Crédits : les personnages, à quelques exceptions près, appartiennent à Maki Murakami, je me contente simplement de les emprunter.
Note : cette histoire est un pastiche de Silent Hill, une série de jeux vidéo d'horreur (dont a aussi été tiré un film) se déroulant dans l'univers de Gravitation. Il ne s'agit pas d'un crossover, et les lecteurs familiers de cet univers n'y croiseront donc pas Harry Mason, Henry Townshend ou aucun des autres personnages de la série, pas plus que les monstres qui la hantent. Son titre, Shizuka na machi, signifie « Quartiers silencieux », qui est une référence directe à la traduction en français de Silent Hill.
PROLOGUE : DISPARITION
« … Et K a sorti son Magnum comme pour tirer dans le tas – bien sûr il l'aurait jamais fait, du moins je ne crois pas – et les fans se sont arrêtés juste le temps que Sakano ouvre la porte et on s'est précipités à l'intérieur, Hiro y a même laissé une manche de sa chemise ! Tu te rends compte Yuki, tout ça à cause de ce jeu télévisé ! Mais c'est pas ça le pire, parce que juste après… »
Les yeux rivés à la route, Eiri Yuki, le célèbre romancier, paraissait totalement imperméable au soliloque enthousiaste de son amant. Il n'écoutait pas ce que racontait Shûichi, car l'exercice requérait une patience et des nerfs autrement plus solides que les siens ; néanmoins, il entendait tout et ponctuait parfois d'un hochement de tête ou d'un bref grognement la discussion au fil conducteur erratique du jeune chanteur.
« C'est super qu'on t'ait choisi pour être l'invité d'honneur du salon du livre de Kyôto, déclara soudain Shûichi, coupant abruptement court au récit pittoresque d'une émission de radio qui s'était achevée dans l'anarchie la plus totale, quelques jours auparavant. Je suis tellement fier de toi.
- Ah bon ? s'enquit platement l'écrivain en guise de commentaire.
- Mais ! Yuki ! C'est normal, non, d'être fier de la réussite de ceux qu'on aime ?
- Si tu espères par là m'entendre te dire que je suis fier de toi, sache que tu peux toujours courir.
- Yuki ! s'écria Shûichi, l'air chagrin. Pourquoi tu ne me dis jamais que des choses méchantes ? »
Eiri ouvrit la bouche pour répondre – et à en juger par son expression, il fallait s'attendre à quelque chose d'extrêmement désobligeant – quand une moto se rabattit brutalement devant sa voiture. Il écrasa le frein en donnant par réflexe un grand coup de volant à droite puis tenta de se redresser en braquant à gauche mais la Mercedes, emportée par son élan, traversa la route, défonça la barrière de sécurité qui la bordait et plongea le long d'un talus herbeux au bas duquel, après un tonneau, elle s'immobilisa.
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Quand Shûichi ouvrit les yeux, il lui fallut quelques instants pour prendre conscience que quelque chose n'allait pas, et ce quelque chose était lié au fait qu'il avait la tête en bas. Du moins était-il en partie écrasé contre la portière, son bras droit douloureusement coincé sous lui et dans une position totalement inconcevable pour conduire une voiture, car c'était bien dans une automobile qu'il se trouvait même si le pare-brise avait volé en éclats. La ceinture de sécurité lui comprimait la poitrine et quand il bougea la tête, un élancement de douleur la traversa. Un accident ? Il se trouvait dans la Mercedes, en compagnie de…
« Yuki ?... » appela-t-il d'une voix mal assurée en tournant lentement la tête vers sa gauche, encore sous le coup de cet engourdissement bienveillant de ses sens qui faisait qu'il ne paniquait pas en dépit de la situation, et qu'il s'attendait à trouver Eiri à ses côtés, blessé peut-être mais présent.
Le siège du conducteur était vide.
« Yuki ? » répéta Shûichi, incrédule, fixant le fauteuil inoccupé et le sac gonflé de l'airbag qui saillait du volant telle une hernie géante – alors que le sien ne s'était pas déclenché. L'étonnement céda rapidement sa place à la panique et, sans plus prêter attention à sa tête douloureuse, il se tordit le cou, à la recherche du moindre signe de la présence de son amant tout en s'escrimant de la main gauche, sa seule mobile, sur la fermeture de la ceinture. Son cœur battait la chamade ; où était Eiri ? Avait-il été éjecté au cours de leur sortie de route ? Il se souvenait nettement d'une moto se rabattant sans crier gare devant leur voiture mais à partir de là, tout était flou. Tout s'était passé si vite qu'il ne se rappelait que d'avoir hurlé en tentant désespérément de se raccrocher à la poignée passager au dessus de la portière, avant que sa tête heurte violemment la vitre et que tout devienne noir.
Le système de blocage de la ceinture finit par s'ouvrir et le garçon se contorsionna pour se retrouver dans le bon sens, à quatre pattes. Des débris de verre constellaient l'habitacle mais il n'y avait pas de trace de sang. Pas de trace de Yuki non plus, cependant. Tremblant, Shûichi attrapa son sac à dos, échoué derrière son siège, et chercha du regard la sacoche de son amant parmi le contenu épars des vide-poches et de la boîte à gants. Rien. Tout comme son propriétaire, elle avait disparu.
Précautionneusement, le garçon se glissa à travers le trou béant qu'avait été le pare-brises, dentelé sur son pourtour d'éclats de verre tranchants, et s'extirpa de la Mercedes accidentée avec les gestes malhabiles de quelqu'un qui aurait un coup dans le nez. L'herbe était fraîche sous ses paumes, mais quand il voulut se mettre debout, un vertige le saisit et il se laissa retomber à genoux avec un geignement étouffé. Son malaise une fois dissipé, il se remit lentement sur ses pieds et jeta un coup d'œil autour de lui.
Eiri n'était nulle part. Le remblai herbu que la Mercedes avait dévalé était envahi de buissons broussailleux, arrachés sur toute la largeur du passage de la voiture, et l'étroite bande d'herbe rase qui courait au pied du talus se perdait dans les bois au bout de quelques mètres. Il frissonna. L'air pourtant doux de cette journée d'avril s'était subitement chargé d'une humidité froide et désagréable.
« Yuki ? appela-t-il. Yukiiii ! »
Seul le silence lui répondit. Un silence d'une profondeur inquiétante et inhabituelle car si Shûichi ne distinguait pas le chant d'un seul oiseau ou les stridulations de quelque insecte, il prit soudain conscience que ne lui parvenaient pas non plus les bruits de la circulation pourtant toute proche. Bien que roulant sur une voie secondaire au sortir de l'autoroute, celle-ci était relativement passante. Mais là… rien.
« Yuki ? » lança le garçon d'une voix incertaine. Ce n'était pas normal. Il venait d'y avoir un accident, des secours auraient dû être là, des badauds même… mais il n'y avait personne. Frénétiquement, il escalada le flanc escarpé du talus, glissant sur l'herbe humide, et fit irruption sur la route, bras levés pour alerter les passants, mais son cri mourut avant d'avoir franchi ses lèvres. La route, déserte, n'était plus qu'un ruban grisâtre envahi par une épaisse brume d'où émergeaient par endroits des bouquets d'arbres serrés aux silhouettes fantasmagoriques. Le ciel était pourtant dégagé depuis leur départ de Tôkyô. Et la forêt… Avaient-ils vraiment traversé un bois aussi épais ? Il n'avait pas accordé grande attention au paysage mais il était quasiment certain qu'il était différent.
Tout en s'efforçant de réfréner la panique qui commençait inéluctablement à s'emparer de lui, il tira son téléphone portable de sa poche, d'où même leur rude descente n'avait pu le déloger, et composa le numéro de la Police. Aucune tonalité. Il réessaya plusieurs fois, pressant les touches de plus en plus maladroitement au fur et à mesure que l'angoisse s'insinuait dans chacun de ses membres jusqu'à les rendre gourds. Rien. Par il ne savait quel hideux bouleversement, il se retrouvait soudain coupé du monde, et Yuki avait disparu.
Yuki.
La pensée de son amant lui remit les idées en place et il serra les poings. Avant toute chose, il devait le retrouver. Sans doute était-il parti à pied chercher des secours ! Dans ce cas, il avait certainement suivi la route en direction de Kyôto.
« Oui, c'est ça, dit-il à haute voix afin de briser le silence de mort qui l'assourdissait. Il a dû se passer un truc bizarre et Yuki est parti chercher de l'aide. Je n'ai qu'à suivre moi aussi la route et j'arriverai forcément à Kyôto. »
Animé par une détermination nouvelle, Shûichi tira de son sac un sweater orange vif (son préféré, bien que Yuki lui ait demandé un jour s'il l'avait acheté à un évadé de la prison cubaine de Guantanamo), l'enfila et cala son sac à dos sur ses épaules. S'en remettant, comme souvent, à sa bonne étoile, il partit en trottinant le long de la route déserte noyée dans la brume, avec la certitude que, sous peu, il retrouverait Yuki.
À suivre…
Note : la voiture de Yuki étant un modèle étranger, elle a le volant à gauche, contrairement à la plupart des autos japonaises.
