Cendres et flammes
Ishbal. Ce nom résonne en moi comme un terrible écho. Peu de gens savent réellement ce qu'il s'y est passé. L'armée a vite fait de masquer les débris de leur désordre. J'ai la malchance de connaître la plupart des détails sordides de cette affaire. Et encore, je pense encore en ignorer une bonne partie. J'ai fini par apprendre qui tissait la dentelle dans l'ombre, la raison de cette foutue guerre. Mais là-bas, rien de tout ça ne m'importait. Ou plutôt, j'avais relégué mes états d'âme dans une ombre de mon esprit.
Si j'avais été moins jeune, moins naïf, peut-être n'aurais-je pas eu à vivre, ou plutôt à participer, à de telles atrocités. Qu'est-ce qui peut pousser un homme à agir de la sorte ? Si j'avais su à quoi m'attendre en intégrant le contingent, aurais-je agi différemment ? Les choses se seraient-elles passées autrement si j'avais pu prévoir le cours des événements ? Aujourd'hui encore, je n'ai pas de réponses à ces questions. Je crois qu'elles resteront irrésolues.
Mes souvenirs me hantent et me harcèlent par intermittence. Il m'arrive parfois d'oublier, de reléguer ces sombres souvenirs tout au fond de moi et je connais alors une brève période de repos. Pourtant, jamais ils ne disparaissent et je les conserverais sûrement pour le reste de mon existence. Je n'ai pas le droit de les effacer de ma mémoire.
Je voulais intégrer l'armée pour défendre le peuple. Je croyais profondément qu'elle agissait pour le bien de tous. Pourtant, j'ai accepté le plan d'extermination du peuple Ishbal : le commandement 3066 décrété par le président King Bradley. J'obéissais aux ordres. Rien de plus, rien de moins. C'était tellement plus facile. Bien vite, je n'agissais plus que pour ma survie. Certains me considéraient comme un sauveur. Je les protégeais et obtenais leur reconnaissance. A quel prix ? Ils ne savaient pas que je n'étais plus qu'une misérable marionnette que l'on utilisait afin d'accomplir un bien plus grand et sombre dessein dont je ne percevrai l'ampleur que bien plus tard.
Le sang. La rage. Le feu. La haine. La mort. Tout se mêlait chaque jour sur le champ de bataille. Un champ de bataille… quelle ineptie. Une confrontation entre alchimistes d'Etat et simples guerriers, aussi doués soient-ils, n'était tout bonnement pas équitable. C'était une hécatombe. Ils n'avaient aucune chance, et chaque jour, plus de haine et de rancune étaient engendrées. Nous avions créée une abomination. Et nous étions des héros.
A l'époque, mes convictions vis-à-vis de l'armée s'estompèrent rapidement. Quelqu'un m'a dit que mon regard avait changé. Oui, c'était vrai, j'étais un assassin. Nous qui rêvions d'un futur idéal pour le pays. Cette utopie s'est dissipée telle une brume qui disparaissait alors qu'elle m'enserrait le cœur. Je le savais. Ce génocide n'était qu'une affreuse mascarade, trop radical pour ne mater qu'une révolte. Mais je continuais, car c'était la mission que l'on m'avait confiée. J'obéissais sans fléchir. Il était trop tard pour reculer. J'acceptais ma tache, en me disant que peut-être j'empêcherai un autre d'assumer un tel fardeau. Je me suis raccroché à cette idée maintes fois. Que pouvais-je faire d'autre… Chaque jour, le nombre de morts s'accroissait, les paysages se détruisaient, la rancœur Ishbale s'intensifiait. Encore et encore, je brûlais, décimais, achevais, tuais, n'épargnant aucun « ennemi ». Tels étaient mes ordres, et je les exécutais implacablement. J'étais l'ange de la mort qui semait le désespoir.
Et je voyais ceux qui m'étaient chers subir tout aussi durement l'histoire. C'était terrible. Eux aussi avaient des yeux de meurtriers. J'avais mal. Parfois la douleur, associée à sa partenaire la culpabilité, m'écrasait de tout leur poids. J'aurais voulu retourner dans le passé, revenir à la quiétude des jours où nous étions tous insouciants, celle des jeunes soldats en formation et remplis d'espoir. J'ai maintenant du mal à me remémorer cette époque. J'ai l'impression qu'elle n'était qu'une illusion, trop belle et trop éphémère. Je me rappelle avoir voulu pleurer mais les larmes ne coulaient pas. Je me rappelle avoir voulu hurler mais la voix se mourrait dans ma gorge. Je me rappelle aussi avoir voulu mourir. Mais je ne pouvais pas, je ne voulais pas. Je ne le méritais pas mais je voulais vivre. Vivre. C'était tout. Je ne pourrais pas expliquer ce sentiment alors que l'espoir n'était qu'une chimère. C'était dérisoire. J'ôtais la vie mais je voulais la conserver.
L'alchimie n'aurait jamais du permettre tout cela. Ce n'est pas ce que l'on m'avait enseigné. Tout ce que j'avais alors accompli était en désaccord avec les préceptes de mon maître. J'ai peur d'avoir à présent oublié dans quel but j'utilisais l'alchimie à l'origine. A Ishbal, l'oubli m'était un soutien que je ne pouvais abandonner. J'oubliais tout : la morale, les principes que je m'étais autrefois imposés, le fait que l'autre camp était tout aussi humain que nous l'étions. Quoique… je ne pas sûr que nous autres, alchimistes d'Etat « au service du peuple », pouvions être qualifiés d'humain au vu de nos actions. Oui, nous étions des machines. Qui plus est, des machines à tuer. L'on disait que nous étions surhumain. C'était faux. Nous ne valions pas mieux qu'un… je ne sais pas. Nous étions justes misérables, pathétiques et monstrueux. Nous étions des déchets de l'humanité.
Je me sentais sale. Je me dégoûtais. A chaque fois que j'enfilais ces gants maudits, j'avais l'impression que mes mains se couvraient de sang. Avant de commencer ma répugnante besogne, l'envie de vomir mes tripes me prenait toujours à la gorge mais je la retenais à chaque fois. Sur le front… sur le front… c'était indescriptible. L'air était chargé de l'émanation des cadavres en putréfaction, de la poudre des canons et de l'odeur de chair brûlée qui ne me lâchait pas. Où que j'aille, les cendres m'accompagnaient. Les corps calcinés me dévisageaient avec leur regard vitreux. Le sable se teintait de pourpre, tableau funèbre d'une terre incendiée. La graisse me collait à la peau telle un parasite qui me dévorait. C'était l'enfer sur Terre. J'étais l'acteur d'une pièce de destruction macabre et je jouais sur le chaos. Flame Alchemist, qu'as-tu fait ? A la fin, le vacarme ambiant laissait place à un silence morbide et mon esprit était vide. Je me refusais à penser et je m'occupais de la tache suivante. Les soldats quittaient la scène sans un regard en arrière.
Les visages ne s'imprimaient pas. Toutes les âmes que j'avais arraché à ce monde lors de cette écoeurante guerre se dérobaient à moi. Elles s'évanouissaient comme poussière. Ce dont je me rappelais, c'étaient les cris, les pleurs, les supplices, les malédictions. Je les entends toujours même après tout ce temps. Ils me tambourinent le crâne de leurs voix éraillées. Ils frappent ma conscience sans ambages, affolant mon être. Ces spectres m'accompagnent parfois dans mon sommeil. Ils ne me pardonneront pas mes actes. Je ne me le pardonnerais pas moi-même de toute façon. Mes péchés ne peuvent être expiés.
Lorsque la guerre s'acheva, je ne ressentis aucune satisfaction, comme nombre de mes semblables. Eux qui m'avaient épaulé, et dont je ne me rappelais même pas le nom pour la plupart. La mort aurait du m'emporter. Cela aurait été plus simple. Je m'interrogeais. Quel était mon rôle ? Pourquoi existais-je sinon pour détruire ? On m'avait remercié, félicité même. J'avais gagné en grade. Je n'avais que faire de tout cela, je les acceptais avec indifférence.
Au moment où j'appris la fin du conflit, ce n'est pas le soulagement, la tristesse ou le désespoir que j'expérimentais. Etrangement, c'est la colère qui s'empara de moi. Une colère sourde, contre moi-même, contre l'armée, contre le président King Bradley. Toutes ces morts et toutes ces pertes, pourquoi ? Dans quel but ? Quand je me suis embarqué lors de ce massacre de masse, mes idéaux avaient été brisés. Mais, je découvrais en moi que la personne qui rêvait de protéger le peuple n'était pas tout à fait morte, et c'est ainsi que je visais le sommet. C'est ainsi que j'allais de l'avant en nourrissant une toute nouvelle ambition. Je devais aller tout en haut, afin d'obtenir le pouvoir nécessaire pour qu'aucune autre tragédie ne vienne entacher à nouveau ce pays. Je suis prêt à assumer la charge de tous ces crimes pour changer ce régime militaire. Un jour viendra, où l'on me jugera pour mes agissements, et lorsque ce jour arrivera, j'endosserai mon rôle de coupable.
