Au delà
L'auteure aux lecteurs
Voilà, je prends mon courage à deux mains, et je poste enfin sur ce site.
Bon, je sais pas trop ce que ça va donner, c'est un essai. Bien que j'ai toute l'histoire – dans les grandes lignes – dans un coin de mon cerveau, je ne peux pas promettre aller jusqu'au bout. Je promets d'essayer si cette histoire parvient à trouver son public, je sais bien qu'il est terriblement frustrant de lire un récit qui n'a pas de fin, mais je ne peux pas garantir que celle ci en aura une ailleurs que dans ma tête. L'année commence avec un planning chargé, j'ignore encore si j'aurais le temps de clore cette histoire avec un zoli mot FIN, mais je ferai mon possible. La parution risque aussi d'être assez chaotique, à vue de nez je dirai une semaine sur deux dans le meilleur des cas
Ensuite, rendons à Jacques ce qui appartient à Sadoul, grand écrivain de la littérature française disparût au début de l'année 2013. Ce qui va suivre est né à la suite de ma découverte de son œuvre « Le Domaine de R »
Malheureusement, ma première tentative de prologue n'aboutissant à rien de satisfaisant, il m'a fallu écrire autre chose. C'est cet autre chose que vous avez sous les yeux, dont je suis très satisfaite, mais qui ressemble trop au livre pré-cité. Je ne révélerai pas trop les détails de la première version, au cas où, si jamais je trouve le courage d'y revenir un jour. Elle était radicalement différente et prenait place dans un « cloaque » parisien des années 30. Mais je n'ai pas réussi à en faire quelque chose de correcte, et une fois cette nouvelle version écrite, je n'avais plus cœur à revenir à l'ancienne, car celle ci me plaît bien, malgré le côté plagiat. Bon, j'pense que tout le monde s'en fiche, mais j'avais comme qui dirait un problème de conscience à régler...
Note : Dans cette fic, plusieurs thèmes de sciences et de pseudo-sciences seront abordés (astronomie, ésotérisme, lithothérapie, alchimie, etc...) J'essaierai de rendre les explications le plus clair possible, mais si y'a des choses qui sont vraiment trop loufoques ou incompréhensible, n'hésitez pas à me le signaler !
Disclaimer : J'ai pas très envie de le dire alors je vais le faire en bougonnant : L'univers de Tolkien, et les personnages qui le peuplent, sont la propriété de Tolkien. Seuls les OC m'appartiennent.
Bonne lecture !
Prologue
Argent-Mercure
« Comme si la mort était quelque chose de terrible, comme si quiconque avait une telle importance ! »
Le meilleur des Mondes, Aldous Huxley
De la poussière. De la poussière. Partout où se posait le regard, de la poussière. Le parfum du manoir était celui de l'abandon, les capiteuses exhalaisons de moisissures et de renfermé, l'odeur âpre du délabrement, des pierres froides qui suintent la poussière, du parquet rongé et de l'humidité. Là, partout où le regard se posait, il n'y avait que poussières et ténèbres. Un vide absolu où seul régnait le temps et ses vestiges. Nulle trace de vie occupant la demeure libérée, nulle araignées qui tissent ses toiles, nul insectes grouillants sous le parquet et entre les pierres des murs. Ni rats, ni souris, ni vermines, seulement les émanations glaciales du passé.
Jadis, le manoir avait été un lieu de fêtes et de plaisirs. Rires et joies s'en échappaient chaque nuit, et les jours accueillaient visiteurs pavanant et jeux de luxe. Des quatre coins de France, la noblesse et la bourgeoisie venaient jouir des soirées mondaines et des salons que donnaient en tout temps les propriétaires des lieux. L'on voyait alors maintes femmes fardées, engoncées dans les robes les plus en vogues de la saison et corsetées jusqu'à l'asphyxie, et maints honnêtes hommes aux visages noyés par de longues perruques d'anglaises et de fraises blanches, qui n'étaient pas loin de les rendre aveugles tant ils les portaient de plus en plus hautes.
Les premières se trouvaient généralement parfaitement à leur aise alanguie dans les profonds fauteuils du grand salon, ou paresseusement assises sur les bancs de pierre à l'ombre des grands saules pleureurs. Elles se déplaçaient toujours à plusieurs sous leurs ombrelles blanches, et de partout l'on pouvait entendre leurs rires clairs et gras. Dans leurs mains potelées se trouvaient parfois des livres dont elles aimaient à discuter en réunion, mais plus souvent des coupes d'alcool qu'elles sirotaient du bout de leurs lèvres rouges. Pour les seconds, on les trouvait le plus souvent en réunion dans le petit salon, fumant leur tabac d'Amérique, causant d'affaires sérieuses ou misant sur divers jeux d'argent. Le Manoir était l'un des lieux les plus courus du pays. Il fallait s'y montrer et y être vu, y connaître de la société, et y séjourner la nuit lors des secrètes bacchanales que semblait tant priser la maîtresse du lieu. L'on aurait pu croire que rien ne viendrait troubler ces paisibles plaisirs, que jamais ne prendrait fin la volupté des nuits d'été, mais c'était jusqu'à ce que frappe l'inexorable, qui n'épargne personne.
Ce faste aristocrate s'éteignit à la mort du dernier descendant de la lignée. Le manoir fut alors transmis à sa mystérieuse épouse qui n'avait jamais porté de fils en son sein. Aucun héritier pour cette riche famille, juste cette étrangère venue de l'Est et qui avait su séduire le propriétaire de la somptueuse demeure. Le premier octobre 1674, lendemain des funérailles, les employés du manoir furent congédiés, et les portes à jamais closes. La veuve partit au crépuscule, seule, n'emportant qu'un bagage et laissant dans son sillage nombre questions et nombre secrets. Parfois, des enfants des environs tentaient de pénétrer à l'intérieur du manoir. Mais lorsqu'ils se trouvaient face aux fenêtres, qu'un simple jet de pierre auraient suffit à briser, la peur les saisissait tous. Une frayeur viscérale qui faisait trembler leurs membres et vaciller leur conscience. Il y avait là, tapie derrière les hauts murs de pierre, un danger sans nom, une ombre menaçante, un quelque chose qui emplissait les esprits d'une mort prochaine si quiconque franchissait les immenses portes de chêne. Saisis d'effroi, les os glacés, la sueur roulant sur leur peau tremblante, les enfants ne pouvaient que fuir, sans se retourner, sans revenir.
Le manoir à l'abandon s'immergea dans l'oubli, et le temps fit son ouvrage. Il arriva quelque fois qu'une descendante légitime de l'étrangère vint voir de ses yeux ce curieux héritage, mais jamais l'on ne vit le moindre occupant s'installer en ces murs, et la demeure ne put lutter contre sa fin. Seul le parc laissa revenir une vie sauvage et paisible. Les arbres poussèrent, serein, les ronces s'enroulèrent autour des statues et des murets, le lierre recouvrit les murs. La nature prit son temps et reprit ses droits, mais ne put jamais attaquer le manoir. Il y avait en dedans quelque chose de pourrit, une souillure, un vice, et rien de vivant ne pouvait y entrer. La mort et l'abandon étaient partout, dans les couloirs obscurs, dans les chambres oubliées, à chaque étages, de la cave putride, à travers les escaliers branlants et jusqu'au sommet des tourelles qui se dressaient, toujours fières à travers le ciel gris. Les années, les décennies, les siècles attaquèrent le manoir, pourtant son secret perdura.
Il y avait, malgré les apparences, un sanctuaire qui échappait à la décrépitude du manoir, une pièce toujours entretenue, une pièce toujours vivante, le seul endroit où la maîtresse des lieux demeurait depuis le début de ses recherches, quelques centaines d'années plus tôt. Le bureau, le lieu de tous les sacrements, des prières et des sacrifices, des morts et des renaissances. Ce n'était pas un endroit chaleureux, mais elle n'avait pas besoin qu'il le soit. Une cheminée en pierre où un feu ardent ronflait nuit et jour et quelques coussins rapiécés jetés pèles mêles dans un coin, une table en ébène gravées d'obscurs symboles et recouverte des ustensiles propre à l'Art, des fioles et des livres, des métaux et des plantes, des bougies et des encens, un athamé* et des alambics, des récipients divers et autres instruments servant à mesurer le temps. Contre un mur, un athanor** de pierre et un Pélican***. Des armoires venues de toutes les époques et de tous les pays et qui contenaient ses correspondances et ses découvertes, une baignoire en cuivre qu'elle remplissait avec l'eau du puits, derrière le manoir. Et, partout, dans toute la pièce, des livres. Des livres dans les coins, des livres sur des livres, des livres sur le sol et sur les tables, des livres sur le rebord des fenêtres et sur les pierres branlantes. Des livres anciens, écrits à la main, des livres uniques, des livres modernes tapés à la machine, des livres qui contenaient tout le savoir et les connaissances de son monde. Elle n'avait pas besoin d'autre chose, tout ce qui n'était pas réservé à son art était superflu. Le bureau n'était voué qu'au service du Grand Œuvre, et la femme qui y vivait avait consacrée toutes ses vies à la maîtrise de l'Art, tendant finalement vers un nouveau but, ultime et sublime.
Le corps sénescent, totalement reclus depuis vingt six ans, se mouvait avec difficulté dans son sanctuaire. C'était une carcasse décharnée, minuscule et hideuse, une peau grise étirée sur des os malingres, une face mortuaire et une puanteur de décomposition. De la belle toison blonde qu'elle avait arborée au cours de ses jeunes années, il ne restait que de fines toiles graisseuses et répugnantes sur le crâne grisonnant strié de veinules bleutées. C'était l'immonde résidu d'une brève immortalité, c'était un corps mort qui vivait encore. Aucune des dépouilles qu'elle avait habitée n'avait pu résister aux ravages du temps. Une fois passée la première centaine d'année, elles se mettaient inéluctablement à vieillir, comme si ces matières périssables cherchaient à rattraper le rythme biologique naturel qui était le leur aussi rapidement que possible. Contrairement à ses semblables, ces rares êtres qui avaient sût maîtriser l'Art dans son entier, elle était incapable de subsister dans un organisme plein de vie plus d'un siècle. Le vieillissement reprenait malgré tous ses efforts, et il lui fallait vivement se remettre en quête d'un nouveau calice pour abriter son esprit.
L'obtention de ces nouveaux réceptacles se faisait de plus en plus ardue au fil des siècles. Jusqu'au début des années 1900, il lui suffisait encore de trouver une catin enceinte, ces proies étaient les plus faciles à obtenir. L'opinion public se moquait bien de la disparition d'une fille de joie, quand bien même elle portait un bâtard au creux de ses entrailles. Au cours de ses nombreux voyages à travers le monde, il lui était alors aisé de trouver sa victime et de l'enlever, sans que personne ne s'en offense. Mais à l'orée du troisième millénaire, la femme avait vue l'avènement d'une technologie développée, de nouvelles méthodes d'enquête incombant aux forces de l'ordre, et une justice plus impartiale. Trouver ses nouveaux corps allait relever de l'impossible.
Trois siècles plus tôt, en 1670, un aperçu du futur lui avait été offert dans le Voile Onirique, le plan astral où se nichaient rêves et prémonitions, et elle savait depuis que son avenir serait des plus incertain. La femme avait donc épousé, malgré les réticences de son premier mari, le riche héritier d'une grande demeure, d'où elle pourrait effectuer ses travaux et ses recherches dans la plus totale discrétion, se faisant passer pour une descendante de la veuve qu'elle avait été. Dès lors, tout au long des trois nouvelles existences qu'elle avait acquise, son esprit s'était tendu vers un seul objectif, un seul but. Il lui fallait trouver une solution pour ne pas disparaître et si ce monde ne pouvait plus l'accueillir, elle chercherait un ailleurs, une autre terre, un autre univers où elle pourrait exister. Car au fil de ses vies, elle avait apprit plus qu'aucun sage, aucun philosophe, aucun savant ne pourrait jamais apprendre. Elle avait découvert qu'il existait une nuée de mondes différents, et à chacun de ces mondes appartenait une multitude d'univers parallèles, parfois semblables, parfois totalement distincts, mais tous offrant de nombreuses possibilités à une exilée. C'est ainsi qu'elle ne put dévier son esprit de cette idée, infime idée, que si ces mondes existaient, il devait y avoir des passages pour les atteindre.
Elle accentua donc ses recherches en 1769, et il lui fallut presque un siècle pour enfin trouver le monde qu'elle cherchait, puis onze années supplémentaire pour découvrir la porte menant à cette terre pleine de promesse. Une terre à l'apparence juvénile, verte et sauvage, peuplée par des êtres aux allures étranges, certains raffinés qui arboraient d'étonnantes oreilles en pointes, d'autres plus brutaux pareils aux êtres humains qui peuplaient l'ancienne Europe, et même, des créatures d'un genre que la femme n'avait jamais vu, de taille enfantine, avec des pieds incongrus, grands et couverts de poils. Elle n'avait pu voir que des bribes de ce nouveau monde, mais elle savait déjà qu'elle l'aimait tout entier. Cette terre, dont il lui restait tout à découvrir, était exactement ce qu'elle cherchait pour poursuivre son existence. Son premier essai en 1870 se solda par un échec. La femme avait voulut s'y rendre avec son corps actuel, déjà vieillissant, en pensant pouvoir trouver sur place la matière première nécessaire à sa renaissance. Mais il lui avait été impossible de traverser le vieux miroir chinois qui, au fond d'un bac d'étain remplit d'une eau claire, ouvrait sur ce nouveau monde. Elle avait sentit une force bien supérieure à la sienne, une énergie pure et puissante lui en interdire l'accès. Elle avait donc fait une nouvelle tentative, l'année suivante, avec cette fois ci le bébé qui devait l'accueillir. Elle pensait prendre possession du nourrisson juste avant qu'il n'atteigne le miroir, mais là encore le passage lui fut refusé. Lorsqu'elle fut de nouveau en mesure de se servir du corps qu'elle habitait, une fois les années du stade primaire passées, elle testa les puissances de l'autre monde en envoyant d'abord des objets inanimés. Des cailloux, des pierres précieuses, des babioles. Ils passèrent tous de l'autre côté. Puis elle envoya un cadavre de souris, qui, cette fois, ne put tromper le miroir. Ce fut ensuite au tour d'un oiseau, bien vivant, qu'elle observa s'envoler de l'autre côté, quelque peu sonné par cette expérience déplaisante.
Ainsi, la mort, la maladie, les souillures ne pouvaient emprunter le passage. Et son âme à elle était rongée par la décadence de tant de siècles, par les meurtres et les infanticides, par la vieillesse et la pestilence. Elle était croupie. La recherche du savoir absolu, l'avidité de posséder les connaissances terrestres et spirituelles, il y avait toujours un prix à payer pour obtenir l'impossible.
Les années qui suivirent furent alors consacrées à la purification de son esprit et de son corps. Sa gorge s'orna de pierres d'agathe, de célestine, d'améthyste, d'aigue-marine, de lapis-lazuli, et de toute autre gemmes devant purifier son corps et son âme. Chaque jour, elle prenait des bains de sauge et de sel de mer. Le soir, elle pratiquait des fumigations de smudge et méditait pendant plusieurs heures. Chacun de ses rituels avaient pour seul but de tromper les puissances de l'autre monde, de les aveugler le temps d'une respiration, le temps de la laisser traverser le pont entre les deux univers. Elle ne pourrait jamais purifier totalement son âme, mais elle pouvait néanmoins dissimuler les souillures sous une pureté factice.
Ce 3 Janvier 1980, la femme se prépara à une ultime tentative. Elle était seule désormais, son compagnon des temps jadis n'était pas là pour lui apporter son aide si la renaissance tournait mal. Il était impératif pour elle de réussir, sous peine de voir son esprit piégé à jamais entre deux plans, ou pire, aspiré jusqu'au monde des morts. Et même si elle parvenait sans faillir à s'ancrer dans son nouveau corps, mais sans pour autant traverser le miroir, ce nouvel échec signifierait une nouvelle décennie au minimum, et elle ignorait si les années à venir lui permettrait de pratiquer son art en toute impunité. Dans sa vision, l'avènement de l'ère des Technologies signifiait sa fin. Et cette ère était arrivée. Elle balbutiait encore, ivre de sa naissance hâtive, à peine marchante et déjà sautillante, si fragile, si précoce, et pourtant à l'aube de son règne sur l'humanité. Il n'y avait plus de place en ce monde pour la vieille femme. Depuis les premiers pas de l'Industrie, la machine broyait la magie, les énergies mécaniques écrasaient les énergies spirituelles, et les forces naturelles, invisibles et muettes, s'estompaient. Son temps était venu.
Debout devant le bac d'étain, elle plaça la vieille plaque d'argent-mercure au fond du récipient, avant de le remplir de l'eau purifiée qu'elle avait tirée du puits à l'aube. La lune chantait à présent, pleine et nacrée. Très loin par delà le ciel, quelque part dans l'espace, auprès de la constellation d'Orion, une pluie de météorite se perdait dans l'infini. La femme savait que le moment était proche. Elle ajouta à l'eau une pincée de sel de mer, et plaça sur le bord du bac des éclats d'indigolite. Il ne lui restait plus qu'à allumer les bougies disposées autour du Cercle de souffre qu'elle avait tracé avant de positionner le bac en son centre, et d'installer, à égales distances sur le dessin, les cristaux de roche sur les différents marquages prévus à cet effet. Ses gestes étaient mécaniques, instinctifs. Elle les connaissait par cœur, et les effectuait sans y penser, en jetant des coups d'yeux inquiet à la jeune femme enceinte qui reposait sur les coussins, devant la cheminée. Celle là allait aurait son utilité dans quelques instants, mais il fallait qu'elle reste en vie jusqu'au bout. La drogue qu'elle avait avalée, en quantité trop importante, ne tarderait pas à interrompre les battements de son cœur. Mais pas encore, pas tout de suite. Sinon, tout serait à refaire.
Avec le peu de force qu'il restait à sa vieille carcasse, la femme traîna la parturiente juste à côté du cercle. Elle avait choisie une jeune femme, de grande taille et robuste, au physique agréable avec ses cheveux auburn et ses yeux bleus en amande, mais à la forte carrure. Il lui fallait une génitrice capable de transmettre un ADN solide, car au cours des siècles, les corps qu'elle habitait se faisait de plus en plus frêle et chétifs, cédant sous le poids de son âme. La vieille femme laissa le corps inconscient à quelques centimètre du cercle, et s'en retourna vers la table d'ébène où l'attendait son athamé. D'une main ferme, elle saisit le couteau et prit place entre les jambes de la jeune inconnue. Sans hésitation et sans pudeur, elle arracha le pantalon à fleur et retroussa le haut, révélant un ventre rond et laiteux, strié d'abominable vergetures et où la vie s'agitait encore. La lame de l'athamé déchira la chair au dessus du pubis, laissant le sang s'écouler sur les poils et entre les cuisses. La douleur fit tressaillir la jeune femme et trembler ses paupières alourdies d'un sommeil artificiel. Encore noyée dans les limbes de la drogue, sa gorge laissa échapper un cri, réflexe de son corps face à son meurtre. Ses jambes s'agitèrent, voulurent repousser ce qui la tuait, tellement faible mais toujours vivante. Elles se convulsèrent sous la douleur et la peur, impuissantes à chasser le mal. La sacrifiée voulut se relever, les yeux aveugles, tous ses sens asphyxiés par la drogue, mais son corps ne répondait pas à ses prières, ne pouvait plus que se tordre sous la douleur. Elle chercha à rouler sur le côté, à s'écarter de sa meurtrière, mais ne put que tourner la tête et vomir, les bras gisant sur sa gauche, le buste à moitié redressé. La vieille femme resta imperturbable devant les inutiles protestations de sa victime mourantes, et continua à enfoncer sa lame dans les entrailles, écartant la peau béante, perforant l'utérus, éclatant la poche des eaux, les mains enfouies dans la douce chaleur du sang, à la recherche du précieux fœtus. Les cris de la jeune femme se turent. Trop affaiblie par le poison, son cœur avait lâché, la douleur était trop forte, l'hémorragie trop importante.
Il n'y eut d'abord que le silence, ponctué par les immondes gargouillis du ventre béant, du sang et des mains qui violentaient le cadavre, s'affairant à en faire jaillir la vie. Il était là, niché dans les douces entrailles de sa mère. Les yeux clos, le nourrisson arraché à sa matrice sentit bientôt la morsure du froid, et un choc sur ses fesses lui firent ouvrir la bouche. La première inspiration lui brûla la gorge et les poumons, et il hurla encore. La vieille femme se releva, laissant le bébé en pleurs sur le sol pour se laver les mains. Désormais, tout devait aller très vite. Elle enveloppa le nourrisson dans un vieux linge et glissa entre les couvertures le carnet sur lequel elle avait travaillé ses trois derniers siècles. Il contenait en sténographie tout ce qu'elle avait apprit depuis sa toute première vie. Abandonner ainsi des centaines d'années de recherches et de travaux lui était par trop insupportable. Le carnet lui permettrait de conserver avec elle tout ce savoir acquis au cours de sa longue existence. Elle enfila également, autour du cou et des bras du bébé, tous les bijoux et pendentifs qu'elle portait, et glissa dans les langes la pierre d'obsidienne qui devrait recueillir l'âme de l'enfant si elle survivait à la possession.
L'athamé dans une main, le bébé blottie contre sa poitrine, recouvert désormais de tous les bijoux et amulettes de la vieille femme, elle pénétra le cercle. De sa gorge s'éleva un chant guttural, sans paroles, une mélopée de sons profonds qui prenaient naissance au sein de son plexus solaire et jaillissaient à l'air libre, pleins de vie et de puissance. Les notes s'envolèrent, hautes et claires. Elles pénétrèrent le cœur des roches et les réveillèrent. Les gemmes entrèrent en résonance, reliées par leur invisible magnétisme. Cette vague d'énergie courut le long du cercle magique et pénétra l'eau purifiée, jusqu'à atteindre la plaque d'argent qui reposait au fond du bac. L'eau, le chant, le cercle et les gemmes, chacun de ces éléments, reliés et éveillés par la magicienne, firent naître une onde qui traversa les différents plans du cosmos et atteignit la voûte céleste en un point précis de l'espace et du temps, à la fois perdu aux confins de l'univers et enfermé dans la plaque d'argent, aux pieds de la vieille femme. Le passage s'ouvrit, le miroir révéla le monde de l'autre côté, dévoilant une petite maison de bois au beau milieu d'une dense forêt. Elle laissa tomber l'enfant dans le bac. Le bébé s'immergea lentement dans l'eau, se rapprochant de la porte, effleurant la mort. Lorsque son bras eut atteint le miroir, sa petite main traversa la plaque et tâtonna l'autre côté. Le moment était venu. D'un geste assuré, la vieille femme enfonça l'athamé droit dans son cœur. La lame effilée pénétra la fine peau du cadavre vivant, ne laissant perler qu'une fine rigole de sang sur le tissu qui la couvrait, et atteignit l'organe sans faillir. Son corps s'affaissa en un hideux craquement d'os brisés. Dans le bac, il ne restait plus que le petit pied du bébé qui disparaissait lentement à travers le miroir.
Près des portes de chêne, une petite souris grise, transie de froid, pointa son museau à travers une fissure dans le bois. Ses moustaches frémirent en humant les odeurs qui émanaient de l'intérieur. Là, de l'autre côté, il faisait chaud. Il n'y avait pas de vent, pas de neige, pas de pluie. Elle lança plusieurs regards aux alentours, se dressa sur ses pattes arrières pour s'assurer que tout danger était écarté en humant l'air, ses longues moustaches tressautant à chaque nouvelle inspiration, puis, lorsqu'elle fut assurée que l'intérieur semblait moins dangereux que l'extérieur, la petite souris s'enfonça dans la lézarde de la porte. Elle disparût dans l'obscurité, engloutie par le manoir abandonné.
*Athamé : Dans les pratiques ésotériques, l'athamé est un couteau utilisé pour les rituels occultes.
**Athanor : four utilisé pour la pratique de l'alchimie
***Pélican : Il ne s'agit pas bien sûr de l'oiseau, mais d'un alambic dont le bec rappelle ce fameux volatile
Voilà, le prologue s'achève ici.
Le style de ce chapitre est peut être un peu lourd, j'espère que ça n'aura pas été trop indigeste à lire. Les précédents chapitres seront un peu plus légers, en accord avec la suite des événements (en tout cas pour un certain temps, le calme ne dure pas pour nos pauvres protagonistes!) Malgré mes innombrables lectures, il reste probablement des fautes et des phrases au sens douteux, le genre qui fait lever les sourcils d'incompréhension. J'en suis désolé !
J'espère quand même que ce premier aperçu aura séduit quelques lecteurs. Lâchez vous sur les reviews !
