Disclamer : Les personnages de Saint Seiya appartiennent à Masami Kurumada.

Rating : K pour ce chapitre

Genre : Angst pour ce chapitre

Pairing : aucun pour l'instant peut-être déjà quelques indices d'un futur Saga x Shion

Résumé : Il se murmurait au Sanctuaire que Saga était un chevalier exemplaire et que rarement la déesse n'avait eu de serviteur plus zélé. Il avait gagné le respect du Pope et l'admiration de ses pairs. Pourquoi alors Shion s'était-il peu à peu détourné de lui ? Et pourquoi le chevalier des gémeaux s'est-il écarté du chemin de gloire que le destin semblait avoir pavé sous ses pas ?

Bonjour ! J'avais envie d'écrire un texte sur le meurtre de Shion commis par Saga, mâtiné d'un Saga x Shion refoulé, et ce depuis longtemps. Mais j'avais également envie d'offrir une analyse un peu plus détaillée de ce qui aurait pu pousser Saga à se perdre et à commettre un tel geste. J'ai donc décidé de commencer une histoire en plusieurs chapitres afin de donner une interprétation de la chose, parmi d'autres déjà proposées. J'ignore encore de combien de chapitres sera composée cette fiction, même si l'intrigue est plus ou moins déjà ficelée dans ma tête. Une dizaine tout au plus.
Par contre c'est la première fois que je poste un chapitre sans avoir rédigé le reste de la fiction, aussi il est possible que je retouche la version finale lorsqu'elle sera complétée, et que je la polisse un peu, pour des soucis de continuité.


La nuit était douce, et le fracas régulier des vagues éclatant sur les rochers sonnait comme une mélodie entêtante aux oreilles de Saga.

Seul avec lui-même, loin de l'agitation diurne du Sanctuaire, loin du bouillonnement des entrainements et du fourmillement des serviteurs qui s'affairaient en journée, il ferma un instant les yeux.

Il prit conscience du roulis de l'onde qui semblait prendre vie en contrebas avant de venir mourir sur la roche, de l'air chargé d'embruns qu'il respirait à pleins poumons, de la saveur iodée qu'il vint, du bout de la langue, recueillir sur ses lèvres, de la fraîcheur du rocher sur lequel il était assis et qu'il caressa du plat de la main. Mais cette orgie de sensations n'éveillait en lui rien d'autre qu'un profond sentiment de solitude. En cet instant, le chevalier des gémeaux ne parvenait pas à ressentir autre chose qu'un grand vide au fond de lui.

Quand il ouvrit les yeux, il aperçut la Grande Ourse qui luisait sur le firmament. Il fit machinalement glisser son regard le long de la diagonale du Grand Chariot pour le laisser atterrir sur l'étoile de Pollux, scintillant au cœur de la constellation des gémeaux.
Sa constellation protectrice.
Il l'observa avec intensité, comme s'il la découvrait pour la première fois. Une constellation double, comme l'était l'armure qu'il avait obtenue il y a un mois, avec ses deux visages incrustés sur une même tête, et ses quatre bras entrelacés sur un tronc unique.

Et Saga se demanda quand est-ce que lui aussi, il le retrouverait, cet autre fragment de lui-même. Celui qui lui avait été arraché alors qu'il ne l'avait qu'à peine effleuré. Ou plutôt, celui qui ne lui avait jamais été accordé.
Il fut un temps où il pensait l'avoir trouvée, cette personne avec qui il aurait pu se fondre en une harmonie si parfaite qu'ils n'auraient formé qu'un seul être, partageant la même pensée et les mêmes désirs.
Enfant, il avait tant désiré sentir le cœur de son frère battre dans sa propre poitrine, et le sang de son jumeau pulser dans ses propres veines, qu'il s'était convaincu qu'un jour Kanon pourrait aspirer à la même unité. Et l'accepterait enfin comme une partie intégrante de son être.
Mais il avait tort. Car pour se construire et exister, Kanon avait eu besoin d'être lui-même, indépendamment de son frère, lorsque que Saga avait tant ressenti le besoin d'être un peu de son jumeau pour se trouver enfin.

Enfant, la solitude de Saga commençait à deux pas de son frère et il se nourrissait de la présence de cette autre image de lui-même, s'attachant à lui comme une ombre discrète.
Ils n'avaient ni père, ni mère, et Kanon était son seul repère dans ce monde de solitude. Car contrairement à son jumeau, autour duquel gravitait alors toute une cour de fidèles garnements, subjugués par son tempérament flamboyant, Saga n'avait pas d'autre ami que lui. Et il n'en voulait pas. Après tout, il avait Kanon, et à cet époque, c'était la seule présence dont il eût besoin.

Saga admirait alors le tempérament fougueux qui embrasait son frère, cette obstination à ne jamais baisser les yeux, même lorsqu'il était en tort, cette vivacité d'esprit qui lui permettait de se sortir de toutes les situations délicates qu'il s'attirait par jeu ou par inconscience, et cette aisance qu'il avait à s'exprimer et à rallier tous ceux qui l'écoutaient.
Et bien qu'une partie de lui-même réprouvait les agissements de son jumeau, son audace le subjuguait. Malheureusement, il n'était pas le seul.

Ils avaient beau avoir le même visage, à tel point que la vieille nourrice qui les élevaient ne savait pas toujours les distinguer, c'était toujours Kanon qui attirait les regards autrefois. C'est toujours sur lui que s'arrêtaient les grandes personnes, s'extasiant béatement de l'éclat de son sourire ou de la profondeur de ses grands yeux.
Perplexe, le jeune Saga se penchait parfois sur le vieux miroir de sa nourrice et contemplait l'image de son frère, que lui renvoyait le verre poli à travers son propre visage. Oui, ils avaient tous deux le même front large, les mêmes yeux, d'un bleu profond, couronnés de cils noirs, la même mâchoire saillante, les mêmes lèvres finement ourlées. Alors pourquoi le visage de Kanon semblait si frais et si vivant, quand le sien semblait taillé dans une cire morne et froide ? Pourquoi Saga avait-il l'impression de n'être qu'un brouillon imparfait de celui qu'ils auraient dû être, ensemble ?

Etait-ce parce que son jumeau l'avait rejeté ? Parce qu'il ne voulait pas de cette promiscuité qu'il trouvait étouffante ?
Car oui, très tôt, Kanon avait exprimé son impatience face à l'affection exclusive que lui témoignait son frère.

« Ecoute, Saga, t'es pas obligé de me coller aux basques tout le temps non plus. Je ne vais pas m'envoler ! »

« Hé Saga, je vais tenter ma chance à la rivière, je ramènerai peut-être du poisson pour le dîner. Non, tu devrais rester là, la vieille a besoin d'aide à la cuisine. Vas-y sinon on va encore l'entendre gueuler jusqu'au village voisin ! »

« euh… frérot, t'es pas obligé de me prendre la main, si ? On a bientôt sept ans, on est plus des bébés ! Les autres nous regardent bizarrement, arrête de me foutre la honte… »

« euh… je t'aime bien, tu es mon frère, tout ça. Mais j'ai d'autres amis aussi, tu sais ? Alors si tu ne les aimes pas, bein va falloir t'y faire. Ou te trouver des amis à ton goût peut-être ? Si ça te plait de vivre comme un moine, soit. Je dirais tant pis pour toi. Mais bon, moi j'ai d'autres vocations pour le moment. »

Son frère l'avait aimé, sans doute. Mais jamais avec la même intensité que lui, l'avait aimé.
Il lui avait refusé cette communion des âmes à laquelle il aspirait, leur fermant pour toujours l'accès à une compréhension mutuelle qui avait semblé à Saga à la fois si naturelle et si nécessaire pour leur équilibre.
Il s'étaient aimés comme des amis, comme des frères parfois, mais jamais comme les deux rouages d'un même engrenage. Saga avait compris que jamais son frère ne comblerait le vide qui se débattait en lui. Et il avait fini par l'accepter, à contrecœur. Peu à peu, Kanon s'était détaché de son jumeau, et malgré lui, Saga l'avait laissé s'éloigner. Toujours proche, mais si loin désormais.

Enfant, lors des moments de solitude passées loin de son frère, et lorsque ses tâches à la ferme étaient terminées, Saga allait se repaître du silence imposant de la chapelle, au centre du village.
Seul, assis sur un banc de bois, il se laissait éblouir par les rayons de lumière qui transperçaient le grand vitrail et projetaient des figures colorées sur les murs blancs. Il se laissait écraser par la stature auguste de Saints de marbre dont il ne connaissait ni le nom ni l'histoire mais dont la majesté douloureuse le subjuguait étrangement. Les yeux perdus dans les lourds tableaux de peinture qui ornaient les murs, il tentait de comprendre l'exaltation qui animait les visages grimaçant des martyres.
Il leur racontait des choses qu'il se taisait à lui-même, cette envie qu'il avait de trouver un sens à son existence morne, ce désir qu'il avait de s'abandonner entièrement à une cause qui le grandirait et étancherait sa soif d'absolu, de s'offrir au monde, d'aimer avec toute la passion d'un cœur solide et vertueux, et d'être aimé en retour avec la même intensité. Il leur disait sa soif de sublime tandis qu'il lui semblait voir les statues s'animer et lui sourire à travers leurs larmes.

Sa véritable existence commença une matinée de printemps, à la veille de ses huit ans.
Un homme était venu, la chevelure claire et le regard sombre. Saga l'avait observé avec curiosité tandis qu'il discutait avec la vieille, à l'abri des oreilles indiscrètes. L'homme avait tendu une bourse à la nourrice. Cette dernière s'était avancée vers eux, le regard humide et la goutte au nez.
Saga avait compris. Ce n'était pas la première fois qu'on les abandonnait, bien que la dernière fois il était trop jeune pour s'en souvenir.
« vos parents n'avaient sans doute pas de quoi nourrir des jumeaux » leur avait dit la vieille une fois, « à mon avis, ils avaient déjà une chiée de gosses braillards comme vous »

Kanon tempêtait, il ne voulait pas partir. L'homme s'accroupit à leur hauteur et leur expliqua qu'une nouvelle vie les attendait, s'ils savaient saisir la chance que leur offrait le destin.
Assombri par la contrariété, Kanon n'écoutait pas, mais les mots de l'homme s'imprimèrent avec intensité dans l'esprit de Saga.
Ce dernier embrassa la vieille. Son odeur, mélange d'épices et de linge de maison lui fit prendre conscience qu'elle avait sans doute été la seule mère qu'ils ne connaîtraient jamais.

« Merci d'avoir été là, lui dit-il.
— Ouais, et surtout merci de nous vendre comme tu vendrais deux de tes poules ! » persifla Kanon.

Saga logea étroitement sa main dans celle de son frère, tandis qu'ils suivaient l'homme vers des chemins encore inconnus.

Il s'appelait Patulcius.
Ils passèrent un mois à ses côtés, dans une modeste maison de pierre située sur une côte isolée et que l'homme à la chevelure claire et au regard sombre partageait avec une vieille servante.

Kanon avait eu du mal à accepter ce départ précipité : « mouais, une baraque malodorante, et une vieille édentée. Bonjour le changement de paysage ! Vous nous avez amenés là pourquoi déjà ? »

L'homme leur expliqua qu'ils auraient chacun un rôle à jouer, et qu'il était là pour déterminer lequel.
Il ne répondit à aucune de leurs questions, mais leur en posa de nombreuses, certaines plutôt directes, d'autres plus détournées.
Saga n'était pas dupe il ne s'avait pas vraiment ce que cherchait cet homme, mais il refusait de tomber dans les pièges qu'il lui tendait. Décelant facilement l'interrogation cachée derrière l'évidence apparente, il lui disait ce qu'il désirait. Après tout il n'avait rien à cacher… et cette promesse d'un destin qu'ils avaient à jouer et qu'il leur avait faite lors de leur première rencontre ne cessait de s'agiter dans sa tête.
Kanon n'était certainement pas dupe lui non plus, et il se prêtait au jeu, quoique de mauvaise grâce.
Patulcius les soumettaient également à des exercices étranges, qui consistaient en des sortes de séances de méditation durant lesquelles ils devaient prendre conscience de l'immensité de l'univers et de la résonance de ce dernier dans leur propre corps.
Saga sourit intérieurement : il avait toujours eu conscience de cette énergie qui le reliait si étroitement à son frère, lui permettant de lire en son jumeau et de lui communiquer ses propres pensées. Kanon s'était depuis longtemps fermé à toute tentative de communication de ce genre, mais bien que le lien qui brûlait entre eux soit devenu ténu, il demeurait, vestige d'une symbiose depuis longtemps avortée.

Les semaines passèrent, et c'est seul que Saga continua son voyage aux côtés de Patulcius.
« Vous me ramenez au village ? »
L'homme se tourna vers lui et lui sourit. Saga fronça les sourcils et reprit :

« Je ne sais pas ce que vous cherchiez, mais j'ai échoué, n'est-ce pas ? Kanon a toujours été le plus doué de nous deux. Quel que soit le domaine. Si vous me l'aviez demandé lors de notre première rencontre, je vous aurais fait gagner du temps.
— Tu n'as pas échoué. Et je ne te ramène pas au village. »

L'enfant leva des yeux incrédules vers l'homme à la chevelure claire et au regard sombre.

« Vous voulez dire que… j'ai réussi ?
— Réussi, je ne sais pas, mais c'est toi qui a été choisi, oui.
— Choisi ? Choisi pour quoi ?
— Pour hériter un jour peut-être de la Sainte Armure des Gémeaux »

Face au regard médusé de l'enfant, Patulcius tenta de le rassurer :

« Ecoute, je sais que de nombreuses questions doivent te tarauder, mais je te promets que tu comprendras très vite. Ton maître t'expliquera tout cela mieux que moi. Clusius a toujours été meilleur pédagogue que moi. Nous ne sommes plus très loin. Une journée de marche tout au plus.
— Et j'aurai un destin ? »

L'homme rit de bon cœur face à l'empressement un peu naïf de l'enfant.

« Oui, pour peu que tu saches t'en saisir
— Je saurai
— je n'en doute pas, Saga
— Et Kanon, quand va-t-il nous rejoindre ? »

L'homme resta un instant silencieux et, pressentant son trouble et son hésitation, Saga tenta de museler l'angoisse qui menaçait de poindre soudainement en son cœur.

« Kanon, restera avec moi. Ne t'en fais pas, il se sentira à sa place à mes côtés »

Il avait anticipé la mauvaise nouvelle, pourtant elle lui fit l'effet d'un coup de poing en plein ventre.

« Vous le laisserez venir me voir souvent, alors, et je viendrai lui rendre visite aussi fréquemment que je pourrai
— Non Saga, ce ne sera pas possible
— Mais… vous savez, je ne peux pas être trop longtemps séparé de mon frère. Nous n'avons jamais été séparés mais… je le sens bien, moi, que je ne pourrai pas rester éloigné de lui. Ce n'est pas possible. Je… pourquoi vous faites ça ?
— Ton maître te l'expliquera mieux que moi mais, pour résumer, vos personnalités ne sont pas… compatibles. Ou… complémentaires si tu préfères. Vous risquez de vous tirer mutuellement vers le bas, et étant donné ce qui est attendu de toi désormais ce risque n'est pas envisageable. »

Saga n'entendit pas la suite des explications de Patulcius dont la voix se perdait en des échos lointains et inaudibles dans son esprit hagard.
Il fut saisi d'une profonde angoisse qui lui boucha la vue et lui ferma les oreilles. Il se sentit soudainement noyé au cœur d'un océan de vide dans lequel il se débattait, cherchant vainement la main de son jumeau. Ce frère qu'il avait voulu étreindre pour le retenir mais qui s'était dérobé à lui, encore et encore, ce frère dont il avait tant besoin et qu'on lui arrachait, ce frère qui enfin avait réussi à se couper de lui tout à fait.

Ce frère-là, il allait réussir à s'en passer, lui, le jumeau éconduit. Oui, il saurait vivre loin de cette lumière qu'il lui avait refusée.
Et du fond de l'abîme de ténèbres dans lequel il serait plongé, il tournerait son regard vers une autre âme qui saurait l'accepter et le compléter. Il le fallait.

Saga soupira. Au fil de sa rêverie, il n'avait pas quitté la constellation des gémeaux des yeux. L'étoile de Pollux rutilait de mille feux sur la voute sombre, affadissant le scintillement presque dérisoire de l'étoile de Castor.
Oui, il avait réussi.
Il s'était passé de son frère.
Et il l'avait surpassé, sa propre réussite éclipsant les souvenirs d'un Kanon qui avait ébloui ses yeux d'enfant d'une gloire qui lui paraissait aujourd'hui bien dérisoire.
Il s'était révélé doué dans l'entrainement et ses progrès fulgurants avait fait la fierté de ses maîtres tout en faisant naître en lui une assurance dont il avait été jusque-là dépourvu.
Sa droiture, son sens de l'équité, son intelligence aiguisée, ainsi que sa foi inébranlable envers la déesse lui avaient valu la confiance du Grand Pope et l'admiration de tous au Sanctuaire. On louait le chevalier et on aimait l'homme, et Saga sentait son cœur se gonfler d'une fierté un peu coupable lorsqu'il surprenait les échanges élogieux que l'on murmurait à son passage.

Il avait réussi, mais se serait se mentir que de dire que la rupture d'avec Kanon avait été aisée et qu'il n'en conservait aucun stigmate.

Durant les mois qui avaient suivi leur séparation, il avait semblé parfois à Saga entendre la voix de son frère résonner dans sa tête, se vantant tantôt d'avoir enfin réussi à se débarrasser de sa présence étouffante, et tantôt lui prodiguant des conseils plus ou moins avisés.
Il avait conscience que cette voix n'était qu'une projection du véritable Kanon, que son esprit esseulé avait modelé afin de remplir le vide que son absence avait laissé en lui, et il avait senti la panique le gagner à l'idée qu'il puisse un jour se laisser envahir par de telles chimères et se perdre tout à fait.
C'est alors que pour la première fois de sa vie, il avait recherché une autre compagnie que celle de son frère, guettant inconsciemment la personne qui partagerait ses idéaux et pourrait combler cet abîme qui se creusait en lui :
Il s'était agenouillé devant la statue d'Athéna, s'étourdissant en prières et litanies, et lui jurant de devenir un chevalier valeureux qui la protègerait toujours.
Mais la déesse était restée silencieuse.
Personne ne savait quand elle réapparaitrait enfin sur Terre. Il lui était dévoué, et sentait son cœur s'enflammer à l'idée de la servir un jour, mais pour l'heure, elle brillait par son absence.
Il appréciait Clusius, son Maître, et lui reconnaissait de profondes qualités. Mais l'âme du chevalier des gémeaux avait déjà élu son « autre » : son frère jumeau, Patulcius. Saga éprouvait un grand respect pour ce maître patient et soucieux de son éducation, mais au fond de lui-même il brûlait d'une profonde jalousie pour la relation privilégiée qu'entretenaient les deux jumeaux à la face de tous, alors qu'on lui refusait obstinément de côtoyer le sien. Et inconsciemment, Saga n'avait jamais pardonné aux deux frères ce qu'il vivait comme une injustice.
Il avait tenté de se rapprocher d'un apprenti du même âge que lui, qui briguait l'armure du Sagittaire.
Aiolos était un homme droit, valeureux et sans malice. Les deux disciples s'étaient rapidement liés d'amitié et un durant un temps, Saga avait cru que cet homme vertueux pourrait combler ce gouffre qui semblait avoir emporté une partie de lui-même.
Mais ses espoirs s'avérèrent illusoires. Car bien que zélé, futé et bon combattant, Aiolos ne parvenait que difficilement à égaler Saga dans la plupart des disciplines.
L'apprenti gémeaux était meilleur stratège, meilleur orateur, avait l'esprit plus rapide, et la plupart du temps son cosmos écrasait celui du futur sagittaire à l'entrainement.
Saga se sentait un peu honteux face au jugement sans appel qu'il portait sur son ami, mais force était pour lui de constater que l'affection d'Aiolos ne comblerait jamais entièrement ce manque qui le rongeait.
Son âme ne répondant qu'imparfaitement à la sienne.

C'est alors qu'un jour l'évidence l'avait frappé en pleine face alors que lors d'un entretien privé avec le Grand Pope, il avait posé un genou à terre devant la figure masquée qui se tenait devant lui, et qu'il avait senti la brûlure des yeux de métal plonger dans son regard.
Le tout jeune adolescent avait déjà eu à faire au Pope par le passé, mais ce fut cette fois-là qu'il prit pour la première fois conscience de l'aura particulière du vieil homme, de cette présence troublante qui éveillait en lui un quelque chose d'indicible. Cette sensation qu'il avait éprouvé face aux Saints de marbre, inviolables et écrasants de majesté, qui peuplaient la chapelle de son village.
C'est ce jour-là que Saga prit alors pleinement conscience de l'admiration qu'il éprouvait pour Shion.
Oui, il admirait ce mélange de force et de douceur qui définissait son aura, cet air détaché et apaisé qui cachait cependant, il le savait, un réel attachement et un profond respect pour chacun des chevaliers qui servaient sous ses ordres. Cette voix qui n'avait jamais besoin de s'élever pour se faire entendre, ce poing qui savait parfois menacer sans jamais avoir à retomber pour frapper.
Il admirait le respect que le Grand Pope inspirait à ses troupes, et l'affection que l'homme inspirait à ses pairs.
Il admirait cette intelligence acérée qui lui permettait de confronter un problème dans toute sa complexité pour en extraire une multitude de solutions, cette sagesse qui lui permettait ensuite de choisir la solution la plus adaptée à la situation après avoir mesuré les conséquences de chaque prise de position.
Il admirait enfin ce tempérament inexorable mais juste qui jamais ne laissait ses émotions entraver son jugement, qui récompensait l'ardeur et la foi autant que le talent et qui jamais n'aurait favorisé un disciple sans qu'il ne l'ait mérité.

Face à ce constat troublant, la volonté de devenir chevalier n'avait fait que s'enhardir dans le cœur de Saga. Il voulait servir sous les ordres de Shion, au nom de leur déesse à venir. Il voulait devenir celui sur qui le Pope pourrait compter, celui qui le servirait avec une ardeur indéfectible.
Il voulait gagner son respect et voir l'affection briller dans son regard enfin dévoilé.
Oui, aux côtés d'un tel homme, il deviendrait le meilleur chevalier d'Athéna.

Et les voix pour un temps, s'étaient tues.