Kyo était dans la cuisine. Il avait eu une dure journée. Certes il avait fait de sa passion son métier mais il ne s'attendait pas à ce que la partie administrative soit si prenante.

Il entendit de faibles bruits de pas alors qu'il finissait de rincer le lavabo. Tohru avait des horaires très difficiles puisqu'elle travaillait à l'hôpital. Et puisqu'elle était jeune et gentille, elle s'occupait souvent des gardes nocturnes. Heureusement que son lieu de travail n'était pas éloigné. Même si cela n'aurait rien changer, long ou pas, elle effectuerait le trajet à pied.

Il s'aperçut qu'il n'y avait plus aucun bruit. Cela était très inhabituel chez eux. Un tiers de l'année, ils accueillaient des invités. Et habituellement, après le travail, Tohru écoutait les messages sur le répondeur téléphonique, il y en avait toujours au moins un. Elle prenait ensuite deux minutes pour le trouver et l'embrasser. Ensuite elle parcourrait leur petite maison à la recherche de tâches oubliées. Bredouille, elle partait alors prendre une douche.

Aujourd'hui, il constata avec inquiétude qu'elle était immobile, assise devant la table basse. Son regard était fixe mais son esprit était loin. Le jeune homme s'approcha doucement et lui prit la main. Il aurait pu penser qu'elle ne l'avait pas remarqué mais elle serrait sa main. Elle s'y raccrochait. Elle avait beaucoup travaillé pour avoir le concours d'infirmière mais elle n'avait peut-être pas le moral pour. Cela allait faire deux mois et elle rentrait chez elle vidée.

Non c'était l'inverse. Elle rentrait envahie des problèmes de ses patients, voir de leur famille, qu'elle prenait pour les soulager. Elle ne pouvait s'en empêcher, elle ne supportait le malheur d'autrui. Elle se disait toujours qu'elle pouvait faire quelque chose pour aider. Et si elle allait un peu moins bien à chaque fois, ce n'était pas grave. C'était tellement dérisoire à côté des problèmes que eux avaient.

— Tohru, pense à tes amis. Ils sont tellement heureux. Tu as entendus que Momiji avait une nouvelle copine ? Et Saki s'amuse à terroriser les élèves du maître.

La jeune femme secoua doucement la tête. Elle souriait derrière son rideau de cheveux.

— Pour équilibrer les balances, il faut que tu te charges aussi de bonheur, plaisanta Kyo tentant de la faire sortir de sa léthargie. Pense au bonheur de nos amis, à notre bonheur.

Sa compagne releva la tête et cligna des yeux. Elle le regardait bien en face, comme toujours.

— Tu es heureux ?

Elle semblait ne pas en revenir. Cela paraissait presque surprenant. Pourtant, pour lui, cela ne faisait aucun doute. Il était tellement heureux, infiniment heureux près d'elle. Qu'elle ne s'en rende pas compte était la preuve que ces malheurs lui faisaient des œillères. Elle devrait s'en débarrasser. Mais Kyo avait peur qu'une monstrueuse culpabilité l'envahisse à la minute où elle oserait.

Il lui assura sans gêne qu'il était heureux, exactement comme il en avait rêvé. Une seule chose causait son inquiétude, les traits tirés de sa petite-amie. Elle rougit un peu et eut ce geste qui l'attendrissait toujours. Elle se retourna pour caresser son torse de sa joue. Elle lui rappelait les chattes qui venaient le voir lorsqu'il était encore possédé par l'esprit du chat. Elle ronronnait en silence, les joues telles des soleils.

— Lève la tête, demanda-t-il en murmurant.

Dès qu'il put croiser son regard, il se pencha, l'enlaça et l'embrassa. Elle y répondit avec la douceur qui la caractérisait.

« Je t'aime » l'entendit-il susurrer les yeux encore clos.

Il lui répondit avec autant de naturel. Ça allait faire trois ans, ils aimaient toujours autant ce dire ce qu'ils ressentaient. Ils s'aimaient toujours. Cela faisait beaucoup de bien.

PS : Dédicacé à ceux qui ont un métier d'aide à la personne (comme ma mère) qui ait moins reconnu car on pense que les aptitudes nécessaires font parti du caractère de la personne (souvent des femmes) alors que ce sont de réels capacités difficiles à obtenir et à mettre en œuvre.