C'était étrange. Yuma n'était certes pas matinal, mais il avait pris sur lui pour se forcer à s'extraire du lit le plus tôt possible depuis le début de la guerre, et Niles était toujours allongé à ses côtés lorsqu'il ouvrait les yeux. D'ordinaire, l'iris bleu foncé de son époux se serait plongé dans ses prunelles rouges, et un sourire à la fois tendre et carnassier se serait étiré sur la belle peau hâlée du voleur comme il aurait salué son réveil par une phrase suave et souvent à double sens, comme par exemple "Quel dommage que vous vous réveilliez déjà, j'avais trouvé mille façons bien plus agréables de vous tirer du sommeil..." ou encore "C'est maintenant que vous ouvrez les yeux ? J'espère que ce n'est pas tout ce que nous avons fait hier qui vous a épuisé à ce point...". Yuma sourirait en rabattant l'un de ses bras sur ses yeux pour chasser les dernières bribes de sommeil qui collaient à ses cils, puis il se serait tourné sur le côté pour presser ses lèvres contre celles de Niles, qui aurait tôt fait de glisser amoureusement sa langue dans sa bouche et de l'attirer plus près de lui en entortillant ses doigts dans ses épais cheveux blancs. Ils se seraient embrassés comme ça pendant de longues minutes, avant que Yuma ne roule hors du lit pour échapper aux mains cajoleuses de son mari, qui l'encourageaient à rester allongé entre les draps avec lui afin qu'elles puissent poursuivre plus avant l'exploration de son corps. Parfois, Yuma ne parvenait pas à s'extraire des bras amoureux de Niles du tout, et résultat des courses, ils se levaient très en retard et le jeune prince, tout rougissant, devait affronter les regards qui narquois, qui embarrassés, de ses frères et sœurs.

Mais enfin, cela ne risquait pas d'arriver aujourd'hui, puisque Niles n'était pas là. Yuma soupira, déçu, et demeura une minute allongé sur le dos à s'étirer paresseusement avant de rouler hors du lit. Il se vêtit, se rinça le visage dans le récipient d'eau claire qui trônait sur une commode à l'autre bout de la chambre et sortit. Le château avait déjà commencé à s'animer, leurs alliés circulaient dans la cour, certains étaient déjà en train de s'entraîner près des murailles, les autres bavardaient tranquillement en se rendant à leur activité suivante. Yuma traversait la cour pour se rendre au mess lorsqu'une boule d'énergie aux couettes blondes et mauves lui bondit dessus et s'enroula autour de sa taille, le serrant de toute la force de ses petits bras en gazouillant :

"Grand frère, coucou !

-Bonjour, Élise, lui répondit le jeune prince en souriant. Tu as bien dormi ?"

Il était toujours heureux de voir ses frères et sœurs, et ce matin ne faisait pas exception.

"Très bien ! J'ai fait un rêve vraiment super, dans lequel on était tous les cinq, Xander, Camilla, Léo, toi et moi, sur une immense plage déserte, sauf que le sable était un champ de fleurs et que le ciel était violet -comment a-t-il pu savoir que c'était ma couleur préférée ?-, mais heureusement il y avait toujours la mer, alors toi et moi...

-Élise, se plaignit une voix masculine toute proche, cesse un peu de soûler tout le monde de ton bavardage si tôt le matin !

-Mpfh ! Ce n'est pas à moi qu'il faut t'en prendre si tu es de mauvaise humeur parce que tu n'as pas eu des neuf heures de sommeil cette nuit, Léo, bouda la petite princesse en lançant un regard farouche au benjamin de ses frères. Et d'abord, figure-toi que mon bavardage n'importune pas Yuma ! Pas vrai, Yuma ?

-Bien sûr, lui assura l'interpelé, amusé. J'aime toujours écouter tes histoires, Élise. Et ne sois pas trop fâchée contre Léo parce qu'il s'est levé du mauvais pied ce matin.

-Evidemment, c'est toujours contre moi qu'on se ligue, râla le persécuté. Vous ne seriez pas de meilleure humeur que moi si vous aviez été réveillé en plein milieu de la nuit et que vous n'étiez pas parvenu à vous rendormir avant l'aube !"

Yuma fut tenté de taquiner son petit frère, mais une voix douce et attendrie le devança :

"Oh, mon petit Léo, il aurait fallu que tu me le dises ! déplora Camilla en s'approchant d'eux, accompagnée de Xander. Je t'aurais préparé une bonne tisane bien chaude et je t'aurais chanté des chansons pour t'aider à te rendormir !"

Léo rougit comme une pivoine et tenta de mettre un terme à l'embarrassante situation :

"Arrête, Camilla ! Ne parle pas si fort ! Tout le monde va t'entendre !

-Il n'y a pas de honte à avoir, tu sais, fit valoir la grande sœur en parlant encore plus fort. C'est de ton âge d'avoir des nuits agitées.

-Camilla !"

Léo semblait maintenant sur le point de se consumer de honte. Et les gloussements étouffés de Yuma et d'Élise, ainsi que le sourire amusé de Xander, ne l'aidaient pas à se sentir moins ridicule.

"Ne t'inquiète pas, Léo, je plaisante, sourit Camilla, consentant à mettre un terme à son calvaire.

-Pourquoi êtes-vous tous toujours en train de vous moquer de moi ? marmonna le troisième prince de Nohr, vexé.

-Parce qu'on t'aime, mon frère, répondit affectueusement Xander, qui ouvrait la bouche pour la première fois depuis le début de la conversation. Mais trêve de plaisanteries, trancha-t-il en reprenant son air sérieux. Nous devrions aller prendre le petit-déjeuner. N'oubliez pas que nous partons dans deux heures."

La petite famille se mit en marche ensemble vers le mess.

"C'est presque la première fois depuis le début de la guerre que nous prenons le petit-déjeuner tous ensemble, s'aperçut Yuma avec étonnement."

Il aurait été normal que toute la fratrie prenne ses repas ensemble, mais les diverses obligations et activités des uns et des autres faisait que, somme toute, ils ne se retrouvaient pas si souvent que ça tous ensemble autour d'une table. Yuma le déplora. Comment leur famille pouvait-elle rester aussi soudée dans l'adversité s'ils se fréquentaient si peu en-dehors du champ de bataille ? Il se promit de consacrer davantage de temps à ses frères et sœurs, ne serait-ce que pour bavarder un instant ou même ne rien faire du tout. Quoi qu'il imaginait mal ses frères rester là à bâiller aux corneilles.

Ils pénétrèrent dans le réfectoire et prirent place à l'une des longues tables poussées contre les murs. A la table voisine, Mozu décrivait timidement l'une des recettes qui faisait la fierté de sa famille à une Peri férue de cuisine très intéressée, et Arthur essayait, à grands renforts de bras qui firent choir une carafe sur le sol, d'exposer à Félicia l'une de ses stratégies pour "se soustraire gracieusement aux bras trop amoureux de la malchance". La famille royale de Nohr s'installa et se régala de tranches de pain complet recouvertes de beurre ou de la confiture faite avec les baies qui poussaient dans la cour du château. Ils burent de grands verres de lait tout en discutant tranquillement les uns avec les autres. Xander et Léo conversèrent du festival d'automne qui approchait, jusqu'à ce que l'aîné se tourne vers Yuma pour l'entretenir de la qualité exceptionnelle d'épées qui avaient attiré son attention dans une boutique voisine; Camilla et Élise débattaient sur la meilleure façon de gracier un ennemi sans paraître trop condescendante, puis de la formation de certains types de nuages avec Léo.

Une fois le petit-déjeuner expédié, la famille royale laissa le soin à Séléna et Kaze, qui étaient de corvée nettoyage des tables et vaisselle, de débarrasser les couverts et chacun retourna vaquer à ses occupations en attendant l'heure du départ. Xander, Yuma et Léo étudièrent une nouvelle fois sur la carte la route qu'ils devaient emprunter et les différentes stratégies à adopter en cas de bataille, tandis qu'Élise s'éloignait pour vérifier l'état des quelques bâtons de soin qu'il leur restait et que Camilla allait faire quelques passes d'armes avec Effie, la vassale et meilleure amie d'Élise, pour s'échauffer en cas de bataille et se tenir prête à découper en tranches tous ceux qui auraient l'audace de s'en prendre à sa famille sur la route.

C'était une matinée ordinaire, au château mystérieux perdu dans un plan astral qui abritait l'unité d'élite du royaume de Nohr. Chacun vaquait à ses occupations et faisait consciencieusement sa part des tâches quotidiennes auxquelles tous devaient participer. Ceux qui souhaitaient affiner leur entrainement s'entraînaient, ceux qui avaient du temps libre pour flâner se détendaient, et ceux qui ressentaient l'envie ou le besoin de retourner dans leur réalité pour se promener ou faire n'importe quoi d'autre quittaient le plan astral. Ils savaient, tous autant qu'ils étaient, à quelle heure ils devaient être de retour au château pour se mettre en route vers l'objectif suivant. C'est pour cela que Yuma ne s'inquiéta pas de l'absence de Niles, pas plus que Léo qui pourtant l'avait comme vassal. Mais à l'heure de se rassembler dans la cour, les deux frères échangèrent un regard déconcerté. Ils firent de nouveau le tour des soldats amassés face à Xander, qui leur rappelait les directives de la journée, scrutèrent soigneusement chaque visage, chaque centimètre carré de terrain, mais rien n'y fit. Ils se retrouvèrent à l'arrière de la foule et échangèrent quelques mots, avant que Yuma ne quitte la place en courant pour gagner ses quartiers privés. Il grimpa à l'échelle pour rejoindre sa chambre dans les arbres, poussa la porte, fouilla la pièce, mais là encore, il fit chou blanc. Décontenancé, il se dépêcha de rebrousser chemin et regagna le rassemblement des soldats, qui le fixèrent tous en silence quand il arriva sur les lieux. Visiblement, Xander avait fini son débriefing et, mis au courant par Léo qui se tenait à ses côtés, le regard confus, il darda ses yeux sur le visage de son frère en attente d'une réponse.

"Il n'est pas dans nos quartiers privés non plus, lui apprit Yuma, qui ne savait pas quoi ressentir -inquiétude ou mécontentement ?."

Xander fronça les sourcils. Cette nouvelle le contrariait visiblement, mais ils n'avaient pas le temps d'attendre.

"Yuma, tu sais comme moi que nous devons partir maintenant si nous voulons éviter toute confrontation inutile avec une patrouille hoshidienne, rappela-t-il.

-Je le sais, Xander, soupira son frère. Et tu as raison. Nous ne pouvons pas nous permettre de l'attendre. Nous devrions nous mettre en route. Il a sûrement été retardé."

Le prince héritier hocha la tête en silence et laissa à Yuma, le véritable chef de l'armée, le soin de prendre la tête des troupes. Ce que le jeune homme fit, le coeur lourd. Il s'efforça de ne pas y penser, cependant. Leur unité d'élite avait besoin de lui. Ce n'était pas le moment de se mettre à rêvasser. Niles avait très bien pu rencontrer un obstacle sur le chemin du retour, ou avoir perdu la notion du temps. Le voleur savait se débrouiller tout seul, de toute façon. Mais il n'empêche, la soudaine et incompréhensible disparition de son époux l'inquiétait.

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[Certes, c'est court. Pas de panique, les suivants seront beaucoup plus longs. Celui-ci est un chapitre d'introduction, il m'a servi à poser le cadre et lancer l'intrigue de la fanfic, et je ne pouvais pas aller trop loin. D'autant plus qu'il va falloir que je travaille le scénario, vu que je n'ai pas encore toutes les étapes en tête, ni même, je l'avoue, une grande partie de l'histoire. Ça risque de prendre du temps. Aussi, je vous encourage à me laisser savoir ce que vous en pensez, d'autant plus que je travaillerai sur deux autres fics (pour Dragon Quest IX et pour Yu-Gi-Oh !) en parallèle à celle-ci, plus des OS sur Night Head Genesis, alors franchement, si personne n'est emballé par ce projet, je risque de le garder de côté. Oh, je le continuerai (j'ai besoin de pluuuus de yaoi Yuma x Niles et d'amour fraternel de Nohr !), mais ce sera peut-être en marge par rapport aux autres. Ou peut-être pas. Sur ce, tchousse !]