Bonjour, bonsoir tout le monde,

Une fois n'est pas coutume je me lance dans le AoKaga. C'est en regardant un magnifique Doujin que l'idée m'est venue. Il fallait en faire quelque chose tellement les dessins et l'histoire est belle et poignante. J'ai repris le fil conducteur en y incorporant des idées à moi (notamment sur l'absence de Kuroko).

Je vous le conseille fortement, si vous ne le connaissez pas, je vous mets les références :

Artiste : Aldaria, aokara !ay sur Pixiv.

Pas de surprise donc sur la fin, sauf les éléments que j'ai rajouté. Au départ ça ne devait être qu'un OS… hem hem… Je me suis laissée emporter pour en faire une fanfic plus longue, j'espère que vous aimerez. Elle est complètement terminée et elle comporte 4 chapitres.

NB : j'ai mis à la fin du chapitre le champ lexical que j'utilise par rapports aux « créatures » japonaises. J'ai pris quelques libertés également pour certaines, les arrangeant à ma convenance.

Je remercie ma gentille bêta, Kuro-hagi pour sa correction :3

Bonne lecture,

Perigrin.


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Kage no mori

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Chapitre 1

Hakken

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Il était un endroit paisible, au cœur d'une forêt dense, luxuriante, appelée Shēdingu. Beaucoup d'animaux légendaires y vivaient en toute quiétude, certains plus prédateurs que d'autres cependant tous cohabitaient dans de bons termes. Parmi ces créatures, quelques unes avaient évolué de manière à mélanger leurs gênes à ceux des hommes, ce qui en faisait des individus à part.

Ces prédateurs en général vivaient seuls, ne se confrontant que très peu à leurs congénères. Il en était un particulièrement de craint dans toute la forêt. Personne n'osait se confronter à lui, son territoire s'étendait au-delà des clairières parsemées, à l'orée du bois et s'étalait jusqu'aux prairies verdoyantes, peuplées de fleurs des champs. Il s'appelait Daiki et avait l'apparence gracieuse d'une panthère noire se confondant avec des trais plus humains. Ses yeux perçants, bleus comme une nuit sans étoiles reflétaient tous les abysses qui le consumaient. Il régnait en maître sur cette partie de la région et nul autre homme-félin ne se mesurait à sa rage grondante. Daiki pouvait parcourir des dizaines de kilomètres par jour, patrouillant sur son territoire et faire fuir les éventuels ennemis.

Les autres le regardaient de loin, toujours de loin, bien cachés entre les bosquets ou sur les branches des arbres, attendant qu'il s'en aille pour réapparaître.

Epris de Liberté, de grands espaces, Daiki pourchassait le temps qui passe, à la recherche d'un semblable quand son honnêteté prenait place dans son cerveau. Sinon il se répétait qu'il était bien mieux seul qu'accompagné. Les fauves ne vivaient pas en meute, comme les hommes-loups par exemple. La solitude était sa compagne fidèle, fluctuant au gré de ses humeurs : tantôt bénéfique, tantôt pesante. Mais jamais dans la forêt des Ombres, Daiki ne vit un autre comme lui.

Parfois quand l'ennui le pesait, il se réfugiait chez son ami Tetsuya, kitsune à sept queues, habitant au cœur de la forêt. Ils parlaient de tout et de rien, jouaient aux devinettes ou tout simplement restaient là à écouter le chant du vent faisant bruisser les feuilles. Tetsuya aimait observer la nature, il en connaissait chaque recoin, chaque élément qu'il soit minéral ou végétal.

Cette amitié inattendue appartenait au passé… L'homme-renard n'existait plus. Avec lui, un peu de l'humanité de Daiki avait été emportée. Il évitait autant que possible de se remémorer cette intolérable absence qui lui grignotait le cœur. Alors le félin solitaire reprit le chemin de sa vie, immuable dans la rengaine d'un quotidien morne.


Un beau matin, en revenant près de sa tanière, une odeur étrangère le prit à la gorge. Quelqu'un avait osé pénétrer son périmètre. L'imprudent !

Daiki, aux aguets, ses sens en alerte, huma l'air essayant de détecter de qui pouvait provenir ce parfum musqué. Rien qu'avec cette senteur similaire à la sienne, il se sentit en danger. Elle flottait dans l'air tel un poison persistant, se greffant aux arbres, aux roches et à tout ce qui constituait son territoire. Cet autre avait posé sa marque partout, remplaçant celle du propriétaire des lieux. De suite l'homme-panthère arpenta les chemins boisés à la recherche d'indices. Il patrouilla longtemps sans résultat probant. Résigné, il se décida à demander aux autres créatures s'ils avaient aperçu un nouveau venu. Daiki fut récompensé quand il vit au loin, près d'un ruisseau, Ryōta un autre kitsune. Il était réputé pour être facétieux, aimant jouer et surtout se jouer des autres. Normal en soit, vu qu'il faisait partie des nogitsune, espèce plus maligne que celle de son défunt ami…

Daiki alla à sa rencontre, déterminé à ne pas se laisser avoir par ce renard. Ryōta l'entendit arriver de loin, son flair hors pair le trompait rarement. Un sourire mutin accroché à ses lèvres, il ne daigna pas relever à la tête à l'approche de la panthère. Il continuait de jouer avec l'eau, en passant et repassant sa main dans l'onde claire.

— Tu n'aurais pas vu un intrus par hasard ces derniers jours ? attaqua d'emblée le félin.

— Hum… De quoi parles-tu ?

— Je te parle d'un intrus qui s'est aventuré sur mon territoire, c'est pourtant simple !

— Oh non, je ne sais pas…

Ryōta parlait par énigme, son ton mystérieux se moquait clairement de son interlocuteur. Il était en train de le mettre à l'épreuve, ce qui fonctionna à merveille puisque Daiki s'impatientait, faisant claquer ses crocs entre eux.

— Ne joue pas avec moi. Dis-moi simplement si oui ou non tu as vu un étranger ici !

Le kitsune au pelage doré comme un soleil d'été, ricana en mettant sa main devant sa bouche dans une attitude précieuse. Il déploya ses neuf queues, imitant un éventail, ce qui le cachait à la vue de son visiteur. Puis, tourna sa tête pour le regarder en coin, toujours avec ce sourire taquin qui le caractérisait. Ses yeux ambrés luisaient d'amusement.

— Je n'oserais jamais jouer avec toi voyons… Seulement… Je ne peux pas te dire si effectivement quelqu'un est venu ici si je ne sais pas à quoi il ressemble. Dis-moi en plus…

Daiki écarquilla ses yeux, ses pupilles se dilataient déjà sous le poids de l'agacement. Comment pouvait-il savoir à quoi ressemblait cet intrus s'il ne l'avait jamais vu ? Ce maudit kitsune était tout bonnement en train de se moquer de lui et d'effriter ses nerfs déjà atteints.

— Comment tu veux que je le sache !? C'est bien pour ça que je suis venu te demander !

Ryōta le regarda avec des yeux et une bouche ronde.

— Daiki est si méchant avec moi alors que je n'ai rien fait !

Les traits de l'homme-panthère se déformèrent de rage, il n'y tenait plus. Il ne rivalisait pas avec le côté futé du kitsune, surtout un de son rang. Il avait nettement l'avantage du chantage… On ne pouvait rien lui demander sans que cela ne parte sur un terrain glissant ou sur un jeu malsain.

— Tu veux quoi ? s'irrita le fauve.

— Hum… Et bien je me sens si seul dans cette forêt… déclama le renard avec une mine triste. Tu comprends, mon ami n'est plus. Je n'ai plus personne avec qui jouer aux devinettes alors tu pourrais me tenir compagnie un peu, qu'en dis-tu ?

Daiki serrait ses mâchoires, ses dents craquaient entre elles. Ce fichu kitsune de malheur lui remettait dans la figure l'absence de Tetsuya à chaque fois qu'il le croisait dans le but de l'accabler d'avantage. Il se sentait suffisamment mal comme cela sans qu'un tiers vienne lui jeter au visage ce fait. Qui plus est, tous les moyens étaient bons pour Ryōta afin d'obtenir ce qu'il désirait quitte à remuer la fange et les larmes. A bout de nerfs, Daiki fit un geste de la main en abattant son bras dans l'air et répliqua sèchement.

— Non c'est bon, je vais me débrouiller tout seul, tant pis. Je ne te dérangerai plus.

Quand il amorça un pas pour partir, il entendit l'autre yōkai souffler de dépit. Il n'avait pas obtenu ce qu'il désirait. De toute façon jamais personne ne gagnait contre Ryōta, et Daiki ne voulait pas s'obliger à rester auprès de lui pendant des heures et des heures. Il regagna sa contrée en pestant de rage.

Il se hissa au plus haut des branches de son arbre centenaire, refuge précieux pour ses longues siestes, et attendit tranquillement que la nuit tombe. Daiki patienta plusieurs jours, perché de la sorte, caché par les feuilles vertes des branchages à contre vent pour masquer son odeur.

Il somnolait quand son odorat déchiffra la même fragrance entêtante que la dernière fois. Ses oreilles bougeaient en d'infimes soubresauts. Il rouvrit les yeux pour le voir. Lui. Cet autre, en bas, se promenant l'air de rien dans la clairière parsemée de hautes herbes. Aussitôt Daiki se redressa, prêt à bondir sur cet individu. Il l'observa attentivement néanmoins, car jamais de sa vie il n'avait rencontré un autre homme-félin. C'était la première fois. L'autre semblait pareil et différent à la fois. Il possédait des oreilles ainsi qu'une queue de félidé, une musculature massive et des griffes acérées. Pas de doute, il faisait partie de son espèce. Son pelage de feu contrastait avec le sien, aussi sombre que les ténèbres. Ce n'était pas une panthère. Même si Daiki ne connaissait pas véritablement les origines de cette créature, il n'en restait pas moins méfiant. Sans savoir pourquoi, il se sentait menacé, probablement parce qu'on osait empiéter sur son territoire, ou bien parce que depuis tellement d'années que la panthère attendait quelqu'un, la Providence l'amenait enfin et cela lui faisait peur.

L'instinct lui dicta de l'attaquer, alors Daiki bondit de sa branche pour atterrir gracieusement à terre, les griffes dehors, le poil hérissé.

Tous deux dans une attitude défensive, se jaugeaient en tournant en rond sans jamais se lâcher des yeux. Personne ne parlait, seuls les grognements menaçants roulaient au fond de leurs gorges. Ils dévoilèrent leurs crocs aiguisés tels des lames, étincelantes et meurtrières. La tension ne cessait d'augmenter, autant dans l'atmosphère que sur les corps tendus. Tous leurs muscles bandés roulaient quand ils tournoyaient, en effectuant des mouvements lents. Cette lenteur effroyable accentuait la nervosité ambiante. Le nouveau ne baissait pas le regard, au contraire, il le défiait de ses yeux sanguins. Le feu semblait habiter ses iris pyropes. Cette attitude téméraire énerva Daiki, il se mit debout et rugit de tout son saoul. C'était lui le maître des lieux, lui le seul roi de la forêt.

La réponse de l'autre félin ne tarda pas puisqu'il se redressa également, toutes griffes dehors et bondit sur son adversaire. Daiki tomba au sol, roula sur plusieurs mètres avec le corps puissant de son rival sur lui. Il ne sentit même pas les cailloux lui érafler le dos, ni les coups de griffure de cet intrus. Ils ne se décollaient pas l'un de l'autre, retenus par leurs crocs plantés dans leurs peaux ainsi que leurs griffes. Le combat était violent, très violent. Les quelques oiseaux posés sur leurs perchoirs s'envolèrent sous le bruit des feulements. Puis enfin ils s'écartèrent à bout de souffle. Pour s'observer encore quelques secondes. Les torses peinaient à reprendre l'air qui manquait à leurs poumons. Les respirations se faisaient sifflantes. Daiki, pour impressionner, émit un grondement sourd, caverneux et terriblement long provenant du fin fond de son larynx. L'inconnu n'hésita pas à rugir une nouvelle fois d'un son guttural démontrant qu'il n'avait pas peur de son intimidation. Daiki sauta mais son rival au pelage orange l'esquiva. Il bondissait encore plus haut que lui. L'homme-panthère ne riait plus, ses yeux safres brillaient d'un éclat noir. Il allait l'écharper ! L'autre, doté d'un sixième sens affuté, le devina alors il se mit à courir afin de le semer. Etant plus robuste, il arrivait à tenir la cadence tenant la panthère loin derrière lui. Quant à Daiki, n'étant pas constitué de la même façon, il se fatigua rapidement, plus habitué à courir sur de courtes distances. Il laissa filer cette créature, en la regardant disparaître derrière l'horizon verdoyant.


Les jours suivants, Daiki ne quitta pas son repère, redoutant que l'autre ne revienne. Ou l'espérant fortement. Malgré sa rage envers cet être atypique, un autre sentiment s'enchevêtrait à sa raison, mélangeant le fil de ses pensées… Celui de la curiosité… Cet homme l'intriguait grandement. Il se posait milles et une questions sur son compte ; d'où venait-il ? Pourquoi s'était-il perdu ici précisément ? Comment s'appelait-il ? Aimait-il aussi courir dans l'étendue vaste de la mer herbeuse qui faisait office de terrain de jeu ?

Sans s'en apercevoir, Daiki fut obnubilé par quelqu'un d'autre à la place de cette amertume qui rongeait son cœur. Cela eut l'avantage de le rendre plus « vivant », tourné vers le présent au lieu d'un passé révolu.

Il commençait à désespérer de ne pas revoir l'importun félin quand il le vit revenir au pied de son arbre. Il se lécha les babines inconsciemment, impatient de se confronter encore à ce rival sans égal. La panthère sauta de sa branche sur laquelle elle était allongée quelques secondes plus tôt et fit face à son intrus. Ce dernier ne semblait pas agressif comme la fois d'avant, un peu sur la défensive mais rien de plus. Il se recula machinalement, ses lacs de magma incandescents luisants plus que le soleil même. Ses iris, réduites en deux fentes troublantes. Avait-il peur ?

Daiki souffla et s'approcha doucement. L'autre recula d'un pas. La panthère abaissa ses oreilles dans une attitude qui se voulait pacifique. Maîtrisant son agacement quelque part, il demanda.

— Qu'est-ce que tu fais ici ? Tu ne sais pas que cette partie de la forêt est mienne, tu veux mourir ?

L'inconnu baissa à peine la tête afin de le dévisager, menaçant, son front froncé en des plis de contrariété. Sa queue s'agitait dans l'air, tel un fouet.

— Non je n'en sais rien ! Comment est-ce que je le saurais je ne suis pas d'ici ?

— Tu viens d'où alors ?

Le ton montait indubitablement.

— Ca ne te regarde pas !

— Bien sûr que si, à partir du moment où tu me provoques, ça me regarde ! Réponds-moi.

— Tu divagues ! Je ne t'ai jamais provoqué, c'est toi qui t'es jeté sur moi l'autre jour alors que je ne faisais rien de mal. Je passais juste.

— Tu passais sur mon territoire abruti !

— Ca va je le sais que c'est ton territoire et ne m'insulte pas sinon je te crève les yeux !

Ils recommençaient à se chercher mutuellement. A croire que leur nature de prédateur leur dictait de s'entredéchirer.

— Pourquoi tu es revenu aujourd'hui maintenant que tu sais que tu n'as pas ta place ici !?

— J'en ai marre de toutes tes questions !

Daiki se tassa un peu en montrant ses crocs. Là il commençait à s'énerver de l'entêtement de cet homme-félin. En réponse, ce dernier fit pareil, prenant la même position défensive. La panthère détailla les traits de son visage abrupt comme taillé à la machette. La ligne de sa mâchoire carrée se dessinait parfaitement sous sa peau dorée, révélant une ossature solide. Et ses cheveux rougeoyants ondulaient au gré de la bise légère, comme des pétales de roses rouges emportés par le vent. Daiki fut hypnotisé l'espace d'une demi-seconde. Une demi-seconde, une fraction de sa vie, un micron d'année dans ces yeux débordant de fureur.

— Je viens de loin, par delà les monts enneigés.

Cette voix sortit Daiki de sa torpeur, ce qui lui permit d'enchaîner.

— Tu t'es perdu ?

— Non, je suis parti.

— Tu es quoi exactement ?

— Comment ça ?

— Tu comprends vraiment rien ! s'énerva la panthère peu encline à la patience. T'es quoi comme race ?

— Un tigre ! T'en a jamais vu de ta vie imbécile !?

— Non puisque je te demande, réfléchis !

Le tigre donc, bondit et se jeta sur son rival en l'empoignant par le cou, ce que l'autre reproduisit également. Crocs dévoilés, grognements de mise en garde, les deux yōkai se jugeaient d'un air assassin.

— Lâche-moi ! éructa Daiki.

— C'est toi qui me tiens je te signale !

D'un commun accord, ils lâchèrent prise en même temps et se repoussèrent.

— Tu piétines mon territoire et je ne sais même pas ton nom d'abord !

— Argh mais moi non plus je ne sais pas le tien, t'es énervant !

— C'est à toi de me le dire ! fit Daiki en pointant son doigt vers son vis-à-vis.

— Bon si ça te fait plaisir je m'appelle Taiga, comme ça tu seras content.

— Oui je préfère, répondit le félin au pelage noir en croisant ses bras de satisfaction. Moi c'est Daiki, et pour ta gouverne je ne pouvais pas savoir ce que tu étais vu qu'il n'y a aucune autre créature ici comme toi et moi.

— Ah bon, c'est bizarre ! Je peux passer en toute tranquillité maintenant ou il faut qu'on se batte de nouveau ?

— Me tente pas l'étranger… Ecoute, un conseil : tant que tu restes éloigné de mon territoire, ça me va, tu peux aller où tu veux. Et si tu dois passer par là, amène-moi un cadeau en gage de ta bonne foi.

— Non mais je rêve ! Un cadeau et puis quoi encore ?

— Une proie fera l'affaire.

Taiga fit la moue peu convaincu par cette demande farfelue. Il souffla et haussa ses épaules.

— D'accord, je ferai ça la prochaine fois.

Il commença à partir quand Daiki l'interpella.

— Tu vas t'installer où du coup ?

— Je n'en sais rien, à vrai dire je n'y ai pas pensé.

— T'es vraiment pas très malin… La forêt est dangereuse, tu ferais mieux de te dégotter un endroit protégé en hauteur ou près d'une grotte.

— Pourquoi ça ? Je croyais que la créature la plus dangereuse c'était toi et tu ne me fais pas bien peur, rit l'homme-tigre.

Surprenant le nouvel arrivant, Daiki prit un air grave n'incitant pas à la raillerie.

— Détrompe-toi, je ne suis certainement pas la personne la plus redoutable dans ce royaume. Tu devrais te méfier… Trouve-toi un abri en évitant le Nord de la forêt, c'est tout.

Interloqué par ces sous-entendus et ce ton mystérieux, Taiga opina du chef et partit sans se faire prier. Cette panthère venait de le mettre en garde, lui prodiguant un conseil explicite, il le suivrait à la lettre.

• • ~ ~ • ~ ~ • •

Daiki se vit changer ses habitudes malgré lui. En effet, au lieu de partir des jours entiers en quête d'aventure, il restait près de son repère. Il attendait la venue de Taiga sans se l'avouer, sinon pourquoi se cantonner à un périmètre plus restreint ? Bien entendu, l'homme-panthère ne se l'avouait pas, il avait sa fierté. Néanmoins, ce nouveau venu titillait sa curiosité. C'était une chance inespérée de découvrir d'autres coutumes, d'autres peuples, d'autres contrées et bien d'autres choses. Il pourrait peut-être enfin partager des loisirs ainsi que des goûts communs.

Sa venue ne se fit pas tarder car quelques jours après leur dernière rencontre, Taiga vint le chercher, toujours au pied de son arbre. Daiki paraissait en haut d'une branche, sa queue battant mollement l'air. Ils s'observèrent encore. Cette fois-ci, l'homme-tigre arborait un sourire goguenard qui semblait le narguer. Daiki sourit à cette provocation, émoustillant sa raison. Il allait sortir de son ennui quotidien.

L'autre le héla d'en bas.

— Hey, tu comptes dormir toute la journée ?

— Je sais pas… Si j'ai rien de mieux à faire pourquoi pas…

Le ton nonchalant de Daiki était là pour cacher son soulagement à le revoir. Seulement il trompait les apparences, comme toujours. Il ne voulait surtout pas donner à ce tigre venu de nulle part le plaisir d'avoir attisé sa curiosité.

— Tiens, je t'ai amené ton cadeau comme convenu, tu seras moins ronchon.

La panthère se pencha un peu, semblant intéressée par ce présent. En fait ce n'était qu'un petit gibier, un lapin, mais cela lui permettait de ne pas chasser et aussi d'avoir le plaisir de se voir offrir quelque chose. Car malheureusement, personne ne faisait jamais une chose pareille pour lui. Il sourit de toutes ses dents acérées et sauta de là-haut avec toute la félinité dont il était pourvu. Il s'empara de la proie morte, la jugea et alla la cacher dans le tronc de l'arbre.

— Ca va, je peux passer sur ton territoire Monseigneur grincheux ?

— Hum… Oui c'est d'accord. Tu as été visiter les alentours depuis que tu es arrivé ?

— Non pas vraiment, sauf pour me chercher un abri comme tu m'as dit.

— Et alors, tu l'as trouvé ?

— Oui, j'ai suivi tes conseils et je me suis installé au Sud-est de la forêt, dans une trouée entourée d'arbres, je suis tranquille.

— C'est bien… Daiki semblait réfléchir. Bon, ça te dit de venir avec moi, je vais te montrer les environs ?

Taiga prit une attitude taquine, se redressa et mit ses poings sur ses hanches.

— Tu te décides enfin à bouger ta graisse, et ben j'ai hâte de voir ce que tu vaux à la course parce que la dernière fois je t'ai semé en une seconde !

— Je n'ai pas un poil de graisse je te ferais dire ! S'il y en a un qui est gros et qui a du mal à bouger c'est bien toi ! Je te bats quand tu veux !

— J'aimerais voir ça ! Alors essaie maintenant.

Et sur cette fine réplique, Taiga se propulsa à l'aide de ses jambes puissantes pour bondir quelques mètres plus loin et entamer un sprint endiablé. Daiki, pris au dépourvu, mit quelques secondes à reprendre ses esprits et poursuivre son homologue, en hurlant qu'il avait triché.

Les deux hommes-fauves firent la course longtemps, passant par les clairières aux vastes étendues, près d'une rivière longeant les flancs des collines pour finir par entrer dans la forêt dense. Ici, pas de place à la course. Ils escaladèrent habilement des éboulis de pierres, montèrent sur des tertres, explorèrent les sous-bois. Taiga s'émerveilla de la flore de cette région, apparemment il n'avait jamais vu de telles plantes chez lui. Cependant il resta évasif quand son nouvel ami lui posait des questions, se contentant de répondre au minimum. Daiki le prévint également des créatures à éviter, de celles à se méfier et des plus gentilles à qui il pourrait demander service n'importe quand.

Justement, près d'un cours d'eau serpentant des pins millénaires, se trouvait une nouvelle créature, tenant une jarre et récoltant l'élément translucide. Sous son kimono gris aux reflets argentés, on pouvait distinguer des écailles couleurs vertes, ainsi qu'une longue queue de reptile coulant sur le sol.

Daiki chuchota à l'oreille de Taiga.

— C'est Shintaro, l'esprit de l'eau de cette forêt. Il a des manies bizarres, il ne faut pas le déranger quand tu le vois faire ce genre de trucs.

— Pourquoi ? Et qu'est-ce qu'il fait de cette eau ?

— Ca personne ne le sait… Certains disent qu'il ferait des rites magiques avec, d'autres qu'il surveillerait la pureté de l'eau, mais avant de boire il faut lui demander la permission.

Le tigre grimaça. Il n'aimait pas demander la permission pour agir mais bon, son nouvel environnement lui était encore inconnu, autant ne pas attirer la haine des autres habitants.

Le hebi se retourna pour épingler ses yeux aux accents de lichen sur les indésirables qui le dérangeait. Taiga put admirer les éclats profonds de ses prunelles jades, ses traits plus fins que ceux des félins. Une aura glaciale l'entourait, il semblait très sérieux limite sévère.

— Je vous entends vous savez… Vous n'êtes pas discrets. Daiki, qui est-ce, je ne l'ai jamais vu auparavant ?

Tandis qu'il prononçait ces mots, Shintaro avança doucement, ses pas ne se faisaient pas entendre. On aurait dit qu'il glissait sur le sol. Il s'arrêta juste devant le tigre et le détailla des pieds à la tête.

— C'est Taiga, il est…

— Je m'en fiche.

Un silence gênant s'installa entre tous les protagonistes.

L'homme-tigre réfrénait son envie de lui sauter à la gorge pour lui apprendre les bonnes manières. Daiki posa sa main sur son avant bras comme pour l'encourager à garder son calme.

— Tant que tu ne t'approches pas de la Cascades aux larmes, tu peux t'abreuver à n'importe quelle source sous réserve de me le demander poliment, reprit Shintaro avec un ton absolument dénué d'empathie.

D'ailleurs Taiga s'amusa à détailler l'anatomie de sa langue de serpent lorsqu'il parlait. Il avait une folle envie de rire.

— D'accord si tu veux, et elle se trouve où cette cascade interdite ? demanda-t-il avec tout le sérieux dont il pouvait faire preuve.

— Elle se situe au Nord du Shēdingu, aux abords du territoire sacré. Seul moi aie le droit d'y pénétrer.

A l'énoncé du hebi, Daiki se tendit, sa main se crispa sur l'avant-bras de son camarade sans qu'il ne le contrôle.

— Ouais, écoute-le, n'y va jamais.

— Pour une fois que tu dis quelque chose de censé Daiki, bravo. Je vois que tu as gagné en bon sens. Sur ce, j'ai des choses à faire, laissez-moi tranquille.

Shintaro ne prit pas la peine de les entendre répliquer quoi que ce soit qu'il s'en alla aussitôt vaquer à ses occupations occultes.

Le tigre était toujours furieux de son attitude condescendante, il bouillonnait de rage, les poings tendus.

— Laisse-le, il n'est pas méchant. Peu de monde le supporte, il n'y a que son suiveur qui le peut.

— Ah bon, et bien je le plains ! Non mais il faut lui demander la permission pour boire, j'aurais tout vu !

— J'avoue c'est contraignant mais il ne refuse jamais et tu le croises rarement, à mon avis tu as peu de chances de le revoir.

— Tant mieux ! Et c'est quoi cette histoire de territoire interdit et de cascade !? Vous êtes bien mystérieux.

Daiki souffla en relâchant son avant bras. Il sembla mélancolique à l'évocation de cette partie de la forêt, ou plus exactement de la créature qui l'occupait.

— Ecoute, ça serait trop long à t'expliquer mais tu as juste à savoir qu'il ne faut jamais mettre les pieds là-bas, au Nord. Et que cette cascade n'est pas potable. Elle appartient à quelqu'un de beaucoup moins sympathique encore que ce serpent mal dégrossi. Tu me promets de ne jamais y aller ?

Clignant des paupières dans l'incompréhension, Taiga approuva. Après tout, il ne connaissait rien des histoires des gens d'ici, mieux valait être prudent. Il ne voulait pas d'ennui.

(suite...)


Lexique :

Shēdingu : ombre.

Nogitsune : kitsune espiègle, littéralement « renard des champs ».

Yōkai : créature surnaturelle dans le folklore au Japon, terme général.

Hebi : serpent.

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Hakken : découverte