Pourquoi Moi ?

- Donc, si je mets douze ampères dans ce circuit, qu'est-ce qu'il vas se passer ? nous demande monsieur Da Silva.

Et ni une, ni deux, voilà Zachary qui lève la main.

- Monsieur Volpi ?

- Les plombs sautent ?

- Exact ! Vous avez bien observé votre schéma et remarqué que les fusibles ont été prévus pour une charge maximal de huit ampères. À douze, je souhaite bonne chance au mec qui doit venir changer ça après. Il va récupérer des trucs fondus dans les douilles.

Comme si j'en avais quelque chose à battre. Moi je me contente de l'installer le truc. Après s'il sais pas le faire marcher c'est pas mon problème.

C'est là que la cloche sonne.

Enfin, j'ai cru qu'on en verrais jamais la fin de ce vendredi. Deux périodes qu'on se tape le Da Silva et ses cours à la con sur l'électrotechnique !

- N'oubliez pas de faire l'exercice trente et un et trente-deux pour la prochaine fois, nous lace-t-il pendant que certains se ruent déjà dehors. Moi perso, j'en ai un peu ma claque aujourd'hui. J'ai mon cerveau qui cogne contre mon crâne comme s'il voulait se barrer. En me disant qu'il faudrait vraiment que je trouve une solution pour boire plus souvent, je descends les marches pour aller au rez-de-chaussée, là où se trouvent les casiers et mes affaires. Je m'appelle Faust Ignis, j'ai eu dix-huit ans l'année passée, et je cours à toute jambe sur mes dix-neuf ans puisque février vient de commencer et que je suis de mars. D'allure svelte, je suis plutôt grand, un mètre huitante-trois pour être plus précis. Je pèse septante-huit kilos, j'ai les cheveux brun foncé et les yeux de la même couleur et enfin, je suis un garçon. Je parcours le petit couloir qui par du hall principal pour tomber sur la porte qui mène dans la salle où m'attendent gentiment six rangées de huit casier en rangs impeccables. Je me dirige vers le mien : le casier 325. Un bon numéro, du moins je n'ai jamais eu à m'en plaindre. Je sors mes clefs et déverrouille le cadenas afin de poser mon classeur et ramasser mes affaires pour faire mes devoirs pour lundi. Je fourre le tout dans mon sac et m'apprête à sortir de la pièce quand Yvan m'accoste. Ce mec est une sorte de croisement entre un petit rigolo et un gaffeur compulsif. Petit, les cheveux noirs, des yeux noirs une allure svelte, un sourire à faire fondre une fille et un humour que j'ai de souvent de la peine à saisir, voilà le portrait du singulier personnage qui me latte toujours quand on joue à Counter Strique.

- Hé, Ignon ! Tu peux m'ouvrir la bibli ?

Je flaire tout de suite le plan foireux. La dernière fois qu'il m'a demandé ça, il s'est servi de l'ordinateur à disposition dans la bibliothèque pour tester un virus de son invention. Moralité, le serveur a planté et j'y ai perdu mes dessins techniques du début de l'année.

- J'ai comme pas trop envie, répons-je sur un ton pas franchement amical.

- Allez, tu vas pas me dire que tu m'en veux encore pour un truc qui remonte à six mois ?

- Si ! Et je risque de t'en vouloir encore longtemps. J'y tenais à ces dessins.

- Mais maintenant je te les ai refaits. Allez, soit simpa.

- Tu vas faire quoi si je te l'ouvre ?

- J'ai réussi à hacker le système de sécurité du doyen et j'ai laissé une porte ouverte dans la cession des maîtres. Ça te brancherais pas de savoir quelle note on a eu en math ?

- On le saura de toute façon mardi. Dans le pire des cas jeudi. Je vois pas de quoi tu t'inquiète.

- Ben... En fait j'ai un peu foiré ce test et j'aimerais bien savoir comment je m'en tire. Histoire d'avoir le temps de préparer mes vieux au choc.

- Donc, c'est pas la note, mais ta moyenne que tu veux connaître en avant-première ?

- T'as tout juste.

- Non, j'embarque pas dans cette histoire.

- Fais pas ton salaud ! C'est vrais que le coup du début de l'année a failli te coûter ta place de membre de la bibliothèque, mais cette fois-ci, tu risques absolument rien. Les types du service info sont loin, leurs bagnoles sont plus au parking. Y'a aucun risque de se faire repérer et remonter.

- Nan !

- S'te plaît.

- Nada !

- Allez !

- Niet !

- Je te prêterais Halo.

- No !

- Et Républic Commando en prime.

Là, je commence à reconsidérer son offre. Je suis fan de Star Wars et j'ai pas la thune pour me payer ce jeu. Mais ma Xbox a un système pour downloader les trucs que je lui fais lire et après je peux y jouer sans le cd. Il suffit juste que quelqu'un me prête le jeu. Dilemme : est-ce que je prends le laisse accéder à cet ordi et je risque assez gros si on nous chope, mais en échange je me retrouve avec Républic Commando gratis. Ou bien je ne prends pas de risque et m'arrange pour qu'il me le prête contre autre chose ? Pour finir, mon envie de Star Wars l'emporte et je vais lui ouvrir la bibli. Il se jette sur le PC et l'allume tout de suite.

- Tu vas voir, c'était assez difficile de craquer leurs codes, mais avec le programme que j'ai bidouillé, ça a marché.

- Et cet « porte laissée ouverte », c'est quoi ?

- Un « master password ».

- T'as collé un password qui vas au-dessus de celui du dirlo ?

Je suis sincèrement épaté. Je savais Yvan doué en informatique, mais pas à ce point.

- Ouais, alors... Bingo !

Et le voilà qui m'affiche les moyennes sur l'écran et fait une recherche pour trouver les nôtres.

- Y'a plus qu'a se poser sur notre cul et laisser faire, me dit-il en croisant ses bras derrière sa tête.

Je souris à cette allusion, notre prof de programmation conclut souvent ses démonstrations par cette phrase. On attend d'ailleurs pas longtemps avant que le programme bipe et nous affiche en gras nos résultats.

- Et merde ! Planté.

- Tu te rattraperas le semestre prochain, dis-je en essayant de le consoler.

- Tu peux causer, c'est pas avec les notes que tu te paie en math que tu risque grand-chose.

- Y'a les doués et y'a les autres.

- C'est ça ! Ramène-là, grogne-t-il en éteignant le programme.

- Au fait, tu avais pas rendez-vous avec ta copine ?

- Elle est pas encore sortie de ses cours, me dit-il après avoir consulté l'horloge de son natel.

- Ha, c'est juste que moi j'aimerais pouvoir rentrer le plus vite possible, y'a personne à la maison ce soir à part moi et ma sœur et j'aimerais en profiter.

- Faudra que tu nous la présentes un de ces quatre ta sœur.

- Sûrement pas.

- Jaloux.

- Obsédé.

Yvan ferme l'ordi et se lève pour partir. Je ramasse mon sac de sur la chaise où je l'avais posé et je boucle la porte derrière nous.

- À lundi ! me lance-t-il en prenant la direction de la sortie sud.

- Tcho ! répond-je en me dirigeant vers la sortie nord.

Une fois sorti de l'école, je prend deux secondes pour m'allumer une clope et je prend la direction de la gare. J'y suis au bout d'un petit quart d'heure et je prends le premier train pour rentrer chez moi. Une fois bien assis je sort mon livre m'y plonge. Il doit s'être écoulé une demi-heure quand quelqu'un me pose la main sur l'épaule. Je lève la tête et croise le regard de ma sœur.

- Salut chéri, me dit-elle en me faisant un signe discret de la main pour me désigner le type derrière elle.

Et c'est reparti ! Encore un candidat à la déception.

Cette fille, c'est ma sœur jumelle, le seul problème c'est qu'on se ressemble pas du tout physiquement et que ma sœur est une bombe. Elle est un tantinet plus petite que moi, un mètre septante-huit, des grands cheveux blonds des yeux bleu électriques, la figure ronde et lisse, des petits sourcils ainsi que, n'ayons pas peur des mots, un corps de rêve qu'elle sait très bien mettre en valeur.

Le « chéri » et le petit signe de la main veut dire que le mec lui tourne autour et qu'elle souhaite s'en débarrasser. Depuis qu'elle a quinze ans et qu'elle a changé d'école, elle trouve que les garçons lui tournent trop autour et elle a réussi à me convaincre de faire croire que j'étais son petit copain. Supercherie d'autant plus facile à mettre en place parce qu'elle avait alors fait changer son nom de famille pour prendre celui de jeune fille de notre mère. Nos cartes nous présentent donc comme étant Faust Ignis et Alexandra Johnson. Pourtant, nous sommes jumeaux et on s'entend vachement bien. C'est naturel de se dépanner entre frères et sœurs. Donc j'applique notre petit numéro à la lettre.

- Salut ma belle, réponds-je avant de lui glisser un bisou dans le cou.

Elle s'assied à côté de moi, s'étire et pose sa tête sur mon épaule.

- Tu as eu une bonne journée ?

- Pas trop mal, un peu longue.

Je surprends un geste sur le côté et je vois le mec qui se barre à l'autre bout du wagon.

- C'est le type en blouson beige, pantalon noir et sac noir à une seule bretelle ?

- Oui, il m'a collée toute la journée. Une chance qu'on se soit chopés dans le train.

- Pourtant il m'a pas l'air si mal.

En effet je trouve que c'est plutôt un beau garçon. Il doit avoir environ le même age que moi, mais il est plus grand et bien plus musclé aussi. Il a un visage rieur, des cheveux bruns et des yeux d'une couleur tirant entre le vert et le gris.

- C'est un collectionneur, m'explique-t-elle.

Je hoche la tête en signe de compréhension.

- Tu aurais finit par arriver en quelle position ?

- Il a eu deux autres filles depuis le début de l'année. Il a plaqué la dernière, il y a une semaine et là il est venu pleurer vers moi à la pause de dix heures.

- Remarque, je le comprends.

- Idiot.

Mais la blague la fait quand même sourire. Voilà trois ans que seules ses meilleures amies savent que c'est du pipeau entre elle et moi et qu'on est frère et soeur. Bizarrement, aucune personne de notre ancienne classe n'a terminé au gymnase avec elle et moi je suis parti en apprentissage. À quinze ans, elle en paraissait déjà dix-huit, et maintenant beaucoup lui donneraient passé la vingtaine sans hésitation. Elle s'intéresse pas aux garçon, mais uniquement à ses bouquins, un peu comme moi mais avec plus de sérieux. Aussi, pour se débarrasser des personnes tenaces, on a souvent recours à différents petits stratagèmes. Mais chaque année c'est à recommencer parce qu'il y a toujours des nouveaux venus qui flashent sur elle à la rentrée. Enfin, cette année, elle termine son gymnase à moins qu'elle fasse un raccordement en maturité professionnelle. Ce dont je doute.

- Tu devrais te trouver un vrai petit ami. Si on nous démasque un jour tu risque d'en prendre pour ton grade.

- Et toi ? Pourquoi tu n'as toujours pas de petite amie ? T'es pourtant pas si mal fichu.

- Ce n'est pas la même chose. Personne ne me court après pour sortir avec moi.

- Moi je préfère ça comme ça, répond-t-elle avec un petit air grognon.

Je pousse un profond soupir et replonge dans mon livre tandis qu'elle sort le sien. Le reste du voyage se déroule sans problèmes et nous sommes à la maison au bout d'une heure. Comme prévu, mon petit frère, ma petite sœur et mes parents sont sortis pour aller voir le « Da Vinci Code » au cinoche. Avec ma sœur on se fait des pizza qu'elle va chercher dans le réfrigérateur. Une fois qu'on a mangé et échangé quelques banalités, elle se plante devant la télé et moi je vais jouer à World of Warcraft sur mon ordinateur. Mas j'ai à peine allumé le poste que j'entend un bruit bizarre. Une sorte de crépitement qui résonne au-dessus de moi. Ma chambre étant située dans les combles, je lève la tête en me demandant si une fouine qui marche sur le toit peut faire un bruit pareil. Je n'ai rien le temps de voir, un flash de lumière m'aveugle au moment ou je lève les yeux. Je baisse la tête et me couvre les yeux en jurant. Et là le sol se dérobe sous mes pieds. Je n'ai rien le temps de faire, je suis trop surpris et j'ai jamais eu des réflexes fantastiques. Je tombe pendant quelque chose qui me semble une éternité. Puis je sens un choc sourd et je perds connaissance.

Je me réveille dans une forêt. Un endroit avec de très grands arbres, un tapis de feuilles mortes par terre et des buissons qui forment le sous-bois. Du brouillard circule entre les arbres et même s'il n'est pas très dense, je n'y vois pas très bien.

- Y'a quelqu'un ?

Bien entendu c'est juste une question pour la forme, je ne m'attends pas à avoir une réponse. Je me lève et regarde de droite à gauche. Il n'y a aucun doute, je ne connais pas cet endroit. Je fais quelques pas en espérant voir quelque chose de familier. Je rassemble mes souvenirs, mais ne vois vraiment pas où je suis.

- Hé merde !

Bon, réfléchissons. J'étais en face de mon ordo quand un truc collé au plafond a flashé. Ensuite j'ai dû m'encoubler dans quelque chose et je me suis assommé en tombant. Mais pourquoi suis-je ici ? Je ne devrais pas être à l'hôpital ? Est-ce que je ne me gourre pas complètement ?

Finalement, n'ayant rien d'autre à faire, je fais l'inventaire de mes poches. J'ai ma boîte à cigarette qui est presque pleine, j'ai fais le plein à midi et je m'en suis grillé qu'une seule sur le chemin de la gare. J'ai mon zippo, la flasque d'essence à briquet que Zachary m'a prêté à la pause de midi et que j'ai oublié de lui rendre. Mon couteau suisse est dans la même poche que mes clefs et enfin, je sors mon porte-monnaie et mon abonnement de train de ma poche revolver.

Je range mon barda vite fait et je m'allume une cigarette, rien de tel pour se calmer un peu. Je ne suis pas un grand consommateur, je peux tenir une semaine sur un paquet, et ma boîte peut contenir environ deux paquets. Je suis fringué comme un mec qui vient de rentrer à la maison, c'est-à-dire que j'ai eu la bonne idée de garder mes baskets et autrement je porte un pantalon noir, une ceinture de même couleur, un T-shirt gris simple et une chemise à poches vert kaki que j'ai récupéré dans un bazar de l'armée parce que je la trouvais pratique. En y pensant je fouille ma poche de poitrine droite afin d'y dégotter mon calepin et un stylo à bille. Je l'ai pas mal noirci au fil de l'année, essentiellement des formules électrotechniques et des assemblages mécanique. Ainsi que quelques petites recette que j'ai récupérée auprès d'un élève qui s'est fait virer parce qu'il distillait je ne sais pas trop quoi dans son casier. J'ai ainsi une recette d'une solution explosive qui ressemble à de la nitroglycérine, la composition chimique de l'aspirine, de la morphine, de l'acide sulfurique et chlorhydrique ainsi que celle d'un mélange incendiaire qui pourrait s'apparenter à du napalm.

- Chouette, si je trouve ce qu'il me faut je fous le feu à la forêt pour en sortir.

Encore une plaisanterie en l'air, mais ça me rassure d'entendre le son de ma voix.

D'un seul coup, j'entend un bruit derrière moi. Je sursaute et me retourne.

- Qui est l...

Je n'ai pas le temps de finir ma phrase qu'une sorte de petite chose à la peau verte et huileuse dégageant un écoeurant parfum de charogne me saute dessus et tente de m'étriper avec l'espèce de cimeterre qu'il tient dans une main. Le choc me coupe le souffle et me fait cracher ma clope qui atterrit directement dans le visage de la chose. Elle se brûle avec et nous tombons chacun de notre côté. Encore sous le choc, je me relève sur un coude et vois la chose qui se tient le visage des deux mains. Son cimeterre gît à quelques mètres de mon bras. Je me relève et me précipite ventre à terre pour ramasser l'arme. La chose remarque mon geste et sort une sorte d'éclat de métal avec une lanière de tissus enroulé autour de la plus petite section et se met à la brandir dans ma direction.

Pas de chance vieux, mais là c'est moi qui ai les plus gros arguments.

- Je ne te veux pas de mal.

Pour moi il est évident que quand on vous saute dessus avec ce genre de canif ce n'est pas vraiment pour vous faire la bise, mais on ne sais jamais, peut-être que la voie diplomatique paieras.

Ben non. La créature beugle un son aigu et me charge à toute vitesse, son couteau en avant. La suite se passe très vite. Je fais un pas de côté pour éviter l'assaut et cette fois je la somme de s'arrêter. Il ne m'écoute pas et recommence à me foncer dessus. Cette fois je vais essayer de l'assommer. Je pare le coup qu'il me porte de haut en bas avec son cimeterre grossier et m'apprête à lui balancer mon poing dans la gueule quand la chose perd l'équilibre et m'entraîne avec elle dans sa chute. Ma tête heurte une pierre et je me retrouve à nouveau dans les pommes.