POURSUITE EN SOUS-SOL NOCTURNE
Ten Braves and one Master


Marche Première :Ce que l'Ombre tait.


L'obscurité toute entière avalait le Monde.

Du sol au plafond, pris dans l'encre capricieuse, chacun s'y confondait sans distinction. Ne restait plus alors que les contours esquissés d'insaisissables occupants de l'espace. Nuit sans Lune et ses figurants muets, qui sagement observent. Ils voient l'Ombre audacieuse qui nimbe le sol à quelques pas.

Sasuke, immobile.

Et rien ne semble pourtant trahir la présence dangereuse du ninja. Il n'est plus qu'un avec le Monde. Il respire avec lui, ondule d'un même spasme aux pâles clartés qui luttent encore : fragiles lanternes oscillant sous la brise nocturne. L'exercice travaillé avec acharnement apparait en ce jour d'un imprudent naturel au jeune homme.

Sculpté pour la Mort.

Donnée de sa main et reçue par la Terre. Telle est l'œuvre du sujet pour son Maître.

Un tremblement léger dans l'appui au sol. L'imprévu est aussitôt maîtrisé alors que d'un bref regard Sasuke ne surveille les alentours. Mais rien ne semble avoir perçu sa faiblesse soudaine, le temps suit son cours paresseux et le printemps se fête dans l'herbe ondoyante. Splendide tableau pour un assassinat.
Dashiro Ko ne verrait pas le jour se lever sur les hautes collines de sa contrée.
L'homme fort du village alentours versait dans quelques histoires sordides en cohésion avec Date Masamune. Sasuke ne connaissait pas l'affaire dans son entièreté mais il faisait confiance à son Seigneur. Si Yukimura-sama estimait qu'il était nécessaire de supprimer cette menace alors lui agirait. Pour protéger Ueda.

Il n'était bon qu'à ça après tout ; et encore.

Saïzo ne cessait de lui faire de l'ombre depuis son arrivée. Curieux paradoxe venant du représentant officiel de la Lumière. Mais le ninja d'Iga respirait le talent brut. De ceux qui naissaient avec le sang fiévreux des prédateurs. Et l'art du combat apparaissait inné chez lui quand son instinct de survie était sa meilleure arme.

Sasuke n'était pas ce genre d'hommes charismatiques. Son cœur trop doux ne trompait personne. Ses mains se prêtaient bien mieux à arpenter l'écorce des arbres que le fer de ses lames. Il n'était qu'un enfant venu de nulle part qu'une divinité capricieuse avait abandonné là. Sa place actuelle de Commandant de l'escouade ne tenait qu'à ses efforts perpétuels et renouvelés. Il n'y avait que lui pour s'entraîner jusque tard dans la soirée, allant aux confins de la forêt le plus souvent pour ne gêner personne.

Sa Forêt. Son Territoire. Son Chez lui. Son Jardin, comme il affectionnait tout particulièrement de la nommer. Cette entité toute entière qui tremblait en sa présence, qui le saoulait de sons et d'odeurs ; mille et une présences qui n'échappaient aucunement à son attention. Il était le loup digne qui courrait dans les bois, l'aigle en plein vol se jetant sur sa proie, la fourmi oubliée et pourtant bien là. Il était rien et tout à la fois.

Maitre de l'Herbe, quel titre dérisoire. Misérable.

Ses yeux fouillèrent l'obscurité méthodiquement à la recherche de la cible. L'homme était proche, sa forte silhouette se découpant clairement derrière les panneaux de sa chambre. Agenouillé face à une courte table, il semblait s'appliquer à quelques tâches administratives qui requerraient sa pleine attention. Sasuke avait espéré en vain trouver sa proie à cette heure endormie, mais celle-ci semblait décidée à lui compliquer la tâche inconsciemment.

Les gardes n'étaient cependant pas des plus nombreux, Dashiro Ko n'appartenait pas à la noblesse. Il était davantage un homme intelligent qui avait su par ses moyens financiers asseoir son autorité peu à peu sur ses proches voisins. Sans doute ne se sentait-il pas menacé sous la protection de la famille Masamune. Les petites voix étaient nombreuses à soutenir le Seigneur de la région d'Ôshu ; il se perdait parmi elles sans distinction.

Pas suffisamment pour échapper à la vigilance de Yukimura, de toute évidence. Ni à la patience de Sasuke. Alors que le ninja guettait l'occasion parfaite, l'obscurité s'était faite plus dense encore, si tant est que cela soit possible. Une parfaite dissimulation pour le jeune homme qui s'était approché avec précaution. Placé dans l'angle mort du garde voisin qui semblait s'abandonner peu à peu à la fatigue, il lui avait suffi de glisser le long du mur plus silencieusement qu'un souffle. Rien ne semblait pouvoir le trahir.
Sa main trouva d'un premier élan la fragilité du papier de riz, les panneaux coulissèrent sans aucune résistance, suffisamment pour qu'il puisse se glisser à l'intérieur de la chambre d'un mouvement mesuré. Dashiro Ko n'avait pas quitté son poste et ses yeux éreintés paraissaient davantage traverser l'éventail de feuilles qui s'étiolaient sous sa main que de se fixer sur leurs mots. S'il voulut relever la tête à cette entrée nocturne pour considérer celui qui osait se présenter ainsi, il n'en eu pas le temps.

La lame dansa dans les airs pour se ficher durement dans sa gorge.

Y tracer un filet écarlate et se perdre.


Et dans le silence, il me contemplait.


« Saïzo, tu n'es qu'un rustre ! »

Yukimura ne put retenir un sourire amusé. La voix d'Isanami portait loin et haut comme toujours, claquant dans l'air avec efficacité. La jeune fille parvenait même à tirer de ses sommeils Kamanosuke, ce qui était une véritable performance en soi. Clairement il y avait eu un Ueda avant elle, et un Ueda après. Rokurô pouvait grogner autant qu'il le voulait contre le caractère versatile de la jeune prêtresse, la vie n'avait jamais semblé aussi douce que maintenant.

« Ce que tu peux être agaçante ! Laisse-moi respirer enfin !

_Tu ne comprendras donc jamais… ! »

Comme toujours, la colère d'Isanami s'était abattue sur son plus fidèle protecteur. Pas un jour ne se passait sans que celui-ci ne reçoive ses foudres. A eux deux, ils formaient un couple novateur à la conception modernisée de l'affection qui consistait à se crier l'un sur l'autre autant que possible pour se prouver toute la valeur de leurs sentiments.

« De toutes façons vous les femmes vous êtes toutes les mêmes ! »

Cela faisait un peu de vie bienvenue entre les murs du château et Yukimura ne s'en plaignait pas. Il n'était pas de ces Seigneurs qui attendaient une obéissance absolue de ces sujets. Ce beau désordre humain qu'était ses Dix convenait parfaitement à sa personnalité de leader discutable. Pas d'armée aveugle unie dans un souffle partagé, ni de mercenaires aux finances recrutés, mais des êtres qui avaient chacun leurs convictions. Ceux-là n'avaient pas besoin de lui pour savoir exister.

« Saizô ! Comment oses-tu parler à Isanami ainsi !

_Niisan ne commence pas ! Ca ne te regarde absolument pas ! » Claqua aussitôt en réponse la jeune femme, plus excédée encore qu'auparavant.

L'arrivée soudaine de Seikai dans la cour ne fut pas mieux accueillie par Saizô. Le bonze avait le bon goût permanent pour débarquer comme un cheveu sur la soupe dans leurs disputes, se pensant sans doute doté d'un pouvoir suffisant pour jouer les juges. Autant dire que ses initiatives précipitées ne faisaient que souffler davantage sur les flammes.

Il était rare que les altercations quotidiennes entre deux partis ne dégénèrent pas sous la pression des membres extérieurs. D'évidence ses Dix guerriers possédaient aussi les tempéraments les plus sanguins du pays. Cela n'était plus à démontrer et avait malgré tout plus d'inconvénients que de réels avantages. Surtout lorsqu'il devenait nécessaire de les commander. Le groupe se dissociait alors en trois mouvements complémentaires : ceux qui exécutaient, ceux qui n'écoutaient rien et ceux qui avaient leurs humeurs avant tout le reste.

Heureusement, Yukimura pouvait compter sur des protecteurs comme Rokurô, Jûzo et Sasuke pour suivre ses demandes sans protester. Ils canalisaient aussi l'enthousiasme des autres toujours un peu trop, débordant. Pas qu'il remit en cause les compétences d'éléments comme Kamanosuke, mais celles-ci ne s'exprimaient que trop rarement dans le sens convenu. Bien qu'avec un peu de ruse et connaissant les mots clés, il devenait très simple d'obtenir ce que l'on souhaitait.

« Tu es une plaie Isanami ! Même ton frangin le sait, il ne veut seulement pas l'accepter ! Complètement soumis qu'il est…

_Tu oses insulter le serviteur de Bouddha ?

_Niisan range ton arme immédiatement ! »

La suite était malheureusement prévisible. Yukimura ne put que soupirer en écho au tremblement qui secoua le sol. Il était devenu fataliste avec le temps, le parquet du château se vieillissait de toutes façons. Seikai serait de corvée puisqu'il trouvait bon d'être l'auteur de cette initiative. Et si le travail n'avançait pas suffisamment vite, Saizô l'y aiderait.

Le ninja d'Iga était une excellente recrue, un génie dans son genre. Personne ne semblait en mesure de rivaliser avec son talent sauvage. Mais bien qu'ouvert à la discussion il était…trop curieux. Suffisamment sûr de lui-même pour oser lui répondre à la limite dangereuse du mépris. Oh, cela amusait énormément Yukimura, il aimait qu'on lui tienne tête. Néanmoins sa confiance en retour s'en trouvait limitée. Rien n'assurait de l'envie du garçon de le servir. Sûrement qu'il partirait bien un jour.

« Quand allez-vous donc cesser ces gamineries ! »

Ah. La voix puissante de Rokurô venait, semble-t-il, d'entrer en jeu, balayant ses opposants plus efficacement qu'autrui n'oserait le faire. Le pouvoir du page ne paraissait jamais plus salvateur que dans ses situations là, finalement. Dérisoire paradoxe de la puissance… Il avait le mérite de briser les caractères les plus belliqueux sans aucune résistance. Quand le château s'apparentait davantage à une garderie qu'à un honorable fief, son Bras Droit s'affiliait davantage à une Nounou qu'autre chose.

Il était d'ailleurs bien étonnant que son frère ainé ne se soit pas encore réveillé avec un tel matinal chambardement. Pour sûr, il ne devait point être habitué à ce genre de traitements. Nobuyuki avait toujours su profiter de son rang pour obtenir l'obéissance de ses vassaux, ceux-ci ne devaient pas oser s'y frotter de trop près. Et sans doute ce séjour surprise à Ueda ne s'éterniserait pas trop face à ces brutaux changements de conception sociale. Ce fait arrangeait très bien Yukimura. Certes, son frère apparaissait comme une aide providentielle face au Dragon, pour autant ce n'était pas là l'occasion de se faire envahir. Ils s'étaient toujours plus appréciés loin l'un de l'autre. Leur père l'avait rapidement compris le premier.

La rivalité qui existait en permanence entre eux n'avait rien de charmant. Et il en avait été de même pour tout. Que ce soit de leurs simples études au talent pour le go et la stratégie, l'art de se faire aimer des femmes, celui de mener ses Hommes,… Ils s'étaient continuellement jauger l'un et l'autre, s'opposant sans cesse en de ridicules défis. Un développement ascendant vertigineux qui avait eu le mérite de les faire aller toujours au-delà de leurs possibilités.

Ils étaient jeunes et stupides, égoïstes ; cela n'avait pas eu de réelle importance. Cependant chacun avait un monde à protéger désormais. Aucune minute ne pouvait plus être perdue à sombrer de nouveau dans cette compétition infantile. Pour Yukimura, toutes s'usaient à construire Ueda et sa brillante influence ; aujourd'hui comme demain.

« Ose encore poser la main sur ma sœur et… ! »

Du moins si le château survivait à ses occupants.

« Et quoi ? Tu vas venir me donner une fessée divine ? Bonze stupide !

_Que dis-tu ? »

Ce qui n'était pas la pensée la plus réconfortante qui soit. Même si rien ne semblait véritablement en mesure d'atteindre ce paradis terrestre. Ne serait-ce que de perturber le lent fleurissement des cerisiers de cour dont les pétales recouvraient tout aux alentours. Sous le printemps, Ueda s'étirait paresseusement de son bois centenaire parmi les herbes hautes et la souplesse des fougères, orné du spectacle bruyant de la vie qui s'étendait partout. Existait-il plus beau tableau que celui-là, la question demeurait ridicule.

« Yukimura-sama ? »

Le contraste soudain de cette voix posée face aux événements extérieurs fut terriblement saisissant. Le seigneur d'Ueda ne put que se féliciter de s'être retenu de justesse de se retourner trop brusquement. Ces derniers jours, il avait développé une curieuse tendance à se perdre ainsi trop lointainement dans ses pensées. Et le fait que lui soit de retour…

« Entre Sasuke. Invita t-il dans un sourire machinal. J'imagine que tu m'apportes de bonnes nouvelles ? »

Le jeune homme s'exécuta, pénétrant dans la pièce plus silencieusement qu'une ombre ne l'aurait fait pour s'agenouiller à ses pieds. Il se dégageait de lui une évidente langueur paresseuse que Yukimura ne lui connaissait que rarement. Et les cernes prononcées qui venaient se creuser sous ses yeux n'étaient qu'un témoignage de plus de l'évidente fatigue du Chef de son escouade.

La mission pour laquelle il l'avait fait envoyer ne lui avait pourtant pas semblée si éreintante ; il était étrange de le retrouver dans un tel état. Sasuke n'était, par ailleurs, pas un homme à afficher clairement ses faiblesses aux autres. Jamais il n'aurait osé montrer une attitude si lasse, face à son Seigneur qui plus est.

« La cible a été éliminée. Sans résistance ni alerte.

_Bien. » Approuva Yukimura, un peu désabusé par l'éloquence toujours aussi exemplaire du garçon. Jamais un mot de trop ou d'élégance qu'il jugerait inutile, les informations seules, tombaient brutes, dénuées de la moindre touche de subjectivité. Tant qu'il paraissait à chaque fois complètement cesser d'exister derrière, comme il s'effaçait chaque jour après chacun.

Yukimura ne savait plus quoi penser de ce comportement maintenu constamment dans une retenue de fer. Sasuke était après tout son chef d'escouade, pourtant il semblait sans cesse disparaître derrière les autres Braves avec un naturel désarmant. Il ne haussait jamais la voix, même en cas de profonds désaccords, acquiesçait servilement au moindre ordre aussi piteux puisse t-il bien être. Aucune rébellion jamais, aucune marque sensible de caractère si ce n'est pour défendre son obéissante loyauté. Pour un œil extérieur, il apparaissait comme un être naïvement inspiré se contentant d'appliquer sans sortir du chemin balisé.

Un être sans réel saveur, juste là.

« L'absence d'héritier fera perdre à Ôshu un soutien de choix.

_A l'heure qu'il est, les chefs de famille doivent déjà se disputer le poste, Maître. »

La nouvelle n'éveilla pas la satisfaction escomptée chez l'homme. Rarement son esprit n'avait été aussi peu concentré à la conquête du pays, pour ainsi dire. Ce qui remplissait auparavant toutes ses heures ne parvenait plus à retenir son attention ces derniers jours. Tout apparaissait juste…compliqué, tortueux même. Comme si ses yeux soudain ne pouvaient plus que se fixer sur ce qui n'avait jamais eu d'importance. Devait-il accuser aussi tôt la crise de la quarantaine ?

« Quand est-il des papiers que je t'ai évoqués ?

_Tous récupérés. »

La réponse immédiate fut accompagnée d'un mouvement de recherche, Sasuke semblait capable de tout dissimuler dans les plis amples de sa veste, quelques formulaires administratifs n'étaient pas une charge supplémentaire encombrante. Yukimura les récupéra d'un revers, distraitement et songeait-il dans un coin de son esprit que ces mains là lui apparaissaient bien trop gantées.
Qu'il était loin ce temps où il arpentait une forêt, jeune et fringant…

« Merci. »

Le mot fut néanmoins, plus pudiquement accueilli. Il était devenu une habitude pourtant qu'il créât une étincelle de ravissement dans les yeux du ninja ; ceux-ci demeuraient calmes et mornes aujourd'hui. Un simple hochement de tête et il se relevait déjà, prêt à quitter la pièce tout aussi vite qu'il y avait pénétrée un instant plus tôt.

« Repos, Sasuke. »

Yukimura n'attendait aucune réponse, il savait parfaitement que son ton péremptoire n'admettait aucune dissidence et que cet ordre serait suivi au plus tôt. Sasuke ne contestait jamais ses demandes. En lui, il pouvait oser avoir cette confiance absolue qu'il pensait n'accorder à personne. Parce que cet homme là mourrait pour lui sans hésiter une seule seconde.

Ils le savaient.

Pendant ce temps, le calme semblait s'être fragilement restitué entre les murs d'Ueda. Les éclats de voix bruyants dans la cour s'étaient finalement tus pour de bon, accueillant une paix éphémère d'autant plus délicieuse. Une véritable invitation au soleil timide de ces premières heures qui nimbait les murs du château, y découpant des ombres fluettes. Un jour comme les autres s'étirait.

Depuis que Date Masamune avait tenté de récupérer une nouvelle fois Isanami et le Kushi-Mitama lors des duels des dix Braves en vain, aucun autre bouleversement n'était survenu. Ce qui était plutôt rare depuis que la jeune prêtresse d'Izumo était venue réclamer leur aide. Une bulle de vide sans enlèvements, sans attaques surprises nocturnes, sans menaces ni adversaires finalement, que chacun devait apprendre à gérer au mieux. Et la frustration se faisait clairement ressentir chez toutes ces graines de combattants purs.

Il ne fallait pas chercher beaucoup plus loin l'origine des multiplications des invectives au sein du groupe. Kamanosuke manquait, à chaque fois, de sauter à la gorge de Saizô dès qu'une excuse plausible le couvrait et des esprits habituellement plus calmes comme les aînés - cette définition concernait Juzô et Jinpachi - montraient aussi progressivement des signes de faiblesse. Seule Isanami demeurait égale à elle-même comme toujours, un roc de joie et d'énergie au milieu de l'ennui général. La cuisine ne désemplissait plus de ses créations sucrées toutes plus chargées les unes que les autres qu'elle passait la journée entière à faire. A ce rythme ses fiers combattants allaient finir aussi ronds et paresseux que des nobles.

Yukimura n'avait cependant pas de réelle solution à leur proposer et ce calme étrange de la part de Masamune l'inquiétait tout autant. Il était parfaitement impensable que celui-ci est abandonné sa quête de pouvoir pour demeurer gentiment en retraite. Rien n'indiquait non plus que les informations sur le Kushi-Mitama n'aient pas fuitées vers d'autres oreilles hautes placées et fort peu scrupuleuses. Tout demeurait incertain quand il s'agissait de la convoitise que pouvait éveiller la condition d'Isanami.

Et quelqu'un semblait l'observer depuis plusieurs minutes, releva distraitement l'homme avant de lever les yeux sur Nobuyuki qui se tenait respectueusement en retrait, sur le pas de porte.

« Tu es venu une fois encore me faire la leçon quant au futur des Sanada ? Je n'ai pas changé d'avis. »

Malgré le dénouement de leur dernière querelle en faveur des Braves de son petit-frère, il ne s'était toujours pas rangé de son côté à propos de l'affiliation de la famille. La guerre finirait par se déclarer pour de bon entre les Toyotomi et les Tokugawa. Selon Nobuyuki, le moment venu il serait juste suicidaire de ne pas apporter leur soutien aux derniers. Surtout quand tout semblait les désigner comme les vainqueurs absolus de ce conflit. Et il ne parvenait pas à comprendre la position de Yukimura en faveur des Toyotomi. Sans doute ne pourrait-il jamais la comprendre, comme il en avait toujours été entre eux.

« Non. »

Cette réponse imprévue lui arracha au moins un sourire.

« Oh vraiment ? Voilà qui a le mérite d'être surprenant.

_Je persisterai à m'y opposer, ta décision entraînera la perte de notre famille. Si Père est incapable de s'en apercevoir, grand bien lui fasse ! Je ne laisserai pas notre sang tomber dans l'opprobre !

_Dois-je comprendre que tu reviendras encore ? En déduisit le Seigneur sans chercher à dissimuler son agacement.

_Autant qu'il sera nécessaire pour que tu comprennes. Contra en retour son frère.

_Tout cela sera vain. Mais fais comme tu veux, Niisan. »

Une ombre mauvaise passa immédiatement dans les yeux de Noboyuki à cette appellation chargée de fiel. Semblant sur le point de réagir brutalement, il se contint un instant, inspirant profondément pour se calmer. Yukimura ne se lassait jamais de cette tension, de ce désir de le pousser jusqu'au bout pour voir quel homme se cachait réellement derrière cette pseudo figure de Justice et d'autorité. Jamais il n'y était parvenu néanmoins.

« Jusqu'où peux-tu être stupide… ? Peu importe, je m'en vais.

_Ah enfin !

_Yukimura ! »

Le concerné ne put retenir un sursaut tant son prénom claqua avec force et soudaineté. Le visage de son frère s'était fermé, tordu entre la fureur et un sérieux nécessaire. Des rides en apparaissaient au coin de ses yeux.

« Peut-être serait-il temps de savoir ce que tu veux.

_Oh ? Une autre tentative d'un genre nouveau ? C'est bien essayé…

_Mais tu t'en rendras bien compte par toi-même. Ne tarde pas trop, notre famille repose sur toi, puisque Père en a décidé ainsi. Releva Noboyuki, une teinte de jalousie évidente dans la voix. Au revoir. »

Un mouvement de tête retenu accompagna ces derniers propos, et ce départ plutôt précipité de la pièce. Yukimura en demeura même muet, stupéfait par cette coupure si soudaine, sans encombrant rappel des valeurs seigneuriales ni mise à genoux forcée. Un tel comportement ne sciait pas du tout à son frère. Pas plus que l'étiquette qu'il avait tenté de revêtir avec ses conseils tortueux.

« Nanakuma ! Nous rentrons à la maison ! »

La course empressée du page résonna comme toujours sur le parquet extérieur. Et ils étaient partis pour de bon du château, avançant sûrement ensembles sur la piste sablonneuse, Nobuyuki en tête comme à chaque fois juché sur son destrier. Mais ce moment qui, habituellement, réjouissait tant Yukimura qu'il leur adressait de vifs signes de mains, le laissa pour cette fois juste hagard et perdu.


Et dans le silence, il me contemplait.


Cette matinée avait un goût plus curieux que les autres. Persistant.

Sasuke se débarrassa avec empressement de sa trop longue veste ainsi que du chapeau qui retenait habituellement sa masse indisciplinée de cheveux, si souillés par la saleté du voyage et alourdis par la sueur qu'ils parurent s'enfoncer dans le sol en chutant. Simple impression mais le jeune homme s'en sentit soulagé immédiatement dans ses mouvements.

Il n'en était pourtant rien dans son cœur. Et les yeux de sa victime le contemplaient toujours dans son esprit, habités du néant de la mort. Une envie de vomir persistante lui prenant les tripes… Semble t-il qu'il ne serait jamais capable de s'y habituer. Il n'était pas un « Shinobi » après tout, comme l'avait si bien remarqué Anastasia. Il ne pouvait pas comme les autres, enfoncer son arme dans la chair d'un être humain et se laisser bercer par l'écoulement de sang qu'il en résulterait. Peu importe combien il avait dû tuer, cet acte n'était jamais devenu une morne habitude.

Il sentait l'odeur poisseuse de fer. Cette pesanteur sur sa langue du liquide vital qui s'écoule dans sa gorge quand la douleur de l'autre explose dans son système nerveux, et les tremblements de l'autre corps qui s'évide en cadavre…

De justesse, il étouffa un gémissement plaintif subite. Incapable de demeurer plus longtemps debout tant ses jambes ne le soutenaient plus, il s'écroula sur son fûton. Fermant les yeux pour ne plus rien voir de ce qui lui servait de chambre, pressant ses mains sur ses oreilles pour ne plus rien entendre. Plus que le vide alors qu'il mordait avec fureur l'épaisseur de ses draps.

Et cela allait durer encore.

« Monstre que tu es... Chuchota une voix avec langueur. Monstre, monstre, monstre,…

_Je sais. »

Il l'était, personne ne le savait mieux que lui. Ce qui se trouvait derrière la façade du garçon un peu naïf, ce qui vivait sous sa peau de serviteur obéissant, grouillant sournoisement dans les tréfonds de son être. Qui se rappelait toujours à lui quand ses armes écarlates vibraient dans les airs, arrachant des vies. Il ne pouvait l'oublier. Et une fois encore, un homme avait croisé sa route mortuaire. Pour Ueda.

Pour… Un vertige le prit à cette pensée. Le monde sembla alors se teinter de noir sanguin et flou, tressautant à chaque battement de paupière spasmodique. Myriade d'ombres grinçantes qui dansaient sous ses yeux comme mille papillons d'argent liquide, spectacle elliptique qui éveilla en lui une véritable horreur insoutenable. Une terreur hurlante et glacée qui brisa sa voix.

« Monstre, monstre, monstre, monstre ! » Continuait-on de chanter pourtant à son oreille.

Il voulait crever maintenant. Juste s'éteindre en silence, sans plus gêner personne, sans plus prendre le droit à d'autres de vivre, sans plus se perdre entre ses propres déguisements. Courir pour l'éternité dans sa Forêt coupée du reste de l'humanité, auprès d'âmes qui ne le jugeraient jamais… Juste abandonner ce statut pesant d'Homme qu'il s'était si timidement construit, cesser de prétendre d'être autre chose qu'une bête sauvage. Parce qu'il le demeurait toujours et rien n'y pouvait.

Puisque la seule chose qu'il semblait capable de faire correctement était d'assassiner. Et encore… N'y avait-il pas des centaines de ninjas qui étaient tellement plus doués que lui ? De ceux qu'il croisait parfois de loin à ces rencontres entre Seigneurs chaque fois plus tendues. Si élégamment dissimulés dans l'obscurité complète, bardés d'armes légères affinées, auréolés de leur puissance physique ronronnant sous le tissu fluide de leur habit. De quoi avait-il l'air, lui, osant à peine suivre Yukimura ? Comment pouvait-il seulement espérer être pris au sérieux avec son visage juvénile et ses grands yeux de gosse ? Il ne s'étonnait plus de se voir remplacer par Saizô pour ce genre de missions.

Maître de l'Herbe piteux que tu es.

« Sasuke-kun ? »

Sursautant violemment, il reconnût immédiatement la voix d'Isanami étouffée derrière les panneaux de riz de sa chambre. Tenté un court instant de feindre le sommeil, il se releva malgré tout prestement. Tous connaissaient ici son sommeil plus léger qu'un souffle, il n'aurait convaincu personne.

« Je ne te dérange pas ? Demanda la jeune femme ayant visiblement perçu ses mouvements.

_Cinq secondes s'il te plaît. »

Un silence poli lui répondit. Ce n'était pas la première fois qu'Isanami venait le chercher jusque dans sa tanière et elle avait toujours respecté son intimité. Autant pouvait-elle débarquer soudainement auprès d'autres et de Saizô, autant avec lui gardait-elle une distance retenue. Le temps qu'il jeta dans un coin ses armes ensanglantées, tire son fûton et tente de se reconstituer un visage avenant.

Reprenant le contrôle de son calme habituel d'une main dure tremblante, il vint enfin lui ouvrir avec une tentative de sourire sur les lèvres. C'était plus capricieux que d'habitude mais si elle s'en aperçut, elle n'en fit aucune remarque.

« Tu as besoin de quelque chose ?

_Ah, je suis désolée de t'accueillir ainsi. S'excusa-t-elle immédiatement. Tu n'es pas trop fatigué ?

_Je vais bien. »

Ce mensonge-là était sans doute le pire qu'il ait dit au cours de sa vie. Il ne manquait pas d'aplombs pour autant. Sans doute l'habitude de ces derniers jours à le proférer autant que nécessaire.

« Peut-on reprendre mes enseignements alors ? J'y ai travaillés pendant ton absence, mais ton avis manque pour l'application. Si ça ne te dérange pas ! Reprit-elle avec ce même empressement qui la caractérisait.

_Pas du tout. Assura le ninja, dissimulant sa lassitude. En extérieur, au même endroit ?

_Hm ! Acquiesça t-elle vivement. Je ne veux pas que Saizô regarde, ce serait trop gênant… »

Un écarlate vif monta aussitôt à ses joues, qu'elle dissimula tant bien que mal derrière ses manches imposantes. Cela arrangeait bien Sasuke, au final, cette pudeur attendrissante de la part de la jeune femme. L'art des éventails de fer lui était cher, il ne tenait pas à en exposer tous les katas au premier venu. Ni à subir de possibles railleries sur l'utilité de combattre avec de tels objets. Lui-même avait reçu une formation en accéléré de la part de la grande spécialiste de son temps durant ses années à Koga. Ona l'avait voulu pour seul élève, pour une raison qu'il ignorait. Et autant dire qu'il lui avait ri au nez à l'époque, avant de subir une de ses plus belles humiliations en la confrontant.

« Tu les as sur toi ? Demanda-t-il tout en allant chercher dans un de ses placards une boîte en ébène massif.

_Toujours ! »

Appuyant ses propos, Isanami dégaina aussitôt ses propres éventails de son kimono. Ils les avaient modifiés ensembles, prenant une paire de ceux qu'elle usait déjà pour la danse et y posant des lames taillées sur mesure, dissimulées habilement à la vue. Tant qu'ils apparaissaient aux premiers abords inoffensifs.

« Parfait. »

Sasuke passa ses propres armes à sa ceinture. Les siens étaient plus lourds, plus fatales encore mais pour débuter il ne servait à rien de manipuler les plus armés de métal tranchant. Au risque de se blesser soi-même. Tout était une question d'équilibre de la force et de technique.

Lorsqu'Isanami était venue lui réclamer de l'aide pour devenir plus forte, il avait longuement médité. Il comprenait parfaitement le désir de la jeune prêtresse de cesser de se reposer constamment sur eux pour sa défense et d'apprendre à se battre, seule. Mais pour sa condition physique, trop peu de voies lui étaient ouvertes. Il ne la voyait pas, même à force d'années, apprivoiser un katana ou toutes autres lames directives. D'autant plus que malgré son hôte des plus glaciales, Isanami n'avait pas un caractère offensif.

Au final elle était un peu comme lui, à sourire gentiment. Et il s'y était laissé prendre un moment à cette façade de fille capricieuse immature. Mais elle était plutôt…comme lui. Sans l'être tout à fait non plus, mais malgré tout assez suffisamment pour que les éventails de fer lui allassent parfaitement.

« Ta mission s'est bien passée ?

_Plutôt. »

Ils marchaient désormais côte à côte sous les auvents qui bordaient la cour intérieure, se dirigeant vers leur habituel terrain d'entraînement. Ils l'avaient établi dans la plus complète discrétion, en retrait des autres, réfugié derrière la protection des feuilles. Ce n'était plus une question de secret absolu maintenant que tout le monde savait qu'Isanami débutait son apprentissage, mais de simple confort. Sasuke n'avait su, de plus, jamais s'entraîner sous les yeux des autres comme ne s'ennuyait pas à le faire Ana ; sans perdre quelques vêtements au passage d'ailleurs.

« Je ne peux pas vraiment en dire plus. S'excusa-t-il devant la curiosité évidente de la jeune femme. Seigneur Yukimura n'y tient pas.

_Oh je comprends bien ! C'est simplement qu'il est rare de te voir quitter le domaine habituellement. Tu en es un peu son second maître, ce devait vraiment être une mission importante. »

Cette remarque étonna particulièrement Sasuke qui ne put s'empêcher de relever :

« Son second maître ? Tu exagères.

_Pas tellement. Il n'y a qu'à toi que Yukimura-sama laisse les clés du château lors de ses absences.

_Anastasia était avec moi. Remarqua-t-il par-rapport à la dernière fois.

_Non. Je crois plutôt que tu étais avec Ana justement. » Reprit-elle en insistant clairement sur la disposition des mots.

Isanami ne parlait jamais ainsi que lorsqu'ils étaient ensembles, sans aucune autre interférence. Ca ne flattait pas particulièrement l'ego du ninja, ils l'avaient senti tous les deux : leurs points communs, leurs différences… Et la trahison récente d'Anastasia n'avait fait que précipiter les choses entre eux au final. La jeune prêtresse d'Izumo privée de sa confidente était venue chercher une oreille patiente auprès de lui. De peu bavard, il avait appris à oser partager un peu avec elle et en retour, elle s'était découverte à lui comme une véritable amie. Douée d'un sens particulier sur certaines choses…

« Je suis persuadée que Yukimura-sama savait parfaitement qu'elle nous trahirait bientôt et qu'il t'a confié sa surveillance. »

Il avait fini par prendre l'habitude de faire confiance à son ressenti, mais parfois cela berçait trop douloureusement ses propres espoirs naïfs. Il ne pouvait cautionner de croire à cela. Parce que Yukimura pour lui c'était…

« Enfin, tout cela n'a pas d'importance. » Coupa-t-il abruptement

Isanami perçut cette fois clairement la tension qui habitait son regard. Elle sembla sur le point de l'interroger davantage mais ils avaient abordé leur terrain et Sasuke profita de cette occasion parfaite pour couper court à toutes occasions. Ses mains trouvèrent avec habitude le chemin de ses armes qu'il tira d'un geste leste et élégant.

Ses éventails étaient constitués tous deux de fines lames de fer. Complètement différents en poids, taille et construction, chacun d'eux avait un rôle bien précis. Et quand le gauche s'habillait d'une robe grenat décorée richement de broderies, le second se paraît lui d'un paysage hivernal tout en humilité. Deux opposés et un porteur pour équilibrer leur danse…

« Les exercices que je t'ai donné, t'ont-ils posé problème ?

_Un oui, particulièrement. Répondit aussitôt Isanami en s'armant à son tour. La parade en défense sur les attaques de courte portée basses.

_Bien, montre-moi. »


Et dans le silence, il me contemplait.


Cette journée était définitivement affreuse, et il ne reviendrait pas sur ce jugement.

« Hé Vieil Homme ! Tu n'as pas vu Isanami ? »

Yukimura n'essaya même pas de contenir le soupir d'exaspération qui lui échappa. Après un réveil matinal en grandes pompes par les éléments les plus turbulents de son escouade de bras cassés qui avaient creusé un gouffre dans son parquet millénaire, après l'entretien avec son agaçant crétin de frangin qui ne voulait jamais rien comprendre… Voilà que Saizô se permettait de débarquer au milieu de ses ennuyantes tâches administratives comme un diable en boîte, à la recherche d'une prêtresse perdue. Tout allait décidément bien.

« Non, pas depuis vos échanges verbales passionnés dans la cour il y a quelques heures de cela. »

La pique rendit aussitôt cramoisies les joues du ninja. Pour la peine, Yukimura ne s'était pas retenu de prendre le ton le plus subjectif qui soit. Depuis le temps que ces deux-là se tournaient autour sans oser se l'avouer ni l'un ni l'autre, ce n'était qu'une porte grande ouverte aux sous-entendus moqueurs extérieurs.

« Nous ne… ! S'enflamma immédiatement Saizô avant de se rattraper de justesse face au sourire de plus en plus goguenard de son employeur. Passons. Elle ne vous a rien dit ?

_Pourquoi m'aurait-elle dit quelque chose ? Répliqua fermement l'homme. Qui puis-je si pour une fois elle n'a pas jugé bon de te traîner à sa suite dans les grandes aventures qui agitent sa vie ? Tu sais Saizô, personne n'est jamais indispensable. »

L'effet recherché fut aisément obtenu : le ninja accueillit cette dernière phrase comme une véritable gifle, et le sourire dédaigneux de Yukimura n'y arrangeait rien. Le seigneur était habituellement taquin mais il ne s'agissait de toute évidence plus là de plaisanteries détendues.

« Vous avez un problème ? Tenta Saizô, encore étourdi par ce mépris soudain qui ne sciait absolument pas à l'homme.

_Aucunement. » Trancha t-il en retour, tournant distraitement les pages d'un de ses carnets.

Son regard s'était désormais fixé sur sa tâche et n'en débordait plus. Aucune considération inutile pour la présence qui se tenait encore hébétée à l'entrée de son bureau.

« Vous en êtes certain ? » Insista une seconde fois Saizô peu convaincu par l'aura inhabituelle que semblait dégager l'homme.

Celui-ci n'eut pas la chance de lui répondre. Anastasia venait de faire son apparition dans le dos du ninja, toujours aussi décontractée en apparence malgré ses actes de trahison. Comme si rien vraiment ne s'était passé. Comme si elle n'avait jamais cessé d'être une des leurs, une des Dix.

« Isanami est en plein entraînement. Elle n'a pas été kidnappée par une bande d'écureuils, il est inutile de t'inquiéter Saizô.

_En entraînement… Encaissa sourdement le jeune homme qui s'était retourné aussitôt sur elle à l'évocation de la prêtresse.

_Tu sais, les éventails ?

_Ah oui. Les éventails… Reprit-il en écho une nouvelle fois, tirant un rire à la jeune femme.

_Tu comptes répéter toutes mes paroles ou tu vas t'en remettre ? »

La réponse fut rapide, mélange de grognement agacé inaudible et d'une bourrade affectueuse sur l'épaule qu'elle supporta sans broncher. Les taquineries entre ces deux-là avaient reprises aussi comme s'ils ne s'étaient jamais affrontés à mort, à quelques pas du château. Ce n'était pas tant la première fois que leur condition de shinobis les séparait. Ils partageaient cette même éducation après tout.

Yukimura, resté spectateur muet jusque là, se décida finalement à briser cette atmosphère légère.

« Quand vous aurez cessé de prendre mon bureau pour un salon, je pourrais peut-être espérer travailler au calme… »

Anastasia échangea un regard interloqué avec Saizô, prise de court à son tour par l'humeur de leur maître. Le ninja ne put que hausser les épaules avec impuissance. Que le dirigeant se soit levé du mauvais pied ou ait de véritables raisons, il ne semblait de toutes façons pas décidé à en parler maintenant. Nobuyuki sûrement devait être à l'origine de cette colère froide. Il était le suspect le plus plausible.

« Excusez-nous. Nous allons par…

_Et si vous veniez plutôt voir avec nous pour vous changer les idées ? Le coupa soudainement Anastasia dans un sourire indulgent. Je suis curieuse de voir comment Sasuke s'en sort.

_Sasuke ? Releva encore Saizô, ôtant les mots de la bouche à Yukimura.

_Bah, c'est lui qui joue le professeur bien entendu. Tu crois quoi ? Qu'Isanami est en mesure d'apprendre en autodidacte ? »

Yukimura ne perçut même pas la réponse du ninja. Il digérait de son côté cette information soudaine qui était bien loin de le ravir. Inspirant sourdement, il rangea machinalement son matériel d'écriture ainsi que quelques dossiers terminés plus tôt. Ni Saizô, ni Anastasia ne commentèrent cette décision ni le visage fermé qu'arborait désormais le dirigeant, étrangement retenu. Ils s'en étonnèrent entre eux, échangeant quelques regards discrets alors que la jeune femme les conduisait au terrain qu'elle avait repéré au cours d'une de ses nombreuses rondes.

Le trajet sembla ainsi s'éterniser dans ce silence pesant que personne ne tenta de briser. Chacun préféra se plonger plutôt dans ses pensées sans échauffer davantage l'humeur perturbante de Yukimura. Et surtout incompréhensible. Aucune menace n'en était la cause aux vues du calme plat de ces derniers jours… Aucun événement imprévu non plus n'était arrivé. Ni alerte, ni mauvaise nouvelle. Ce qu'ils savaient tous à propos de la tension qui divisait en deux le pays entre les Toyotomi et les Tokugawa n'était pas nouveau. Rien ne pouvait les éclairer et la décision ferme du seigneur de les accompagner à une activité assez futile finalement, était plus que surprenante dans de telles conditions. Habituellement les aurait-il suivis certes, mais non sans se départir de son sourire d'homme heureux et de son humour. Ils auraient évoqué entre eux la crédibilité d'Isanami légèrement et ne seraient pas demeurés plantés dans leur silence.

Apercevoir les silhouettes en mouvement de ladite jeune femme et de Sasuke à travers le feuillage épais du domaine fut presque un soulagement. Reprenant les rênes de leur visite, Anastasia s'empressa de leur faire signe de rester discret. Le plus important était de ne pas se faire remarquer par les sens affûtés du Commandant d'escouade.

Qui était fort occupé en cet instant même à contrer une attaque osée d'Isanami.

« Bien ! » Encouragea-t-il en réponse, refermant d'un geste sec son éventail droit pour parer une nouvelle offensive.

Le papier décoratif crissa sous l'effort, les lames teintèrent clairement. La jeune femme se recula d'un mouvement leste, s'accroupissant dans un tour pour viser les jambes de son adversaire de ses armes dépliées et étincelantes. Mais Sasuke détourna encore une fois l'intention, se servant de la force qu'Isanami mettait dans son avancée pour la devancer, glisser ses éventails fermés derrière les opposants, les bloquer d'une rotation rapide… La prêtresse fut déséquilibrée d'un ample fauchage de jambes, ne pouvant plus s'aider de ses mains immobilisées sur le moment. Elle alla rouler plus loin.

« Belle tentative. Mais trop de volonté. Ce genre de bons sentiments ne te soutiendra jamais avec de telles armes. »

Agacée de voir ses attaques avortées les unes après les autres, Isanami se releva prestement, prête à user d'un autre langage pour surprendre son enseignant. Elle demeura ainsi sur ses positions, bien décidée à le faire venir à elle pour cette occasion. Jouant le jeu, Sasuke fut sur elle dans un bond raisonnable, son bras levé pour frapper.

« Je t'ai ! »

Accompagnant ses paroles triomphantes, la jeune femme lâcha ses éventails brutalement. Ses mains désormais libres se refermèrent d'une poigne puissante sur ceux de son adversaire, interloqué par cet essai suicidaire. Seul un sourire amusé lui répondit alors qu'elle se jeta en avant pour cogner avec force leurs deux crânes l'un contre l'autre.

Le bruit du choc résonna dans la clairière. Suivi d'un autre, plus sourd.

Isanami n'eut le temps de crier victoire. Sasuke alors effondré à terre entrava ses pieds et dans un mouvement inhumain, prenant appui sur sa main droite pour tordre ses jambes, il la précipita à sa suite au sol. Puis bloquant immédiatement son épaule pour la maintenir sur le dos, il la plaqua en s'écrasant contre ses hanches afin de les maintenir. Sa main gauche toujours fermement refermée sur son unique éventail, il déplia ce dernier dans un doigté parfait. La ronde grenat menaçait désormais le cou de la jeune femme de sa minceur mortelle sans possibles solutions.

L'action avait été si rapide qu'Isanami prit conscience tardivement de ce qui s'était passé sous ses yeux et dans quelle situation elle se trouvait maintenant. Et notamment de la position dans laquelle ils se trouvaient tous les deux, bien trop subjective à son goût. Sans pouvoir se retenir, son visage vira à l'écarlate aussitôt sous l'incompréhension de Sasuke. Le jeune homme ne comprit que tardivement les raisons du malaise de son amie. Rougissant à son tour devant la tournure des choses, il se releva hâtivement sans demander son reste. S'il lui tendit une main pour l'aider à se relever, son regard se détourna ailleurs.

Et ses yeux en accrochèrent d'autres, mordorés. Yukimura.

La découverte lui fit l'effet d'une claque abrutissante.

« Wow ! Ils sembleraient que certains en profitent bien… ! »

La remarque goguenarde d'Anastasia qui les cueillit aussitôt ne pouvait pas dramatiser davantage la situation. Saizô fixait Isanami, complètement abasourdi. Et quand son regard descendit sur leurs deux mains restaient liées sous la surprise machinalement, il ne pouvait être plus glacial. La jeune femme eut beau se reculer précipitamment, le mal était fait.

« Ce n'est pas drôle Ana ! Protesta-t-elle vainement, allant s'accrocher avec précipitation au bras de son ninja. Ce n'est qu'un malentendu… Rien d'autre. »

Sasuke, lui, n'osait plus rien dire pour clarifier la situation ni faire. Ni même regarder son maître. Il sentait sur lui sa pleine attention pesante et agressive, comme une fureur glaciale qui jamais ne lui avait été destinée jusqu'à aujourd'hui. Et ne semblait demander qu'une provocation kamikaze pour se libérer dans toute son ampleur...

« Tss, tss… Les femmes sont décidément toutes les mêmes. Releva finalement Yukimura faussement léger, un sourire tordu aux lèvres.

_Isanami n'est pas… !

_Je ne crois pas t'avoir autorisé à me répondre sur ce ton, Sasuke. » Coupa-t-il froidement.

Jamais le dirigeant n'avait osé le mépriser ainsi jusqu'à maintenant. Saizô et Isanami en oublièrent même leur différent sur le coup, stupéfaits par le comportement de l'homme envers son subalterne qui ne put que poser un genou à terre. Aussi dures et injustes étaient les paroles, il ne pouvait que suivre les ordres et se soumettre. Comme il l'avait toujours fait, comme il le ferait toujours. Et cela pouvait bien clairement révolter Anastasia et les autres, Yukimura pour lui c'était…

« Je croyais t'avoir réclamé le repos. Dois-je comprendre que tu désobéis à mes ordres maintenant ?

_Pardonnez-moi, Maître.

_Retourne te coucher. Si tu ne veux pas être davantage un incapable que tu ne l'es d'habitude.

_Bien, Maître. »

La voix de Sasuke trembla sous l'humiliation cuisante. Il ne perçut qu'à peine les exclamations indignées de Saizô au travers de sa tête bourdonnante. Seules les paroles de son seigneur restaient à tourner dans son esprit, se répétant en mille échos qui lui brûlèrent les yeux. Ravalant de justesse un débordement d'émotions, il se releva avec maladresse sans réelle considération pour la main compatissante qu'Anastasia posait sur son épaule. Plus rien ne le retenait ici.

« Disparais.

_Yukimura… ! »

Ce dernier ordre acheva complètement la volonté du ninja. D'un bond soudain il prit la fuite vers sa chambre, ne voulant absolument pas s'attirer davantage les foudres du dirigeant. Il n'était plus question de comprendre pourquoi soudainement, seul le regard rageur de l'homme demeurait gravé dans son esprit. Cet homme à qui il devait tout…

Il l'avait déçu, lui, le moins que rien.


"Je suis sûre que tu n'es pas capable de prendre la situation la plus clichée des romans d'amour et d'en faire quelque chose par la suite de prenant."

Et finalement si, j'ai écrit cette fanfiction qui traînait dans mes tiroirs depuis très longtemps. Défi relevé. Réussi, sans doute moins.

Je tiens à préciser pour ceux qui seront éventuellement parvenus jusqu'ici, que cette histoire est une récréation infantile. Il ne s'agit aucunement d'une esquisse de Prix Littéraire, on en est à l'antipode pour cette fois. Je l'ai écrite, pour moi, pour le plaisir de mes pieds d'égoïste, pour m'amuser, pour avoir de quoi gratter sans aucune prise de tête pour dérouiller les doigts. Pour tenter aussi de toucher aux pires erreurs qu'un griffonneur de fanfictions peut faire, les réaliser et contempler le désastre.

Pour ma quarantième sur ce site, et sur un fandom qui me tient à coeur.

Pour dire simplement qu'elle existe, et les pages suivantes aussi.


Brave10 et Brave10Spiral sont la propriété de Kairi Shimotsuki.
Cette fiction reprend le cours de l'histoire à partir du tome 3 de Brave10Spiral.