Disclaimer : Rien ne m'appartient, gna gna gna, tout appartient à un japonais au nom imprononçable, gna gna gna, etc ...
Rating : K+ Non, je n'aime pas écrire les lemons, donc vous vous contenterez de quelques allusions et de beaucoup de poésie.
Pairing(s) : Miyagi You/Takanashi(?) Shinobu (Terrorist, quoi.)
Note : Ceci est un UA. Il se peut également que les personnages soient légèrement OOC. Déconseillé aux homophobes (qui n'ont d'ailleurs rien à faire sur ce fandom), aux amateurs de fluff et de happy ends, bien que cette partie se finisse bien. Ce qui nous amène à l'information suivante : ceci est un three-shots, c'est à dire une histoire en trois chapitres. Enjoy =)
Note 1 : A pirate's story est à l'origine une fic-cadeau pour Kiranagio (dont je vous recommande chaudement les écrits, et surtout sa fiction Le Carnet) à l'occasion des fêtes de Noël : joyeux Noël à toi, donc, Kiranagio, malgré le retard, et j'espère que tu aimeras!
Ultime confidence
Miyagi You n'était pas un citoyen comme les autres. Il fumait beaucoup -trop, d'aileurs, Kamijou le lui avait toujours reproché-, buvait beaucoup également, n'avait aucun respect pour les lois préétablies, malmenait à tout va les pratiques traditionnelles et était homosexuel -pratique, rappelons-le, punie de mort par l'Empereur et ses sbires-. Pour ne rien arranger, il était aussi athée, ne se vouait à aucun culte, consommait toutes sortes de substances plus ou moins illicites, aimait la littérature et possédait le bateau le plus rapide de tout de le Japon.
Miyagi You n'était pas un citoyen ordinaire, et pour cause : c'était un pirate.
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La bataille avait commencé en début d'après-midi. Rien que du très normal : beaucoup de pirates armés qui s'appliquaient à essayer de se tuer par tous les moyens possibles, allant du couteau au canon, les visages déchirés de cicatrices serpentines. Il avait été décidé que le Capitaine ne sortirait que pour la fin du combat, puisque c'était une petite bataille et que les assaillants ne seraient pas bien difficiles à défaire. Cela avait finalement pris un peu plus de temps que prévu, mais le Capitaine ne sortait pas. "Qu'on me garde les beaux morceaux", avait-il ordonné de son habituel ton rêveur et indifférent. Puis il était retourné dans sa cabine. Ce qui expliquait pourquoi on entendait L'Hiver de Vivaldi en arrière plan du combat. Les trilles rythmaient la parade.
Accoudé à sa fenêtre, le Capitaine laissa tomber dans les flots la cendre de sa cigarette. Elle grésilla un instant sur les miroirs liquides, puis coula.
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Il se battait les sourcils froncés, comme toujours, les pointes effilées sur le côté comme un diablotin vengeur. Son long katana à la main, il virevoltait comme un danseur de ballet classique, les dents serrés, enveloppé de son manteau or et azur. Il avait plutôt fière allure, un air de satyre virevoltant, rageur, dents serrés mais toujours élégant dans sa manière de combattre, sur le fil, en arabesques dansantes. C'était sans conteste celui qui faisait le plus de dégâts parmi les hommes de L'Esperanza : si sa technique n'était pas parfaite, il compensait largement ses manques en furie meurtrière. Ainsi, quand il arriva qu'il ne restât plus que lui sur le pont, le visage tâché de sang noyé dans une tempête de cheveux caramels, entouré de trois hommes lourdement armés, on jugea judicieux d'appeler le Capitaine, sinon à la rescousse, pour le spectacle. Le maître des lieux arriva donc sur le champ de bataille.
Cigarette entre les lèvres & regard absent, démarche aérienne.
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La première chose que pensa Shinobu en voyant le Capitaine fut : Quelle beauté. Altière, indifférente, suprême, une folie d'homme droit, lointain, décapité par la fumée de sa cigarette. La deuxième fut : Oh mon dieu! Quant à la troisième, il n'y en eut pas : il tomba évanoui entre les bras de son adversaire. Le Capitaine lança un regard glacial à la silhouette inanimée, et dit lentement :
-Amenez-le dans mes appartements.
Ses paroles résonnèrent dans le silence létal et parurent amener un semblant de ride sur le visage du jeune homme aux cheveux d'or.
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Le temps était au deuil. On pleurait les marins morts au combat, on offrait leurs dépouilles aux déferlantes, on faisait grise mine. Le temps semblait suivre les mornes pensées : une légère bruine donnait au bois cet aspect larmoyant et ce toucher spongieux; on ne se se languissait que des futons et de la cantine. La jonque traçait un chemin uniforme dans les grands pans de brume ; perdue dans l'immensité cotonneuse, elle semblait un grand monstre vaguement rougeâtre : sa lenteur lui donnait une beauté paisible et somnolente.
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Dans les appartements, Shinobu se réveillait doucement. Tandis qu'il reprenait peu à peu ses esprits, il réalisa qu'il était attaché : une corde entourait ses poignets et ses chevilles, et un bâillon comprimait ses lèvres. Il lui fallut un petit moment pour se rappeler de tous les évènements de la journée. Il jeta un coup d'œil à travers la pièce : une caverne de bois laqué sombre, aux murs recouverts de rayonnages, et au milieu de laquelle trônait un phonographe usé. Dans un coin, une table accueillait un service à thé et un livre posé, ouvert. Shinobu se retint de se lever pour y mettre un marque-page. Enfin, puisqu'il était attaché, il n'eut pas besoin de se retenir beaucoup. Enfin, à l'autre extrémité, entre le lit (occidental, haut avec des barreaux de cuivre) et une bibliothèque, un homme était debout, la chevelure balayée par les embruns, accoudée à une fenêtre. Les vents marins infiltraient dans la pièce une odeur froide de sel, mais il ne semblait pas s'en soucier. Vêtu d'un costume occidental noir, il laissait les éléments lui dessiner un sourire tordu de chair tirée. Il parut soudain sentir le regard du jeune homme sur son épaule, et se retourna. Il s'avança vers Shinobu en grandes foulées prédatrices et se pencha sur lui pour lui retirer son bâillon.
-Ne crie pas.
La couleur de ses yeux aurait pétrifié un aveugle.
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Des miroirs d'argent; des abysses infinis de mercure frigorifié. Une couleur comme on préfère ne pas en trouver : réellement effrayante, glacée jusqu'au fond de l'âme, qui menace et qui ment sans un sursaut. L'homme se redressa légèrement et lui enleva son bâillon d'un geste indifférent. Mais Shinobu n'était pas homme à se laisser impressionner : fidèle à lui-même, il fronça les sourcils et ordonna au pirate :
-Détachez-moi.
L'autre se contenta d'un haussement d'épaules :
-Tu ne t'échapperas pas?
Une fulgurance espiègle éclaira les yeux sylvestres de l'adolescent :
-Qui sait?
Le pirate eut un mince sourire qui sembla dénaturer son visage; puis il se leva, verrouilla la porte et plaça dans son costume et à sa taille un couteau et un long pistolet rutilant. Quand cela fut fait, il s'avança vers Shinobu et le détacha.
-Un peu de thé?
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-Oui, merci.
C'était un thé vert, Elephant bleu, au goût de réglisse, profondément noire et piquante, délicieux. Shinobu avala d'un trait le contenu de sa tasse et se brûla la langue. Le grand homme eut un mince sourire légèrement condescendant, comme s'il regardait d'un oeil amusé les balourdises d'un jeune enfant. Shinobu leva sur lui de grands yeux accusateurs, luxuriants. Puis, décidant de l'ignorer, il se remit à boire, plus doucement, en essayant de ne pas dévisager cet étrange pirate qui buvait à petites gorgées , les yeux perdus dans un ailleurs insondable.
-Qui êtes vous?
Le pirate secoua la tête comme pour chasser ses pensées et le petit sourire regagna sa place sur ses lèvres, frétillant et supérieur.
-Je ne sais pas ... Qui veux-tu que je sois?
La question en aurait dérouté plus d'un mais le jeune homme la balaya d'une arabesque de la main.
-Miyagi You. Ravi de te rencontrer. Je suis le capitaine de ce bateau.
Shinobu replongea la tête dans les effluves entêtantes de la tasse, songeur.
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Il était tard; l'océan lui-même avait rendu les armes et laissé le courant les mener sans encombres. Il était comme un grand plateau d'ombre sur lequel, évanescente, la jonque glissait avec des airs d'épave fantôme. Shinobu dormait sur le matelas d'une chambre inoccupée; sa conversation avec le Capitaine ne lui avait prit qu'une petite partie de l'après-midi, durant laquelle ils s'étaient présentés sans aller plus avant dans les détails. Shinobu ne savait toujours pas pourquoi le pirate le traitait avec tant d'égards .... peut-être bien qu'il était fou, cela n'aurait pas été étonnant. Pourtant, les autres marins lui obéissaient avec une telle déférence que l'adolescent se doutait bien qu'il avait du accomplir de grandes choses. Mais quoi? Il s'endormit sur l'image de deux pupilles d'argent incandescent.
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Une main secoua son épaule avec rudesse. Le jeune homme se redressa précipitamment et saisit son sabre d'un mouvement vif. L'homme devant lui eut un petit rire sombre.
-Pas de ça, gamin.
Shinobu se tourna vers lui pour apercevoir un grand homme ma foi assez comique. Une touffe de cheveux caramel, un visage si rouge que Shinobu pouvait presque voir de la fumée sortir de ses oreilles, et un livre sous le bras, ce qui lui donnait un air d'intellectuel totalement décalé. L'adolescent étouffa un rire. Il rirait moins en apprenant plus tard que cet homme était le second du Capitaine, Kamijou Hiroki, dont le surnom Kamijou le Démon correspondait à son caractère sanguinaire et restrictif. Il surveillait tous les marins d'un œil de lynx, sanctionnant chaque erreur, chaque faute, chaque incompréhension; et même le Capitaine n'échappait pas à sa houlette tyrannique. Sous sa direction, Shinobu dut s'habiller en vitesse ("Plus vite que ça!") et se diriger au pas de course à l'extérieur. Sur le pont, un soleil froid éclairait la scène; le Capitaine nettoyait amoureusement un long katana au manche bleu foncé, assis sur un tas de corde. Il ne bougea pas en les voyant arriver.
-Bonjour.
Sa salutation résonna étonnement clairement dans l'air.
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Clac. Clac. Clac.
Les katanas se croisaient avec de petites étincelles. Autour d'eux, les combattants semblaient mener leur propre danse intime, entre gigue épicée et tango. Ils n'étaient plus qu'une silhouette floue, une couleur traînante, une bavure dans l'air. L'œil qui essayait de les capter ne voyait d'une ombre déjà partie; celui qui essayait de les attraper tombait dans les rets de leur bataille sensuelle. Ils étaient deux faunes faits de cheveux et de tissus volage : une bête puissante et un insolent oisillon qui se tournaient autour sans relâche, sans rien s'infliger d'autres que de légère écorchures, comme par tendresse confidente.
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Tous s'étaient stoppés pour les regarder se battre, mais les combattants restaient les yeux rivés l'un sur l'autre, en quête de failles révélatrices. Le soleil dardait sur eux un même rayon ovale. Ils se battaient pour apprendre. Se scruter, se voler des petits bouts d'âme, s'enrouler dans les voltes de l'autre comme dans des liens rassurants. Quelque part, se battre créa entre eux une confiance formidable : la certitude que leur statut d'ennemis ne tenait qu'à la perversité du hasard. On hésita à les applaudir.
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Ils se tiennent debout face aux vagues comme deux phares, l'un trop frêle pour ne pas se faire manger par les vagues patibulaires, et l'autre bien droit, grand et sombre, fait de briques incassables et élevé sur son rocher d'indifférence. Ils ne disent pas grand chose, ça chuchote dans leur dos : une rumeur coulante qui se faufile entre les planches du pont pour aller s'enraciner sous leurs pieds. Mais ils sont hors d'atteinte : ce n'est pas qu'ils ne s'en soucient pas, mais ils sont si loin qu'une insulte hurlée ne les ferait même pas tressaillir. Ils se fondent dans le ressac, la marée les emporte, ils sont de grosses gouttes salées; la mer les traîne avec elle dans son onirique voyage. Ils rêvent.
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Le temps s'arrêta avant de recommencer à toute vitesse, et comme s'il voulait rattraper les minutes perdues en faisant le tour du cadran en un temps record, la nuit tomba alors que l'après-midi tirait à peine à sa fin. Miyagi resta de marbre face aux reproches de Kamijou quant au prisonnier; le second renonça face à son visage moucheté de piqûres grisâtres, imperturbable et fier. Le Capitaine invita Shinobu dans sa cabine pour manger.
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-C'est une tarte aux abricots.
Shinobu regarda avec avidité la pâte tendre sur laquelle reposaient, bien serrés les uns contre les autres comme des petits cœurs palpitants, les minuscules soleils délicatement orangés. Il tendit religieusement la main. Miyagi You eut un petit sourire amusé.
-Merci.
Il mangea avec précaution mais gourmandise, en s'arrêtant parfois pour humer un arôme ou savourer la sensation de fournaise caramélisée sur son palais. Miyagi le regardait en sirotant une tasse de café noir qui répandait dans la pièce son effluve oriental.
-Qu'est-ce que vous allez faire de moi?
Ses sourcils froncés lui donnaient une laideur presque surannée qui s'évanouit quand il enfourna dans sa bouche la petite cuillère ciselée. Miyagi articula lentement, comme s'il se parlait à lui-même :
-Je ne sais pas encore. Je ne garde pas de prisonniers, mais tu te bats bien ... je ne pense pas que tu pourras rejoindre l'équipage. Ils ne t'aiment pas ...
Il plongea ses pupilles dans celles de Shinobu.
-Mais tu comprends que je ne peux pas te larguer à la prochaine île ... Tu sais lire les cartes?
Pourquoi voulait-il à tout prix le garder sur ce bateau?
-Enfin ... nous parlerons de ça demain, veux-tu?
Il se leva pour actionner le phonographe. Il en sortit une vieille chanson de pirate. Le Capitaine ferma les yeux pour en retenir tout le suc.
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Condamnés à l'océan au vent qui mène le bal
Oubliés des honnêtes gens du dieu des cathédrales
Rien n'pouvant plus les sauver on peut traîner nos âmes
Des tropiques aux bas quartiers de Rotterdam.
Il chantonna le couplet doucement puis rouvrit les yeux et eut un petit sursaut en apercevant Shinobu qui le dévisageait. Il lui adressa un sourire dont l'adolescent n'aurait su dire s'il était désolé ou sincère, puis dit :
-Tu peux t'en aller si tu veux.
Comme s'il lui offrait la chance de lui échapper.
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Âmes damnées. N'étaient-il vraiment que ça? N'était-il vraiment que ça? La dernière bougie s'éteint avec un grésillement et un petit panache de fumée. Comme si le dernier train était parti. Plus de moyen de s'en aller, maintenant. Il faudrait rester jusqu'au bout. Jusqu'au matin?
-Tu ne t'en vas pas?
'Non'
-Ne t'en fais pas.
Il se sentait proche de ce grand homme voûté près du phonographe. Même ses yeux de mercure avaient une petite lueur triste.
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Au fond de la pièce il y avait un tableau : une figure austère devieux seigneur sanguinaire, la moustache dressé, l'air alerte et sévère sous son glacis de peinture écaillée. Ils les surplombait de toute sa superbe, et au bout de ses lèvres pincées semblait retentir un petit : "Tss tss ...". Presque attendri. La lune fondante renvoyait des petits rayons sur la garde de son sabre.
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Shinobu ne fut même pas surpris. Il ne s'y attendait pas, non : mais il ne fut pas surpris. Est-ce que cela lui sembla naturel, quelque part? Peut-être. Il savait que le Capitaine était homosexuel, pourtant. Ca ne lui avait rien fait de l'entendre. Kamijou avait lâché cela comme une confidence. C'était honteux, ce genre de choses? Shinobu s'était plu à imaginer un petit secret brindilleux, caché dans son cocon de coton moite.
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A force de chercher les brumes ou cacher nos erreurs
Nous gentilshommes de fortune de quoi avons nous peur
Plus du gibet d'Savannah que d'Satan et ses flammes
On préfère la mort du bras qui tient une lame
La voix continuait de chanter et le vieux monsieur de faire le voyeur désapprobateur. Dehors, la mer enflait et gonflait sa gorge verte et bleue, secouant les sirènes et les cachalots et délogeant les poissons-joyaux de leurs cavernes minérales. Shinobu n'avait pas repoussé le Capitaine quand il l'avait embrassé dans le noir. Ça ne semblait pas très important, d'abord, et puisque personne ne le saurait jamais il pouvait le dire, il avait trouvé ça plutôt agréable. Lui-même n'avait connu jusque là que de futiles amourettes. Il se savait appartenir à cette race des gens enflammés; les passions l'embrasaient de leurs magma voluptueux. Il le voyait bien, maintenant : cet homme-là était tout à fait le genre dont il pourrait tomber amoureux, et celui qui ne lui retournerait ses affections qu'en embrassades dévastatrices.
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Le Capitaine ne lui demanda pas un seule fois son consentement : il lui avait offert une porte ouverte sur le rai de lumière du couloir, quoi de plus? Il s'arrachèrent de petits gémissements réciproques dénués de pudeur, se mordirent partout, comme des animaux enragés et lascifs; ne se laissèrent pas un moment de répit : puisqu'il n'y avait pas de début, il n'y aurait pas de fin.
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Prêt à livrer mille batailles pour l'or du roi d'Espagne
Le pont témoin d'nos ripailles sait chaque fois que l'on gagne
Le rhum et le chant des hommes font briller les étoiles
Sur une gigue on fait les mômes on remet les voiles
La chanson avait quelque chose de prophétique. Leurs mains se glissèrent un peu partout, dans tous les recoins reculés et les cavernes chaudes; le magma réveilla ses ardeurs dans le ventre de l'adolescent. Derrière les hublots, la mer se fracassait sur le pont : de grands dragons cristallins brisaient leur échine sur les rampes de bois. L'élément déchaîné faisait un bruit d'enfer, et nos amants ne sentaient que sa fureur tangente sous leurs corps souffreteux.
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Le cap sur les mers du sud le temps nous en fait voir
On trouve not' lot d'solitude, de haine de désespoir
Tant pis pour la proie facile qui croise notre route
Une fille contre un droit d'asile, c'est c'que ça coûte.
Les mouvements de Shinobu avaient à la fois la candeur de l'enfance et la maladresse de la jeunesse; il bougeait dans une sorte de désordre inexpérimenté que l'autre rattrapait de ses mains immenses, calmement, pour le remettre en place après toutes ses contorsions. Shinobu était heureux que l'obscurité cache sa rougeur et ses sourcils -froncés, comme toujours, archés tantôt vers le haut, tantôt vers le bas, frémissants comme des queues de diable noiraud.
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Boum! Boum! Les coups de feu, c'était la mer et ses lampées brûlantes, c'était le petit volcan en éruption sous les draps, le monstre de tissu aux hennissements suggestifs qui se balançait d'avant en arrière et de haut en bas, respirait un grand coup et revenait à l'attaque, comme pour enfoncer le lit dans le sol. Les coups de feu c'était les deux évènement encastrés bien étroit, un galimatias suspect de vagues et de membres, qui se cachaient l'un l'autre, à grand renfort d'ondins et de coquillages. Il y avait aussi des éclairs, parfois : tout un spectacle maritime que les deux amants ignoraient avec empressement, enroulés qu'ils étaient dans leurs frasques libidineuses.
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C'était bon; très bon, un peu trop même, si l'on en croyait les normes de ce bout d'humain. Ça faisait un truc étrange dans le corps, une sorte d'incendie qui mêlait tous les organes dans une bouillie pulsante. Ça flambait de partout, dedans et dehors : et ça sortait de tous les côtés, en sueur, en liquide blanchâtre et juteux comme un cœur d'abricot, en cris, en larmes ... tout un capharnaüm de sécrétions, il faut le dire bien agréables.
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Miyagi aussi avait l'air d'aimer. Sa figure était un peu contractée, comme dans un grand effort, mais il se tenait au dessus de Shinobu comme un rapace triomphant; mouvant entre les jambes écartées de l'adolescent, les yeux fixés sur son faciès bouillonnant. A l'extérieur, le ciel accompagnait la mer dans ses outrages. Tous deux menaient aussi une symphonie retentissante, verte comme la fée des fous et bleue comme le manteau des rois.
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Frères assassins déserteurs au destin sanguinaire
La bible le Joly Roger à bord ça va de pair
Ce n'est pas l'sang sur nos mains qui fera peur aux femmes
Comme nous elles valent moins que rien, moins que leurs charmes
C'est fini! On s'approche! La foudre se profile! Tout s'intensifie, les gorges se tarissent; la mer elle-même perd un peu de son âpre rebéllion.
Le cygne chante! L'aube se lève! Les velléités dans le levant se calment; une sorte d'hébétude, de stupeur : se peut-il qu'on soit parvenus au bout de la nuit? Vraiment? L'on aurait réussi?
Une dernière salve, pour le panache, et l'on s'écroule avec une moue bienheureuse; une dernière attaque, vaine, mais qu'est-ce puisqu'on retournera au combat; un ultime aria, prolongé sur le vibrato des gorges aquatiques.
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Tout retombe, en vrac, entremêlé : peau et chair, cheveux, os, dauphins, vaguelettes et gouttes, lamantins : tant de choses qui s'effondrent les uns sur les autres sans distinction, épuisées parce cette débauche de gloire.
L'orgue se tait; le lit s'éteint; la mer regagne sa placide apparence : demain il sera encore assez tôt pour combattre les envahisseurs. Elle ne tient pas vraiment à perdre ce combat : ce n'est pas pour rien qu'il dure depuis la nuit des temps, et elle se sentirait seule sans un bateau frôlant ses ouailles. Mais jouer, oh ça oui, chaque fois que le dieu des Pirates le voudra, gronder avec plaisir et secouer ses entrailles bouillonnantes.
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Shinobu s'écroula sur le torse du Capitaine, et, leurs ventres gluants rassemblés dans le souvenir de leur fulgurante jouissance, ils s'endormirent. Derrière les paupières de l'adolescent, un néant bienheureux; et derrière celles du Capitaine, un dos tendu en arc maladroit tremblait puis explosait, encore et encore, sans fin.
Sur son lit de scories, le petit volcan crachota.
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Le vieillard contemplait d'un regard oblique les deux amants endormis; le phonographe grésillait doucement. Le lit avait une allure de berceau bacchanal : des restes orgiaques jonchait le matelas. Le silence couvait la pièce comme une fée marraine.
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Pas de traces; pas d'indices. Encore une bataille sans vainqueurs et sans lois, dont les marins ne sauront rien . Les assaillants se retirent en glissant vers leurs antres comme de grands fauves repus. Sur le pont, l'astre neuf foudroie une chimère.
