12
Disclaimers : Arwen, Harvey et Maggie sont à moi. Tout le reste est à Marvel Comics
Chapitre 1
Elle plongea délicatement le piège dans l'eau de la rivière. Elle lâcha la nasse, l'observant un instant. Voyant qu'elle ne bougeait pas, la jeune femme remonta sur la berge. Elle remit sa besace sur son épaule, prit son fusil et jeta un dernier regard sur la rivière avant de se figer. Elle suivit des yeux ce qui l'avait intrigué. Un objet flottait sur la rivière, venant vers elle. Sa forme lui semblait bizarre. Elle écarquilla les yeux. C'était un homme ! Elle redescendit sur la berge, posant son sac et son fusil. Elle continua à surveiller la dérive de l'homme inconscient, préférant éviter de plonger dans l'eau. A cette époque de fonte des neiges, elle était glacée. Elle connaissait parfaitement son domaine et savait que le courant le pousserait sur la rive exactement à cet endroit d'ici une minute. Serait-il encore en vie ?
Dès qu'il s'échoua, elle l'attrapa et le tira sur la berge. Il était très lourd mais sa vie en pleine nature avait musclé la jeune femme. L'homme respirait toujours. Il était très pâle et ses lèvres étaient bleues. Il était en hypothermie, il fallait le réchauffer de toute urgence. Heureusement, ils n'étaient pas très loin de sa cabane. Elle courut chez elle, posa sa besace et son fusil, remit une bûche dans le poêle qu'elle poussa à fond, prit une couverture et repartit auprès l'homme avec le travois qu'elle utilisait pour ramener des charges lourdes. Elle le fit rouler dessus, le couvrit de la couverture et le traina jusque dans la cabane.
Elle savait quoi faire pour le sauver. Quand elle était petite, elle était tombée dans l'eau glacée, elle aussi. Son père l'avait repêchée. Elle était en état de choc quand il l'avait mise au lit et ce n'est qu'un peu plus tard, quand elle s'était réchauffée, qu'elle avait réalisé que son père était dans le lit avec elle, la serrant dans ses bras et qu'ils étaient nus tous les deux. Il lui avait expliqué que le meilleur moyen de réchauffer quelqu'un était de se mettre peau contre peau.
« Rien de tel que la chaleur humaine », avait-il ajouté en riant pour dédramatiser la situation.
Elle prit des ciseaux et entreprit de découper les vêtements de l'homme. Elle ne savait pas combien de temps il était resté dans l'eau. Beaucoup trop, c'était sûr. Elle devait faire vite, pas le temps de faire dans le détail. Elle lui donnerait des vêtements de son père. Elle fronça les sourcils en découvrant sa poitrine. Sa peau blafarde était marquée du bleuissement du froid mais pas seulement. Il avait des marques de coups, des blessures légères comme s'il s'était battu. Elle se demanda qui il pouvait bien être. Ses vêtements étaient étranges. Elle haussa les épaules. Elle verrait ça quand il serait réchauffé. Elle le mit nu et le hissa sur le lit avant d'entasser sur lui toutes couvertures et fourrures disponibles. Elle avait collé l'homme le plus possible contre le mur car c'était un lit d'une personne et il était si large d'épaules qu'il ne restait pas beaucoup de place. Puis elle se dévêtit entièrement avant de se glisser dans le lit avec précaution en espérant ne pas tomber. Elle se colla contre lui en rougissant. C'était la première fois qu'elle se couchait avec un homme. Son père ne comptait pas, bien sûr. Elle observa son visage. Il était jeune, blond, avait les cheveux courts et elle le trouvait beau. En le déshabillant, elle avait vu un corps puissant et musclé. Et être allongée nue contre ce corps, même s'il était glacé, la troublait. Elle se secoua, il fallait qu'elle se concentre sur son réchauffement sinon il mourrait. Elle se mit à frotter les bras et le torse de l'homme pour activer sa circulation sanguine. Ses efforts finirent par porter leurs fruits. La peau de l'homme reprit progressivement une couleur normale et sa respiration devint plus profonde. Il pivota et l'entoura de son bras, se blottissant contre elle, coinçant la jambe de la jeune femme entre les siennes. Elle écarquilla les yeux et rougit de nouveau en sentant clairement l'intimité de l'inconnu collée contre sa cuisse mais il ne se réveilla pas et ne bougea plus. Il poussa seulement un profond soupir. Elle comprit qu'il n'avait eu qu'un réflexe instinctif. Elle baissa un peu sa jambe pour se libérer de ce contact bien trop intime à son goût.
Ils ne bougèrent plus pendant près d'une demi-heure. Voyant que le feu baissait, elle se leva en veillant à ne pas trop le remuer. Elle se rhabilla rapidement et rechargea le poêle. Elle s'occupa ensuite de préparer un repas chaud. Pendant que le repas mijotait doucement, elle s'assit près du lit avec une tasse de café qu'elle but doucement en observant l'homme. Elle commençait à s'inquiéter. Etait-ce normal qu'il ne se soit toujours pas réveillé ? Il avait les joues roses, maintenant. Un peu trop, peut-être. Elle tâta son front qui lui sembla chaud. Elle soupira, regrettant l'absence de son père. Il aurait su quoi faire. Il lui manquait tant. Cela faisait six ans qu'il était mort. Elle s'en sortait sans problème pour vivre mais soigner un malade, ça… Elle soupira de nouveau et finit son café. Elle allait se lever pour se servir une autre tasse quand l'homme ouvrit enfin les yeux.
Il roula sur le dos et se passa la main sur le visage avant de regarder autour de lui. Il la fixa un instant, continua sa promenade visuelle en se redressant légèrement puis se laissa retomber sur le lit en la détaillant. Il avait les yeux bleus.
‒ Qui êtes-vous ? Je suis où ? demanda-t-il d'une voix un peu rauque.
‒ Je m'appelle Arwen, répondit-elle. Vous êtes chez moi. Je vous ai trouvé inconscient dans la rivière. Comment vous sentez-vous ?
‒ Je ne sais pas trop. Fatigué.
‒ Vous étiez en hypothermie et je crois que vous faites un peu de fièvre. Vous vous appelez comment ?
Il ouvrit la bouche pour répondre mais la referma, fronçant les sourcils.
‒ Je ne me rappelle pas, avoua-t-il, une lueur de panique dans le regard. Pourquoi je ne me rappelle pas mon nom ?
‒ Vous vous rappelez d'où vous venez ? Votre âge ?
‒ Non. Non, je ne me rappelle rien sur moi. Qu'est-ce qui m'arrive ? s'écria-t-il d'une voix inquiète.
Il voulu repousser les couvertures mais elle l'en empêcha de justesse.
‒ Non ! Attendez ! s'exclama-t-elle en rougissant. Je… Vous êtes nu.
‒ Pourquoi ? s'étonna-t-il en jetant un œil sous la couverture.
‒ Je devais vous réchauffer, vous risquiez de mourir de froid et… mon père m'a appris que le moyen le plus sûr était de se mettre peau contre peau, expliqua-t-elle très vite en devenant rouge pivoine.
‒ Peau contre peau ? répéta-t-il. Vous vous voulez dire que... Vous vous êtes mise contre moi... nue aussi ?
Elle hocha la tête sans rien dire et eut la surprise de le voir rougir. Oh un tout petit peu mais il était visiblement embarrassé.
‒ C'était ça ou vous laisser mourir, insista-t-elle, un peu rassurée par l'embarras de l'homme
‒ Oui, eh bien… Merci… De m'avoir sauvé.
‒ De rien. Je ne pouvais pas rester sans rien faire alors que je pouvais tenter quelque chose. Vous ne vous rappelez vraiment de rien vous concernant ?
‒ Non, soupira-t-il. Mes vêtements sont où ? Je dois avoir des papiers, un portefeuille.
‒ Je ne sais pas, je n'ai pas vu de poches, douta-t-elle. Ils sont là. Je suis désolée, ajouta-t-elle en les lui tendant, je devais faire vite et je les ai découpés mais je pourrais vous en donner de mon père. De toute façon, ils étaient déjà fichus.
Il prit les vêtements et les examina. Ils étaient si sales qu'il était quasiment impossible d'en distinguer la couleur, une dominante de bleu ciel avec des bandes blanches et rouges.
‒ Rien, pas de poche, pas d'étiquette, ragea-t-il en les retournant dans tous les sens. Et c'est quoi, ces vêtements ? Ils sont curieux, ajouta-t-il en examinant la grande étoile en métal argenté de la poitrine.
‒ Je ne sais pas, avoua Arwen, c'est la première fois que j'en vois des comme ça. Vous aviez aussi ces bottes rouges et cet appareil au poignet gauche.
Il regarda les bottes à revers avant d'examiner l'appareil électronique.
‒ Il est fichu, on dirait, constata-t-il. L'électronique et l'eau, ça ne fait pas bon ménage. Vous avez le téléphone ?
‒ Non. Je vis très à l'écart dans la montagne. Je n'ai pas l'électricité. La ville la plus proche est à trois jours de cheval.
‒ Alors, on doit partir tout de suite ! s'exclama-t-il.
‒ Impossible, déclara Arwen d'un ton sans réplique. Tout d'abord, il est trop tard, ensuite vous êtes trop faible et en plus, la fonte des neiges a commencé. Nous devrons traverser plusieurs rivières qui sont impraticables pour les deux prochains mois. Ce serait trop dangereux, nous risquerions d'être emporter par une crue brutale. Il faut attendre.
‒ Deux mois ! Mais où je vais aller pendant ces deux mois !?
‒ Vous allez rester ici, bien sûr, dit-elle. Je ne vous ai pas sorti de l'eau et soigné pour vous laisser mourir de froid dans la nuit ! Je vais déjà vous donner des vêtements, ensuite, vous allez manger. J'ai préparé un repas chaud et du café.
Elle sortit le nécessaire d'un coffre et alla remplir une assiette et une tasse en lui tournant le dos de manière à lui laisser un minimum d'intimité. Elle se retourna en l'entendant venir vers elle. Son cœur se serra en le voyant vêtu.
‒ Ça va ? fit-il.
‒ Oui. Ce… ce sont des vêtements de mon père. Il est mort, il y a plusieurs années et ça fait bizarre de vous voir dedans.
‒ Désolé, fit-il. Je proposerais bien de mettre autre chose mais cela va être un peu compliqué pour moi de rentrer dans vos vêtements.
Elle cligna des yeux, interloquée, puis éclata de rire en l'imaginant engoncé dans ses vêtements. Il la dépassait d'une bonne tête et avait une carrure impressionnante. Son père était grand et musclé mais l'inconnu l'était encore plus et il était à l'étroit dans la chemise. Elle se sentait toute petite et menue face à lui. Quand elle s'était mise à rire, il en était resté bouche bée. Elle semblait plutôt quelconque à première vue mais quand elle souriait, cela transformait son visage, révélant une beauté insoupçonnée. Il se reprit à temps et lorsqu'elle le regarda de nouveau, il souriait, lui aussi.
‒ Installez-vous à table, l'invita-t-elle en gloussant encore.
Ils mangèrent ensemble, en silence. Sa vie solitaire n'avait pas fait d'Arwen une bavarde et il était plongé dans ses pensées.
‒ C'est délicieux, dit-il brutalement. Vous cuisinez bien.
‒ Merci.
‒ C'est quoi comme viande ?
‒ Du castor.
Il la fixa.
‒ Du castor ? répéta-t-il.
‒ Oui, ils commencent à sortir d'hibernation, c'est le premier que je trappe, ce printemps et il est un peu maigrichon, du coup. Il faut le faire mijoter au moins deux heures, sinon, ça reste coriace. Heureusement, c'est un jeune, né de l'an dernier, vu sa taille. Quand le printemps sera vraiment installé, je ne pourrais plus trapper, à cause de la reproduction. Il faudra attendre la fin de l'été. Il faut profiter de la viande fraîche tant qu'on peut
Il ne dit rien mais il ne croyait pas avoir déjà mangé du castor avant aujourd'hui.
‒ Pourriez-vous me conduire là où vous m'avez trouvé ? demanda-t-il.
‒ On a le temps, jugea-t-elle. C'est tout près et il reste deux heures de jour, mais vous ne trouverez rien.
Elle lui donna de quoi se couvrir chaudement, les bottes fourrées de son père et ils sortirent. Arwen s'était équipée de son fusil et de sa besace. Au bout de quinze minutes de marche, elle s'arrêta près d'un cours d'eau.
‒ C'est ici, dit-elle.
‒ Mais il n'y a rien ! s'exclama-t-il, dépité.
‒ Je vous l'avais dit, rappela-t-elle. Vous dériviez dans l'eau et veniez de l'amont. Je ne sais pas où vous êtes tombé à l'eau.
Elle se pencha au bord et il la vit sortir une nasse de l'eau. Elle l'ouvrit pour en retirer deux belles truites qu'elle assomma.
‒ Notre dîner ! annonça-t-elle en souriant avant de dégainer un grand couteau de chasse et de vider adroitement les poissons.
Elle jeta les entrailles à l'eau et enveloppa soigneusement les poissons dans un tissu avant de les mettre dans sa besace puis replongea la nasse dans l'eau après l'avoir réamorcée.
‒ On y va ? proposa-t-elle, en se levant. Il faut être rentré avant la nuit.
‒ D'accord, je n'ai pas envie qu'on se perde, accepta-t-il en jetant un dernier regard vers l'amont de la rivière.
‒ Je connais parfaitement mon domaine, répliqua-t-elle d'un ton sec, un éclair traversant ses yeux noirs en amande. Je vis ici depuis l'âge de quatre ans. En sortie d'hiver, les loups et les ours sont affamés. La nuit, le risque de tomber sur eux augmente et il ne fait pas bon les rencontrer, croyez-moi.
Elle partit sans un regard en arrière. Interloqué par la sécheresse de la réplique de la jeune femme, il se reprit et la suivit.
‒ Je suis désolé, dit-il en la rattrapant. Je ne voulais pas vous vexer.
‒ Ce n'est pas grave. Vous ne me connaissez pas. Mais si vous sortez seul, ne vous éloignez pas de la cabane ou prenez le fusil avec vous, recommanda-t-elle.
‒ C'est noté.
Ils regagnèrent la cabane en silence. Arwen s'activa aussitôt, faisant la vaisselle, commençant à préparer les poissons, pendant que son invité forcé se sentait complètement perdu. Il avait proposé de l'aider mais elle avait refusé. Désœuvré, il inspecta la cabane des yeux.
La pièce principale était assez grande. Il vit un deuxième lit en plus de celui où il s'était réveillé. Une grande peau d'ours était accrochée sur le mur à côté d'une deuxième porte. Il vit avec surprise que la peau cachait une troisième porte quand Arwen l'ouvrit. Elle en revint avec des conserves de légumes dans les mains et il devina qu'il s'agissait d'un cellier. En plus de la table où ils avaient déjeuné et de ses deux chaises, il y avait aussi deux vieux fauteuils dans un angle encadrant une petite table ronde. Sur un mur était accrochée une patère où étaient accrochés les manteaux, la besace et le fusil, des raquettes posées dessous avec soin. Des meubles de rangement et, chose qui l'étonna le plus, du côté des fauteuils, se trouvait des étagères chargées de livres.
Il observait Arwen aller et venir avec un certain plaisir. Mince, pas très grande, elle avait des mouvements souples et gracieux et la démarche d'un chasseur. Vêtue d'une vieille chemise de bûcheron et d'un jean fatigué, ses origines n'en étaient pas moins visibles. Elle avait des yeux noirs et une peau mate. Ses cheveux d'un noir de jais aux reflets bleutés étaient noués en une natte qui tombait à mi-cuisses. Il se fit la réflexion qu'elle avait certainement du sang indien dans les veines. Il finit par prendre la parole alors qu'elle mettait ses légumes à mijoter.
‒ Vous avez l'air bien installée.
‒ C'est mon père qui a construit cette cabane, le renseigna-t-elle. Cela lui a prit des semaines.
‒ Vous vivez vraiment seule ici ?
‒ Depuis la mort de mon père, oui.
‒ Je ne sais pas si je pourrais vivre aussi isolé de tout, avoua-t-il.
‒ J'ai l'habitude. Je n'aime pas aller en ville. Trop bruyant et ça sent mauvais. Vous, vous êtes un citadin.
‒ Comment le savez-vous ?
‒ Ça se voit, sourit-elle. Je le vois
‒ Je ne sais pas trop comment le prendre, douta-t-il.
‒ Ce n'est pas une critique, juste un fait, temporisa-t-elle.
‒ Vous avez l'habitude de vous débrouiller seule mais si je dois rester ici, il est hors de question que je me tourne les pouces pendant que vous faites tout, déclara-t-il. Je ferais la vaisselle après le repas et je vous aiderais au mieux. Je ne crois pas savoir pêcher ou chasser mais je peux vous couper du bois et vous aider au ménage, par exemple.
‒ D'accord, accepta-t-elle après un instant de réflexion. C'est vrai que je n'aimerais pas rester à rien faire si j'étais à votre place.
Ils se sourirent et il mit la table pendant qu'elle surveillait la cuisson des truites. Une fois le repas fini, elle prépara une tisane et ils s'installèrent dans les fauteuils.
‒ Que faites-vous pour vous occuper ? demanda-t-il.
‒ Je chasse, je pêche, je m'occupe de mon potager, de mes deux chevaux, des peaux et de faire de provisions pour l'hiver. Je fabrique des attrapes-rêves que je vends ainsi que mes peaux ce qui me permet d'acheter ce que je ne peux pas me procurer par moi-même comme de la farine, du sucre…
‒ Et le soir ? En hiver, les soirées sont longues.
‒ Je lis, je bricole, j'écris mon journal, je joue du violon.
‒ Vous jouez du violon ?
‒ C'est mon père qui m'a appris.
‒ Vous voulez bien jouer un air ?
Elle se leva et sortit le violon d'un meuble. Elle l'accorda et commença à jouer. Il reconnu avec surprise le Printemps de Vivaldi et ne put s'empêcher d'applaudir quand elle eut finit ce qui la fit rougir.
‒ Bravo, dit-il. C'était superbe.
‒ Merci…
Elle s'interrompit puis reprit.
‒ Je crois qu'il va falloir vous choisir un nom en attendant que vous vous souveniez du vrai, suggéra-t-elle.
‒ Pourquoi pas mais que choisir ? s'interrogea-t-il. Aucun ne me vient à l'idée.
‒ Eh bien, je peux vous en citer…, proposa-t-elle. Will, Peter, Brian,…
Elle en cita une dizaine d'autre puis…
‒ …Anthony…
‒ Tony, corrigea-t-il. Ça me semble familier, Tony.
‒ Tony ? Alors vous serez Tony jusqu'à ce que vous retrouviez votre vrai nom.
Elle s'excusa de ne pouvoir lui fournir de pyjama au moment de se coucher mais lui expliqua qu'ils pouvaient préserver leur intimité grâce à un système de rideaux qui enfermait les lits. Elle lui montra ensuite la troisième pièce qui contenait un grand bac servant de baignoire, un petit meuble avec deux cruches et une cuvette ainsi qu'un pot d'aisance et son seau de sciure.
‒ Plutôt confortable pour une cabane de trappeur, jugea-t-il, impressionné.
‒ Au début, nous n'avions que la pièce principale. Mon père a ensuite ajouté cette pièce quand je suis devenue assez grande pour faire ma toilette seule et il en a profité pour faire le cellier, expliqua-t-elle. Bien, je vous laisse faire votre toilette. Comme vous avez baigné dans la rivière, vous voulez peut-être prendre un bain ? Je vais faire chauffer de l'eau. Pour vider le bac, enlevez le bouchon, au fond. Mon père a installé un tuyau enterré qui débouche plus loin.
‒ Merci, Arwen.
‒ De rien, Tony.
Le lendemain, il se rasa à l'aide du rasoir du père d'Arwen, se réjouissant que la jeune femme soit si conservatrice. Il le fit avec prudence car c'était ce qu'on appelle communément un coupe-chou et n'avait pas envie de s'égorger au passage.
Ils entrèrent vite dans une routine, chacun faisant ses tâches et Tony put se rendre compte qu'Arwen n'avait pas exagéré en parlant de crues brutales. Dès le lendemain, quand ils voulurent relever ses nasses, cela leur fut tout juste possible tant le niveau avait déjà monté. Elle les releva avec une corde nouée autour de la taille, l'autre extrémité tenue par Tony. Il était impressionné par la jeune femme. Elle faisait tout, lavage à la main, débitage de bois, fumage du poisson ou de la viande, réparations du toit… Rien ne la rebutait. Il l'aidait au mieux, découvrant ses limites (il était incapable de lever un filet de poisson correctement ou d'écorcher proprement une fourrure) comme des capacités inattendues. Il débita des stères de bois à une allure qui impressionna Arwen. Sans même s'en rendre compte, ils fonctionnèrent bientôt comme s'ils avaient travaillé ensemble toute leur vie. Et leurs regards l'un sur l'autre changea progressivement.
Un jour où ils étaient coincés dans la cabane par une pluie diluvienne, Tony leva les yeux de son livre. En le choisissant, il avait découvert avec curiosité des livres d'école et une collection impressionnante de romans de fantasy et de livres de légendes. Il avait appris à l'occasion l'origine du prénom de la jeune femme. Son père l'avait appelée Arwen en hommage à son livre favori, le Seigneur des Anneaux. Il observa la jeune femme. Installée à la table, elle écrivait avec application dans un cahier.
‒ Tu écris ton journal ? demanda-t-il.
‒ Oui.
‒ Tu y mets quoi, dedans ?
‒ Ce que j'ai fait dans la journée, le temps qu'il a fait. Le résultat des chasses et de la pêche. Ce à quoi j'ai pensé.
‒ Tu y parles de moi ?
‒ Bien sûr. Tu es le premier homme que je repêche dans la rivière. Je ne pouvais pas ne pas en parler.
‒ Tu parles de moi en bien ou en mal ?
‒ Tu es bien curieux, s'amusa-t-elle.
‒ Cela m'intéresse. J'ai envie de mieux connaitre la personne avec qui je vis.
‒ Nous ne vivons pas ensemble, remarqua Arwen.
‒ Pour l'instant, oui, la contredit Tony. Nous vivons ensemble comme des amis. Tu es devenue mon amie, Arwen. Et j'espère que tu me considère aussi comme tel et pas seulement comme un invité ou pire, une cohabitation forcée.
‒ Je n'ai jamais eu d'ami, à part Harvey et Maggie, dit-elle pensivement. Mais je les connais depuis toujours. Ce sont eux qui vendent mes peaux et mes attrapes-rêves et qui m'achètent ce dont j'ai besoin avec l'argent récupéré. Ce sont un peu des grands-parents, plutôt. J'apprécie ta présence et l'aide que tu m'apportes. On s'entend bien. C'est ça, être amis ?
‒ C'est un début, sourit-il. Tu n'as vraiment jamais eu d'amis ?
‒ Je n'ai jamais été à l'école. C'est mon père qui m'a tout enseigné.
‒ Tu l'aimais beaucoup ?
‒ Oui. Je me suis sentie perdue quand il est mort. Je ne savais pas quoi faire, alors je suis restée.
Elle réfléchit un instant.
‒ Il y a eu ce petit garçon, dit-elle pensivement. Peut-être qu'on était devenus amis, si c'est possible si vite
‒ Qui ?
‒ Quand j'avais huit ans, mon père a trouvé par hasard un petit garçon qui s'était perdu. Il avait dormi deux nuits en pleine forêt. Papa l'a ramené, on lui a donné à manger. Papa l'a soigné, lavé et il a dormi ici une nuit. Le lendemain, on l'a raccompagné à la ville. On a rencontré en chemin des gardes forestiers qui faisaient une battue à sa recherche et papa leur confié Jimmy. On avait joué ensemble toute la soirée. C'était bien. Il m'a manqué.
‒ Tu avais déjà commencé ton journal à cet âge-là ?
‒ Oui. Dès que j'ai su écrire, papa m'a donné un cahier en me disant d'écrire mon journal. Que c'était un bon exercice d'écriture. J'ai continué à le faire. J'avais cinq ans quand j'ai commencé. Mais je ne l'ai jamais fait lire à personne et mon père n'a jamais regardé dedans.
‒ Je ne le ferais pas non plus, je te rassure, dit aussitôt Tony. Pas sans ta permission. C'est trop intime.
Elle lui sourit et reprit son travail.
‒ Est-ce que tu as des origines indiennes ? demanda-t-il encore.
‒ Oui. Papa était Iroquois. Comment as-tu deviné ?
‒ Tes cheveux sont très noirs et tu fabriques des attrapes-rêves.
‒ C'est Mamie qui m'a appris. Elle est venue vivre ici avec nous. Mais elle était très âgée et elle est morte au bout de deux ans. C'était elle qui les fabriquaient au début, j'ai continué parce que ça me plaisait. Harvey dit qu'ils se vendent bien.
‒ Et ta mère ? Elle était indienne aussi ?
‒ Non. Elle était d'origine italienne. Elle était assistante sociale dans un quartier difficile. Je devais avoir un petit frère mais un soir qu'elle quittait son travail, des jeunes qu'elle essayait d'aider l'ont agressée. Elle n'a pas survécu à ses blessures et mon petit frère est mort. C'est après ça que papa a décidé de venir vivre ici. Il était chirurgien avant.
‒ C'est un changement de vie radical, s'étonna Tony.
‒ Papa était très malheureux de la mort de maman et de mon petit frère. Il a été écœuré de la cruauté de ces jeunes qui n'avaient aucun respect pour maman alors qu'elle travaillait dur pour qu'ils quittent les gangs.
Arwen se tut, visiblement émue et replongea dans son cahier. Tony n'insista pas. Il était fasciné par cette jeune femme qui réussissait à vivre seule une vie de trappeuse mais qui parlait avec la candeur d'une enfant.
Durant la nuit, Arwen s'éveilla. Les sens aux aguets, elle guettait ce qui l'avait réveillé. La pluie tombait toujours. Un gémissement attira son attention. Tony. C'était lui qui l'avait réveillée. Elle se redressa et écarta le rideau de son lit. Il marmonna des mots inaudibles puis poussa un cri.
‒ Tony ? appela Arwen. Ça ne va pas ?
Quelques instants s'écoulèrent puis il écarta le rideau de son lit.
‒ Tout va bien, la rasssura-t-il en la regardant, les yeux bouffis de sommeil. J'ai fait un cauchemar. Désolé de t'avoir réveillée.
‒ Je vais te donner quelque chose, décida-t-elle en laissant retomber le rideau avant d'attraper sa chemise qu'elle enfila sans écouter les protestations de Tony qui lui disait de ne pas se déranger.
Vêtue uniquement de la chemise, elle se leva et passa dans le cellier d'où elle revînt avec un paquet plat dans les mains. A la surprise de Tony, elle en sortit un attrape-rêves qu'elle lui tendit en souriant.
‒ Accroche-le au dessus de ton lit, dit-elle. Il captera les mauvais rêves.
Il saisit l'objet et le regarda avec curiosité. Le cercle était entouré d'une lanière de cuir marron et des perles de diverses couleurs étaient prises dans le filet. Une lanière nouée en boucle servait à le suspendre et une plume d'aigle et deux autres petites plumes duveteuses enfilées sur une perle de bois bleu turquoise pendaient du cercle principal.
‒ Il est très beau, commenta Tony.
‒ Merci. Accroche-le, l'encouragea-t-elle. Il t'aidera.
Tony en doutait mais il obéit pour lui faire plaisir. Cette nuit-là, il ne fit plus de cauchemar.
Arwen venait de finir d'emballer les derniers attrapes-rêves qu'elle avait fabriqués. Son regard tomba sur la fenêtre et elle vit Tony. Cela faisait un mois qu'il partageait sa cabane et ses tâches. Elle s'était habituée à sa présence avec une facilité qui l'étonnait quand elle y pensait. Pour l'instant, il était en plein soleil en train de couper du bois. Il faisait très chaud et il s'était mis torse nu. Elle resta fascinée par la vue de ses muscles roulant sous sa peau. Une chaleur inhabituelle l'envahit. Il s'interrompit dans sa tâche et s'essuya le front d'un revers de main. Elle savait qu'il avait pris près de lui un seau avec de l'eau mais se demanda s'il avait pensé à en boire. Elle alla le rejoindre.
‒ Tu devrais faire une pause, dit-elle.
‒ Pas faux, approuva-t-il en plantant la hache dans le billot avant d'y poser le seau d'eau où flottait un gobelet.
Il but deux gobelets d'affilé puis attrapa le seau et se le renversa sur la tête. Les yeux ronds, Arwen regarda l'eau couler sur le torse de Tony. Son cœur s'emballa, sa gorge devint sèche et elle sentit une drôle de sensation lui envahir le ventre.
‒ Ça va, Arwen ? s'inquiéta Tony. Tu es toute rouge.
‒ Quoi ? Oh… Euh… Tu as mouillé ton jean… balbutia-t-telle en rougissant un peu plus
‒ Ce n'est pas grave, ce n'est que de l'eau, fit Tony. Il va vite sécher par cette chaleur. Je vais aller remplir le seau.
‒ Non, laisse, je vais le faire, dit précipitamment Arwen en lui arrachant le seau des mains. J'en profiterais pour boire, moi aussi.
« Mais qu'est-ce qui m'arrive ? » se demanda-t-elle en allant à la pompe et en se mettent à pomper à toute allure.
Elle but un peu et se mouilla le visage. En se tournant, elle faillit percuter Tony qui l'avait suivie.
‒ Tu es sûre que ça va ? insista-t-il.
‒ Oui, je vais très bien, dit-elle en essayant de ne pas regarder le torse nu de Tony. Je… je vais aller voir si les premières morilles ont poussé.
‒ C'est loin ? Tu veux que je vienne ? proposa-t-il.
‒ Non, finis ce que tu faisais. C'est à peine à deux cents mètres vers l'est, fit-elle en agitant la main dans la direction où elle devait aller.
Elle rentra prit un panier, son fusil et partit à toute allure avec pour seule idée de mettre de l'espace entre elle et Tony le plus vite possible. Arrivée à destination, elle laissa tomber son panier, posa son fusil et s'appuya à un arbre avant de se passer les mains sur le visage.
‒ Mais qu'est-ce qui m'arrive ? répéta-t-elle à mi-voix.
Elle ferma les yeux et revit en pensée Tony, torse nu, coupant du bois, de l'eau ruisselant sur sa poitrine. Aussitôt la sensation revint. Elle naquit dans son ventre et enflamma son corps. Elle gémit.
‒ Pourquoi je ressens ça ? murmura-t-elle. Pourquoi il me fait un effet pareil ?
La respiration trop rapide, elle rouvrit les yeux et son regard tomba sur une morille pointait son chapeau au-dessus des feuilles mortes. Cela lui remit en mémoire son excuse pour s'éloigner de Tony. Il valait mieux qu'elle ne revienne pas son panier vide sinon il allait se poser des questions. Elle soupira puis commença sa cueillette.
Arwen s'écarta progressivement de l'arbre contre lequel elle avait appuyé son fusil. Un grognement lui fit lever la tête. Elle pâlit en voyant un ours famélique se dandiner en l'observant à une vingtaine de mètres. Un coup d'œil lui confirma qu'elle était trop loin de son fusil. Sans paniquer, tout en surveillant l'ours, elle dégainant lentement son couteau de chasse. Un bruit de pas annonça Tony.
‒ Tony, stop, ordonna-t-elle.
‒ Arwen ? Où est ton fusil ?
‒ Là-bas, à droite, fit-elle.
L'ours poussa un rugissement quand Tony esquissa un mouvement de ce côté. Tony se figea aussitôt.
L'ours se leva sur ses pattes arrières. Arwen vit une blessure à vif sur son ventre.
‒ Il est blessé, souffla-t-elle. Donc dangereux. Ne bouge pas. Il partira peut-être.
‒ Arwen, s'il te fonce dessus… commença Tony d'une voix où pointait de l'angoisse.
‒ Alors, je tenterais de l'éviter et de le tuer, rétorqua Arwen.
‒ Avec ton couteau ? s'étrangla Tony. Ce grizzli est énorme !
‒ Il est amaigri par l'hibernation. Je peux l'égorger facilement si je suis assez rapide, assura-t-elle.
Agacé par leur discussion, l'ours rugit de nouveau et fonça sur Arwen.
NB : cette histoire passera en M lorsque je posterais le chapitre 2
