LA LARME DE GLACE
Il était là, seul, en cette nuit d'hiver, assis au pied d'un arbre ; terriblement seul, dans le périple de rédemption qu'il s'était imposé. Ses prunelles se posèrent alors sur une des rares fleurs qui avait survécu à la neige : une rose. Sur un de ses pétales rouges reposait un cristal de glace de la forme d'une larme. Il le recueillit du bout de son index. La rose s'effrita. Sasuke amena jusqu'à ses lèvres les vestiges de cette vie et goûta à sa mort. Il pleura.
La Lune fut le seul témoin de sa souffrance.
oOo
Trois ans s'étaient écoulés depuis le combat entre Naruto et Sasuke. Après avoir parcouru le monde sur une période de deux ans, notamment à la recherche de renseignements sur Kaguya, Sasuke avait temporairement aidé à la défense du village au moment le plus critique de l'histoire de l'humanité. Il était ensuite reparti pendant six mois, puis il était revenu… pour Sakura. Malgré ce qu'il lui avait fait, elle avait souhaité le suivre dans son périple à la fin de la guerre. Deux ans et demi plus tard, il s'était senti prêt à accepter cette requête. Il avait réussi à trouver la paix intérieure. Ensemble, ils avaient voyagé quatre mois. Une complicité nouvelle était née entre eux. Il avait ri, s'était amusé de son comportement parfois colérique contre autrui. Elle avait une personnalité entière qu'il appréciait. La jeune fille était finalement retournée à Konoha, huit semaines plus tôt, afin d'assister au mariage de Naruto et Hinata.
Sasuke avait observé la fête de loin, en haut d'une colline. À cette époque, il n'avait pas estimé sa présence légitime parmi eux. C'était d'ailleurs le prix qu'il s'était figuré devoir payer le restant de sa vie pour ses crimes : son cœur appartenait à son lieu de naissance, mais il ne pouvait plus y vivre comme les autres.
Jusqu'à ce que son meilleur ami vienne lui-même à sa rencontre avec l'ordre formel de Kakashi, promu Hokage après la retraite de Tsunade, de rentrer sur-le-champ lui communiquer en personne toutes les informations qu'il avait pu récolter. L'ancien déserteur avait souri. Il avait deviné que c'était une manière de lui faire comprendre qu'il était à nouveau le bienvenu au sein de son village natal.
À peine arrivés en début de soirée, Naruto avait invité son camarade à manger et boire un verre dans un restaurant ; repas imprévu auquel s'étaient joints Saï et Kakashi, accompagnés d'un visiteur de la cité voisine qui se plaisait à se faire surnommer « l'Ancêtre ». L'homme, d'une cinquantaine d'années, aimait à ce qu'on l'appelât de la sorte, car il revendiquait une sagesse et une large connaissance dans tous les domaines ; spécialement celui des femmes. De grande taille, les cheveux poivre et sel, le regard assuré, la mâchoire carrée, sa carrure impressionnait, et il s'imposait dans les discussions de par son franc-parler. En outre, ses blagues salaces et ses histoires licencieuses détaillées faisaient de lui un invité agréable pour les autres.
Mais pas pour l'Uchiha. En effet, il n'avait jamais participé à ce genre de réunions entre hommes, dans lesquelles le sujet principal était le sexe. Ainsi écoutait-il d'une oreille distraite les conseils que le singulier personnage donnait à Naruto – tout ouïe – en vue de combler son épouse, tandis qu'il tentait d'engager la conversation avec l'Hokage et lui confier ce qu'il avait appris sur Kaguya durant son voyage. En vain :
— Demain, Sasuke. Demain, soupira Kakashi, sans quitter des yeux son bouquin.
Le livre semblait traiter de liberté et d'aller on-ne-sait-où. Un ouvrage certainement bien ennuyeux selon Sasuke, dont le titre lui paraissait obscur : « Trois petits libertins et puis s'en vont ». Un truc philosophique sans doute, pensa-t-il.
— Tu t'y fais à ton nouveau bras ? lui demanda Naruto.
— Oui, répondit Sasuke.
— Tu te l'es fait greffer quand ? interrogea Saï.
— Il y a six mois, précisa-t-il.
— Ouais, c'est quand il est revenu chercher Sakura pour partir en lune de miel ! ajouta le blond, déjà un peu ivre, avant de s'esclaffer.
— Tu es marié ? s'enquit l'Ancêtre.
L'intéressé l'informa du contraire par un simple « non », le visage fermé, et avala une gorgée de liqueur.
— Pas marié, pas causant et il fait la gueule. Ça doit être la joie avec lui au plumard, reprit-il, sarcastique. Sa petite copine aurait plus d'émotions en se plantant un kunaï dans le pied.
— Faut se mettre à sa place, vieillard ! lança Naruto, en plaisantant. Ça fait deux mois qu'il a pas vu sa chérie. Il est impatient de la revoir. Il a même acheté des fringues neuves et s'est fait égaliser la tignasse pour l'occasion.
— Ah ! D'accord ! s'exclama le quinquagénaire. Ça va être la fête cette nuit, dans ce cas. Il va dépoussiérer le matelas !
Ce dernier fit ensuite un sous-entendu graveleux quant au fait que la demoiselle aura évidemment eu recours à un moyen pour se satisfaire en solitaire, en attendant le retour de son compagnon. Toute l'assemblée s'amusa de cette allusion à la masturbation, sauf Sasuke, qui ne pipa mot ; absence de réaction que le cinquantenaire remarqua sur-le-champ. Celui-ci se leva soudain, se pencha vers l'ancien déserteur en posant ses mains sur la table et planta ses iris dans ceux du jeune homme. L'Uchiha fixa sans ciller son vis-à-vis et lâcha un « quoi ? » devant cette inspection minutieuse.
— Hum… Pas de trace d'agacement alors que je parle de ton amie dans ces termes, commença l'Ancêtre, je vois... En fait, tu n'as rien compris à ce que je disais. Toi, tu n'as jamais emballé ni tripoté une femme de ta vie, conclut-il en se rasseyant.
Il nota séance tenante la légère surprise de Sasuke, et les minuscules rougeurs apparues sur ses joues.
— Ah ! Je m'en doutais, continua-t-il, je repère les puceaux assez rapidement.
— Arrête, l'vieux ! dit Naruto en riant.
— Le vieux, il a passé dix ans à tenir un bordel. Je sais de quoi je parle, gamin.
— Mais non ! Mon pote est parfois lent à la détente, mais tout de…
L'Uzumaki se tut en découvrant une discrète gêne sur le visage de son meilleur ami. Il écarquilla les yeux et, désinhibé par l'alcool, s'écria :
— Sasuke… Sérieux ? T'as jamais rien tenté du tout ? Vous avez fait chambre à part pendant quatre mois ou quoi ?
— M'est d'avis que la chose la plus osée que ton camarade ait pu faire, c'est se foutre dans le lit de sa gonzesse tout en restant carrément à l'autre bout du plumard. Crois-moi, des gars comme lui, j'en voyais défiler dans mon établissement.
Le brun n'apprécia pas la remarque, bien qu'elle fût presque exacte. Sakura et lui avaient dormi dans la même chambre dans des auberges, mais chacun sur son matelas, sauf la veille de son départ.
Tandis que l'ancien tenancier d'une maison close en profitait pour raconter des anecdotes sur le dépucelage de ses ex-clients, Sasuke se remémora sa dernière nuit avec la jeune fille.
En son for intérieur, il estimait à cette époque qu'elle serait certainement sa future femme, et il avait voulu lui faire entendre qu'ils étaient désormais en couple, avant qu'elle ne partît assister au mariage de Naruto.
Il se souvenait parfaitement de la soirée où il avait fait une approche. La semaine durant, il s'était longuement questionné sur une manière de lui montrer son attachement, de lui témoigner son souhait de franchir une nouvelle étape dans sa vie d'homme.
En sortant de la salle de bain, ce soir-là, il était toujours en train de réfléchir à la meilleure façon d'y parvenir, n'étant définitivement pas à l'aise sur le sujet, jusqu'à ce qu'il réalisât que sa partenaire était déjà couchée. Elle était dos à lui, cependant, la simple vue de ses épaules et des autres parcelles de sa chair nue, que son débardeur rouge ne cachait pas, l'avaient fasciné. Sa peau lui avait paru si fine, si douce. Son regard avait alors coulé vers ses hanches recouvertes d'un drap. Leurs formes généreuses dégageaient une sensualité qui l'avait indisposé, tant cela éveillait chez lui un vif désir. Il avait eu envie d'elle pour la première fois.
Il s'était lentement dirigé vers elle. Le garçon se rappelait encore de la respiration saccadée de celle-ci quand il avait doucement soulevé son drap et s'était étendu derrière elle, à quelques centimètres de son corps. Sa pudeur l'avait empêché d'agir autrement : partager l'oreiller et le futon de Sakura, sans la toucher, était amplement révélateur de ses intentions, selon lui. Message qui était vraisemblablement passé. Le lendemain, son équipière lui avait proposé de dormir chez elle à son retour puisqu'il n'avait plus de logement au village, tout en lui confiant un double des clefs de son appartement ; à sa plus grande satisfaction.
— Oh ! L'petiot ! Tu m'écoutes ? brailla l'Ancêtre à Sasuke, l'arrachant à ses pensées.
— Quoi ?
— Comment ça se fait que tu avances comme un escargot avec ta p'tite copine ? À ton âge, j'étais l'amant d'une femme mariée.
— En fait… tu ne sais pas t'en servir, c'est ça ? se moqua gentiment Saï.
L'humiliation fut complète lorsque son remplaçant dans la Team 7 eut le culot de lui dire cela. Il était temps de songer à partir, au risque d'avoir des idées noires de genjutsu.
— Je suppose qu'elle est pucelle, elle aussi ? s'enquit le quinquagénaire.
— Ça ne vous concerne pas, rétorqua le brun.
— Bon, je vais t'éclaircir, petit, parce qu'avec une pucelle, faut pas y aller comme un manchot.
L'Uchiha se leva subitement, formula quelques fausses excuses et s'apprêtait à les quitter quand Naruto l'interpella sans se retourner de la table. D'une voix dénuée d'entrain, presque froide, le blond lui lâcha :
— Déjà que t'étais pas là à mon mariage, je te trouve gonflé de te barrer maintenant. Et c'est pas la mort d'avoir des conseils d'un mec expérimenté. Tu vas t'en remettre. Pense à Sakura. Alors ravale ta fierté et reviens t'asseoir.
Et il avait raison. Sasuke distinguait également de la peine dans le ton employé par son camarade. Il soupira. L'heure suivante ruinerait son amour-propre, il le savait, mais son meilleur ami méritait ce sacrifice. Il ne voulait plus le blesser.
— Ah ! Tu deviens raisonnable ! s'exclama l'Ancêtre en le voyant se rasseoir. Bon ! On va commencer par les bases.
Sur ces mots, le singulier personnage jeta un coup d'œil au livre de Kakashi et le pria de le lui prêter, ce que l'Hokage accepta. L'ancien déserteur découvrit ainsi le contenu pornographique de ce qu'il avait cru être un ouvrage philosophique, lorsque son formateur sexuel improvisé lui fit la lecture d'un passage des plus licencieux. Celui-ci décrivait une femme qui se masturbait tandis que son amant la pénétrait avec vigueur.
Ledit formateur sortit ensuite un calepin et un crayon de sa sacoche, et se mit à dessiner un sexe féminin. L'horreur fut à son comble pour Sasuke, quand le vieil homme lui expliqua où était le clitoris ; comment s'en servir afin de faire jouir Sakura ; quelle position s'y prêtait le mieux ; comment repérer l'orgasme à venir de sa compagne et autres détails, tout en lui demandant de répéter ses recommandations dans le but d'être certain qu'il retenait bien la leçon.
Le restaurant avait beau être pratiquement vide et les témoins peu nombreux, le brun accusait difficilement ses adieux à sa dignité. Naruto l'acheva en jubilant, admiratif :
— T'es trop doué en dessin, l'vieux ! Putain ! On te devra une fière chandelle ! Pas vrai, Sasuke ? lança-t-il joyeusement en le tapant dans le dos.
L'Uchiha manqua de recracher son verre de liqueur qu'il venait d'avaler d'une traite. Il aurait presque souhaité s'étouffer avec, tant la situation était embarrassante. Son calvaire ne faisait que débuter.
Kakashi regarda son ex-élève avec compassion, devinant aisément l'épreuve que cela devait être. Néanmoins, l'Hokage jugeait qu'il était grand temps que ce dernier en apprît un peu plus sur les choses de la vie… au moins pour le bonheur de Sakura. Et il était ravi de ne pas être son instructeur, sur ce point. Il récupéra son livre et continua sa lecture.
oOo
Sakura était recroquevillée sur son matelas. Sasuke lui manquait terriblement. Après avoir passé quatre mois avec lui, huit semaines sans le voir étaient une souffrance. Depuis son départ, elle n'avait eu aucune nouvelle. Il avait pourtant son adresse. Il aurait pu envoyer une lettre. Elle ne savait pas où il était ni le jour où il reviendrait. Allait-il seulement revenir ? Les doutes l'envahirent. Peut-être avait-elle paru trop cavalière en lui proposant de dormir chez elle. C'est sûrement ça, songea-t-elle. Elle avait fait cette proposition sous l'impulsion. Il s'était couché la nuit d'avant dans son futon. Elle avait espéré alors… qu'il m'aimait, pensa-t-elle. Mais pas suffisamment pour lui donner signe de vie, vraisemblablement. Certains hommes fuyaient les femmes trop entreprenantes. Elle aurait dû deviner que Sasuke en faisait partie, d'autant plus de par son vécu.
— Merde… J'ai tout gâché, murmura-t-elle.
Elle ne savait plus de quelle manière agir avec lui dans l'intimité une fois la guerre terminée, au contraire du temps de la Team 7. C'était pour cette raison qu'elle n'avait fait aucune approche durant ces quatre mois en sa compagnie. Elle n'avait pas voulu s'imposer ou paraître ennuyeuse. Elle avait donc tout fait pour le faire rire, l'amuser, le remercier d'être revenu la chercher. Elle s'était comportée naturellement. Mais, au fond de son cœur, elle avait crevé d'envie qu'il lui prît la main et la prît dans ses bras. Un contact physique. Juste un. Un simple contact, peau contre peau. Et elle avait attendu un signe. Quelque chose, n'importe quoi. Ainsi, la nuit où il s'était glissé dans son lit, elle avait eu apparemment le tort de considérer cela pour acquis. Certes, il ne l'avait pas touchée. Mais elle avait cru que cet acte révélait ses intentions jusque-là dissimulées. Elle s'endormit le cœur triste et, malgré son chagrin, fit un rêve érotique.
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À la sortie du restaurant, Sasuke s'appuya d'une main sur le mur de l'établissement, le buste penché en avant, accablé par la honte.
— Plus jamais tu me fais ce coup-là, Naruto, soupira-t-il.
— Merci d'être resté. Je sais que ta fierté a pris une claque, mais ça m'a fait vraiment plaisir de passer du temps avec toi.
Le brun se redressa et vit son ami afficher un franc sourire. Il comprit l'importance que cela avait été pour Naruto de partager ces moments avec lui.
— Et puis, ta tronche était impayable quand l'vieux te parlait de cul ! J'aurais loupé ça pour rien au monde ! reprit-il.
— Ferme-la, idiot, dit-il en souriant.
— Par contre, tu ferais bien d'accélérer avec Sakura, continua le blond sur un ton plus sérieux. Tu l'as fait assez attendre.
L'Uchiha regarda son camarade sans mot dire et acquiesça en hochant la tête. Ils se quittèrent en se fixant rendez-vous le lendemain, dans le bureau de l'Hokage.
En se dirigeant vers le lieu où vivait Sakura, Sasuke se remémora les conseils et les avis donnés par l'Ancêtre. Malgré tous les arguments de celui-ci, il voyait mal la jeune fille s'adonner à la masturbation. Ce n'était pas conforme à l'image qu'il avait d'elle. Il réalisa soudain qu'il la percevait presque dépourvue de sexualité – ce qui était ridicule, il en convenait. En songeant à cela, il se la figura en train de se livrer à l'onanisme, et l'excitation que cela lui procura le mit mal à l'aise.
— Mais à quoi je pense, moi ? chuchota-t-il, en se passant une main sur le visage.
Arrivé devant l'habitat de son ex-équipière, il tourna doucement la clef dans la serrure et entra à pas de loup. Il déposa ensuite son sac de voyage et ôta ses chaussures dans le silence le plus complet. Elle devait sûrement dormir à cette heure. Il chercha à tâtons l'interrupteur, alluma la lumière, et détailla l'intérieur chaleureux de l'appartement de la demoiselle. Le logement n'était pas grand, mais confortable, tel qu'elle le lui avait décrit : un salon, une cuisine, une salle de bain, une chambre. Il sourit de nostalgie en distinguant la photo de la Team 7 originelle accrochée à un mur. Ses prunelles s'arrêtèrent sur la porte entrouverte de la chambre. Il éteignit la lumière, ne souhaitant pas réveiller Sakura.
Tandis qu'il marchait discrètement dans le couloir pour la rejoindre, il se décida à l'enlacer lorsqu'il s'allongerait à ses côtés. Cette approche serait sans équivoque. Il veillerait néanmoins à ne pas se coller à son corps, par crainte qu'elle sentît une érection qu'il aurait inévitablement. Il stoppa cependant net ses réflexions en jetant un coup d'œil dans la pièce. Il fut un instant stupéfait, se demandant si l'alcool ingurgité dans la soirée ne lui jouait pas un vilain tour ou si sa vue ne lui faisait pas défaut. Ses doutes dissipés, il ne put qu'observer une scène particulière, éclairée par les rayons de la pleine lune à travers la fenêtre. Et en entendant le murmure de son prénom, sa figure devint cramoisie pour la première fois de sa vie.
Sakura… sa Sakura était en train de se masturber en pensant à lui, semblait-il. Elle était étendue sur son lit, paupières closes, la nuisette relevée jusqu'à la taille et une main glissée dans la culotte. Elle n'avait absolument pas conscience de sa présence. Le garçon n'osa plus bouger. Puis, quand elle atteignit la jouissance, il retint sa respiration. Le petit gémissement de plaisir qu'elle poussa fut si érotique, si agréable à ses oreilles, qu'il garderait ce son à jamais gravé dans sa mémoire. L'orgasme fini, elle remua un peu sur le matelas et s'endormit.
Sasuke la contempla une minute, immobile, ne sachant de quelle façon agir. La situation était affreusement gênante. S'il réveillait la jeune fille en se couchant auprès d'elle, elle repérerait sur-le-champ son profond embarras en lui parlant. Pire : si elle avait la mauvaise idée d'allumer la lampe de chevet, elle devinerait immédiatement son trouble rien qu'en le dévisageant. Il se résolut à passer la nuit sur le canapé, ne désirant pas qu'elle découvrît son émoi, et eut quelques difficultés à trouver le sommeil. Mais son repos fut de courte durée en entendant Sakura se lever.
— Sasuke ? Tu es là depuis combien de temps ? s'enquit-elle, surprise, en allumant la lumière.
À l'écoute de sa voix, il sentit le rouge lui monter à nouveau aux joues. Il n'ouvrit pas les yeux et lui tourna le dos, afin qu'elle n'en vît rien. Il feignit d'être encore à moitié assoupi.
— Tu veux que je t'apporte une couverture ? reprit-elle, doucement.
Il marmonna un « non », sans changer de position. Ce qu'elle assimila à de la distance permettait en réalité à l'Uchiha de soustraire à sa vue son malaise.
— Ah… D'accord, répondit-elle, confuse. Désolée de t'avoir réveillé.
— Mmh…
Sakura fila dans la salle de bain sans en attendre davantage. Après être allée aux toilettes, elle se lava les mains tout en fixant son reflet dans le miroir au-dessus du lavabo. Les traits de son visage étaient marqués par la tristesse. Ce n'était pas ainsi qu'elle avait rêvé de leurs retrouvailles. Elle avait également cru qu'ils dormiraient ensemble, désormais, et avait même remplacé son vieux lit une place par un lit double. En vain : il avait préféré le canapé à sa couche.
— Qu'est-ce que je suis conne, murmura-t-elle.
Elle se fustigea d'avoir autant espéré et imaginé des scénarios romantiques avec lui. Que s'était-il produit durant son absence ? Avait-il… rencontré quelqu'un ? Cette idée ne lui inspira que du chagrin. Et en repensant au ton glacial du garçon, elle fondit en larmes. Elle laissa l'eau couler dans le but de couvrir le bruit de ses pleurs.
Lorsque la demoiselle sortit de la salle d'eau, elle fut étonnée de ne plus voir son compagnon dans le salon. La crainte qu'il fût parti l'envahit ; elle éprouva un intense pincement au cœur. Séance tenante, elle chercha des yeux une trace de sa présence et soupira de soulagement en discernant ses chaussures à l'entrée de son appartement.
— Sasuke ? l'appela-t-elle.
Pas de réponse. Ce fut finalement dans sa chambre et dans son lit qu'elle le découvrit.
— Allume pas la lumière, je dors, bredouilla-t-il.
Sakura ne sut comment interpréter son comportement. Elle ne le comprenait pas. Il n'avait donné aucun signe de vie ces deux derniers mois ; il avait choisi la banquette à son lit en débarquant chez elle en pleine nuit ; il était froid avec elle ; il lui avait à peine adressé la parole et voilà maintenant qu'il était torse nu sous ses draps. Non, elle ne le comprenait définitivement pas. Soit il avait opté pour son matelas moelleux à l'inconfort du canapé, soit il tentait une approche. Elle secoua brièvement la tête, se forçant à cesser ses interrogations. Peu importait, car elle fut ravie de s'allonger à ses côtés.
Aux premières lueurs du jour, Sakura s'éveilla et se tourna vers son compagnon. Elle sourit en le voyant plongé dans un sommeil serein. Elle nota qu'il s'était fait couper les cheveux, rendant sa coiffure plus harmonieuse. C'était la première fois qu'elle pouvait le contempler dormir d'aussi près. Elle posait sur lui un regard rempli d'amour, quand, subitement, il ouvrit les paupières et planta ses iris dans les siens.
— Qu'est-ce qu'il y a ? chuchota-t-il.
— Rien ! Je… Non, rien, dit-elle en bafouillant.
Elle se retourna, rouge de honte de s'être fait surprendre de la sorte. C'était particulièrement gênant. Elle le sentit alors bouger et se coller soudain à son dos, tout en passant un bras autour de sa taille. Son cœur s'affola en percevant son souffle dans sa nuque, le contact de son torse et sa main contre son ventre. C'était excitant, enivrant. Sa respiration s'accéléra à l'instant où il déposa un baiser sur son épaule gauche.
— Il est trop tôt pour se lever. Dors, lui murmura-t-il tendrement.
Ce ne fut que bien des années plus tard qu'il lui avoua la raison de son comportement, cette nuit-là.
À suivre…
