''Ouiiiin!''
Dans la nuit, le premier cri d'un nourrisson retentit. Le père, en retrait, n'a pas l'air ému. Il ne montre rien, pas un souris, pas une lueur dans l'oeil, rien ne vient éclairer le visage sombre. Ses habits en lambeaux témoignent d'une grande misère, et la barbe hirsute lui donne un air dangereux. Il regarde la scène dans son coin: la chambre mal éclairée, le lit sali, la femme. Du déjà vu, d'autres fois, d'autres circonstances. Il n'y a que le nourisson qui est nouveau, dans ce décor insalubre.
La femme, allongée dans son lit, a l'air faible. Suante encore de l'effort qu'elle vient de fournir pour apporter la vie, elle n'a pas l'air consciente de ce que cela représente. La petite chose rouge, braillant à pleins poumons, n'éveille rien en elle. C'est le vide le plus total. Que devrait être pour elle cette chose engendrée par un monstre, qu'elle a porté pendant neuf mois, souhaitant chaque jour que cela s'arrête. Elle le sait, il est comme lui, il ne peut en être autrement. Il suinte le mal, celui-là. Depuis des années, elle s'attend à ce que ça se finisse mal. Oh, elle se protège, quand vient le temps. Elle s'enferme, se met hors d'atteinte de la bête. Mais elle a vu d'autres couples, où c'est l'autre qui se met à l'écart, qui fait attention. Mais pas chez eux. Ca a toujours été différent, chez eux, et maintenant il y a la chose. Il faudra qu'elle l'appelle par un nom, qu'elle le supporte, qu'elle se protège des deux, maintenant. Ce n'est pas qu'elle ne l'aime pas, c'est qu'elle en a peur. D'un petit bébé.
L'homme la regarde d'un air interrogateur. Il faut qu'elle se décide, pour une fois il la laisse choisir. Se dit sans doute que la sensibilité féminine sera mieux à même de remplir la tache. Elle soupire, se redresse sur ses oreillers, contemple quelques instants le bébé – il faudra qu'elle s'y habitue -, respire un grand coup. ''Fenrir. Fenrir Greyback.''

Un nom approprié. C'est ce qu'il se dit à chaque fois que, le lendemain de la pleine lune, sa mère l'appelle pour qu'il vienne lui ouvrir. Son père ne prend plus la peine de le faire, depuis longtemps déjà. Si Fenrir n'y pensait pas, sa mère resterait dans sa cave. Il l'avait oubliée, une fois. Elle n'avait rien dit, l'avait regardé d'un air tremblant, craignant peut-être que la bête soit encore là, quelque part. Mais la bête partait au matin, tous les mois. Parfois, il espérait qu'elle reste un peu plus longtemps. Il se sentait lui-même, dans cette peau-là.
Il ouvre le vérou qu'une patte ni des crocs ne pourraient défaire, ouvre la lourde porte et s'en va. Depuis longtemps il n'attend rien de sa mère. Elle a peur de lui, elle le rejette. Son père aussi, d'une certaine façon. On aurait pu penser que leur condition les rapprocherait, mais son père n'est qu'un corps vide, ou alors plein d'alcool. Pas de dialogue possible avec lui, il faut juste être assez rapide pour l'éviter. Lorsqu'il est trop plein, il est agressif. Le reste du temps, il dort.
Fenrir s'assoit sur son petit lit aux draps déchirés. Il n'est pas allé très loin, cette nuit. Par chance, il n'a rencontré aucun humain, il ne souhaite à personne de devenir ce qu'il est. Il sort un bout de parchemin de sous son lit, l'époussette, prend une plume, de l'encre.

''Je n'ai pas oublié quand,
Alors que nous découvriions le monde,
Nos bouches enflammées se sont rencontrées.
Du temps a passé depuis, mais j'attends
Encore.
Votre dévoué Fenrir.''

Il porte le message au hibou familial, lui glisse une adresse, et le regarde s'envoler. Il ressent comme une bouffée de chaleur, des papillons dans le ventre, à l'idée que son exil de deux ans, peut-être, verra inchangée sa relation avec Alma. Depuis cinq ans qu'il la courtise, il espère récolter les fruits de sa cour enflammée.

Le hibou lui revient la nuit avancée, mais Fenrir se précipite pour voir le message. Il hurle sous l'effet de la colère, du dépit. Ce soir, si c'était la pleine lune, il pourrait mordre n'importe qui.

''Le temps a coulé, vous étiez absent.
Avide de découvrir le monde,
Je me suis laissée courtiser. Il n'est plus
Convenant, à présent, de vous laisser m'entretenir de doux billets.
Je suis mariée aujourd'hui, et vais donner la vie.
Alma. ''

Son monde s'effondre. Lui heureux de rentrer, croyant trouver les choses telles qu'il les a laissées, est dépité, malheureux, et hors de lui.