les artistes n'étaient plus que des anges déchus qui n'avaient plus d'ailes pour voler et atteindre les cieux auxquels ils aspiraient.

Puis la deuxième peur, celle qui vous pétrifiait à la pensée de l'échec. Si c'était en forgeant qu'on devenait forgeron, faillait-il encore forger ces échecs dont vous tiriez leçon. Voila toute l'ironie de l'art. Vous ne faisiez rien, vous ne vous amélioriez pas et vous aviez encore moins envie de faire quelque chose.

Tarô sortit de leur appartement en trombes. Au fond, il savait parfaitement ce que son père avait voulu lui faire comprendre, mais les mots résonnaient encore dans sa tête. Mis devant le fait accompli, Tarô ne pouvait plus reculer. Il devait choisir, et se tenir à son choix. Soit il tentait le coup, sans certitude qu'il allait réussir, soit il tournait le dos au foot, à jamais.

Par habitude sûrement, Tarô s'était dirigé vers le coin du parc de son quartier, là où il avait tant de fois retrouvé ses copains. Il s'assit sur le banc et regarda la pelouse défraîchie par la chaleur. Un jour, il avait demandé à ses amis ce qu'ils voulaient faire plus tard. Seuls un ou deux avaient admit qu'ils aimeraient bien passer pro tout en reconnaissant qu'ils n'en avaient pas le niveau. Comparé aux talents de joueurs comme Alcide ou Napoléon, les deux grands espoirs français, ils savaient qu'ils ne pouvaient prétendre qu'à une petite carrière. Les autres voulaient être véto, avocat, faire des études de commerces etc. Le foot était une passion, mais une passion du dimanche.

Tarô tentait de se convaincre qu'il était un footeux du dimanche. Il aimait bien jouer mais avait passé trois ans à ne faire que caresser le ballon. L'euphorie éprouvée quand il rejoignit l'équipe cadette du Japon avait ébranlée cette auto-suggestion. Mais encore, il fuyait.

Tarô attendit que le soleil fût couché pour rentrer. Il avait vu l'astre disparaître derrière l'horizon, couvrant les toits de pourpre, éclaboussant les nombreuses surfaces vitrées de lumière, créant une véritable symphonie de couleurs flamboyantes qui doucement se mélangèrent en un camaïeu de violet et mauve.

Le jeune homme baignait dans cette marre de soleil sans pouvoir vraiment se réchauffer. A croire que le soleil saignait comme son cœur pleurait. Il était ébloui, presque aveugle. Il ne savait pas quoi faire. Il n'avait jamais réfléchi à l'avenir, mais maintenant qu'il se posait la question, il devait avouer qu'il n'avait pas la moindre envie. Il était bon en classe, pouvait prétendre à l'université, en France ou au Japon et se tourner vers presque n'importe quelle carrière.

Et encore et encore, son regard revenait se poser sur l'astre de feu. Le Japon était le pays du soleil levant, après tout. Déformé par les lourds nuages, le soleil gardait pourtant sa forme arrondie. Un ballon de foot géant…

Surpris par sa propre comparaison, Tarô sourit. Irrémédiablement, le foot était sa vie. Il rentra donc chez lui et alla droit au bureau où il avait conservé toutes les propositions des clubs. Il les avaient toutes lues, à la fois curieux et consterné par tout ce qu'on lui offrait. Mais Tarô s'empara d'un feuillet en particulier et l'amena à son père. Ichirô eut un sourire et apposa son sceau, à l'oriental, et sa signature, à l'occidental, sans même relire le papier. Lui aussi avait examiné les contrats. Il avait même contacté un ami juriste pour qu'il les examinât. Ce dernier les avait trouvé honnêtes et sans défaut, donc Ichirô ne se faisait pas de souci.

- « Pourtant, ce n'était pas la meilleure offre. » commenta-t-il en regardant enfin l'entête du document.

- « Je ne jouerai jamais pour l'argent. Je choisirai toujours mes clubs pour son potentiel et ce qu'il m'apporte. Et en ce moment, c'est celui-ci. »

- « C'est une bonne décision. » fit gravement Ichirô, étonné par la maturité de son fils.

- « Je vais être automatiquement inscrit au lycée international. C'est là que j'ai passé mon collège, donc cela me va. Et j'aurai une place dans l'internat. Tout est réglé. »

- « Je te laisse appeler le club. »

- « Oui. Et je vais rentrer au Japon avec toi, juste pour l'été. Je vais laisser mes affaires chez un copain et le reste dans un garde-meuble. Le club va sûrement m'aider pour ça. »

C'est ainsi que Tarô Misaki, de retour de son voyage au Japon, fut accueilli par Matthieu Lambert. Il avait été le seul de leur équipe de quartier à poursuivre sa « carrière » footballistique en intégrant le même parcours de sport-étude que Tarô, en rejoignant la vingtaine de joueurs sélectionnés pour faire partie de l'équipe 15-18 ans du PSG. Une première étape décisive pour passer pro. La plupart des jeunes recrues du club pro du PSG venait de cette « académie » du foot.

- « Je ne comprends pas pourquoi tu ne restes pas à la maison. On a une chambre d'ami, tu sais… » pestait le jeune français le jour de la rentrée. Les deux amis se rendaient au lycée international d'un pas vif, slalomant avec une adresse que seule la pratique vous donne entre les mouvements de foule parisiens.

- « Je préfère comme ça. Etre chez toi, cela me donne un peu le mal du pays. » mentit un peu Tarô. En fait, il avait surtout le sentiment gênant d'être un parasite logé, nourri, blanchi par la famille Lambert sans pour autant pourvoir avoir un vrai chez soi.

Le PSG exigeait de ses joueurs juniors des résultats académiques élevés et avait négocié pour eux leurs inscriptions au lycée international. La maîtrise de l'anglais, langue universelle des terrains (après le shoot de ballon, bien sûr) était essentiel pour tout sportif qui avait la prétention de jouer au niveau européen. Tarô était en section japonaise, alors que Matthieu restait en section « normale ». Le Nippon aurait bien aimé suivre son ami dans ce cursus français-anglais, mais la direction du club jugea prudent de ne pas lui imposer des cours 100 en français. Mais d'un côté, Tarô était content de retrouver ses amis de la section collège. Après tout, il se sentait parfois encore un peu étranger en France et la compagnie de camarades de son âge japonais lui permettait de vraiment se détendre.

Tarô entra dans sa salle de cours avec un grand sourire. Des exclamations s'élevèrent en le voyant. Il avait annoncé à sa classe qu'il retournait au Japon, et n'avait pas pu leur faire part de sa décision de rester, parce que tous étaient partis en vacances. C'étaient les mêmes personnes, les mêmes visages, plus quelques nouveaux arrivants. Certains étaient des expatriés japonais, d'autres des élèves se spécialisant en japonais. Pour une fois, c'était à leur tour de se moquer gentiment de leur accent français !

Occupé à discuter avec ses voisins de tables, Tarô manqua l'appel et une partie de l'introduction du cours du professeur. Ce ne fut qu'après la première pause que tout se précipita.

- « Tarô-kun ? » appela le professeur. « Tu vas être pensionnaire cette année, n'est-ce pas ? »

- « Oui Sensei. »

- « Tu es demandé au bureau du proviseur. Vas-y maintenant. »

Tarô eut un mouvement de surprise. Il n'allait aménager que ce soir, après les cours. La famille Lambert passait en voiture pour déposer les quelques cartons d'affaires qu'il avait gardé. Alors pourquoi était-il convoqué maintenant ? Et au bureau du proviseur ? Devenant de plus en plus nerveux alors qu'il arpentait les longs couloirs de l'ancien et honorable établissement, Tarô se disait qu'il avait bien de la chance d'être pensionnaire. Il n'y avait qu'un nombre de place limité à l'internat, donc quelque chose qui pouvait remettre en cause son logement l'inquiétait fortement.

Son appréhension augmentait avec chaque pas qu'il faisait vers le bureau du directeur. Bientôt la moquette épaisse étouffa ses pas, mais les miroirs aux cadres dorés reflétaient la crainte qui crispait son visage. Enfin il fut reçu par le proviseur. Il s'enfonça dans un fauteuil en cuir, se sentant presque englouti vivant par la masse.

- « M Misaki, j'ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Le pensionnat où vous deviez résider a subi un sérieux dégât des eaux hier soir. Il est absolument impossible d'y habiter et ce pour une période indéterminée, mais qui semble être pour longue. » Tarô se décomposa. « Cependant, je suis heureux de vous annoncer que nous vous avons déjà trouvé une solution que vous trouverez, j'espère, acceptable. Bien sûr, cela ne sera pas la même chose que le pensionnat… »

Tarô ne dit rien et regarda le proviseur consulter des notes devant lui. N'entendant aucune réponse de la part de son élève, le directeur reprit :

- « J'espère que vous comprendrez que nous avons paré au plus pressé. »

- « Je vous écoute. » Tarô dut s'humecter les lèvres et s'y reprendre à deux fois avant de pouvoir parler en étant certain de ne pas coasser. Mince, à l'entendre, il allait finir dans un squat.

- « Nous avons trouver un logement chez l'habitant. Un petit studio aménagé dans leur grenier. Une sorte d'habitation sous les toits. » Tarô grimaça. Il n'aimait pas trop la tournure des événements. « Il se trouve que je connais personnellement le jeune couple qui vous propose de vous loger. » Tarô respira déjà plus librement. « Vous aurez une salle de bain indépendante et un coin cuisine, mais je pense que M et Mme Dusfrenes vous inviterons à leur table. »

- « Je vois… » dit lentement le japonais en essayant d'assimiler les informations.

- « Naturellement, vous n'aurez rien à payer. Les frais seront assumés par notre administration. »

- « Je vois… » répéta Tarô, l'esprit toujours aussi blanc.

- « Ce nouveau logement est bien plus éloigné du lycée, mais plus près du stade, donc l'un dans l'autre, vous ne perdez rien. Et vous serez indépendant. Si vous le désirez, vous pourrez toujours bénéficier de la pension complète ici. »

- « Est-ce que je peux au moins visiter ? » demanda Tarô. Au pire des cas, je m'incruste chez Matthieu.

- « Naturellement, naturellement. Mais je me tiens personnellement garant de cette famille. Je les ai moi-même contactés. » Le directeur ne l'avait jamais avoué mais il était extrêmement fier de cet accord passé entre son lycée et le club junior du PSG. Ferveur supporter du club, sportif dans sa jeunesse, le proviseur pensait qu'il était normal d'encourager les jeunes talents. Surtout si cela lui donnait un pass annuel gratuit pour tous les matchs du PSG.

- « Je vous remercie. » dit Tarô. Il se retint de justesse pour ne pas s'incliner. Une coutume japonaise très peu appréciée à sa juste valeur ici en Occident. Le jeune homme avait retrouvé cette habitude durant l'été et avait rire Mme Lambert les premières fois qu'il s'était penché pour la remercier.

- « Cependant… » recommença l'adulte, et Tarô se félicita que le fauteuil soit si épais. Son mouvement pour se lever passa pour un réajustement de position. « Je dois vous avouer que vous devrez partager votre chambre avec un autre pensionnaire. »

Tarô haussa les épaules. Il aurait dû avoir un compagnon de chambrée de toute façon et partager les parties communes avec le reste de l'étage. Alors se retrouver à deux… Le seul problème était de savoir qui. Parce que partager une chambre avec un abruti parfait, merci bien.

- « Je comprends. »

- « Nous avons pensé que cela serait une bonne idée de vous mettre avec un de vos compatriotes. »

- « Pardon ? » Tarô était maintenant confus. Tous ses camarades de classe japonais vivaient chez leurs parents.

- « Il s'avère qu'il vient jouer au PSG avec vous, et comme il ne parle pas un mot de français, vous pourrez l'aider à s'intégrer ! » ajouta le proviseur d'un air ravi, comme s'il avait eu l'idée qui lui promettait de recevoir le prix Nobel.

- « Mais qui… ? » Un instant, Tarô espéra qu'il s'agissait de son meilleur ami Tsubasa, avant de se reprendre. Tsubasa était encore au Japon pour le reste de l'année scolaire japonaise (1) puis il partirait pour le Brésil.

- « Attendez, je vous retrouve son dossier. » Le téléphone posé sur le bureau sonna discrètement. Le directeur décrocha et hocha de la tête. « Faites-le entrer. » répondit-il. « Cela tombe bien, il vient d'arriver ! »

La porte s'ouvrit et Tarô se retourna pour voir qui allait être non seulement son coéquipier mais également son colocataire.

- « Please, excuse my retard, I got lost! (2). » fit une voix grave en anglais avec un fort accent japonais.

- « It is nothing, please--.(3) » Le proviseur s'était levé et avait commencé à répondre quand il fut interrompu par un Tarô incrédule, qui se mit à babiller en japonais.

- « Mais qu'est-ce que tu fous ici, Hyûga ? »

- « Je viens de le dire, Tarô. Je me suis perdu. » Tarô se demanda presque si le Tigre venait de faire de l'humour. Euh, non, on parlait de Kojirô Hyûga, là.

- « Ne me dis pas que c'est toi le joueur mystère ? C'est toi qui viens vivre avec moi ? »

- « Ah bon ? On va être ensemble ? Pourquoi pas… »

Kojirô traversa l'immense pièce en trois enjambées et tendit la main à Tarô. Ce dernier la serra mollement, sans trop savoir quoi faire.

- « Vous vous connaissez ? Mais c'est parfait ! » s'exclama le proviseur, qui n'avait rien compris au court échange mais avait deviné que les deux garçons s'étaient déjà rencontrés.

- « Je ne suis pas sûr que cela soit parfait. » murmura Tarô en dévisageant Kojirô qui tentait de converser en anglais avec le proviseur.

Kojirô Hyûga était peut-être la dernière personne avec qui il se voyait passer 70 de son temps. Babysitter le Tigre ? Il allait finir en morceaux.

: L'année scolaire japonaise commence en avril et se termine mi-mars.

: Veuillez excusez mon retard, je me suis perdu

: Ce n'est rien, s'il vous plaît