Je me lance dans une fic que j'espère longue sur ce couple méconnu que forment Eomer et Lothiriel. J'espère que ça vous plaira !
Pour info, les personnages ne m'appartiennent pas, contrairement aux événements...Et, pour les puristes, cette histoire commence en 3009, ce qui fait ue Finduilas devrait déjà être morte mais, pour la cohérence de ce chapitre, je lui ai offert onze ans de vie en plus...
Fini le blabla, place à l'histoire.
Chapitre 1: La Maison du Cygne
Elle avait dix ans quand sa mère était morte en tentant de donner le jour à un cinquième enfant.
Elle avait regardé longuement le cortège de servantes défiler dans les couloirs entre la chambre de leur maîtresse et la cuisine, transportant des bassines d'eau chaude et des serviettes et colportant des ragots sur ce qui se passait à l'intérieur. Elle avait demandé à entrer, à voir sa mère, mais l'une des assistantes l'avait repoussée gentiment à l'extérieur, lui recommandant d'aller jouer en attendant que ça soit fini. Comme si elle pouvait avoir alors le coeur à jouer...
Ses trois frères, tous plus âgés qu'elle, s'entraînaient au maniement de l'épée dans la cour, insensibles aux hurlements de douleur de leur mère, entourée de servantes et de sage-femmes l'aidant tant bien que mal à faire naître l'enfant qu'elle portait depuis bientôt dix mois.
Au début, la petite s'en rappelait parfaitement, le bébé à venir avait causé une grande joie à ses parents, au point qu'elle et ses frères s'étaient presque sentis exclus. Cet enfant, si c'était un garçon, servirait, comme ses aînés, la gloire de la maison du Cygne, dont il porterait haut les couleurs bleu et argent. Si c'était une fille, elle serait, comme sa soeur, une monnaie d'échange, une enfant vite promise à un seigneur lointain dont le Prince voulait s'assurer l'allégeance. Au fur et à mesure que les mois passaient et que le ventre de la Princesse s'arrondissait, le sourire sur le visage du souverain s'élargissait de plus en plus. Les quatre enfants commençaient à apprécier ce petit dernier qui se ferait bientôt une place dans leur famille.
Des gens importants venaient de plus en plus souvent rendre visite aux futurs parents pour les assurer de leur sympathie et les féliciter pour cet heureux événement. Même leur tante Finduilas et son mari, l'austère Intendant du Gondor, avaient quitté leur place forte de Minas Tirith pour gagner Dol Amroth. Finduilas avait passé beaucoup de temps avec sa belle-soeur, lui racontant des nouvelles de la capitale, la faisant rire aux éclats en lui contant pour la énième fois les innombrables bêtises de son mari lorsqu'ils étaient enfants. Elle avait également emmené ses deux fils. L'aîné joutait avec Elphir, Erchirion et Amrothos tandis que le cadet, les yeux envieux, attendait un signe de ses cousins pour se joindre temporairement à eux. Elle, elle restait seule, elle errait dans les couloirs, se cachant dans le recoin sombre d'une porte quand passait une servante, un soldat ou un groupe de chevaliers riant aux éclats. Elle ne voulait pas qu'on la trouve. Si ça arrivait, elle était envoyée près des nobles dames qui tissaient ou qui cousaient ou auprès de celles qui jouaient de la musique en chantant.
Elle n'avait pas le moindre don pour tout ce qui concernait les travaux d'aiguille ou l'art du chant. Elle aimait passer de longues heures à contempler les grandes et anciennes cartes de la Terre du Milieu qui couvraient les murs de la salle de travail de son père. Elle retenait chaque nom de ville, de rivière, de mer et, la nuit venue, dans le pénombre de sa chambre, elle se les récitait et partait en voyage dans ses rêves. Parfois, elle se glissait dans la bibliothèque et empruntait un livre qu'elle lisait le soir, en cachette, à la lumière d'une chandelle qu'elle avait pris à la cuisine. Elle attendait tout le jour ces heures nocturnes où elle avait l'impression que la faible lueur de sa chandelle était la seule lumière de ce monde qui pouvait encore concurrencer les étoiles. Cette attente occupait une grande partie de ses pensées, ce qui fait que ses frères se moquaient d'elle qui était toujours dans les nuages. Sa mère l'appelait affectueusement : ma Lune, et expliquait le comportement de sa fille par sa naissance en pleine nuit, à la seule lueur de la pleine lune. Son père s'inquiétait du teint pâle de la petite, de son air toujours languissant, de ses yeux qui semblaient constamment perdus à des lieux de Dol Amroth. De plus, selon lui, son incapacité à apprendre les tâches que l'on attendait d'une dame de haute lignée l'handicaperait plus tard dans la recherche d'un fiancé. Il en faisait souvent des insomnies, mais son épouse se pressait alors contre son dos, serrait ses bras frais contre son torse et lui murmurait à l'oreille de douces paroles rassurantes. Et le Prince retombait dans le sommeil en se disant qu'il trouverait bien un moyen d'assurer un avenir convenable à sa fille.
Un après-midi d'été, alors que Finduilas et sa famille étaient en visite, tout le monde était descendu se rafraîchir et profiter du beau temps dans les Baies de Belfalas. Elle avait réussi à s'éclipser dans le tumulte du départ et était restée dans l'ombre de la forteresse. Elle avait repris son errance abasourdie, laissant ses pensées dériver vers ces terres inconnues qu'elle ne verrait sans doute jamais qu'en rêve, gardant juste assez de conscience pour éviter de se faire remarquée. Alors qu'elle passait dans un couloir, une scène entraperçue par l'entrebâillement d'une porte avait attiré son attention. Elle était revenue sur ses pas, silencieuse comme une ombre, et avait longuement observé ce qui se passait.
La pièce était plongée dans la pénombre, seul un rai de lumière provenant du jour entre les volets s'étendait sur le sol dallé. Assis sur un simple tabouret, un homme courbé regardait fixement la table devant lui. De temps à autre, ses doigts survolaient rapidement le bois puis regagnaient leur place sous les joues de l'homme. Il n'y avaient d'autres bruits que la respiration du solitaire et le chuintement infime de choses qui bougeaient sous l'action de ses doigts. Soudain, l'homme, sans tourner la tête, avait dit:
-Tu peux entrer, tu sais.
Elle s'était raidie, étonnée et un peu déçue d'avoir été découverte. Les mains de l'homme continuaient leur aller-retour sur la table, l'intriguant de plus en plus. Elle s'était finalement avancée d'un pas léger:
-Comment m'avez-vous entendue ? avait-elle demandé en s'asseyant sur un autre tabouret de manière à faire face à l'homme.
-Je suis habitué à ce qu'on m'espionne, avait-il répondu sans lever les yeux de la table. Je sais entendre la respiration d'un homme...ou d'une gamine.
-Pourquoi on vous espionne ?
-Parce que je suis quelqu'un d'important.
-Tous les gens importants se font espionnés ?
-Ceux qui sont très importants et qui ont des ennemis.
-Ce sont leurs ennemis qui les espionnent ?
-Tu es maligne, toi, avait-il dit en riant.
Puis, il était retombé dans le silence.
Elle avait regardé ce que l'homme regardait lui-même avec tant de concentration. Un plateau de bois carré, épais de quelques centimètres, aux motifs de damiers blancs et noirs. Sur les cases, étaient posées de petites figurines de cornes, assorties au plateau. Certaines étaient petite, avec une boule sur le dessus, d'autres ressemblaient à des tours de guets et à des têtes de cheval. L'homme les prenait une à une et les déplaçait sur le plateau, formant des dessins complexes changeant à chaque nouveau mouvement. Parfois, l'une des pièces partait du plateau pour rejoindre la table. Après un moment, le joueur les prenait toutes, avec soit un soupir de mécontentement ou une expression de victoire, et les réarrangeait sur les cases toujours dans le même ordre.
Au bout du troisième replacement, elle demanda:
-A quoi vous jouez ?
-A un jeu, tu le vois bien.
-Oui, bien sûr, mais pourquoi est-ce que vous bougez toutes ces pièces ? Pour faire un dessin ?
-Non.
-Pour vous amuser, alors ?
-Non plus...
-A quoi ça sert de jouer si c'est pas pour s'amuser ?
-Pour se distraire.
-Et pourquoi vous avez besoin de vous distraire ?
-Toutes les choses que tu fais ont-elles un but ?
Elle avait réfléchit, le temps qu'une pièce avec une tête ronde ait cédé sa place à une autre qui ressemblait à un sceptre.
-Je ne sais pas.
-C'est bien d'avouer que tu ignores quelque chose, c'est un premier pas vers la connaissance.
-Est-il possible de tout savoir ?
-Je ne pense pas...Et quand bien même tu connaîtrais tout ce qu'i connaître, ta vie vaudrait-elle encore la peine d'être vécue ?
-Je pourrais partager tout ce que je sais avec les autres.
-Ne vaudrait-il pas mieux qu'ils découvrent ces choses par eux-mêmes ?
-Mais je peux les y aider.
-Eprouve-tu la même sensation quand on te donne la solution à un problème que quand tu trouves cette solution par toi-même ?
-Non, mais on ne peut rien découvrir si on a pas envie de découvrir. Et cette envie, il faut bien que quelqu'un nous la donne. Par exemple, vous me donnez envie de découvrir votre jeu.
-Même s'il n'est pas amusant ?
-Mmmmh. Il a l'air intéressant.
-Très bien. Si tu cherches quelque chose d'intéressant, tu ne vas pas être déçue. Car ce que je vais te faire découvrir n'est pas seulement intéressant mais passionnant.
L'homme avait levé ses yeux gris sur elle pour la première fois depuis le début de leur entretien et il lui avait offert un mince sourire.
-Alors, avait-il commencé en saisissant une pièce, ceci est un pion. Il se place en première ligne...
-Comme un soldat dont on veut éprouver la valeur ou un traître que l'on veut punir ?
Il avait légèrement tiqué lorsqu'elle l'avait interrompu, mais la justesse de la comparaison lui avait enlevé toute envie de la réprimander.
-Joliment exprimé...Cette pièce semble l'une des plus dérisoires, mais sa présence à un endroit stratégique du plateau peut décider de la victoire. Prends toujours au sérieux les pions de ton adversaire.
Au fur et à mesure des explications, elle oubliait sa famille qui se baignait dans la mer, les servantes qui arpentaient les couloirs du chateau et la possibilité affolante qu'on se rende compte de son absence. Au fur et à mesure, les carrés blancs et noirs devenaient des montagnes, des mers, des plaines immenses, les pions prenaient la forme de valeureux petits soldats, les cavaliers galopaient inlassablement sur une étendue qui semblait infinie, les rois se cachaient tant bien que mal derrière leurs tours aux allures de forteresses imprenables. Le monde qu'elle avait si longuement observé sur les cartes et dont elle pouvait retracer les contours les yeux fermés prenaient vie sur le plateau de jeu.
Un fin sourire éclairait le visage sombre de son adversaire chaque fois qu'elle réussissait à déjouer l'une de ses attaques (qu'un joueur expérimenté aurait vu venir de loin) et qu'elle apprenait de ses erreurs. Les yeux gris, cachés sous de longues mèches bouclées, scrutaient ce petit visage sur lequel se lisait tant de réflexion et d'application. À la fin de deux heures de croisades, il lui avait semblé que son cerveau bouillait mais qu'elle aurait encore été capable de soutenir le siège des heures et des heures durant. L'homme avait déclaré que c'était assez pour aujourd'hui, que les autres ne tarderaient pas à rentrer. Elle avait demandé, ses yeux implorants levés vers lui, si elle pouvait continuer à apprendre avec lui. Pour sa plus grande joie, il avait accepté.
Pendant le long mois que dura le séjour de Finduilas à Dol Amroth, son mari et sa nièce disparaissaient souvent pour jouer et discuter. La petite n'avait jamais semblée si heureuse d'apprendre une chose nouvelle et jamais Denethor n'avais semblé plus heureux de transmettre son savoir à un enfant.
Un jour qu'elle avait tenté une attaque particulièrement risquée et qu'elle avait payé son audace par la perte d'un cavalier, l'Intendant lui avait demandé comment elle voyait son avenir. Elle avait répondu qu'elle épouserait un riche seigneur qui l'emmenerait dans son grand château et qu'elle aurait des fils, pour perpétuer la lignée. Était-ce à cause d'une note de résignation qui avait transparu dans sa voix ou parce que Denethor commençait à connaître de mieux en mieux la petite, toujours est-il qu'il dit :
-Je ne t'ai pas demandé comment tes parents ou qui que soit d'autre voit ton avenir. Je t'ai demandé comment toi tu le voyais.
Elle était restée abasourdie, hésitant à formuler à haute voix ce qu'elle n'avait jamais osé dire à personne, de peur qu'on se moque d'elle ou que dire ses rêves ne les empêchent de se réaliser. Finalement, elle avait reprit, en déplaçant une de ses tours :
-Je voyage et je vois en vrai tout ce qu'il y a sur les cartes. J'ai une jument grise et, ensemble, nous parcourons des miles et des miles sans nous retrourner. Et, le jour où j'ai tout vu, je suis très vieille. Alors, je regagne l'endroit où j'ai été le plus heureuse, et j'y attends la fin de mon existence.
Après cette déclaration, ils étaient tous deux restés silencieux, elle attendant qu'il éclate de rire devant l'absurdité de ses espoirs et lui réfléchissant à ce qu'elle venait de lui confier. Ils n'avaient plus jamais reparlé d'avenir, préférant partager des stratégies. Quand elle lui avait demandé s'il avait voyagé, il avait répondu que non, mais qu'il regrettait.
-Pourquoi vous ne le faites pas maintenant ?
-Je ne peux pas. Beaucoup de gens comptent sur moi, tu comprends. On ne peut pas décider de tout laisser en plan un beau matin et de partir tenter sa chance dans le vaste monde.
-Moi, quand je serai grande, je ferai ce que je voudrai !
Il avait souri comme toujours quand sa candeur l'animait d'une flamme qui semblait impossible à éteindre. Il n'avait pas répondu ce qu'il aurait dû lui dire, de peur de la blesser.
En quittant Dol Amroth, Denethor s'était retourné comme toute sa famille pour saluer une dernière fois leurs hôtes. Il avait vu la cadette d'Imrahil, vêtue d'une robe blanche comme celle de sa mère, dont le ventre devenait de plus en plus distendu par la grossesse. Un court instant, il lui avait semblé que la petite était une réplique de sa mère, qu'elle attendrait un jour, elle aussi, l'héritier d'un seigneur. Ne restait plus qu'à espérer que cet homme l'aimerait comme elle le méritait, que cet amour serait réciproque et que jamais, au grand jamais, la formidable étincelle qui brillait au fond des yeux de l'enfant ne s'éteindrait.
Deux mois après que leurs visiteurs soient partis, la Princesse avait attendu des contractions qui ne venaient pas. Elle avait consulté des médecins, des magiciennes, des devins, des guérisseuses, mais personne n'avait trouvé une raison à cette délivrance tardive. Le beau visage du Prince, d'habitude si assuré et joyeux, avait commencé à se ternir : il ne riait plus aux plaisanteries de ses enfants, ne prenait plus sa fille sur ses genoux le soir au coin du feu, ne supervisait plus l'entraînement de ses fils. Il passait le plus clair de son temps auprès de son épouse qui gardait la chambre ou galopait des heures durant dans la plaine. On avait interdit aux enfants de voir leur mère. De toute façon, elle leur faisait peur, cette mère autrefois si belle, si prompte à sourire et à prodiguer mille caresses. Désormais, ce ventre de plus en plus gros et douloureux la rendait affreuse et effrayante. Ses cheveux bruns aux boucles autrefois aériennes ne quittaient plus ses épaules, collés par la sueur. Ses yeux étaient couverts d'un voile de fatigue qui leur enlevait toute vie. Pour ses enfants, elle avait déjà quitté ce monde.
Ainsi, personne n'y avait cru lorsqu'à l'aube, la Princesse avait poussé un immense cri de soulagement, répétant à tout bout de champ que les douleurs avaient commencé et que son enfant serait là au coucher du soleil. Son époux avait aussi fait venir une quantité impressionnante de sages-femmes pour épauler la parturiente dans son effort. Puis, alors que sa femme subissait pour la cinquième fois les affres de l'accouchement, il avait réveillé ses quatre premiers et les avaient emmené s'entraîner dans la cour. Le bonheur des trois garçons à revoir leur père parmi eux avait relégué dans un coin de leur esprit l'image de leur mère enceinte. Quand à la plus jeune, elle avait fait quelques foulées de galop sur le cheval de son père, l'inquiétude l'empêchant de profiter de l'instant présent.
Lorsqu'une servante se tordant nerveusement les mains dans son tablier souillé avait adressé quelques mots à son seigneur à l'écart des enfants, ces derniers avaient compris que les choses continuaient de ne pas se dérouler normalement. Le Prince leur avait demandé de continuer sans lui avec un sourire qui sonnait faux et avait suivi la servante, sa fille sur ses talons sans qu'il le sache. Arrivé près de la chambre où des cris et des encouragements résonnaient de toutes parts, il avait respiré un grand coup avant de pénétrer dans la pièce à l'atmosphère chaude et viciée. Elle, elle était restée à l'écart, cachée comme à son habitude. Quand la porte s'était ouverte, elle avait aperçu du sang, des linges et de la chair nue, puis plus rien. Elle avait attendu, les cris lui faisant imaginer les pires atrocités, jusqu'à ce que son père, le visage défait, ne sorte. Sur le seuil, il s'était pris la tête entre les mains et, le corps secoué de sanglots, avait disparu s'enfermer dans son bureau. C'est alors qu'elle avait compris que sa mère allait mourir.
Elle avait voulu la voir, sentir une dernière fois sa chaleur rassurante, se serrer une dernière fois entre ses bras immenses, lui dire qu'elle l'aimait. Mais une servante l'avait repoussée et envoyée ailleurs. Elle n'avait pas protesté et s'était éloignée, le coeur déjà lourd. Elle avait gagné sa chambre où elle avait placé un échiquier et avait essayé de faire une partie, mais elle n'arrivait pas à se concentrer. Une heure plus tard, un dernier cri, plus fort encore que la multitude de ceux qui l'avait précédé, perça l'air.
Elle ne sortit pas de sa chambre, se forçant à continuer à déplacer ses pièces sur les cases. Puis, la porte s'était entrouverte avec un grincement et son père, accompagné de ses frères, étaient entrés. Ils avaient tous les yeux rouges et une mine de papier mâché. "C'est fini" avait-elle dit sans trop savoir si c'était une question ou une affirmartion. Son père avait aqcuiescé faiblement. C'est alors que les larmes s'étaient mises à couler.
Deux jours plus tard, le Prince Imarhil de Dol Amroth enterrait son épouse tant aimée et son quatrième fils. Il avait préféré ne pas donner de nom au bébé mort-né, il avait refusé que ses enfants le voit. Ils n'avaient pas pu voir leur mère non plus, de peur qu'ils soient choqués et pour qu'ils gardent d'elle un autre image que celle d'un cadavre à la peau pâle. L'enterrement avait eu lieu sur ce point précis de falaises que la Princesse avait toujours tant aimé. Elle y avait passé de longues heures à regarder les eaux de la mer changer de couleur au fil des heures, c'est là qu'elle avait appris à son mari qu'il allait être père pour la première fois, là encore qu'elle s'était réfugiée pour prier les dieux de la mer et de la nuit quand elle avait compris qu'elle ne survivrait peut-être pas à son accouchement. Désormais, plus personne ne passait par cet endroit sans se recueillir un instant devant les deux tertres se détachant sur le camaïeu bleu du ciel et de la mer. Et, devant ce qui lui semblait être une montagne de terre retenant sa mère prisonnière, la plus jeune avait juré tout bas que jamais elle n'aurait d'enfants ni n'aimerait un homme.
Fou de douleur après la mort de son épouse, le Prince avait interdit qu'on évoque encore son nom. Partout dans le château et dans les terres alentours, les paysans et les chevaliers ne parlaient plus de leur défunte souveraine qu'en utilisant les mots de la Princesse ou de feu la femme du Prince. Le Seigneur de Dol Amroth devenait taciturne, ne parlait plus que très rarement et délaissait tout ce qui n'avait pas trait aux affaires de son fief. Elphir, l'aîné, alors âgé de vingt-et-un ans, était parti servir dans les Gardes de l'Ithilien, espérant que le temps et la distance apaiserait son deuil de sa mère et qu'il serait un jour à même de revenir chez lui en héritier du trône. Ses frères, Erchirion et Amrothos, l'avaient regardé partir en lui promettant de prendre soin de leur père et de leur soeur. Puis, Erchirion avait également quitté Dol Amroth pour rejoindre les lointaines plaines du Rohan sur ordre de leur père qui souhaitait avoir là-bas un garant de l'alliance tendue entre les deux peuples.
Les deux derniers héritiers de la Maison du Cygne avaient passé deux ans seuls à ne voir leur père qu'en des rares occasions. Amrothos, malgré le fait que sa cadette et lui avaient six ans de différence, avait mis ces deux années à profit pour apprendre à la jeune fille des choses suspectibles de l'intéresser plus que la couture ou la cuisine. Sous l'égide de son frère, elle savait se battre à l'épée, manoeuvrer une lance sur un cheval et tirer à l'arc. A bout de ses deux années, les choses avaient changées : le Prince semblait avoir fait son deuil et cherchait à reconstruire ce qu'il avait perdu avec ses enfants, Elphir était revenu d'Ithilien couvert de gloire et fiancé à la soeur de l'un de ses compagnons d'armes, Erchirion revenait de Rohan avec les amitiés et la confiance du Roi Theoden, Amrothos prouvait sa valeur lors des tournois et était prêt à être adoubé chevalier et la plus jeune s'était endurcie. Tout tendait à prendre un nouveau départ et, malgré la mort de Finduilas cet hiver-là, la Maison du Cygne, au bout de deux longues années, se releva pour essuyer de nouvelles tempêtes.
Voilà ! Un premier chapitre qui, je l'espère, vous aura mis l'eau à la bouche !
J'attends vos remarques, commentaires, déclarations d'impôts, demandes en mariage...
