Rating : M pour la suite. Violence, langage cru, etc...
Disclaimer : Personne ne m'appartient.
Notes : Ceci est ma toute première fic portant sur One Piece et je suis quelque peu nerveuse, notamment quand à l'écriture des personnages. Quoi qu'il en soit, bonne lecture !
JIGSAW PUZZLE
1er été
Prologue
Paradise Lost
« La paix est le temps où l'on dit des bêtises, la guerre le temps où on les paie. »
Robert de Saint-Jean
Ce jour là, haut dans le ciel azuré vide de nuages, le soleil répandait dans l'après-midi son intense lumière, chaleureuse presque au point de rendre son étreinte étouffante vu l'absence du moindre vent, pour rafraîchir ce temps estival, régnant en déjà en maître avant son heure, en ce début du mois de juin.
Dans cette campagne quelque peu isolée, la nature donnait l'impression d'une explosion de vie tant elle débordait d'énergie. Comme autant de touches colorées sur un tableau, s'étalait au régal des sens, un feu d'artifice d'une gaie vitalité. Partout poussaient des fleurs sauvages ensuite assemblées en bouquets pour décorer les intérieurs. Sous les toits, les piaillements d'oisillons à peine nés, tandis que les rivières et lacs se remplissaient du fourmillement annuel des poissons qui, revenant de leur long périple depuis l'océan, y déposaient leurs oeufs. Sans cesse, des cris enjoués résonnaient aux oreilles des mères surveillant leur progéniture du coin de l'oeil tout en travaillant pendant que leurs maris étaient au loin, remplissant leur devoir en mer.
Peu à peu, les lieux accueillaient leurs lots de visiteurs attirés par ce morceau de paradis, ainsi que les merveilles qu'il offrait, surtout en ces temps. Par la même occasion, ils ramenaient avec eux, la promesse d'une saison à venir, faste et amusant, durant laquelle on ne pourrait s'ennuyer.
Un mince filet de fumée s'échappa d'entre les lèvres d'un jeune homme. Appuyé sur la balustrade en pierres massives, sculptée de délicates courbes, il faisait pensivement rouler entre ses doigts, un reste de cigarette. Un soupir, presque aussi léger que l'air, se fit entendre alors qu'il tirait une dernière bouffée de nicotine, puis écrasait le mégot dans le cendrier, sur le rebord de la table à quelques pas à peine de lui.
Enfin, il se détourna de ce paysage champêtre qui, fêtant en avance le solstice à venir et, accompagné par la symphonie incessante d'une nature en pleine activité, tendait à teinter son humeur joviale, d'une sensation d'injustice qui n'était pas la bienvenue. Foutue nature ! Foutue époque ! Il était temps pour lui de revenir à la réalité maintenant qu'il avait fini sa clope.
Avant de passer la porte-fenêtre menant à la salle à manger, plus par habitude et maniaquerie que par besoin, il épousseta d'invisibles poussières sur les manches retroussées de sa chemise en satin, d'un bleu faisant écho à la couleur de ses iris, en réarrangea les plis. Des domestiques affairés à nettoyer, s'inclinèrent respectueusement tandis qu'il rejoignait le petit salon en réajustant le tablier rose qui protégeait ses précieux habits — sur mesure évidemment — de tout fâcheux accident.
Il s'arrêta dans le chambranle de la porte, contemplant le tableau qui s'offrait à lui, non sans une pointe de surprise de les retrouver exactement comme il les avait laissés, une éternité plus tôt alors qu'il s'éclipsait pour préparer le goûter. Sur un des canapés en velours rouge, à renfort de grands gestes, le grand capitaine Usopp et son nez de Pinocchio racontait une de ces histoires de Polichinelle dont il avait le secret, sûrement pour faire oublier qu'il était le perdant, d'après ce que Sanji voyait. Ce que la douce et magnifique Nami avec sa flamboyante chevelure de feu, s'empressa de lui rappeler de sa délicieuse voix autoritaire, en lui assignant le gage que le président donnait au trou-du-cul, à chaque fin de partie. C'était une variante du jeu apporté par la délicate mellorine afin de le pimenter quelque peu, faute de pouvoir miser de l'argent puisque, à part lui, personne n'était assez fou pour le faire. Pas avec elle en tout cas. Pas non plus qu'ils eussent tous le loisir de dépenser leurs économies de cette manière.
« Oy Sanji ! Tu nous rejoins ? »
La voix enjouée d'un adolescent au chapeau de paille, dont les pieds nus sales frottaient le tissu onéreux de son meuble, le tira à sa rêverie tandis que ce dernier l'enjoignait à reprendre sa place, dans l'imposant fauteuil couleur or qu'il affectionnait tant, ignorant totalement son regard noir. Combien de fois lui avait-il donc dit de ne pas mettre ses pieds dessus ? Ses yeux se posèrent sur le voisin du sauvageon qui, lascivement affalé à côté de son frère, l'invitait de son sourire indécent à les rejoindre. Il fronça légèrement les sourcils, jura à voix basse, décida de regarder ailleurs avant que l'autre ne le provoquât plus.
De l'autre côté de la table basse, au centre d'un rectangle de canapés et fauteuils, Usopp se rasseyait auprès de la délicate Kaya qui — par un miracle de l'existence qu'il ne s'expliquait toujours pas — avait succombé à l'absence de charme ainsi qu'aux histoires rocambolesques du jeune homme à la peau mate. En comptant leur cadet, Chopper, assis sur le pouff moelleux face à son meuble fétiche, un paquet de cartes en main, ses grands yeux sombres rivés sur lui, attendant très sûrement sa réponse pour distribuer, leur petit cercle d'amis intimes était presque au complet. Malgré le pincement de nostalgie dans son ventre lorsqu'il songea aux absents, il esquissa un sourire charmeur. Après tout, c'était un après-midi entre proches, sous le signe d'une savoureuse ambiance bon-enfant et de l'amusement.
Comme chaque jour d'ailleurs, depuis qu'ils avaient pris cette décision commune de tous revenir ici pour les temps présents, mettant chacun leur vie entre parenthèse un peu plus tôt qu'à l'accoutumée, afin de rattraper les nombreux mois écoulés autant que de profiter les uns des autres jusqu'à leur prochaine séparation.
La seule idée de devoir laisser son précieux restaurant entre les mains d'un autre, quand bien même c'était à ce vieillard merdique qu'était Zeff, avait suffit à lui retourner l'estomac cependant, malgré toutes ses négatives prérogatives à délaisser le All Blue avant sa date de fermeture annuelle, le besoin viscéral de revoir les autres avait remporté la bataille. Ils s'étaient donc tous retrouvés là, à profiter de la vie dans la demeure de campagne familiale, celle-là même qu'ils se plaisaient à investir tous les étés, avec juste un peu d'avance pour cette fois-ci.
« Plus tard. À la prochaine manche, je vous détruis. Maintenant, il faut je finisse l'encas de nos très chères mellorines. »
Face au regard des demoiselles, il s'inclina avec grâce, avant de rabrouer les cris plaintifs — et étrangement autoritaires — de Luffy, dont le monstre d'estomac incessamment affamé se manifestait par la bouche. Il ignora sciemment le voluptueux regard, qu'il savait Ace lui jeter alors qu'il tournait les talons pour rejoindre l'immense cuisine rustique. Les lieux de ses premiers pas dans ce monde qu'il s'était approprié, sous la tutelle attentive du vieux chnoque.
Il récupéra dans le four, le cheesecake qui finissait tout juste de cuire, dressa sa garniture en fredonnant doucement un des airs marins qui avaient bercés sa tendre enfance. Puis, il s'attela aux collations, de simple jus de fruits tout droit venus du jardin afin de ne pas surcharger, le goûter déjà bien sucré. Il ajouta aux verres des filles, quelques décorations. Lorsqu'il revint, débarrassé de son tablier, une large assiette avec le gâteau pré-coupé et une spatule dans une main, un plateau avec les boissons dans l'autre, les éclats de rires et cris enjoués avaient laissé place à un calme et curieux silence.
Il perçut sans mal la tension sous-jacente de ceux attendant des nouvelles qui changeraient à jamais, leur vie, tandis qu'ils fixaient, par la porte ouverte sur l'entrée un des domestiques accueillir un singulier visiteur pas tout à fait impromptu, qu'il appréciait énormément certes, mais dont il se serait bien passé de la présence en de telles circonstances. Il lui sembla qu'un seau glacé se déversait sur sa tête, le faisant se stopper net, le corps parcourut d'un désagréable frisson. Après avoir déposé ses fardeaux sur la table qu'on s'empressait de dresser, il se dépêcha pour aller accueillir le gentilhomme avec toute la courtoisie donnée par son éducation, un sourire au lèvre, l'inviter à leur table, pendant que Chopper décalait son pouf afin que le fauteuil qui lui fut alloué, soit face à celui du maître de maison.
Ce dernier s'excusa, le temps de presser un autre jus pour l'invité inopiné. Le temps était finalement arrivé n'était-il pas ? Il retourna dans le petit salon, presque à reculons. Il n'avait pas vraiment envie d'être là, pour ce qu'il pensait savoir arriver. Cependant, Sanji ne comptait pas la lâcheté parmi ses défauts. Il s'installa donc à sa place, ses doigts entremêlés, les paumes déposées sur ses jambes croisées ; l'attitude assurée du noble qu'il était, dont le regard perçant scrutait sans vergogne son interlocuteur.
Cela ne faisait même pas un an, depuis qu'ils s'étaient rencontrés pour la dernière fois, durant ces vacances estivales où toute la bande se retrouvait là, dans cet endroit perdu au bord du monde, ce morceau d'Eden où ils avaient l'impression que rien ne pouvait les atteindre. Visiblement non, puisque l'autre était là, d'ailleurs. Il avait fallu moins de douze mois pour achever de blanchir la cascadante et grisaillante coiffure — pas aussi parfaite que d'ordinaire — pour creuser de lourdes cernes violacées sous des yeux tristes — qu'il savait étrécris par une fatigue et une lassitude, que lui-même ressentait souvent ces derniers temps — pour marquer de profonds sillons sur un visage déjà partiellement ridé. Avec son dos voûté et sa mine sombre, comme s'il portait tout le malheur du monde sur ses épaules, pour la première fois de sa vie, celui qu'il n'avait jamais connu jeune et pourtant administrait l'archipel avec ce même brio et cette même vitalité dont le vieux chieur usaient dans ses cuisines, pour la première fois de sa vie, le maire de l'archipel lui sembla vieux et faible ; comme s'il venait d'être d'un coup rattrapé par le temps, dont son tempérament et sa prestance l'avait jusqu'ici préservés.
C'était d'autant plus récent qu'il était conscient que cette transformation était des plus récentes. Une affaire de semaines. Même sans les missives de la princesse Vivi depuis la lointaine Alabasta, dont l'homme était un des fidèles suivants et amis, il aurait fallu être véritablement idiot pour ne pas deviner quel adversaire avait su faire plier une personne de la trempe d'Igaram. Adversaire, dont deux des perfides pions se tenaient actuellement entre ses mains gantées.
Il glissa une cigarette entre ses lèvres, le regard fixé sur les larges enveloppes beiges, frappées du sceau du Gouvernement Mondial. Il s'enfonça avec dépit dans la moelleuse matière de son fauteuil adoré, souhaitant brièvement y disparaître. Il se retint de passer une main dans sa chevelure avec un soupir, cela aurait entâché ce côté raffiné qu'il se vantait d'avoir. Se savait avoir. Se devait d'avoir. Cela n'empêchait cependant pas le dépit qu'il ressentait. Cependant, vu la direction prise par les évènements récents, c'était inévitable. Aucun d'eux n'aurait pu y faire quoi que ce fut qui eût une quelconque incidence. Même quelqu'un d'un statut aussi élevé que le sien.
Le maire s'éclaircit la gorge. Inspira profondément. Comme s'il hésitait à briser le silence attentif qui s'était formé dans la pièce, alors que tous attendaient ses paroles : une confirmation de la raison supposée de sa visite. Il se lança finalement, tandis que Luffy s'appropriait une énième part du cheesecake, dont les autres semblaient avoir ignoré la présence. Sanji ne prit même pas la peine de le reprendre ; tous les esprits étaient ailleurs.
Le discours qu'il récitait était l'officiel, celui entendu et lu maintes et maintes fois au fil des dernières semaines. Au point qu'il le connaissait à présent par coeur, et, comme à chaque fois, savourait avec dégoût, toute l'âpreté et l'abomination disséminées sous une couverture de fioritures stylistiques. Une lettre d'amour, envoyé à de délicates mellorines à courtiser. Eux. L'ironie de la situation lui arracha un rictus — qu'il s'empressa de masquer — alors qu'il percevait dans le regard ainsi que le ton monotone du fonctionnaire, son manque total d'enthousiasme pour son devoir. Pas non plus qu'il le lui reprochait : Igaram était un brave homme, dont la noble conscience devait le torturer vis-à-vis de ce rôle ignoble qui était le sien.
Ses amis cependant, semblaient subjugués par le sortilège enchanteur de paroles charmantes, pleines de promesses de trésors et de gloire. Ils buvaient au torrent de mots, comme à une fontaine de jouvence. Il voyait, dans les magnifiques prunelles violines de la délicieuse et vénale Nami, danser les bélis des butins qu'elle pourrait amasser. Il observait, les lèvres tremblotantes d'un Usopp sur le point de fabuler des histoires à moitié vécue et le regard songeur de la mignonne Kaya rêvant à de lointains et fantasques horizons. Il scrutait, les quenottes qu'un Chopper frottait l'une contre l'autre, les yeux plein d'étoiles à l'idée de voyager, tandis que Luffy le corps agité par une excitation croissante, ne tenait plus en place. Même Ace, malgré son calme apparent, irradiait d'une impatiente chaleur.
Il détourna les yeux lorsque leurs regards se croisèrent, gêné à l'idée que l'autre ne se rendit compte de son amertume. Il ne voulait pas chasser cette atmosphère légère qui avait envahi la pièce. D'autant qu'il savait déjà que son aîné, comme tant d'autres jeunes hommes de leur génération, attendait cet évènement avec impatience depuis le début, s'était rendu dans les mairies les plus proches dès les premières heures de l'annonce pour s'y souscrire.
Ce n'était pas son cas. Si lui aussi, comme eux tous, rêvait d'aventures ainsi que de reprendre la mer au plus tôt, il avait déjà son propre et plus que prospère restaurant pour cela : sa passion autant que son métier, la cuisine. Et surtout, il avait son vieux chieur, bien plus un père à ses yeux, que son géniteur. Il ne pouvait pas se permettre ne partir. Le voulait encore moins en l'état actuel des choses.
« Saint Sanji. Portgas D. Ace. Levez-vous. »
Il cligna des yeux. Son corps lui sembla être comme un automate alors que son ami et lui se levaient pour recevoir les missives. Il sentit son rythme cardiaque s'accélérer, le poids du papier s'alourdir, menaçant de l'emporter au sol. Il ne se rendit même pas compte de la cigarette glissant de ses lèvres pour tomber sur le tapis, aussitôt piétiné par Luffy, qui non sans exclamations de joie, les étreignit de ses bras à la force surnaturelle. Pas plus du moment où celui-ci s'écarta pour laisser son frère renouveler ses voeux avec la formule rituelle que les heureux élus, futurs héros de la nation récitaient lors de leur nomination.
Ce furent la caresse fugitive de la main du brun sur la sienne, ainsi que ce sourire un peu tordu qu'il aimait tant chez lui, qui le ramenèrent à la réalité. Ce sourire doux qui se voulait rassurant, qui disait que tout irait bien. Même si évidemment, tout n'irait pas bien. Parce que l'avenir devant lui, devant eux, venait de se teinter d'une horreur indicible qui secouait ses entrailles.
Alors qu'il prononçait les mots de son engagement et de sa fidélité envers pour la patrie d'une voix presque blanche, pas une seconde, son regard ne se détacha des yeux désolé du maire Igaram, un reflet des siens dans lequel régnait désespérance et désillusion. Sa bouche s'emplit d'un affreux goût de bile et de vomi.
« Honneur à moi de servir. Ma vie pour la Patrie. »
Ce jour là était de ces temps paisibles, parfaits où l'été roucoulait déjà, de toute sa splendeur, sa joie à revenir.
Ce jour là, cela faisait déjà un mois que la guerre avait été déclarée, vingt-huit jours depuis l'ordre de mobilisation générale.
Ce jour là, et depuis déjà autant de temps, Sanji, sans vraiment y croire, croisait les doigts pour ne pas que son tour vînt.
