Dislaimer : Harry Potter ne m'appartient pas (tristesse).

Attention : Cette fiction traitera, pas tout de suite mais à un moment, de relations homosexuelles. De façon explicite. A vous de voir si vous avez envie d'entendre parler de fesses nues ou pas.

Remerciement : cette fanfiction a été relue il y a très longtemps par milligramme, avec qui je ne suis plus en contact mais que je remercie encore pour l'attention qu'elle y avait porté (peut être pas à ce chapitre en particulier, mais d'autres à venir).

Bonne lecture !


C'étaient de belles dents. Blanches, droites, alignées, sages. Il passa dessus une langue rose et délicate. Il effleura ses lèvres, en retraça le contour du bout de l'index. De gauche à droite. Elles aussi étaient trop pâles. Et toujours finesse, douceur ; féminité, presque. Il les mordit durement, essaya de colorer cette bouche qu'on imaginait encore dégouttante de lait. Drago Malefoy aurait voulu une gueule de prédateur, des crocs pour mordre et déchirer. Tandis que le sang affluait timidement sous sa peau fragile, il s'imaginait le même liquide libéré de sa chair, coulant dans sa bouche, sur son menton. Dans certaines contrées, les sorciers les plus cruels utilisaient un charme qui teintait de façon indélébile leurs dents du sang de leur victime. Chez Drago, pareille décoration aurait ressemblé à une maladie des gencives. Ah, il était beau, l'héritier des Malefoy ! Racé, tendre, laiteux. Avec peut-être un vague relent de décadence, à bien y regarder. Quoi d'étonnant à ce qu'il n'ait jamais effrayé les autres mangemorts, ni même Harry Potter ? Bien sûr, du temps de Poudlard il avait mis au pas toute sa maison, et Serpentard n'était certes pas un ramassis de créatures faibles et soumises, mais n'était-ce pas la base ? Si Drago Malefoy devait se sentir fier d'écraser tous les autres vert et argent, ce serait la preuve définitive qu'il n'avait pas compris que le monde allait un peu au-delà de Poudlard, songeait ledit dominateur en occultant au passage le souvenir de l'époque où effectivement, il croyait que l'univers se réduisait au fameux château, en incluant éventuellement le manoir familial.

« Drago, on mange. »

Rien qu'un soupir exhalé derrière la porte de sa chambre : Mère. Le plus jeune des Malefoy prit le temps d'enfiler ses chaussures, car Père n'aurait jamais toléré qu'il vienne dîner pieds nus. Quand bien même leur très estimable famille était en fuite depuis quelque chose comme deux mois, changeant sans cesse de lieu la première semaine avant de se baser dans une de leurs résidences secondaires au fin fond de l'Écosse où personne n'était pour l'heure venu les chercher.

Drago vérifia que le col de sa chemise était bien en place, plaqua ses cheveux en arrière, lança rapidement un sort de brillance à ses vieilles chaussures en cuir de Niffleur – le contact, doux et velouté, restait une merveille – puis transplana directement au salon. Il adopta machinalement le pas souple, long et décidé qu'on lui avait enseigné lors de ses cours de maintien.

Père avait supprimé toutes les protections magiques dès leur arrivée, arguant que l'énergie qui s'en dégageait les aurait faits repérer à coup sûr. Drago s'était abstenu de faire remarquer que si, comme le pensait Père, toutes les maisons Malefoy étaient effectivement surveillées, apporter des changements brutaux aux boucliers de celle qu'ils habitaient était le meilleur moyen d'être découverts, sans compter le fait qu'ils seraient absolument sans défense en cas de « visite » du ministère de la Magie.

A vrai dire, pour le fils de l'ancien mangemort, il était évident que la Justice Magique savait parfaitement où ils se trouvaient et les laissait courir en attendant de décider de leur sort. Ce qui était de très loin la situation la plus humiliante qu'avait jamais connue Drago.

« Tu en as mis, du temps. » renifla Père lorsque son fils vint finalement s'asseoir en face de lui, à une des extrémités de leur longue table en bois sombre, finement sculptée et cirée de frais.

Ce soir, nous servons une purée de potiron aux épices de Ceylan, du canard rôti, une salade aux noix fraiches, et une tarte aux pêches en dessert. » couina l'unique elfe de maison qu'il leur restait.

Impressionnant de voir comme le petit personnel avait pris la fuite en apprenant la mort du Lord. « Les rats quittent le navire », songea Drago. Il peinait à imaginer ce qu'aurait été leur quotidien si, non contents de tourner en rond dans leur sombre demeure, ils avaient dû se préoccuper de soucis matériels ; l'idée même le dégoûtait.

Ils habitaient donc dans un petit château écossais en pierre claire et au toit d'ardoise – de taille ridicule par rapport à leur manoir principal. Deux tours trapues, pompeusement nommées Tour Ouest et Tour Est, se cramponnaient aux parois d'un large bâtiment principal de trois étages. La bâtisse était vieille, pleine de pièces qui auraient semblé inutiles à la plupart des gens ; salle de réception, boudoir, salle de bain équipée spécifiquement pour laver et soigner sa chevelure (une lubie des anciens propriétaires, reprise par Narcissa), garde-manger immense, puis dortoir du personnel, écurie et chenil dans une vaste dépendance un peu plus loin. Bien sûr, ces derniers étaient entièrement vides, l'équitation et la chasse n'intéressant pas les Malefoy et Proxy, leur dernier elfe de maison, se contentant de la volière qu'elle partageait avec une demi-douzaine de chouettes racées.

Malgré le grand confort de cet endroit – presque chaque mur dégoulinait de tentures luxueuses, les sols qui n'étaient pas en bois s'étaient vus recouvrir de tapis moelleux, et Narcissa avait tout meublé avec beaucoup de goût – il ne se passait pas une heure sans que Drago ne ressente une brusque bouffée d'angoisse. Qu'il se sentît oppressé par les nuages épais perpétuellement amoncelés au-dessus de leurs têtes, l'absence de lumière qui en résultait ou juste par la conscience de la situation dans laquelle lui et sa famille se trouvaient, le résultat était là : il ne se sentait absolument pas en sécurité dans ces lieux, et guettait toujours les recoins sombres avec une avidité morbide, comme s'il redoutait l'apparition d'un spectre et en même temps la désirait ardemment. Après tout, n'avait-il pas toujours été attiré par les aspects glauques, sombres du monde magique, tout en étant paradoxalement capable de la plus grande couardise ?

On était début juillet à présent, réfléchissait Drago en mangeant du bout des lèvres son délicieux dîner. Il ne faisait aucun doute que le ministère n'était pas resté les bras croisés pendant tout ce temps, même s'ils n'avaient aucun moyen d'en être sûrs, Père les ayant totalement coupés du monde magique en leur interdisant à tous de sortir du petit château ; seule Proxy pouvait se rendre dans des villages moldus et y voler ce dont ils avaient besoin.

De grands procès avaient déjà dû commencer, c'était certain, et des envois massifs à Azkaban devaient être prévus sous peu. A moins que, privée des Détraqueurs, la Justice Magique n'ait rétabli la peine de mort ? Il était drôle de constater que Drago, qui s'était toujours estimé en faveur de cette dernière, avait considérablement revu sa position depuis que sa famille et lui-même étaient du mauvais côté de la balance.

Le dîner se déroulait dans un silence détestable, entre Père qui jetait à tout moments des regards de bête traquée à sa femme et son fils, Mère en apparence souverainement distante mais dont les mains tremblaient, Proxy debout un peu plus loin qui semblait comme d'habitude au bord des larmes, et enfin lui-même. Lui-même, le nez penché sur son assiette, fuyant de plus en plus ses parents chaque jour. Il n'en pouvait plus de les voir couler toujours un peu plus profond sans pouvoir rien faire d'autre que s'enfoncer derrière eux ; il avait compris à présent que, si leur monde ne les rattrapait pas, cette situation pourrait se poursuivre indéfiniment, jusqu'à ce que Père finisse enfin de sombrer dans la folie.

Etait-ce le destin ? Un hibou grand duc choisit avec une précision diabolique cette seconde-là pour se poser sur un rebord de fenêtre et toquer contre la vitre. Narcissa Malefoy hurla, Lucius envoya valdinguer son verre tant il sursauta violemment, et Drago qui tournait le dos à la source du bruit se leva et fit demi-tour en un seul bond. Trois paires d'yeux terrifiés se posèrent sur l'animal qui les observait maintenant avec calme, attendant qu'on vienne lui ouvrir. C'était une grande bête au plumage brun et brillant, dont les prunelles dorées fixaient sans ciller les Malefoy.

« Ouvrez lui, murmura Narcissa d'une voix blanche.

- Vas-y, Drago » renchérit Père qui semblait près de s'évanouir.

L'interpellé regarda tour à tour ses deux parents terrifiés et l'elfe de maison cramponnée inutilement au bras d'un fauteuil. Sans écouter les battements frénétiques qui faisaient même frémir sa chemise, pas après pas, il se dirigea jusqu'à la fenêtre qu'il ouvrit. Le hibou s'engouffra chez eux en même temps qu'un vent tiède, lâcha une lettre près de Drago qui bondit en arrière comme s'il avait eu peur de se brûler, et fit demi-tour aussi sec pour disparaître dans l'air orangé du soir. La tension qui régnait dans le salon faisait jaillir à intervalles irréguliers des petits jets de fumée laiteuse par la bouche entrouverte de Mère, mais il fallait bien que quelqu'un ouvre et lise ce qu'on leur avait envoyé. Il n'y avait aucun moyen d'y échapper, aucun, Drago savait reconnaître les épreuves inévitables pour en avoir affronté pas mal au cours des dernières années.

Alors, avec un gémissement étranglé au contact du papier, il saisit l'enveloppe – marquée du sceau du département de la Justice Magique ainsi que de leur adresse – et l'ouvrit. Ses doigts étaient si faibles qu'il eut du mal à déplier l'épais papier.

« à Lucius, Narcissa et Drago Malefoy, le 3 juillet 1998.

Vous êtes informés par la présente que votre jugement aura lieu le 8 juillet à 15 heures, au Ministère de la Magie, département de la Justice Magique. En raison de la gravité des accusations portées à votre encontre et de leur caractère sensible, le procès ne sera pas rendu publique mais réunira la chambre du Magenmagot au complet. Il vous est possible, en vertu du 17ème décret de notre code de la Justice Magique, de vous faire représenter par une autre personne si tel est votre souhait, à condition toutefois que ladite personne ne soit pas elle-même sous le coup d'accusations. Vous avez également le droit au nom de notre 3ème décret de faire appel à un ou plusieurs témoins. Votre représentant comme vos témoins peuvent être, par la réforme du 12 juin de cette année, des sorciers, des cracmols, des créatures magiques (le Ministère de la Magie fournira un éventuel traducteur) ou des moldus ayant fait officiellement serment de protéger le Secret Magique et connaissant suffisamment bien le monde sorcier.

Il est bien entendu fortement conseillé aux accusés de se présenter à leur audience, faute de quoi – dans la mesure où ils en ont été informés – cette charge supplémentaire pourra être retenue contre eux.

Hélène Morsay

Services administratifs du Magenmagot

Département de la Justice Magique

Ministère de la Magie »

Il sembla à Drago qu'après avoir tambouriné de toutes ses forces, son cœur avait cessé de battre. Une peur paralysante s'était abattue sur lui d'un seul coup. Ils allaient être jugés. Devant cinquante sorciers qui avaient sans doute pris parti contre Voldemort. Devant une assemblée où fourmilleraient des membres de l'ordre du Phoenix avides de venger les leurs. Devant des sang-de-bourbes. Et ils osaient présenter ça comme un « procès » ? Drago entendait d'ici proclamer la sentence, lourde et implacable. Il laissa à nouveau tomber la lettre par terre. Le teint habituellement translucide de Mère avait viré au verdâtre, et Père se précipita pour récupérer la missive. Il la relut une fois, puis deux : ses mains crispées et ses lèvres blanches d'être trop pincées étaient autant d'indices qu'un violent cataclysme se déroulait sous ses longs cheveux blonds. Drago se prit à espérer que malgré son état des dernières semaines, il trouverait une solution.

« Il semblerait… lança finalement Père avec un calme dangereux, que nous ayons été découverts. Cet endroit n'est plus sûr. A l'évidence, il nous faut à présent partir, sans doute vers la branche française de la famille Malefoy.

- Lucius, c'est de la folie ! » s'exclama Narcissa.

Le fou en question regarda sa femme comme si elle était une étrangère. Il reprit la parole, et sa voix tremblait et montait de façon incontrôlable.

« Que veux-tu dire, ma très chère et tendre épouse ? Bafouerais-tu l'autorité de ton mari ? Laisserais-tu ton enfant unique aux mains de cette justice ? C'est ça que tu veux, tenir nos têtes coupées pendant que le bourreau aiguise pour toi sa plus belle hache ?

- On ne peut pas fuir, Lucius, répliqua Mère, et cette fois son ton piquait comme des aiguilles. Tu ne saisis pas ? Si nous recevons cette lettre, c'est qu'ils savent où nous sommes. S'ils prennent la peine de nous prévenir et de requérir notre présence ainsi, c'est qu'ils n'ont aucun doute quant au contrôle qu'ils exercent sur nous. S'ils nous convoquent, c'est que nous sommes déjà leurs prisonniers.

- Mère a raison, Père, argua Drago. Ils se feraient un plaisir de nous rajouter un délit de fuite. Nous n'avons plus de contacts ici, plus d'aide possible. On ne peut pas s'échapper. »

Père les regarda tous deux avec une expression où la colère le disputait au mépris. Puis, sans prévenir, il froissa la lettre dans son poing, la jeta et transplana. Drago et Narcissa échangèrent un long regard plein de peur. Mais Mère avait été bien éduquée, et au bout de quelques secondes elle recommença à couper délicatement des petits morceaux de canard. Comprenant qu'il n'y avait plus rien à faire, l'héritier de la très honorable famille Malefoy prit la missive qui leur avait causé un si grand émoi – bien qu'elle ne soit, après réflexion, pas très surprenante pour ne pas dire attendue – la posa sur la table, se rassit et, tentant d'imiter le flegme parfait de sa génitrice, se força à terminer son repas.

« Puis-je desservir monsieur Malefoy ? s'enquit Proxy.

- Fais. » soupira Narcissa.

Il fallut deux jours à Drago et sa mère pour se rendre compte que Lucius avait tout bonnement quitté les lieux. Jusque-là, ils avaient supposé qu'il occupait simplement l'une des trop nombreuses pièces inutiles, et ne souhaitait pas être dérangé. Mais quand Proxy annonça que personne n'était venu prendre de nourriture dans le garde-manger, le doute s'installa. Et après que cette dernière avait fouillé avec soin tout le château, utilisant ses pouvoirs quand Narcissa lui avait demandé de fournir une réponse absolument sure, on put établir avec une totale certitude que Lucius Malefoy se trouvait au minimum à dix kilomètres d'eux.

En apprenant cette nouvelle, Mère eut la réaction normale de toute aristocrate ; elle alla s'enfermer dans son boudoir, y demeura une heure sans qu'on sache ce qu'elle y fit, et en ressortit plus maîtresse d'elle-même que jamais. Elle alla trouver Drago qui, de son côté, s'était laissé tomber sur son lit avec la sensation que tout ce qui faisait son monde disparaissait peu à peu. Doucement, elle s'assit sur le rebord du matelas. Sa robe longue laissait entendre un bruissement soyeux quand la soie bleue frôlait le riche parquet.

« Drago, mon chéri ? appela-t-elle en caressant ses cheveux.

- Je suis réveillé, Mère, marmonna-t-il sans ouvrir les yeux.

- Il semble que Lucius soit parti, et je pense qu'il a tenté de rejoindre sa famille en France.

- Crois-tu qu'il puisse y arriver ?

- Non, répondit Narcissa d'un ton définitif.

- Nous le retrouverons le 8 juillet, dans ce cas ?

- Je n'en doute pas une seconde. » On aurait dit qu'il y avait un sourire dans sa voix, mais le temps que Drago ouvre les yeux, son visage était redevenu de marbre. Ne l'eut-il aussi bien connue, il aurait juré avoir rêvé.

Les trois jours qui suivirent, jusqu'à la date annoncée du procès, se passèrent dans une atmosphère étrange. Mère semblait partagée entre une peur profonde, la même que ressentait Drago, et une sorte de satisfaction impalpable, comme si la certitude intime de savoir son mari aux fers – en d'autre termes, d'être convaincue qu'elle avait eu raison et lui tort – la réjouissait. Chez Drago, c'était la colère d'avoir été abandonné par celui auquel Mère et lui avaient toujours obéi, celui qu'ils avaient toujours respecté et suivi, son Père, qui l'étouffait parfois. Puis ce sentiment-là était remplacé par le rappel de son impuissance, comme s'il sentait déjà la fin de sa vie approcher sans qu'il puisse rien y faire. Et la peur, à nouveau.

Les repas et les autres moments qu'il passait avec Mère reflétaient bien ce mélange bizarre d'émotions qu'ils éprouvaient, puisqu'ils balançaient entre grande tension, échange de regards désespérés et scènes absolument banales où ils discutaient de sujets comme la qualité de la viande d'agneau.

Mais toujours dans le respect de l'étiquette ; Narcissa n'aurait jamais permis qu'aucun d'eux se laisse aller.

Arriva finalement la date fatidique du huit juillet : ce jour-là, malgré tous leurs efforts, ni l'un ni l'autre ne put déjeuner. A 14 heures précises, ils avalèrent chacun du Polynectar que Mère veillait à entreposer dans tous leurs lieux de villégiature, après y avoir déposé des cheveux ramenés par Proxy. La petite elfe avait bien reçu l'ordre de choisir des moldus de corpulence à peu près similaire à celles de Drago et Narcissa, si bien que leurs propres vêtements n'eurent pas besoin d'être ajustés pour qu'ils aient l'air convenables. Une fois transformée, Mère prit soin de ses nouveaux cheveux noirs, courts et bouclés afin qu'ils soient aussi doux et luisants que sa longue robe grise, tandis que Drago essayait désespérément de s'habituer à son nouveau physique de jeune japonais – pourquoi diable Proxy avait-elle pris pour des touristes pour cible ?

Ils purent enfin lancer de la poudre de Cheminette dans l'âtre à 14h40, et tous deux prononcèrent distinctement, malgré l'identique effroi qui serrait leurs poitrines, les mots « Ministère de la Magie ».

Le hall principal ne semblait pas foncièrement différent de ce qu'il avait été avant Voldemort, songea Drago tandis que Mère et lui marchaient d'un pas mesuré vers les ascenseurs. Si ce n'est que l'agitation et le désordre avaient atteint un point qu'on pourrait bientôt qualifier de critique, et que la fontaine aux statues, remplacée par une hideuse sculpture à l'époque du Lord, était devenue un vaste bassin tapissé dans le fond d'algues de couleurs vives et peuplé par diverses petites créatures magiques. Drago s'arrêta en voyant tout à coup une sirène en crever la surface, s'excuser d'un signe de tête auprès du sorcier qu'elle avait copieusement éclaboussé avant d'émettre des cris stridents pour s'adresser à un autre homme qui lui répondit sur le même ton. La scène n'avait surpris personne, et le plus jeune des Malefoy comprit qu'il s'agissait là d'une sorte de portail pour les créatures des eaux. À côté de lui, Mère contemplait aussi le spectacle, et son nouveau nez en trompette était froncé de dégoût.

Sachant bien qu'ils ne pouvaient s'éterniser, Narcissa et son fils reprirent la route des ascenseurs et eurent la chance d'en trouver un directement. Il ne fut à aucun moment question de badge ou de vérification d'identité, ce qui laissait supposer que les incursions répétées de Potter et ses petits copains au Ministère avaient fini par faire comprendre à tout le monde que les anciens protocoles ne valaient pas un pet de centaure. C'était un soulagement pour Drago, qui ne se voyait pas rester dans une pièce confinée en compagnie de cinq sorciers plus grands que lui et visiblement pas très commodes tout en ayant « Drago Malefoy » épinglé sur la poitrine.

Une voix féminine indiqua assez vite qu'ils arrivaient au « Niveau 2, département de la Justice Magique », mais alors qu'ils s'apprêtaient à sortir l'un de leurs voisins d'ascenseur demanda :

« Vous venez pour le procès Malefoy ?

- Oui, répondit Narcissa sans montrer la moindre trace de peur ou de surprise.

- Alors c'est au dixième, là où sont les grandes salles d'audience. On ne peut pas réunir tout le Magenmagot ici. Vous ne devez pas en être, je me trompe ?

- Non… Mère sembla chercher quelque chose à ajouter, mais le sorcier posa une lourde main sur son épaule.

- Moi aussi, je veux savoir le plus vite possible ce qui va arriver à ces fumiers de dragon, ne vous inquiétez pas. On va être une trentaine à attendre devant les portes que la sentence tombe. Je veux pouvoir leur cracher à la gueule pour mon fils, ou faire le boulot à la place du Ministère s'ils ne sont pas foutus d'écourter leur biographie » expliqua-t-il sur un ton qui se voulait rassurant.

Narcissa hocha simplement la tête et reprit place dans l'ascenseur, le bout de ses doigts sur les épaules du Drago japonais. La détermination dure qui se lisait dans son regard pouvait effectivement être confondue avec de la haine à l'égard de la famille Malefoy alors qu'elle réfléchissait à toutes les manières de détruire la main de cet homme qui avait osé la toucher.

Une fois arrivés au bon étage, le trajet ne fut plus très long dans la mesure où toutes les personnes présentes étaient massées devant une seule et unique porte dix mètres devant eux. Il était 14h52. Drago et Mère durent jouer des coudes pour arriver au premier rang, et là où tout le monde se pressait contre d'épais barreaux en fer forgé, eux traversèrent la grille comme si elle n'avait pas existé. Un tonnerre d'insultes et de crachats explosa derrière eux quand les gens comprirent ce qu'il venait de se passer, mais ils étaient déjà hors d'atteinte. Un lourd rideau tomba sur les barreaux, et les huées disparurent de façon surnaturelle, remplacées par un concert de murmures feutrés.

Drago, qui avait gardé les yeux rivés sur ses chaussures et contenait difficilement ses tremblements, releva la tête avec difficulté. A cinq mètres au-dessus de lui commençaient des gradins de bois entièrement remplis de sorciers parlant à mi-voix, engoncés dans les robes officielles du Magenmagot. La salle formait un cercle, renforçant pour les accusés l'impression d'être jetés dans la fosse aux lions. Mais ce qui retint l'attention de Drago fut, au centre, une cage elle aussi circulaire, grillagée, en métal noir et luisant, au centre de laquelle Père était assis à même le sol. Il tourna vers eux un regard inexpressif. Au même moment, mère et fils ressentirent la désagréable sensation qui accompagnait toujours les transformations de Polynectar. Drago imaginait très bien son visage changer, ses yeux retrouver leur gris habituel, ses cheveux blondir et retomber sans doute un peu en désordre sur son front moite… Mère, elle, était sublime. Peut-être un peu trop maigre et pâle, mais sa chevelure coulait jusqu'à ses reins et son aspect se rapprochait presque de l'or blanc.

« Êtes-vous bien Lucius, Narcissa et Drago Malefoy ? » les interpella des gradins une femme que Drago n'avait jamais vue, mais qui à l'évidence présidait.

Les trois accusés répondirent du même oui méprisant et Malefoyen, quand bien même leur position actuelle ne leur permettait pas vraiment de s'accorder ce luxe. Pour se forcer à garder la tête haute, à préserver son masque coûte que coûte, Drago promena son regard le plus aristocratique le long de ces rangées de sorciers. Il n'en reconnaissait que peu. Kingsley Shacklebolt, à droite de la Présidente Sorcière inconnue au bataillon, devait avoir été promu ministre de la magie. La vieille MacGonagall n'était pas non plus très loin, et elle lui rendit son œillade avec brio. Puis, et ce fut là que Drago eut la plus grande des surprises, ses yeux tombèrent dans ceux, cerclés de lunettes rondes, d'un autre garçon de son âge : un garçon qui avait survécu. Et ce garçon le fixait en retour d'un air de concentration neutre, sans faire un geste. Malgré la hauteur de peut-être six mètres qui les séparait, Drago eut soudain l'impression de se retrouver juste en face d'Harry Potter.

« Je suis Hestia Jones, lança la Présidente Sorcière d'une voix forte, et c'est moi qui présiderai ce procès : je déclare la séance ouverte. Avant toute chose, les accusés désirent-ils désigner un représentant afin qu'il parle en leur nom, ou souhaitent-ils se défendre eux-mêmes ?

- Nous nous défendrons par nous-mêmes. » répliqua Narcissa comme elle en avait convenu avec Drago.

Père ne disait rien, il restait assis dans la même position. Au lieu de regarder le Magenmagot, il les observait, eux, et un magma confus d'émotions agitait son visage. Bien qu'il se sentît en cet instant plutôt désespéré, Drago espérait que Lucius n'empirerait pas les choses. Il avait peur de ce qu'il dirait, du scandale qu'il pourrait faire…

« Bien. Vous allez être jugés dans le cadre des crimes commis au service du mage noir Voldemort à l'encontre de sorciers, cracmols, moldus et créatures magiques. Lucius et Drago Malefoy, reconnaissez-vous avoir appartenu au groupe qu'on appelle les mangemorts ?

- Oui, répondit Drago avec fermeté.

- Oui, déclara Père après une infime hésitation, mais sa voix ne tremblait pas.

- Nous allons commencer par effectuer la liste des accusations portées à l'encontre du dénommé Lucius Malefoy, puis nous entendrons des témoins à charge et enfin votre défense. »

Père acquiesça en se relevant, le visage fermé, et à ce moment seulement il se tourna vers Hestia Jones dont le secrétaire venait de dérouler un très long parchemin. La lecture des simples faits d'accusations dura plus d'une demi-heure, allant de la corruption, la séquestration, la complicité de meurtres à, bien sûr, l'utilisation répétée des Sortilèges Impardonnables et le crime contre la sorcièreté. Chaque crime était étayé d'exemples précis, de noms, de dates, et Drago eut envie de pleurer lorsqu'il comprit que le dossier de Père avait été trop bien étudié et préparé pour qu'il ait la moindre chance d'en réchapper. Défilèrent ensuite des témoins, Ollivanders, MacGonagall, un moldu dont le nom échappa à Drago, le ministre lui-même, des employés du ministère… Tout ça semblait ne jamais devoir se terminer. Et pendant tout ce temps là, Narcissa et son fils restaient debout à côté de la cage. On ne leur avait pas proposé de siège, et ils refusaient de s'asseoir à même le sol. Bizarrement, Potter ne prit pas la parole. Drago supposa qu'il devait être là pour l'accuser lui, ce qui était logique, après tout.

« Lucius Malefoy, reconnaissez vous les accusations qui viennent d'être prononcées à votre encontre, et appuyées par ces témoignages ?

- Je reconnais être coupable de tous ces faits d'accusation, annonça Père en maintenant impeccablement son masque de Malefoy.

- Dans ce cas-là, qu'avez-vous à dire pour votre défense ? » interrogea Hestia Jones.

Malgré tout ce qui avait pu arriver, en dépit de l'odeur désagréable qu'il dégageait et de son début de barbe, Drago devait reconnaître qu'à ce moment là Lucius Malefoy semblait au mieux de sa forme. Comme si ces quelques jours d'incarcération l'avaient réveillé. Bien qu'à cet instant il soit focalisé sur le profil noble de son géniteur, il lui sembla distinguer du coin de l'œil Potter qui se penchait en avant, comme si les choses se mettaient à l'intéresser davantage.

« J'admets avoir conspiré aux côtés de Vo… Voldemort, j'admets avoir fait souffrir énormément de personnes, et en avoir tuées plusieurs. »

Un silence de plomb s'était abattu sur l'assemblée. Cinquante figures sévères étaient là et les jugeaient.

« Mais tout au long de cette période, mon moteur principal était la peur. Ce n'est pas glorieux, cependant je vous le demande, qu'auriez-vous fait à ma place ? Si votre famille avait été l'une des premières appelées par le Lord Noir, au tout début de son ascension, si vous y aviez vu un moyen de lutter contre la décadence qui menaçait… »

Un concert d'exclamations scandalisées le coupa à ce point précis il se contenta d'attendre, de récolter avec indifférence un avertissement de la Présidente Sorcière, avant de reprendre quand le silence fut revenu.

« … Si vous aviez pu lutter contre ce qui vous semblait être un risque pour le monde tel que vous le conceviez ? Je sais que ceci n'a pas valeur de justification à vos yeux. Néanmoins, et c'est la vérité, aussi fortes qu'aient été mes convictions, ce ne sont certainement pas elles qui m'ont amené à héberger V-Voldemort pendant des mois. J'ai été menacé, je lui étais redevable pour m'avoir fait évader de prison. Je n'avais plus le choix, pouvez-vous comprendre cela ?

- Pouvez vous affirmer que si cette possibilité s'était offerte à vous, vous auriez déserté le camp du mage noir ? questionna Hestia Jones.

- C'est certain, répondit Père. Je ne l'aurais pas rejoint lors de son retour si je l'avais pu. C'était un monstre, et un fou dangereux. Il représentait un danger certain pour tous les mangemorts et leurs familles. Le seul vrai allié de Voldemort n'était nul autre que Voldemort lui-même, et peut-être Bellatrix Lestrange. »

Une sorte de vague incertitude semblait à présent planer dans les rangs du jury. Soudain, à la surprise générale, Potter se leva.

« Monsieur Malefoy a raison, dit-il. J'ai… Séjourné dans son manoir pendant l'occupation de Voldemort, et je peux vous dire qu'il y était à peine plus à l'aise que moi. Voldemort n'a jamais accordé sa confiance qu'à lui-même. De plus, Lucius Malefoy n'a pas tenté de ramener Voldemort au pouvoir, il le lui a reproché la nuit où il est revenu. Je l'ai vu.

- Merci, Harry Potter, pour ce témoignage » lança Hestia Jones tandis que le Survivant se rasseyait en rougissant.

Drago observait Harry sans comprendre, à moitié énervé qu'il n'ait pas été fichu de témoigner plus tôt, alors qu'en même temps un soulagement sans nom s'abattait sur lui. Si le Garçon-qui-les-avait-tous-sauvés prenait parti pour eux, et tout son poids symbolique avec lui, alors… ?

« Lucius Malefoy n'a toutefois jamais fourni la plus petite aide, ou montré la moindre clémence vis-à-vis de ceux qui combattaient les forces du mage noir. Il a même été plutôt enthousiaste lorsqu'il s'agissait d'attaquer le ministère, riposta un autre sorcier d'une voix profonde, en se levant à son tour.

- Monsieur, tout le monde ne peut pas, comme Severus Rogue, être un agent double. J'ai une femme et un enfant. Et puis, dire "je ne suis pas contre vous" ne veut pas dire que je suis avec vous. La situation était complexe » lui rétorqua Lucius.

Il avait apparemment décidé de jouer la carte de l'émotion, bien qu'il ait conservé un ton acerbe pour ne pas trop perdre en crédibilité, et cela semblait être fonctionnel chez quelques personnes dans le jury, notamment Harry Potter (qui avait dû finir d'emménager au pays des licornes roses s'il croyait vraiment que Père s'était préoccupé de son épouse et de son enfant au cours de la guerre. A moins que la façon dont il avait utilisé Drago pour essayer de revenir dans les bonnes grâces du Seigneur des ténèbres en sixième année ne soit considérée comme une façon de le protéger ?).

Pourtant, aucune voix ne s'éleva plus contre Lucius qui continua de plaider sa cause pendant un quart d'heure, revenant sur plusieurs étapes du conflit et expliquant pourquoi il n'avait eu d'autre choix que d'obéir. Potter reprit la parole à un moment, de nouveau pour appuyer une de ses déclarations, et au moment du vote – pour ou contre une peine de prison dont la durée serait à statufier – éleva « par mégarde » son bras contre la condamnation avant de le baisser d'un air confus, comme s'il réalisait seulement ne pas être membre du Magenmagot. Mais son geste avait été remarqué, et Drago eut l'impression qu'après un moment de flottement ce fut lui qui fit pencher la balance en la faveur de Lucius. Et il aurait juré avoir vu Potter et Shacklebolt échanger un regard discret. Entre ses deux parents admirablement stoïques alors que, de façon inespérée, Lucius Malefoy était déclaré non responsable de ses actes, Drago s'efforçait de ne rien montrer tout en sentant en dépit de sa volonté ses épaules trembler incoerciblement.

La suite du jugement passa dans une espèce de brume, où il entendit encore Potter défendre sa famille, puis il prit lui-même la parole brièvement, il entendit Père le défendre, il sentit la main de Mère sur son épaule et… Il lui sembla qu'un instant plus tard tous trois étaient dehors, après qu'on leur avait ménagé une sortie discrète pour qu'ils ne rencontrent pas leurs « admirateurs ». C'est seulement là qu'il vit l'unique petite larme couler des yeux brillants de sa mère, remarqua ses cernes, détailla les poils blancs nombreux dans la barbe de Père. Ils furent conduits jusqu'à une cheminée d'où ils retournèrent dans leur demeure d'Écosse. Sitôt arrivée, Narcissa partit s'enfermer dans la Tour Ouest où était sa chambre, et Drago ne la revit plus avant le lendemain. Lui-même se sentait épuisé, et il se laissa simplement tomber sur son propre lit, en faisant juste l'effort de retirer ses chaussures. Il faisait nuit noir : le procès semblait avoir duré une éternité.

Drago se réveilla dans la même position, tout habillé ; il aurait aussi bien pu s'être évanoui. L'aube rose l'avait réveillé à travers la fenêtre ouverte. Il se demanda pourquoi Proxy n'avait pas fermé les volets. C'était désagréable ; il appela la petite elfe d'une voix hésitante, mais sans réaction. On était le neuf juillet ; soudain, cela parut d'une importance capitale à Drago et il attrapa un parchemin pour noter la date, avant de le reposer sur sa table de chevet. Il avait l'impression que quelque chose commençait aujourd'hui. Bien sûr, ce n'était pas comme s'il venait de laisser V… Voldemort derrière lui d'un seul coup, son passé ne s'effacerait pas mais à partir d'aujourd'hui, il n'était plus un mangemort. Il n'avait plus de maître, et la société sorcière avait décidé qu'il n'était pas coupable. Pour un peu, il avait acquis le statut de victime. Cela le fit grimacer, mais il faudrait bien faire avec.

Aucune trace de Proxy. Agacé, le blond se dévêtit et partit prendre une douche.

Deux heures plus tard, les Malefoy au complet prenaient un petit déjeuner étrange ; des tartines de pain non grillé, maladroitement coupées par Narcissa à l'aide d'un sort qu'elle n'avait jamais utilisé, étaient tartinées de miel. Aucun d'eux ne savait où étaient le beurre, la confiture, ni quoi que ce soit qui se conserve au frais. Ils avaient par contre trouvé du thé et su faire chauffer de l'eau.

« Tu dis, Drago, que Proxy avait disparu dès l'aube ? demanda Père.

- Oui.

- En y repensant, elle n'était plus là quand nous sommes revenus, observa Narcissa.

- Je vois. » grinça Lucius.

La conversation s'interrompit. Personne ne voulait envisager ce que cela signifiait. Drago savait que Père avait lancé un sortilège particulier, qui était sensé ramener de force un elfe de maison, où qu'il soit, en s'appuyant sur le lien – plutôt, la chaîne – qui liait un elfe à sa famille et qu'il ne pouvait rompre sans l'accord de ses maîtres. Mais rien ne s'était produit. Une seule explication était possible : Proxy s'était rendue au ministère de la magie, qui l'avait libérée. Elle n'aurait jamais pu prendre son indépendance seule, ni même sans l'aide de sorciers puissants. Et encore, Drago ne savait pas comment ils avaient fait. Peut être le même genre d'astuce misérable qu'avait utilisée Potter pour libérer Dobby ?

En tout cas, ça avait fonctionné.

À partir de là, les jours s'étirèrent avec une lenteur accablante. Ils restaient cloîtrés dans le château, ce qui était sans doute sage car en apprenant l'issue du jugement, leurs admirateurs avaient dû s'en tenir à leur résolution de faire justice eux-mêmes.

Après de longues cogitations, et Merlin savait qu'il avait le temps pour ça, Drago avait fini par trouver des raisons plus calculatrices, et moins niaises, que celles qu'avait avancées Potter pour justifier leur liberté. Les Malefoy étaient une famille ancienne et influente parmi les sang-purs, donc la communauté chapeautait à l'international de nombreuses affaires sorcières, et gardait la main-mise sur certaines magies anciennes. Le ministère ne pouvait pas faire une croix sur les sang-purs, ni même se contenter de ceux qui étaient restés neutres ou s'étaient opposés au Lord, car qui étaient trop peu nombreux et souvent trop peu puissants. Ç'aurait été renier le passé et une partie importante du pouvoir sorcier.

Bien sûr, leur situation ne serait plus la même. Le rayonnement de leur influence n'était qu'un faible tremblotement par rapport à ce qu'il avait été, et le ministère ne laisserait jamais la communauté sang-pur regagner trop de pouvoir. Ils seraient sous contrôle, et sans doute mélangés presque de forces au reste de la population sorcière. Ça se voyait rien qu'à leur jugement : sur les cinquante sorciers et sorcières présents, Drago n'avait pas pu en reconnaître la moitié. Cette Hestia Jones, la Présidente, était très certainement une sang de… Née moldue. Avant, il aurait pu nommer tout le jury.

Lorsqu'il fut à peu près sûr de ses conclusions, ou au moins de leur cohérence, Drago s'en ouvrit à son père qui les lui confirma avec un léger mépris, comme si ces machinations étaient l'évidence même. Non, bien sûr, rien n'était totalement acquis. Il avait contacté les Zabini et les Parkinson, qui se trouvaient à peu près dans la même situation, sauf l'oncle de Pansy qui avait toujours été brutal et… limité, et que ses crimes de guerre avaient envoyé à Azkaban. Tous pensaient la même chose. Il fallait maintenant faire profil bas et se conformer aux attentes : ressouder la communauté, s'ouvrir, relancer l'économie, investir là où cela semblerait le plus judicieux… Oui, il avait accès à leurs comptes de Gringotts, bien qu'une partie importante de leurs ressources en ait mystérieusement disparu. Oui, ils étaient quand même toujours riches, on ne lui avait pas enlevé ses affaires, il fallait qu'il les remette en marche. Non, ils n'auraient plus d'elfe de maison…

Lucius avait rétabli les protections magiques autour de la maison, et passait désormais ses journées dans son bureau à envoyer des lettres et parler par cheminette. Il savait qu'il était surveillé, aussi s'occupa-t-il activement de remettre ses affaires en route, puisque c'était ce qu'on attendait de lui. Drago savait qu'il ne ferait pas un seul pas de travers, du moins, tant qu'il n'en aurait pas l'occasion… Et c'était un soulagement de voir son père reprendre du poil de la bête. L'inactivité et la peur l'auraient rendu fou. Maintenant, il savait ce qu'il en était, et il revenait sur des terrains qui lui convenaient au final mieux que la torture : la politique et l'économie.

Mais pendant ce temps, Narcissa et Drago demeuraient inactifs. Ils passèrent tous les deux de sales moments dans les cuisines à essayer d'en déchiffrer le fonctionnement, jusqu'à ce que Narcissa mette la main sur un livre de sorts « à l'usage d'une bonne gouvernante sorcière », ce qui fit froncer son nez délicat. Elle ravala tout de même sa fierté, et Drago et elle furent bientôt capable de préparer, servir et nettoyer un repas mangeable sans se salir les mains, ce qui était l'essentiel.

Malheureusement, ces activités occupaient à peine une paire d'heures de la journée. Le reste du temps, Drago tournait en rond comme un lion en cage. Il n'avait rien pour s'occuper ici, à part quelques vieux jouets poussiéreux – cette résidence secondaire avait été très peu occupée par les Malefoy. L'attente et l'incertitude le plongeaient dans une angoisse si profonde qu'il en restait parfois tremblant, en sueur, les mains crispées sur ses genoux et le visage trempé de larmes, enfermé dans sa chambre. Il s'efforçait de suivre le compte des jours, mais au bout d'une semaine il n'était déjà plus exactement sûr.

Père avait dit « rien ne changera d'ici la rentrée. Il faut que les choses se tassent un peu, et il faut prévoir notre retour. On ne peut pas réapparaître d'un seul coup, ce serait courir à la catastrophe. À la seconde où nous deviendrons inutiles, le ministère nous abandonnera à nos ennemis. »

Mais rien de plus. Drago ne savait rien de ses affaires, et n'osait pas demander. Il avait interdiction d'envoyer des lettres. Ni Père ni Mère ne semblait savoir de quoi serait faite l'année à venir.

Vers la mi-juillet, entre le quatorze et le seize – Drago était presque sûr qu'on était le seize – un nouveau hibou arriva. Il était gris foncé, avait les yeux presque rouge et se tenait très raide sur la fenêtre. Il tapa délicatement contre la vitre de la chambre de Drago au milieu de l'après-midi, et le réveilla de sa sieste ; dormir était à peu près le seul moyen de faire passer le temps. Immédiatement tendu, Drago ouvrit et récupéra la lettre, après quoi l'oiseau repartit sans attendre de réponse. Il faillit s'étrangler devant la grosse enveloppe jaunie et le cachet de Poudlard, et courut presque au bureau de Père.

Par hasard, Mère s'y trouvait aussi, si bien qu'ils découvrirent en même temps le parchemin proprement plié.

« COLLÈGE DE POUDLARD, ÉCOLE DE SORCELLERIE

Directrice : Minerva McGonagall

Décorée du Grand Ordre de Merlin, membre de l'Ordre du Phénix, titulaire d'une chaire au Magenmagot

Cher Mr Malefoy,

Nous avons le plaisir de vous informer que vous êtes invité à reprendre votre septième année d'études à Poudlard, la précédente étant invalidée par les évènements de la guerre. Étant majeur, vous êtes libre de ne pas poursuivre vos études : l'administration vous signale que dans ce cas, vous ne serez titulaire d'aucun diplôme de fin de cycle type ASPICs ou équivalent.

Vous trouverez ci-joint la liste des ouvrages et équipements nécessaires au bon déroulement de votre scolarité, si vous désirez la poursuivre. La rentrée étant fixée au 1er septembre, nous attendrons votre hibou le 31 juillet au plus tard.

Veuillez croire, cher Mr Malefoy, en l'expression de nos sentiments distingués.

Pomona Chourave

Directrice-adjointe »

Un deuxième parchemin contenait une liste horriblement familière de fournitures scolaires. Drago était estomaqué.

« Il faudra envoyer quelqu'un au chemin de traverse et faire venir une couturière pour tes robes, Drago, si nous ne voulons pas créer d'émeute. » observa Mère.

Elle semblait accepter la situation avec le plus grand calme. Drago avait l'impression qu'il allait exploser. Cette lettre signifiait un retour à la normale, se glisser à nouveau dans ce quotidien si familier, retrouver ses camarades, passer des examens. Retourner à Poudlard. On avait dû s'atteler à reconstruire Poudlard ; plongé dans sa propre hécatombe, Drago n'avait pas pensé à tout ce qui se bâtissait au-dehors.

« Et si je ne veux pas passer mes ASPICs ? demanda-t-il sur un ton provocant.

- Ne sois pas idiot, lança Lucius calmement. Tous les Malefoy ont leurs ASPICs, sans exception.

- Père… » le ton de Drago s'efforçait de rester respectueux, maîtrisé. « Je vais me faire lyncher. Vous l'avez dit vous même, je ne peux pas retourner en société, pas si tôt, pas comme ça. Certains vont penser que c'est une insulte que j'accède aux mêmes choses qu'eux. Certains vont vouloir se venger.

- J'ai dit qu'il fallait attendre la rentrée. Tu vas finir ta scolarité, restaurer tes liens avec les sang-purs, te montrer comme un sorcier normal, ne pas faire de vagues mais ne pas devenir trop différent de ce que tu as été, ce serait suspect. Me suis-je fait comprendre ?

- Oui, Père. » capitula Drago.

Il oscillait intérieurement entre la panique et l'hébétude. Poudlard lui semblait appartenir à une réalité différente. Il allait se retrouver entouré de rares alliés, et de beaucoup d'ennemis. L'administration le protègerait sans doute, mais il n'avait pas l'intention de passer l'année à se cacher dans les jupes des professeurs. Il faudrait jouer serré, mais il devrait demeurer un Malefoy fier, tout en étant discret. Peut être était-ce faisable.

Déjà s'enclenchaient en lui des mécanismes trop anciens pour avoir disparus dans la guerre ; il percevait à nouveau juillet et août comme les vacances d'été, et l'échéance de septembre, si elle était spéciale, restait la rentrée.

Peut être était-ce bien ainsi. S'il ne devenait pas fou à force de se terrer dans ce château.

Trois jours s'écoulèrent dans une monotonie absolue en l'enfonçant toujours un peu plus dans les ruines de sa vie qui semblait se reconstruire mais déformée, comme l'ombre monstrueuse d'une fausse normalité.

La routine fut à nouveau troublée un midi, et à nouveau par un hibou inattendu. Ce n'était pas un hibou officiel, on pouvait le dire rien qu'à la façon dont il se fracassa contre la fenêtre de la salle à manger. Les Malefoy étaient en plein repas, du riz aux lentilles, mais cette fois seule Narcissa sursauta. Drago haussa un sourcil, et Père n'eut aucune réaction.

Ce fut Mère qui ouvrit. Le petit hibou ébouriffé la regarda d'un air un peu idiot avant de s'envoler.

« Drago, c'est à ton nom. » annonça Mère en revenant à table.

Lucius avait recommencé à manger d'un air indifférent, mais ses yeux étaient durs comme l'acier quand il regardait son fils.

« Je n'ai rien envoyé » se défendit Drago. Il ne décacheta pas la lettre, car cela ne se faisait pas à table, mais il bouillait d'impatience. L'expéditeur n'avait écrit que son nom sur l'enveloppe.

Il lui fallut attendre une heure, que le repas soit terminé et nettoyé, pour qu'il puisse enfin s'isoler avec la lettre. L'enveloppe était petite et de piètre qualité, comme la cire noire qui semblait avoir été appliquée avec un bête bâton à cacheter, sans blason. Les serres du hibou avaient laissé des traces terreuses.

Drago ouvrit la lettre. Elle ne contenait qu'un petit rectangle de papier, même pas plié, ainsi qu'un crayon minuscule. Il n'avait pas senti le poids de l'objet avant d'ouvrir.

« Malefoy,

Je voudrais te voir le 31 juillet, si ça te convient, c'est le jour de mon anniversaire. Pour parler seulement. J'habite chez les Weasley cet été, le crayon est un portoloin qui s'activera toute la journée du 31 pour t'y emmener.

Harry Potter »

Les pattes de mouches de Harry Potter. Un tourbillon de pensées explosa derrière le regard fixe de Drago. Que pouvait-il lui vouloir ? « Parler » ? Mais pour se dire quoi ?

On toqua à la porte du bureau où il s'était installé.

« Entrez », dit-il.

C'était Père.

« Qui est-ce ? demanda-t-il sans ambages.

- Harry Potter.

- Que veut-il ? Le nom avait fait hausser les sourcils de Lucius Malefoy, mais sans plus.

- Me parler. Chez les Weasley. Enfin, si c'est vraiment lui.

- Il est évident que c'est lui, Drago. Tout les courriers de cette maison sont interceptés. Un piège ne serait pas arrivé jusqu'à nous.

- C'est vrai. » Drago s'en voulut de ne pas y avoir pensé. C'était une remarque idiote.

« Et bien, tu iras, déclara Lucius comme pour conclure.

- Ah bon ? Et si je n'ai pas envie de voir ce crétin ?

- Tu iras, et tu ne feras rien d'autre que lui parler. Ne me déçois pas, Drago. »

Sur cette dernière menace, Père quitta la pièce. Drago pouvait comprendre pourquoi ; dans le nouveau rapport de forces qui s'était instauré, Potter était très, très haut, et les Malefoy d'autant plus bas qu'ils lui devaient la liberté. Peu importait combien la lettre semblait informelle, elle avait valeur d'ordre, et ça ne plaisait pas du tout à Drago.

Il avait derrière lui des années d'habitude, passées à considérer le Survivant comme un inférieur légèrement débile et très agaçant, puis comme un inférieur important pour le Maître et très agaçant. Tout ça était révolu dans les faits, mais Drago sentait pourtant les mêmes vieux sentiments renaître. Rien que la saleté du message ! Et puis, un crayon comme porte-au-loin ! Un objet dont n'importe qui pouvait vouloir se servir ! Il fallait être un parfait crétin pour faire un tel choix, et Potter était ce parfait crétin.

Mais cette rencontre pouvait être utile, car Drago ne comprenait pas pourquoi Potter les avait défendus, et peut-être qu'il aurait des réponses. Il voulait bien que Shacklebolt voie les intérêts politiques et économiques qui allaient avec des Malefoy en liberté, tout comme McGonagall, tout comme cette Hestia Jones et tout membre du ministère qui avait un minimum de jugeotte.

Mais Potter ? Son esprit n'avait pas le quart de la subtilité requise pour comprendre ces affaires. Il les haïssait, surtout Drago et son père, depuis des années. Ils étaient opposés d'une façon si totale, si profonde… Il ne voyait pas comment quiconque aurait pu le persuader, voire le forcer, de témoigner en leur faveur. Et surtout de jouer aussi finement qu'il l'avait fait au tribunal pour remporter leur liberté. Parce que c'était vraiment ça c'était une torture de l'admettre, mais concrètement c'étaient Potter et son influence qui avaient très bien manœuvré, et évité la prison aux Malefoy.

Et maintenant c'était Potter qui le convoquait.


J'espère que ce début vous a plu, maintenant je dois prévenir de façon désagréable : il y a une suite, en partie écrite et en GRANDE partie seulement dans ma tête, et ma vie est relativement mouvementée, donc je risque d'être assez peu disponible dans les trois mois qui viennent.

Tout ça pour dire, il est très possible que les chapitres suivants se fassent attendre, et je vous demanderai de ne pas requérir de suite (meuf prétentieuse qui imagine les lecteurs avides). Parce que ça me soule et je me sentirai coupable, parce que je déteste les auteurs qui commencent à publier et s'arrêtent.

Je vous rassure, j'ai l'intention de poursuivre et terminer cette histoire. Je ne sais juste pas trop quand.

Là vous vous demandez peut être : mais quelle attention whore est cette fille pour publier juste un chapitre comme ça ? En fait, je publie pour faire une requête. Cette histoire traite comme des centaines d'autres des évènements post-guerre, avec une septième année. Seulement, j'essaye de faire quelque chose de sérieux, cohérent et un minimum dense en terme d'intrigue. Pour ça, je vous propose, si vous souhaitez commenter :

- d'envisager quelles directions pourrait prendre cette histoire, de proposer des lignes narratives plus ou moins évoluées, que vous souhaiteriez voir écrites, ou même de simples petits éléments à insérer.

- si vous repérez des erreurs par rapport à l'univers original, ou n'importe quel type d'incohérence, signalez-le.

Je ne sais pas si ça motivera qui que ce soit, mais j'aimerais bien donner un aspect un peu participatif à cette histoire. Donc dans la mesure où des suggestions me plaisent, je pourrai m'en servir ici (en indiquant évidemment, le cas échéant, de qui elles proviennent).

Il n'est pas dit que je me serve des suggestions, mais si certaines choses correspondent avec la façon dont je vois l'histoire je les insérerai, parce que j'aime travailler sous la contrainte.

Tout ça est peut être vraiment très prétentieux.

Sinon, libre à vous de laisser un commentaire, c'est toujours agréable mais ce n'est pas pour ça que j'écris, donc le rythme de publication ne dépendra pas du nombre de reviews. Faites ce que vous voulez.

A tantôt.