Hello ! Voilà, je vais regrouper mes participations aux 10 jours d'Aventures ici !
Du coup bah je commence directement avec une petite fic rapide sur mon aventurier préféré, que vous reconnaîtrez bien assez vite !


Dans un claquement de porte, le jour venait juste de pointer. Il s'affala sur la terre encore mouillée et entoura le jeune homme qui restait immobile dans la lumière du matin. Il avait l'air quelque eu hébété, les yeux fixés sur le chemin de terre qui semblait s'étirer jusque derrière les nuages, sa robe cramoisie tombant mollement le long de son corps, ses cheveux détachés et encore sales s'écroulant sur ses frêles épaules, avec un vieux baluchon qui se balançait derrière son dos. Il a de profonds yeux de charbons où scintillent quelques braises. Ses courbes sont fines et son visage marqué par sa jeunesse. Ses jambes maigres se dessinent sous sa robe, on voit les genoux ployer mais tenir malgré tout. On aurait juré voir une statue de loin.

Dans le ciel, des nuages passent peu à peu, accompagnés par le soleil et des oiseaux. Le vent se lève et enveloppe le jeune homme immobile. Il a un grand sourire sur le visage, qui s'étend d'une oreille à l'autre, déchirant ses joues. Lentement, il lève un bras et sent craquer chacune des articulations, comme s'il n'était fait que de pierre.
Derrière lui, une paroi immatérielle brille par intermittence, comme une surface liquide sous la pluie.
Derrière lui, le matin prend feu un instant puis se charge de créatures et d'arabesques multicolores.
Derrière lui, il entend grésiller son passé.
Derrière lui, il y a une porte fermée.

Sans aucun autre bruit que celui de ses articulations qui se déploient, il se met en route, toujours son immense sourire surnaturel aux lèvres. Ses pas sont hésitants, il clopine et tangue et tombe parfois, sans jamais se départir de son sourire.
Quand il tombe, personne ne vient l'aider à se relever. La porte demeure fermée et son sourire sur ses lèvres. Les nuages passent dans le ciel.
A chaque pas, il soulève un nuage de poussière lourd d'années et de souvenirs, qui retombe et s'éparpille derrière lui.
A chaque pas, il voit le bleu du ciel être un peu plus recouvert par les nuages.
A force de nombreux pas, il arrive au village de l'Hermitage. Malgré l'heure, l'agitation était déjà grande dans le regroupement de bâtisses chancelantes. On réparait le toit de l'une, finissait de caser une porte crasseuse et moisie pour une autre, attachait les barrières de bois qui devaient servir de limite temporaire à une autre dont la moitié avait été arraché, on se bousculait, on criait, on se cassait le dos, on se lançait des planches, des injures et des blagues.
Une brise emporta le jeune homme. Il tomba et roula dans la poussière jusqu'à une grosse boutique à la porte et au propriétaire grinçants. Sur l'enseigne de la bâtisse, qui tremblait sous le choc du corps du jeune homme contre le mur, on lisait « Joaillerie Lepant ».
Un vieil homme, alerté par le bruit, sorti en regardant à droite et à gauche. Il avait une mine patibulaire, un grand tablier de cuir, des gants bien abîmés et une paire de lunette qui glissait constamment sur son nez.
Lorsqu'il vit le jeune homme prostré, il le releva en s'exclamant « Bob ! ».
On l'appelait ainsi par ici. Balthazar Octavius Barnabé était bien joli, mais Bob était ce qu'ils avaient retenu, et il ne leur tenait en rien rigueur, bien au contraire.
Il le mit sur une chaise et l'installa devant la grande cheminée où brûlaient quelques bûches, avant de le recouvrir avec des couvertures.

Lui, il n'avait plus son sourire. Juste une sorte de grimace qui lui déformait le visage, déchirant ses joues en deux, fendant même ses yeux.

Dans le foyer, une flamme se mit à ronger la bûche mouillée que Lepant venait d'insérer. Balthazar tendit la main et, d'une simple pression, la tordit si bien qu'elle monta en une colonne avant de s'écraser et de grésiller entre les cendres.

- Ah les cons…

Lepant, qui était retourné à sa besogne, revint vers lui. Après une grande inspiration, Balthazar lui raconta tout. Cela prit son temps. La totalité de la journée, puis la nuit entière aussi. Puis, pendant une heure, il y avait eu ce silence du matin. Et puis on avait à nouveau entendu les cris, les injures, les blagues.
Lepant tailla un de ses nombreux bâtons de marche et, à son bout, il mit une toute petite gemme. Elle ne valait rien, ne pouvait pas être travaillée, ne brillait même pas. C'était à peine un caillou un peu rouge. Il l'incrusta. Donna une grande tape dans le dos de Balthazar.

Ce dernier se leva, fièrement drapé dans sa robe cramoisie ignifugée. La lumière du matin se glissa à ses pieds et vint éclairer son visage souriant.
La vraie vie, elle n'attendait pas dans des bouquins pourrissant dans la poussière.
La vraie vie, elle était au bout de son bâton.
La vraie vie, elle était à portée d'embrassade.

La vraie vie, elle était juste derrière la porte.

Il sortit en saluant Lepant et lui souhaitant bonne chance, les yeux comme enflammés par l'aube. Un fort vent du Nord soufflait ce matin, faisant claquer sa robe contre ses jambes et ses cheveux contre ses joues.
Il descendit le sentier qui quittait le village puis s'arrêta. C'était là que la vraie vie commençait. Il fit un pas hors du sentier. Le monde entier se colorait et devenait habité sous son pieds. Les cimes blanchissaient soudain, les plaines hurlaient dans le vent, les forêts bruissaient et s'alourdissaient d'une torpeur printanière, les villes se mettaient à fumer et à papoter.

Loin derrière, tout au fond du sentier après une frêle muraille de galets, se tenait, ridiculement petite, la Tour des Mages.

Il tapa le sol avec son bâton, invoquant des flammes autour de son bout.
Devant lui se tenait le monde. Devant lui se tenaient des villes. Devant lui se tenaient courtisanes et paysannes. Devant lui se tenaient riches et pauvres. Devant lui se tenaient les ruelles microscopiques, pleines de rats et d'intrigues. Devant lui se tenaient les palais. Devant lui se tenait sa vie. Trop exubérante pour être confinée dans une tour de pierre et de vieux parchemins. Trop débordante pour ne pas dégouliner de partout. Trop elle-même pour qu'il faille un quelconque diplôme pour pouvoir tenter de l'étreindre pleinement.

L'Aventure, faite de sang, d'air frais, de sourire narquois, de nuits trop courtes, de pauvreté, de futur, de vie : l'Aventure l'appelait.
Et il comptait bien répondre à l'appel.