Style : Yaoi, espionnage
Inspiré de : Alex rider
Couple : Alex rider X Yassen Gregorovich
Moscou Blues
Cette histoire se déroule à la fin de "jeu de tueur » SPOILERS au sujet de jeu de tueur et de Yassen.
L'été se terminait à Londres, laissant derrière lui les derniers relents de canicule, accrochés aux parois de béton des bâtiments hospitaliers. Mais Alex n'avait pas chaud…
Il se sentait même glacé, depuis ce coup de téléphone. Un docteur lui avait parlé d'une voix douce, de celles qui vont annoncer une mauvaise nouvelle.
Alex n'aurait su dire si cette nouvelle était mauvaise ou bonne, en fait.
« Vous êtes Alex rider ? »
« Oui »
« Je suis le docteur… »
Il n'avait pas retenu le nom du médecin, mais ses mots, oui. Son oncle était à l'hôpital. La raison lui avait murmuré de corriger son interlocuteur mais quelque chose l'avait retenu… son intuition ?
Son expérience des situations inhabituelles ? En tout cas, il avait laissé le médecin poursuivre : une mauvaise blessure, dû à un accident d'avion.
C'était précisément ce qui avait mit Alex sur la piste : accident d'avion. Et que « son oncle » voulait le voir, semblant connaître son adresse et son numéro de téléphone par cœur.
Après avoir hésité, il avait décidé de se rendre sur les lieux sans rien dire à Jack. Un blessé ne pouvait pas grand-chose contre lui.
« Vous êtes venus pour la chambre 64? »
Il hocha simplement la tête, réalisant qu'il avait la gore nouée.
« Votre oncle va être ravi de vous voir. Il vous a beaucoup réclamé »
« Ça je n'en doute pas. »
Sa voix était très froide, beaucoup trop pour un garçon de son âge, mais l'infirmière ne releva pas et se contenta de pousser la porte.
« Bonjour Alex. »
« Bonjour tonton »
Ils s'étaient salués avec naturel, parfaits dans leur rôle l'un comme l'autre. Pourtant, Yassen Gregorovich ne ressemblait absolument pas à Alex, ni par son physique, ni par ses attitudes. Mais l'infirmière n'étais pas la pour poser des questions et voir l'adolescent s'approcher du lit sans hésitation lui suffit.
« Je vous laisse messieurs. Monsieur Rider, si vous avez besoin de quoi que ce soit… »
Elle jeta un regard enamouré au russe qui donna envie de ricaner à Alex. Yassen se contenta de hocher la tête, sans la moindre émotion, comme à son habitude.
Alex n'osait pas penser au travail sur soi nécessaire à une telle impassibilité. La première fois qu'il avait eu affaire à Yassen, Alex l'avait trouvé terrifiant par sa froideur. Maintenant il ne pouvait pas s'empêcher d'éprouver une certaine admiration qui semblait réciproque pour le tueur. Il aurait aimé maîtriser aussi bien ses émotions.
« C'était mesquin comme plaisanterie. » Fit-il acidement en fixant le russe « mon oncle… j'apprécie, vraiment ».
Yassen se contenta de lui rendre son regard : « je ne sais pas plaisanter. Je n'avais pas de moyen plus efficace pour te contacter sans éveiller les soupçons. »
« Si. Ne pas me contacter. »
Cette fois le tueur eu un imperceptible sourire.
« Après ce que je t'ai dit, tu ne me feras pas croire ça Alex. »
Le garçon se rembrunit.
« M'apprendre que mon père était un tueur à gages que le MI6 a pourchassé et éliminé, j'aurais pu vivre sans le savoir, figurez-vous. »
« Bien sur. Je vais te dire une chose Alex : tu aurais fini par le savoir par ce que c'est dans ton caractère. Les adultes croient tout connaître, mais toi tu veux tout comprendre. Ça n'a rien à voir avec une formation d'espion, c'est plus fort que toi. »
« Je vous dois combien pour l'analyse ? » Trancha l'adolescent.
« Nierais-tu cette curiosité maladive ? Sayle et Cray te l'auraient volontiers enfoncée dans la gorge. »
« Merci de me rappeler de merveilleux moments. »
« Je te rappelle que tu n'as pas écouté mon conseil. »
La voix de Yassen, d'ordinaire dénuée d'intonation ou d'émotion était soudain devenue glaciale, rappelant à Alex qui exactement il avait en face de lui.
« Je t'avais dit que tu n'étais pas de ce monde. Tu ne m'as pas écouté. »
« J'ai du mal à croire que vos conseils aient pu être pour mon bien, désolé. »
Ce fut rapide. Gregorovich attrapa Alex par le col de sa chemise, entre deux doigts, et le fixa.
« Peut-être aurais-je mieux fait de te le dire en t'enfonçant un revolver sous la gorge ? »
Alex n'osait plus bouger. Même sans arme, Yassen pouvait se débarrasser de lui. Il se maudit d'être venu, jusqu'à ce que l'autre le lâche. Le russe avait compris qu'il lui faisait encore peur, et son regard s'adoucit vaguement.
« Désolé. Je n'ai pas de tact avec les enfants. Et puis tu es le fils de Hunter, ça ne m'aide pas à faire preuve de diplomatie. »
« Hunter ? »
« C'était le nom de code de ton père. »
Il abaissa le col de son pyjama et montra la cicatrice sur son cou.
« J'ai toujours su son véritable nom mais je ne l'employais presque jamais. »
Alex garda le silence mais Yassen vit nettement à son expression qu'il brûlait de poser des questions.
« Tu veux savoir quel genre d'homme c'était. »
« Oui » déglutit Alex.
Gregorovich eut à nouveau un sourire vague.
« C'est pour ça que je voulais te voir. En fait je te propose un petit voyage… »
« Et où ? »
Yassen se leva lentement et se dirigea vers ses vêtements, encore tachés de sang.
« En Russie. »
Alex songea qu'il était fou. Suivre un tueur à gage russe sans la moindre arme ou le moindre gadget, ça ne pouvait qu'être de la folie... mais Gregorovich n'allait certainement pas se donner la peine de l'emmener jusqu'en Russie pour l'éliminer.
« Tu veux boire quelque chose ? »
Le garçon tressaillit et se tourna vers Yassen comme un chat mordu par un serpent.
« Quoi ? »
« Je te demandais si tu as soif. » répéta le russe en continuant à le fixer. « Cesse de t'agiter. Si tu as le mal de l'air, tu peux réclamer un cachet. »
« Très drôle ».
« Je t'ai déjà dit que je ne plaisantais jamais. Et je t'ai dis aussi que tu n'auras pas d'arme. »
« Ça m'aiderait à vous faire confiance. »
« Tu n'arriverais pas à me toucher. »
Le ton n'était pas condescendant. Yassen avait dit cela comme ce que c'était : une évidence.
Alex ne savait pas tirer.
« Écoute. Je t'ai dit la vérité au sujet de ton père. Si tu veux tout savoir… il m'a même présenté quand tu étais petit. »
« Pardon ? »
« J'étais là pour ta naissance. Je ne suis resté qu'une minute ou deux, bien sûr. Mais ça me faisait plaisir de voir John aussi fier. »
Alex se sentit humilié en songeant que Gregorovich l'avait vu pleurer et hurler en layette. Encore heureux qu'il n'en ait aucun souvenir.
« Et ma mère ? »
Gregorovich haussa les épaules.
« Je la connaissais à peine. Elle avait l'air heureuse. »
« Elle savait pas pour mon père ? »
« Pas à ma connaissance. »
Il y eut un nouveau silence, puis Alex osa une autre question :
« Il y a une chose que je ne comprends pas. J'ai vu Cray… »
« Me tirer dessus. »
« Il vous a loupé ? »
« J'aurais une cicatrice. Il ne m'a pas loupé. »
« Mais je vous ai vu mourir ! »
« Tu m'as vu mettre en pratique une excellente technique pour simuler la mort. »
« À quoi ça vous a servi ? »
« À sortir de l'avion sans que personne ne me remarque. Le MI6 ne t'as pas dit qu'il n'avait trouvé que le cadavre du pilote ? »
« Ils auraient eu du mal pour celui de Cray. Ils vont vous rechercher ? »
« Comme ils le font depuis des années. » se contenta-t-il de répondre indifféremment. « Ce n'est pas la première fois que je « meurs ». »
« Ravi de l'apprendre. »
Alex se renfonça dans son siège, plus bougon qu'apeuré. Gregorovich le fixa encore, puis s'adressa en russe à une hôtesse qui passait. Elle lui apporta une bouteille de vodka et une canette, qu'il posa sur la tablette en face d'Alex. Ce dernier grommela un vague « merci » mais n'y toucha pas.
Quelques heures plus tard, l'avion fut prit d'une violente secousse, qui réveilla Alex, à moitié assoupi. A ses côtés Gregorovich n'avait pas bougé, feuilletant une revue avec un air de désintérêt absolu.
« Que… Que se passe-t-il ? » Balbutia le garçon en voyant passer deux hôtesses affolées. Yassen consulta sa montre.
« Pas une seconde de retard. »
« De quoi parlez-vous ? »
« Vois-tu, j'ai été un peu pressé par le temps et je n'ai pas pu t'obtenir un faux passeport. Il y a une bombe à l'arrière de l'appareil. J'ai un parachute pour toi. »
Alex avait déjà sauté en parachute, et pas dans les meilleures conditions : il en avait gardé tout au plus un certain malaise en y repensant, rien de plus. La nage en eau glacée ne le dérangeait pas davantage, ce n'était pas son premier voyage en Russie ni sa première expérience du froid. Mais jamais encore il n'avait expérimenté les deux en même temps. Gregorovich l'avait poussé dans le vide alors qu'un mouvement de panique agitait l'avion entier, juste au-dessus d'un lac. Personne ne les avait arrêtés.
Alex suffoquait, se débattait et sentit enfin qu'on le hissait hors du lac.
La glace s'entrechoqua près de sa tête et un élan irrépressible de panique lui compressa l'estomac.
« Sortez-moi de la ! »
« Du calme. Si tu gesticules, je ne vais pas y arriver. »
Yassen le saisit sous les bras et le souleva jusqu'à lui. En entendant les petits hoquets de panique, il songea qu'il avait peut-être exagéré.
« Alex, tu as déjà sauté en parachute. »
« Pas dans un lac gelé ! » se défendit le garçon « et je n'ai jamais vu quelqu'un me couper les attaches de mon parachutes à plus de dix mètres du sol ! »
« Cela t'aurait entraîné au fond de l'eau, et puis je veux être sûr que les passagers nous croient noyés, au cas ou certains nous aient vu sauter. »
Alex s'était mis à grelotter.
« Et maintenant ? »
« Nous sommes à quelques minutes d'un village proche de Moscou. Je vais te trouver des vêtements secs. »
Il tira la bouteille de vodka de sa poche.
« Bois une gorgée. »
« Je suis trop jeune. »
« Je l'ai prise pour toi. Tu vas mourir de froid si tu ne bois pas. »
Alex se résigna. Il n'était pas frileux mais son plongeon dans l'eau froide l'avait complètement transi. Gregorovich lui avait pressé sa canette froide dans le cou juste avant de le pousser et il comprenait pourquoi. Il avait frisé le choc thermique.
Un goût horrible lui brûla le palais et il dut lutter pour ne pas recracher.
« Avale, ça passera. »
« On dirait de l'alcool à brûler ! »
« Quelque chose comme ça oui. »
Yassen reboucha la bouteille et la fit à nouveau disparaître dans sa poche.
« Je te frictionnerais au village. En route. »
Il tourna les talons et commença à avancer dans la neige. Alex lui emboîta le pas, encore étourdi par son saut, à demi engourdi par le froid et assommé par la vodka. Marcher même une demi-heure dans ce état lui demanda un effort considérable.
Le village dont parlait Gregorovich ne devait compter guère plus d'une cinquantaine d'habitants. Le bâtiment ou ils étaient rentrés avec Alex dégageait une horrible odeur de mazout émanant des poêles disposés dans les pièces. Yassen salua un homme et parlementa quelques minutes avant de se tourner vers Alex.
« Il a une chambre pour nous. »
« Yassen … je ne me sens pas bien. »
« Ça se voit. »
Gregorovich s'avança vers Alex et, sans plus de cérémonie, le souleva et le chargea sur ses épaules, les bras et les jambes ballants.
« Tu as les pieds glacés. »Constata-t-il avec une moue inquiète. « Je vais demander à faire chauffer de l'eau ».
Alex ne répondit pas. Il était au bout. L'alcool lui brûlait l'estomac et le cerveau depuis un petit moment. L'homme qui avait parlé avec Gregorovich le montra du doigt et se mit à rire.
Alex avait juste saisi le mot « vodka ».
Il sentit Yassen monter une volée de marches et eut un soupir de soulagement lorsque son dos rencontra un matelas.
« Relaxe-toi. Il vaut mieux que je frictionne tout de suite, tu es gelé. »
« J'ai la gueule de bois surtout. » grogna Alex.
« Pas encore. »
« Super. »
Yassen sourit et installa Alex pour caler ses épaules contre l'oreiller. Il ôta le pull humide du garçon puis son tricot de corps, déboutonna le jean.
« J'ai demandé de l'eau chaude. »
Le tueur frictionna les épaules frêles, puis le torse et les hanches.
« Le Mi6 ne t'a pas entraîné aux températures rigoureuses, je vois. »
« Ils n'ont pas eu le temps de me balancer au fond d'un glacier c'est vrai. »
Rétorqua Alex en claquant des dents.
« Ça peut s'arranger. »
« Sans façon. Combien de temps va-t-on rester ici ? »
Gregorovich finit par ôter les sous-vêtements trempés d'Alex.
« Quelques heures. Ils pourraient bien envoyer une équipe chercher nos corps. »
« Pourraient ? »
« Nous sommes en Russie. Le KGB a d'autres chats à fouetter, comme vous dites en Angleterre. »
« J'aime déjà ce pays. »
Alex grelottait toujours et Gregorovich reprit ses frictions de la gorge aux cuisses.
« Hem… Yassen… je crois que c'est bon. »
Le regard glacé du russe fixa les prunelles sombres et sembla remarquer la rougeur su les joues du garçon. Il haussa un sourcil puis baissa les yeux, avant de sourire.
« Effectivement. »
Relâchant Alex, il se déshabilla à son tour.
« On va nous amener des vêtements secs. Ensuite nous irons à Moscou. J'y ai un appartement et pas mal de souvenirs. Dont certains de ton père.
« Qu'avez-vous fait quand il est mort ? »
« Rien. J'étais en mission quand c'est arrivé. A vrai dire, je pensais que tu étais mort toi aussi. Imagine quand je t'ai retrouvé à jouer les héros avec du R-5 dans les laboratoires de Sayle. »
« Vous m'auriez recueilli ? »Interrogea Alex en s'asseyant sur le lit.
« Tu veux dire avant que tu ne fasses exploser les hélicoptères et manie le kalachnikov ? »
« Oui, bon… on ne m'a pas laissé le choix. »
« Tu m'as l'air du genre de garçon à savoir dire non, pourtant. »
« Vous connaissez le Mi6. »
Gregorovich opina du chef avec une lueur amusée dans le regard. On frappa la porte et il alla chercher les piles de vêtement, en posant une à coté d'Alex.
« Voilà pour toi. »
« Mais… ce n'est pas ma taille. »
« Tu as tes vêtements de petit bourgeois anglais : imbibé d'eau froide et de vent glaciaire, mais rigoureusement à ta taille. A moins que tu ne préfères une nouvelle friction. »
C'est le col du pull-over remonté jusqu'à cou qu'Alex entra dans Moscou. Il faisait si froid qu'il n'aurait pas été surpris de sentir ses oreilles se décoller et tomber.
Lui et Yassen portaient les mêmes vêtements : un pull verdâtre informe, un pantalon épais marron et de grosses bottes incolores couvertes l'éraflures. En regardant le peuple moscovite, Alex put s'apercevoir qu'ils étaient tous les deux dans le ton : Moscou était une ville qui aurait pu être belle mais elle lui paraissait … morne.
« Mon appartement est par là. Ne traînons pas, je ne veux pas que tu te fasses remarquer. »
« Je vois pas comment. » rétorqua Alex en jetant un coup d'œil aux vêtements informes qu'il portait.
« Moi j'ai vu, et à plusieurs reprises. » fit Gregorovich en s'enfonçant dans une ruelle.
Ils marchèrent quelques minutes dans les rues étroites engluées dans une neige sale à demi fondue, recouvrant une partie des détritus qui envahissaient les trottoirs.
Yassen marchait d'un pas rapide, jetant parfois un regard en arrière pour s'assurer qu'Alex n'était pas distancé. Ce dernier devait presser le pas : il ne tenait pas à se perdre ici, certains riverains lui avaient l'air aussi avenants qu'un ban de piranhas. La neige avait recommencé à tomber lorsqu'ils parvinrent sous un petit porche, si sombre qu'il était difficile de distinguer la porte sans s'approcher. Ni sonnette ni nom, pas même une décoration.
L'appartement était minuscule, et il y faisait aussi glacial qu'a l'extérieur. Yassen referma la porte et poussa le verrou.
« Reste dans un coin, je vais allumer. »
Alex obéit. Bien qu'il ne vit pas le contenu des lieux, il devinait des silhouettes massives dans l'obscurité, dans laquelle Gregorovich s'engouffra. Une minute plus tard, une lueur blafarde se répandit dans la pièce, dévoilant un salon étroit, garni d'un canapé noir et d'une table basse. La kitchenette, dans un recoin, entassait sur un pan de mur un frigo et un réchaud masqué. Derrière un épais rideau sombre, une autre porte se dessinait.
C'était l'appartement d'un homme seul qui avait décidé de le rester.
« Sois le bienvenu. »
Cette phrase, Alex l'avait entendue à plusieurs reprises aux différents endroits qu'il avait visités. Mais pour la première fois, il avait le sentiment qu'elle était sincère : Yassen Gregorovich n'avait pas un duplex luxueux ou un manoir mais il laissait Alex pénétrer dans son monde.
« Assois-toi ou tu veux. »
« J'ai pas beaucoup de choix. »
Il hésita quelques secondes, puis se cala contre le plan de travail de la kitchenette, en face du fauteuil.
« J'ai mis le chauffage en route. Tu pourras te changer. »
Malgré son ton monocorde, il y avait de la chaleur dans la voix du russe. Alex balaya a nouveau la pièce du regard… Gregorovich l'observa et vit une sorte de déception dans ses yeux.
« Qu'est-ce qui ne va pas ? Tu t'attendais… à quelque chose de particulier ? »
« Je suis pas sûr… vous venez souvent ici ? »
Yassen eut un vague sourire et alla s'asseoir.
« Quand j'en ai besoin. »
« 'A cause… de vos contrats ? »
« A cause de moi. »
« De… vous ? »
« Même quelqu'un comme moi a besoin de se retrouver de temps en temps. Après une mission, n'as-tu pas envie d'être seul, tranquille, chez toi ? »
Alex hocha la tête.
« Moi je suis un espion. »
« Tu ne fais pas un travail ordinaire de toute façon. »
« Je suis quelqu'un d'ordinaire. »
Alex regretta aussitôt d'avoir dit ça. Il aurait pu affirmer cela à n'importe qui, mais devant Gregorovich, il passait pour un imbécile. Yassen ne fit aucun commentaire et se leva, avant de faire signe à Alex.
« Viens voir à coté. »
Le russe poussa le rideau et le laissa passer devant lui.
La seconde pièce était plus vaste que la première, mais paraissait plus étroite, du fait du désordre qui y régnait : des piles de livre encadraient un lit couvert d'épaisses couvertures aux couleurs ternes. Dans un coin, il y avait un ordinateur, et sur le mur qui le surplombait une vieille affiche russe.
On aurait dit une chambre d'étudiant. Alex songea que même la sienne était moins pagaille.
« C'était ce que tu voulais voir ? » s'amusa Gregorovich « tu sais, ton père a contribué à la décoration. »
« Il est venu ici ? »
« Plusieurs fois. Il m'apportait des livres d'angleterre. »
« Qu'est-ce qu'il représentait pour vous ? Vous n'avez simplement dit que vous aviez travaillé ensemble. »
Gregorovich laissa planer un silence, puis s'approcha de l'ordinateur et repoussa l'écran, dévoilant une petite boîte aux gonds rouillés.
« Viens t'asseoir, je vais te montrer. »
Alex s'installa sur le lit et tendit les mains pour avoir la boîte. Elle était pleine de photos.
« Tu le sais sans doute, mais ton père était militaire. Il a été mon instructeur. »
« Il… vous a appris à tuer ? » demanda Alex, la gorge nouée, recevant un sourire indulgent.
« Tuer, Alex, c'est d'abord savoir survivre. C'est la base. »
« Vous cherchez à faire quoi ? Trouver des excuses ? »
« Je ne vois pas pourquoi. Alex, c'est important que tu le comprennes : tuer est un acte moralement horrible, mais dans la logique de notre société actuelle. Les meurtres modèlent souvent l'histoire. Pas de la meilleure façon, je te l'accorde…
Mais si tu veux entendre une excuse… »
Gregorovich s'installa à son tour, les mains croisées.
« Connais-tu l'histoire de la Russie ? »
« Un peu. J'ai étudié la guerre froide. »
« Alors tu dois savoir que la chute communiste est plutôt récente. J'étais un peu plus âgé que toi lorsque le mur de Berlin est tombé et en même temps que lui le futur de centaines d'enfants russes : plus de travail, plus d'études, plus de pays. J'ai vu l'histoire hacher mon futur sans rien pouvoir y faire. »
Alex baissa la tête. Sarov lui avait tenu le même discours à Skeleton Key… Combien de gens comme lui ou Gregorovich avaient leur revanche à prendre ?
« J'ai voulu faire partie de ceux qui changent l'histoire, pas ceux qui la subissent. En bien, en mal… c'est subjectif. Sans l'holocauste nazi, jamais l'Europe n'aurait pris de mesures contre les discriminations. Sans la débâcle du Vietnam, l'opinion américaine serait restée amorphe… l'histoire regorge d'exemples. »
« Avec Sayle, vous vous apprêtiez à assassiner des centaines de millions d'écoliers ! Là aussi, c'aurait été un bien ? »
« Cela aurait pu alerter l'opinion publique sur les bizutages dans les grandes écoles, sur l'incompétence de leur gouvernement… je ne veux pas que tu pardonnes, Alex, juste que tu comprennes. »
Il lui désigna une photo ou un bel homme en costume militaire serrait la main d'un politicien.
« Ton père voulait changer l'histoire… comme tu le fait. Nous ne voulons pas être des pions. »
Alex contempla le sourire de John Rider et sentit qu'une boule se formait dans sa gorge. Lorsque Gregorovich lui posa une main sur l'épaule, il céda et se mit à pleurer.
A SUIVRE...
