Voyage vers Avallon


Merlin regardait son roi à la lueur des flammes, le visage emprunt de douleur. Arthur était mourant, c'était indéniable. Et malgré toute la magie qui l'habitait, le jeune sorcier ne pouvait rien faire pour le sauver. Cela le mettait en rage, et il guettait le réveil du roi avec appréhension. Il devrait alors le convaincre de le suive vers Avallon, comme Gaius le lui avait conseillé avant de rejoindre Camelot. Et rien n'était sûr quant à ce qui se passerait là-bas. Mais il devait y croire, sans quoi tout était déjà perdu. Mais Arthur gardait les yeux clos, et son visage des plus pâle n'augurait rien de bon. Aussi Merlin se décida à l'abandonner quelques minutes pour aller cueillir des baies, peut-être aptes à apaiser la douleur du jeune roi. Il craignait l'abandonner là, et surtout qu'il fut repérer par les Saxons qui rodaient alentours. La bataille n'était terminée que depuis quelques heures, mais tous les chevaliers étaient repartis pour Camelot, et les soldats ennemis survivants n'avaient pas quitté les sous-bois. Merlin se releva rapidement et recouvrit Arthur, dont il avait précédemment allégé de sa cotte de maille, de sa large cape aux couleurs de Camelot. Il piétina ensuite le feu précédemment allumer afin d 'éviter qu'un ennemi passant par là aperçoive les lueurs jaune et orangée des flammes. Puis Merlin s'empressa de disparaître dans la forêt, en quête de plantes et autres végétaux aptes à soigner Arthur.

A son retour, le jeune sorcier eut la mauvaise surprise de trouver son roi encore plonger dans les limbes de l'inconscience, et son inquiétude quelque peu apaisée depuis quelques minutes remonta en flèche. Etait-il déjà trop tard ? Arthur était-il déjà passé de vie à trépas ? Il se refusait à l'admettre, et pourtant le jeune homme ne s'était pas éveillé depuis la bataille. Merlin s'agenouilla précipitamment aux côtés de son ami et lui appliqua les quelques soins que Gaius lui avait enseigné. Il avait heureusement trouvé quelques feuilles capables d'apaiser la douleur d'Arthur, et il se risqua à user d'un peu de magie pour renforcer la guérison. Le froid était vivifiant, et il vit ses mains trembler à la lueur blanchâtre de la lune. Merlin s'attela alors à rallumer un feu, et après un léger coup d'œil à Arthur, il se décida à user une fois de plus de sa magie. Il n'avait guère de temps à perdre à faire les choses manuellement. Toutefois, il ne se sentait aucunement prêt à révéler la vérité à son ami. Il voulait d'abord connaître son ressenti par rapport à son action lors de la bataille, alors qu'il était encore sous les traits d'un vieillard.

Les minutes s'égrenèrent avec une lenteur intolérable, mais Merlin restait à l'affut du moindre bruit alentour. Il n'y avait pas encore eut la moindre trace d'un saxon, mais Arthur n'avait pas non plus ouvert les yeux. Le sorcier ne pouvait transporter le roi dans l'état où il était, et il commençait à désespérer. Mais alors qu'une larme roulait péniblement sur sa joue et que l'angoisse enserrait son cœur comme un étau, il vit Arthur se mouvoir faiblement avant de pousser un léger soupir. Un œil s'ouvrit, puis l'autre, et les deux orbes bleus se tournèrent vers Merlin. Emprunt d'une douleur extrême, le jeune roi avait l'air confus.

- Merlin ?

Le jeune homme ne répondit pas, complètement prit par l'émotion. Il avait tant attendu que le roi se réveille qu'il n'arrivait pas même à croire que c'était enfin arrivé.

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

La voix d'Arthur, si faible soit-elle, le ramena à la réalité. Merlin s'approcha plus encore du roi, qui avait bien du mal à garder les yeux ouverts.

- Restez éveillé Arthur !

Il lui frappa la joue sans la moindre délicatesse, et le blond trouva la force de lui jeter un regard outré.

- Merlin !

Le voyant ragaillardit, le sorcier sourit.

- Je vois que vous êtes toujours prêt à me crier dessus, alors même que vous êtes mortellement blessé.

Arthur grogna et tenta de se mettre sur les coudes, mais il n'en avait pas la force.

- Que s'est-il passé ? Répéta t-il alors en fixant de nouveau son valet.

Merlin se lança alors dans un récit passionné, ornant quelque peu certains aspects de la bataille. Il rappela à son roi la défaite des saxons et leur fuite devant les chevaliers de Camelot suite à l'arrivé d'un vieux sorcier aux pouvoirs étonnamment puissant. Il ne manqua pas non plus de lui annoncer le retour à Camelot de ses chevaliers, de Guenièvre et de Gaius, et Arthur le regarda avec confusion.

- Pourquoi n'est-on pas à Camelot ?

- Vous êtes mortellement blessé Arthur, lui rappela Merlin. La lame de Mordred a été forgée dans le souffle d'un dragon, et les seuls soins qui pourraient vous sauver se trouvent à Avalon.

Arthur haussa un sourcil, la mine sceptique.

- Et de qui tiens-tu telle information ?

Merlin se mordit la lèvre.

- Gaius. Il me l'a dit avant de rejoindre Camelot. Comme vous le savez, il était sorcier autrefois, et il connaît beaucoup de choses sur la magie. Il va mettre vos chevaliers et Guenièvre au courant de votre état et de notre voyage, et a assuré que nous irions plus vite à deux.

- Avalon serait mon dernier espoir ?

Ses paroles s'éteignirent dans une quinte de toux, et un peu de sang coula sur les lèvres du jeune roi. Merlin les essuya du revers de sa manche, la mine sombre.

- Il semblerait.

- Et Mordred ?

- Vous l'avez bel et bien tué Arthur.

Cette nouvelle sembla plonger le roi dans un tourbillon de pensées contradictoires, et Merlin se sentit l'obligation de le frapper de nouveau alors que ses paupières papillonnaient.

- Merlin ! S'insurgea Arthur.

- Désolé, je vous ai cru retourner dans l'inconscience.

- Je pensais.

- Ah oui ?

La mine faussement intéressé de Merlin fit soupirer Arthur, qui se demanda une fois de plus pourquoi il s'était affublé d'un valet aussi peu regardant quant à sa souveraineté. Mais malgré ses airs effrontés, Merlin était plus qu'un valet, et ce depuis longtemps. Le jeune serviteur était devenu son ami, son confident, et il lui faisait toute confiance. Aussi abandonna t-il les représailles.

- Morgane ? Souffla t-il péniblement.

- Je crains qu'elle ait survécu.

Tous deux se turent alors, et Merlin se releva lentement.

- Nous devrions partir dès maintenant. Avalon est à deux jours d'ici, et cette forêt grouille de Saxons en déroute.

- Je suis ton roi Merlin, c'est à moi de prendre les décisions.

- Mais vous êtes mourant, alors je me chargerais de la partie pratique, répliqua immédiatement Merlin.

Arthur soupira avant de se laisser épauler par son valet, et bientôt les deux amis furent assis sur leur cheval respectif. Le feu éteint fumait encore, mais toute flamme en avait disparu, et ils chevauchèrent vers l'ouest sans plus de cérémonie. Arthur était à moitié affalé sur son cheval, et son visage cireux et maladif n'était en rien pour rassurer Merlin. Il tenta de converser avec lui pour le garder éveillé, mais le roi semblait avoir bien du mal à garder les yeux ouverts.

- Faut-il donc que je vous frappe à chaque minute pour que vous restiez éveillé ? Le taquina Merlin.

- Qui était le sorcier ?

La question d'Arthur prit le sorcier de court, et il se demanda s'il devait dire la vérité dès maintenant. Mais il n'en eut pas le courage, et haussa les épaules d'un air mystérieux.

Le soleil était à son zénith lorsqu'ils sortirent enfin de la forêt. Devant eux s'étendait une vaste plaine quelque peu vallonnée, et Merlin pouvait apercevoir au loin les hautes montagnes. Bien qu'il sache que le lac était tout juste aux côtés de la montagne, la distance lui paraissait bien trop grande. Arthur n'avait presque pas parlé du voyage, et il semblait éprouver de plus en plus de mal à tenir sur la selle de son cheval.

- Arthur !

Le roi était sur le point de chuter quand la voix de Merlin retentit, le faisant se redresser péniblement.

- Faisons… une pause, marmonna t-il entre ses dents.

- Nous n'avons pas le temps de faire une pause. Il va falloir tenir.

Mais ce qui inquiétait Merlin, hormis l'état déplorable d'Arthur, était leur mise à découvert très prochaine. La plaine ne les abriterait d'aucun œil ennemi, et si par malheur un Saxon venait à les découvrir, il était le seul capable de se battre. Et son seul moyen de défense était sa magie, qu'il ne désirait aucunement dévoiler à Arthur. Heureusement, le sorcier avait pensé à remplacer la cape rouge et bien trop voyante de Camelot pour un vêtement marron et usé de son appartenance. Arthur ressemblait maintenant à un homme comme un autre, et cela leur rendrait certainement service par la suite.

- Merlin, rends toi à l'évidence…

- Arrêter de raconter n'importe quoi. Et arrêter de parler, il faut garder vos forces.

La voix de Merlin était sans appel, et Arthur soupira. Il n'avait plus même l'esprit à contrer les ordres de son valet. Ce constat fit légèrement frissonner le sorcier, qui talonna son cheval. Mais ils eurent à peine le temps de faire quelques mètres qu'une demi douzaine de saxons les aborda. Les soldats avaient l'air fatigués, mais leurs visages déterminés ne laissaient place à aucune imagination quant à la façon dont ils les traiteraient s'ils découvraient leur identité.

- Oh là messires ! Qui êtes vous et que faîtes vous ici ?

Celui qui avait parlé avait le visage dur et une carrure fort imposante, et Merlin serra le poing tandis qu'il jaugeait la troupe du regard.

- Laissez moi parler, chuchota t-il à Arthur, qui était toujours courbé sur son cheval.

Puis le jeune sorcier mit pied à terre, montrant ainsi aux saxons qu'ils n'étaient pas agressifs.

- Mon nom est Martin, et celui de mon ami Arth. Nous fuyons la bataille qui a eu lieu à la lisière du village. Une rixe entre les chevaliers de Camelot et quelques soldats saxons apparemment. Nous rejoignons le village voisin.

- Seriez-vous donc au service du roi Arthur de Camelot ?

Le soldat se gratta la barbe distraitement tandis que ses collègues observaient Arthur d'un air intéressé.

- En rien monseigneur. Nous ne sommes que des villageois, et labourons nos terres dans le simple but de nous nourrir.

- L'a pas l'air bien vot' copain là, balança l'un des saxon d'une voix rauque.

Merlin suivit son regard et remarqua avec angoisse que l'armature de l'épée du roi dépassait de la cape marron donnée précédemment. Il s'approcha d'Arthur avec lenteur, comme s'il vérifiait son état tout en parlant.

- Il a été blessé dans la bataille, un coup d'épée bien maladroit, répondit-il en réajustant le vêtement par-dessus l'arme. Il était partit chasser et revenait tout juste au village lorsque la bataille a démarrée.

Arthur gémit, et les soldats semblèrent se désintéresser de lui. Merlin soupira de soulagement en remarquant que les saxons se détendaient.

- Nous sommes à la recherche d'Arthur Pendragon, qui s'est apparemment échappé pendant la bataille. Auriez-vous croisé ce roi illégitime ?

Merlin tiqua à l'appellation que donna le soldat à Arthur, mais ne laissa rien apparaître dans sa réponse.

- Nous n'avons croisé personne.

Le saxon grommela dans sa barbe avant de détourner le regard. Après un regard méprisant envers les deux jeunes gens, il se retourna vers ses soldats. Les cinq hommes le suivirent alors qu'il s'en allait vers la forêt que Merlin et Arthur venaient de quitter, et le sorcier laissa échapper un soupir de soulagement.

- Tu mens bien, finis par souligner Arthur d'une voix sourde.

- Bien mieux que vous. Vos gémissements étaient vraiment dignes d'un enfant d'une dizaine d'années.

Arthur lui lança un regard courroucé, mais une quinte de toux l'empêcha de répliquer. Merlin vint à lui avec précipitation, tâchant de l'aider à mieux respirer.

- Allez, continuons, fit-il, inquiet.

Il remonta sur son cheval et claqua la langue, prenant le devant de la marche. Dans ses yeux bruns se reflétait une douleur infinie. S'ils ne trouvaient pas de solution à Avallon, alors il aurait échoué. Il aurait faillit à protéger Arthur, son ami, son roi, son frère. Et alors que lui resterait-il à faire ? L'avenir apparaissait sombre dans l'esprit du magicien. Le front luisant de sueur, Arthur haletait comme un pauvre hère. La vie le quittait au fil des secondes, et Merlin ne pouvait pas même accélérer le mouvement. L'injustice de la situation le faisait rager, mais il ne laissa rien paraître devant Arthur. Il fallait garder espoir.

Les vastes plaines laissèrent bientôt place à un paysage bien différent, fait de hautes pierres et d'arbres isolés et immenses. La nuit était déjà tombée, mais Merlin se refusait à s'arrêter. Il avait peur de voir Arthur s'endormir pour ne plus jamais se réveiller. Mais ils ne pourraient certainement pas continuer à travers l'obscurité, et encore moins s'ils étaient morts de fatigue. Les supplications d'Arthur finirent par avoir raison de lui, et il accepta de mettre pied à terre. Il aida le roi à quitter son cheval et à s'allonger à même le sol, s'agenouillant dans les feuilles humides pour préparer le camp.

- Il ne faut pas s'arrêter trop longtemps. Reposez-vous quelques instant, je vous réveillerais.

- Merlin, il faut que tu te reposes aussi.

Arthur avait le souffle court, mais le sorcier avait très bien entendu ses paroles.

- Il faut que je reste éveillé. Si les jamais les saxons revenaient par ici.

- Nous n'avons croisé aucun saxon depuis notre rencontre dans la plaine, et tu t'en es très bien sortit à ce moment.

- Il faut que je reste éveillé tout de même.

Il n'alla pas plus loin, car Arthur avait déjà sans doute compris où il voulait en venir. Merlin ne pourrait dormir alors qu'il était si mal. Le sorcier se devait de surveiller son roi, de veiller à ce qu'il reste en bonne santé jusque leur arrivée à Avallon.

- Bien.

Merlin prépara le repas avec les maigres provisions emportés en vitesse après la bataille, et fit manger Arthur du mieux qu'il put. Le roi était réticent, et gémissait comme un enfant. Il changea ensuite son bandage et le laissa s'endormir. Cette nuit là parut des plus longues pour le jeune sorcier, qui veilla son roi chaque seconde, chassant toute sombre pensée qui le traversait.