Les couleurs floues d'une gélule, une moitié blanche, l'autre rouge.
Noir
Une semi-conscience. Une douleur horrible, un corps en fusion. Souffrance.
Noir.
Lumière.
Je referme aussitôt les yeux. L'éclat est trop douloureux, trop blanc pour mes iris habitués à l'obscurité.
Nouvel affrontement.
Cette fois, je réussi à lutter quelques secondes avant d'abaisser à nouveau mes paupières.
Je déclare la guerre et la gagne.
Enfin, j'ouvre les yeux sans craindre la luminosité, en réalité faible. Bizarre. D'accord, il y a un lampadaire pas loin, mais il ne m'éclaire pas directement.
Ce n'est pas le plus important.
Je me redresse lentement en prenant conscience que je ne sais absolument pas où je suis. Enfin si, j'ai vite fait de reconnaître un parc, vu que je suis étendue dans l'herbe, à plusieurs mètres de végétaux du type buissons et arbres. Derrière un buisson proche, je peux même voir le haut d'un banc. Le ciel commence à peine à pâlir, ce qui m'indique qu'il est sans doute très tôt. Au fait, en quelle saison est-on? L'air ambiant est frais, d'accord, mais pas froid, ce qui me fait pencher pour l'automne ou le printemps. Les arbres sont dépourvus de feuilles, complètement. Plutôt le printemps alors. En automne, justement, ils seraient chargés de taches colorées se détachant et s'envolant au gré du vent.
Je veux me lever, n'y parvient pas. Je baisse les yeux, ce qui me permet de confirmer mon impression : les vêtements que je porte sont trop grands pour moi. Largement. Comme si on avait enfilé des vêtements d'adulte à un enfant d'école primaire. Une seconde. En parlant de ça...
Je me lève, cette fois avec plus de précaution. Ce mouvement me fait soudain me sentir faible, ma vision se brouille et je ne tiens pas sur mes jambes. Sauf que je suis tellement surprise que je ne cède pas à mon envie de me rasseoir.
Je suis une enfant! En tout cas, j'en ai la taille. Est-ce que je suis sensé en être une? Maintenant que j'y pense, je ne me souviens de rien. Des trucs du genre comment je m'appelle. Ah ben bravo! Qu'est-ce que je fais maintenant?
Bon. Même si j'ai l'impression, au vu de mes vêtements, que je ne devrais pas avoir cette apparence d'enfant, je suppose que la seule chose que j'ai à faire et de chercher mes parents. Quel que soit son âge, on en a toujours, non? Donc, il me suffira de les trouver pour comprendre! Si je suis si jeune que ça, alors ma disparition devrait les inquiéter, sauf si ils n'en ont rien à cirer de moi... Bon sang, si seulement je pouvais me souvenir de quelques détails au moins! Mais non, rien, le vide! C'était une sensation plutôt désagréable, maintenant que j'en prenais conscience et que je l'analysais. Vu que j'étais dans un environnement inconnu, je n'y avais pas tout de suite fait attention.
Je ne sais pas du tout comment me débrouiller pour marcher avec ses vêtements, mais les enlever n'est, à mon avis, pas une très bonne idée... Je fais quelques pas, mais je ne suis décidément pas dans mon assiette et manque de perdre l'équilibre. C'est du à quoi, cette sensation de faiblesse? Une maladie? Mon amnésie? Car c'est bien comme ça que ça s'appelle, n'est-ce pas? Une amnésie? Dans ce cas, je devrais me rappeler peu à peu de choses! Quoique... d'après les souvenirs que j'ai à ce sujet, les amnésiques ne se rendent en général pas compte qu'ils le sont seuls. En fait, je ne sais même pas si je peux me fier à ce mot, « amnésie ».
Je réussi finalement à trouver une technique pour marcher sans me casser la figure et pour maîtriser mes problèmes d'équilibre et de faiblesse. Il n'empêche que je n'ai absolument pas une démarche assurée et que je n'aime pas avoir l'air aussi vulnérable. En plus, c'est pas vraiment discret. Heureusement, en arrivant sur un chemin, je constate qu'il n'y a personne en vue. Évidemment, vu l'heure qu'il doit être...
-Mach... u... ma... machi...
Les grognements vienne d'à côté de moi, et ils sont proches. Je sursaute et découvre un ivrogne allongé sur un banc. Il ne manquait plus que ça! Un coup d'oeil au ciel et sur les nuages qu'on pouvait apercevoir au loin me rappela qu'il pouvait aussi pleuvoir, ce qui ne serait vraiment pas pour m'arranger.
Bon, qu'est-ce que je fais? Je ne vois pas trop ce que je peux tirer de l'ivrogne. Ah si, où je suis. C'est toujours utile, non?
-Euh... monsieur?
Il tourne la tête vers moi, son regard dissimulé par un chapeau.
-Dare desu ka?
La voix est bizarre, et la langue n'est pas la mienne, mais je la comprend. « Qui est-ce?» Et toi, tu parles quoi au juste? Je le comprend, mais je ne sais même pas quelle langue il parle! Ni celle que je parle d'ailleurs...
-Euh...
C'est tout ce que je trouve à dire. Qui suis-je? Bonne question! Je me la posais justement il y a quelques minutes, et vous savez quoi? Je n'ai aucune réponse. Soudain, je me dis qu'il y a peut-être quelque chose dans mes vêtements qui pourrait me donner un indice. Aussitôt, je me met à fouiller les poches, mais sans aucun résultat, elles sont complètement vides. Génial!
-Shi... shiranai, je répond dans sa langue, enfin, je crois.
« Je... je ne sais pas. » C'est ce que j'ai dis. J'espère. Je juge bon de rajouter :
-Et vous?
Toujours dans sa langue, bien sûr, mais je ne vais pas vous faire la traduction à chaque fois, la situation est déjà assez compliquée comme ça!
Il répondit quelque chose, mais c'était tellement confus que je n'ai absolument rien compris. J'hésitais à le signaler, mais avant d'avoir pris ma décision, il reprit plus clairement :
-Chuis qu'un ivrogne, un gars qu'en a marre de la vie. Pourquoi, ça t'pose un problème?
Il pencha un peu plus la tête et je vis son visage derrière ses mèches. Et vous savez quoi? C'était peut-être un ivrogne, il n'empêche qu'il était sacrément beau, ce qui m'étonna. Il devait avoir la trentaine, ou la quarantaine. Le temps que je le dévisage, il avait fait de même avec moi.
-Mais t'es une gamine!
-Oui, pourquoi? Ça t'pose un problème?
Ironique, je pris un malin plaisir à reprendre ses paroles sans trop savoir à quoi ça pouvait me servir à part, peut-être, l'énerver. Mais le type ne devait pas être si ivre que ça, car il se redressa sur son banc à la manière d'une personne en parfaite possession de ses moyens. Ne sachant pas si c'était bon ou mauvais signe, je restais idiotement plantée là. Je dis idiotement, parce que si ça se trouve, les intentions du type n'étaient pas forcement des plus... amicales.
-Bon sang, qu'est-ce que tu fiches ici?! Tu d'vrais être chez toi!
-Je sais, sauf que je ne sais pas où c'est.
C'était la pure vérité.
Le type fronça les sourcils.
-Tu t'appelles comment?
-Sais pas.
-Comment ça sait pas?
-Je ne sais pas. Je ne m'en souviens plus.
-Allons bon... Eh bah je sais pas moi, va voir les flics!
-Je ne sais pas où les trouver. Et d'abord, on est dans quel pays?
-A ton avis? Le Japon, bien sûr!
Le Japon? Mais bien sûr! C'était du japonais que je parlais depuis tout à l'heure! Comment se faisait-il que je ne m'en soit pas rendue compte? C'était une conséquence de mon amnésie?
-Et on est dans quelle ville?
-Tokyo.
-Et comment vous vous appelez?
Silence. Puis...
-Arō.
-Eh bah... enchanté de faire ta connaissance.
Qu'est-ce que je pouvais bien dire d'autre?
-Ouais, c'est ça. Moi aussi.
Si je ne m'étais fiée qu'au texte, j'aurais pensé qu'il s'en fichait, mais son ton lui, me disait au contraire qu'il était sincère.
-Alors... où peut-on trouver un commissariat?
Le type, enfin, Arō, me fixa puis soupira.
-'tain, j'aurais jamais cru que je devrais aller les voir un jour. Suis moi.
Il se leva du banc, fit quelques pas légèrement vacillants, et je fus agacée de constater que, étant donner ma petite taille, j'étais incapable de l'aider à retrouver son équilibre. Déjà que le mien n'était pas des meilleurs...
Je fus heureuse de constater, en suivant l'ivrogne qui, finalement, ne l'était pas tant que ça malgré l'odeur peu agréable d'alcool qui l'entourait, que je marchais plus facilement, et que ma sensation de faiblesse, bien que toujours présente, diminuait à présent.
J'aurais dû, logiquement, me bombarder de questions, ou en bombarder Arō, mais non, rien. Je me doutais que je n'arriverais pas à m'en apporter à moi même, quand à l'adulte qui marchait devant moi, il ne savait probablement rien vu comment il avait réagit en me regardant pour la première fois. A la place, je regardais tout autour de moi, et m'aperçut très vite qu'en effet, une fois sortis du parc, les inscriptions que je voyais étaient toutes en japonais, même si je ne les comprenais pas toutes.
Enfin, nous entrâmes dans une rue. Plus loin, je pouvais voir des policiers. C'est à ce moment là qu'une impression est apparue en moi, jusqu'à devenir une certitude : je ne devais pas aller voir la police. Pourquoi? Aucune idée. A priori, ils devraient pouvoir m'aider, mais se sentiment était si fort que, alors que nous étions tous proches, j'agrippais le manteau d'Arō.
-Attend, non... Je... je ne peux pas aller voir la police.
Il se retourna, intrigué.
-Comment ça tu ne peux pas?
-Je ne sais pas, mais je ne dois pas y aller. Je... c'est une impression. On peut s'en aller?
Je sais, j'agissais comme une enfant, et après tout, ce type, enfin, Arō était parfaitement libre d'aller où il voulait, mais puisque j'étais sensée être une enfant...
L'intéressé ne posa pas plus de questions et nous passâmes devant le commissariat sans s'y arrêter. Un des policiers à l'entrée jeta un coup d'oeil vers nous, mais sans plus. Ouf! J'avais réagis juste à temps, même si j'ignorais toujours ce qui m'avais poussé à faire ça.
Nous avons continué de marcher, puis Arō s'est brutalement arrêter, si bien que j'ai faillis lui rentrer dedans.
-Bon. Où vas-tu aller maintenant, si tu refuses d'aller voir la police? Tu te souviens de où tu habites?
-Non, avouais-je, penaude.
Il resta encore quelques secondes sans rien dire, puis se remis à marcher. Sans réfléchir, je le suivis.
-Où vas-tu?
-Chez moi. C'est toujours mieux que dans la rue pour une gamine de ton âge.
Quoi, allez chez un parfait inconnu? J'y réfléchis, puis me rendit compte que je ne voyais pas quoi faire d'autre. En plus... eh bien, il fallait vraiment que je trouve des vêtements à ma taille! C'était d'ailleurs pour ça que le policier m'avais regardé : j'étais tout sauf discrète avec mes vêtements trop grands! Et puis, bizarrement, j'avais confiance en Arō, même si je le connaissais à peine. Pas du tout serait plus exacte, vu que je connaissais seulement son prénom. Enfin, je crois bien que c'est son prénom. Bref, peu importe.
