-Tu n'étais pas obligé de le faire. Toi plus qu'aucun autre. Je pense que tu as bien agi. Sur ces paroles, la jeune femme posa sa main sur l'épaule de son collègue d'un geste de réconfort puis s'éloigna. Sean Archer ne put s'empêcher de soupirer. "Bien agi". Vraiment ? Alors pourquoi se torturait-il depuis une semaine maintenant ? Cet homme avait détruit sa vie en tuant son fils, s'était fait passer pour lui aux yeux de sa famille, avait abusé de leur confiance et les avait menacés. Comment, sur le moment, avait-il pu penser que c'était une bonne idée ? Fermant les yeux pour essayer de faire le vide, il les rouvrit avec une nouvelle lueur dans le regard. Avec tous ce qu'il avait fait, Castor Troy allait pourrir en prison pour le reste de sa vie. Il se devait de l'oublier, lui et ses révélations empoisonnées.


[Une semaine plus tôt]

Alors que le harpon se voyait finalement propulser hors de son réceptacle, une étincelle de lucidité brilla dans les yeux de Troy. Vu la profondeur de sa blessure et son emplacement, il allait sûrement se vider de son sang en moins de dix minutes. Il aurait peut-être encore moins de temps, sa tête commençant déjà à le lancer en de foudroyantes douleurs. De son côté, Sean semblait soulagé, comme s'il était arrivé à cette même conclusion et attendait juste l'inévitable. C'était le moment ou jamais. Essayant d'attirer son attention, Troy commença à parler, utilisant pertinemment des mots qu'il savait provoquant / utilisant une expression en particulier dont il savait qu'elle pourrait faire l'affaire :

-Tu sais, Seanie, dit-il en accentuant sur ce mot, j'ai une confession à te faire. Il avait raison. Sean venait de tiquer à ce surnom un peu trop familier prononcé de la bouche de son pire ennemi. Il le regarda alors d'un regard noir, comme si le temps ne passait pas assez vite à son goût.

-Tu m'as toujours blâmé pour ce qui est arrivé à Michael.

-Ne prononce pas son nom ! Ou tu pourrais bien atteindre l'enfer plus tôt que prévu. Sentant ses forces le quittaient de plus en plus vite, Castor n'essaya plus de tourner autour du pot et lâcha :

-Je n'ai fait qu'appuyer sur la gâchette. Tu sais ce que cela signifie, n'est-ce pas Seanie ? Ce dernier resta alors interdit, comme si la foudre venait de le percuter. Pourtant, il se contenta de secouer la tête :

-Un mensonge de plus. Quand arrêtera-tu enfin toutes ses folies ? Tu es complètement malade !

-J'ai fait ça pour protéger Sasha, pour la sauver ! Qu'aurais-tu fait à ma place ? Hein ? Ne me dis pas que tu l'ignores, tu as le résultat juste sous les yeux ! Troy, dont la vision commençait à se brouiller, ne parvint plus à garder ses yeux ouverts. Lentement, il avait l'impression de basculer dans un énorme trou noir. Il eut juste la légère sensation que quelqu'un appuyait sur le trou béant qui creusait la partie gauche de sa poitrine, d'entendre au loin des sirènes de police, puis il perdit connaissance.


Sean Archer se réveilla en sursaut, cette scène se répétant encore et encore dans son subconscient. Comment avait-il pu sauver un être aussi abjecte ? Dans son for intérieur, il savait bien pourquoi. Les maigres explications de Troy ne pouvaient lui avoir suffi. Et en même temps, il s'en voulait d'être entré dans son jeu. Il devait y avoir quatre-vingt-dix-neuf virgule quatre-vingt-dix-neuf pourcent de chance que tout cela n'ait été qu'une grosse blague. Une mascarade mise en place avec un seul but, l'obliger à le sauver pour soi-disant en savoir plus. A ses côtés, sa femme se redressa à son tour, inquiète de savoir le sommeil de son mari de nouveau agité, ceci étant devenu une habitude depuis le début de la semaine.

-Encore le même cauchemar ? Sean n'eut même pas besoin de répondre. Son regard quand il croisa celui d'Eve parla pour lui.

-Tu m'as dit qu'il allait être incarcéré dans deux jours. Je te le répète, tu dois aller le voir avant. Sean, qui avait réussi à calmer les battements de son cœur, le sentit alors s'arrêter complètement.

-Tu ne le penses pas, n'est-pas ? Je pensais vraiment en avoir fini avec tout ça… Avec lui… Tu ne sais pas à quel point je m'en veux. J'aurais dû le laisser mourir ! Des larmes lui montèrent alors aux yeux, aussi imprévisible et intense que ne l'avait était sa colère. L'enlaçant dans ses bras et passant une main dans ses cheveux, elle essaya de le calmer en lui parlant doucement :

-Tu sais bien que ce n'est pas dans ta nature. Jamais tu ne pourrais laisser mourir quelqu'un, lui pas plus qu'un autre. Puis, attendant que son rythme cardiaque ne se stabilise, elle continua, inquiète de la façon dont Sean allait réagir :

-Castor Troy n'a pas toujours été un moins que rien quand il avait tes traits, tu sais. Elle sentit alors Sean se tendre puis se redresser, ne pouvant croire ce qu'il venait d'entendre :

-Mais qu'est-ce que tu racontes ? Sa femme posa une main de chaque côté de son visage et lui sourit en signe d'apaisement.

-S'il te plaît, écoute-moi jusqu'au bout. Peu conciliant au début, Sean finit par hausser les épaules, attendant patiemment que sa femme ne continue. Se demandant par quoi elle allait commencer, elle choisit le sujet portant le moins à polémique, gardant le plus dur pour la fin.

-Tu sais que Jaimie se comportait différemment depuis… six ans ? S'en tenant à ses vœux momentanés de silence, Sean hocha juste la tête. Qu'avait-il donc fait à sa fille ?

-Tu n'étais plus si souvent à la maison et… je pense qu'elle voulait attirer ton attention. Elle a commencé à sortir avec un garçon. Je ne crois même pas qu'elle l'appréciait d'ailleurs. Elle le poussait toujours plus loin et arrêtait tout au dernier moment. Comme si elle jouait avec le feu. Et l'autre jour, il ne l'a pas supporté et a voulu la forcer. Je t'ai alors vu sortir dans le jardin, briser la fenêtre de la portière de son côté d'un coup de pied, le prendre par la peau du cou pour le balancer sur le sol, le redresser en le jetant sur la voiture puis lui casser la jambe. Eve arrêta là les détails. Voyant l'air dégoûté de son mari, elle crut bon d'ajouter :

-Au moins elle est saine et sauve. Et il ne recommencera pas de sitôt. Voyant qu'il restait dubitatif, elle crut bon de continuer son argumentation :

-C'est aussi lui qui lui a donné le couteau-papillon pour se défendre. Repensant à la scène, Sean ne put cette fois s'empêcher de sourire.

-Et ça lui a bien réussit. S'il avait su que la lame se retournerait contre lui, il aurait inhibé son envie de crâner devant notre fille. Sa bonne humeur fut contagieuse car Eve sourit à son tour. Pourtant, en pensant au dernier argument qu'elle avait encore à avancer, l'ironie de la situation dans laquelle s'était mis Troy n'arriva plus à la distraire. Voyant la soudaine pâleur sur le visage de sa femme, Sean reprit rapidement son sérieux et la regarda dans les yeux, cherchant une réponse à son malaise.

-Que se passe-t-il ? L'interrogea Sean en effleurant son visage de sa main comme il avait l'habitude de le faire.

-Le jour de son anniversaire… Nous sommes allés voir Mike. Je ne crois pas qu'il avait réalisé que c'était une date spéciale pour toi. Et que ça aurait dû l'être pour lui aussi. Ou peut-être essayait-il de le cacher. Quand bien même, je me suis effondrée devant sa sépulture, en pleurs. Et même s'il semblait réticent au début, il a fini par essayer de me réconforter. Sean, un peu dérouté, essayait de voir la scène dans sa tête. Il ne pouvait imaginer Troy autrement qu'en train de jubiler à l'intérieur de lui-même alors qu'il réussissait à duper sa femme même dans un moment pareil. Eve comprit son silence et soupira :

-Après tout, tu ne le fais pas pour lui. Il te doit la vie. C'est à lui maintenant de te rendre des comptes. Et si tu ne vas pas le voir, tu le sais au fond de toi-même que tu le regretteras toute ta vie. Reprenant sur une note plus légère, elle ajouta :

-Et dieu sait à quel point j'ai besoin de mes heures de sommeil. Souriant de nouveau, Sean passa sa main sur son visage et l'approcha du sien, déposant délicatement un baiser sur ses lèvres. Après tout, c'était sa faute si elle avait été mêlée à toute cette sordide opération. S'il ne le faisait pas pour lui, il lui devait bien ça. Pour elle.