Janvier parce que c'est là que tout a commencé.

Dean était derrière la porte.

Non. Ce n'était pas comme ça qu'il aurait du le formuler. Il aurait du dire, qu'il était encore devant la porte. Tous les jours à la même heure, toujours cette même rengaine monotone.

Un sourire s'inscrivit sur ses traits. Il installa son sac de cours à côté de lui, sortit un de ses cahiers avant de se plonger dedans quelques secondes. Quelques minutes plutôt. Jusqu'à ce que la tête baignée d'équations, de calculs compliqués et d'inconnues, il pousse un soupir avant de reposer son cours.

« - Aujourd'hui Sammy m'a à nouveau raconté sa journée. Qu'est-ce que ça me manque... La seconde, les cours aussi faciles que ça, et moi toujours en train de te persuader de faire les quatre cents coups ! » Un rire secoua sa poitrine. « Si naïf, Castiel, si naïf. Un vrai petit ange ! C'est comme ça d'ailleurs qu'on t'appelait, notre ange. Qu'on t'appelle toujours d'ailleurs, même si ça vient de là. Toi et ton air candide... Je crois que je n'ai jamais rencontré une seule autre personne comme ça ! »

Son sourire s'étira, amusé.

« - Tu sais que je t'entends, Castiel ? »

Il colla un peu plus son oreille contre le bois de la porte. Il entendait effectivement la respiration profonde de son ami, et il aurait même pu entendre son coeur battre s'il se concentrait un peu plus. Juste un tout petit peu plus.

Se décollant avec regret de la cloison, il attrapa une nouvelle fois son cahier de maths, distrait.

« - C'était vraiment ennuyant de ne pas te voir aujourd'hui, Cas'. J'ai l'impression de ne pas être productif. Bon, ce n'est pas comme si c'était faux, mais vraiment, revient. Même si tu ne veux plus me voir, même si je suis un idiot. Même si tu as toutes les raisons du monde de m'en vouloir, et d'ailleurs, je m'en veux bien plus que toi. Mais reviens, d'accord ? »

Seul le silence lui répondit.

Evidemment.

Il avait été un bien trop grand idiot, et on se chargeait de lui faire remarquer.

« Je suis désolé, Cas'... » lâcha-t-il en murmurant avant de ramasser ses affaires.

Il les serra toutes dans ses bras, dardant un dernier regard sur la porte. Il pouvait entrer. Il pouvait simplement pousser la porte et les choses rentreront dans l'ordre non ?

Sauf qu'il n'en a pas le droit.

Alors il se contente de serrer plus fort son sac entre ses bras avant de saluer la femme qu'il croise dans le couloir.

Il reviendra.

Mars, parce que les cerisiers sont en fleurs même quand tu n'es pas là.

Il pousse la porte du couloir, un sourire joyeux même si un peu triste collé sur les lèvres. Les personnes qui passent - étonnamment il y en a toujours beaucoup par ici - lui sourient en retour, lui adresse un signe de main.

Ils commencent à le connaître.

Cette fois-ci ce n'est pas un cours de maths que Dean pose à côté de lui, mais un album de dessin.

Et il s'assoit sans dire un mot, sans briser le silence, parce qu'une fois de plus il sait que Castiel est là, qu'il est derrière la porte, tout comme lui, parce qu'il entend sa respiration. Sa douce respiration.

« - Bonjour, Cas'. Tu n'as pas l'impression que nous sommes un peu comme dans ce Disney, La Reine des Neiges ? Toi en Elsa, moi en Anna. Qu'est-ce qu'on avait ri lorsque qu'on l'avait vu avec Anna - de force. Elle t'avait attrapé les mains et t'avait forcé à la coiffer, pour lui donner ces deux tresses caractéristiques. Et on n'était pas passé loin de la visite chez le coiffeur pour des mèches blanches ! Anna accepte de me parler, elle, tu sais. »

Dean ouvre l'album de dessin, regarde ce qui a été tracé au fusible par Castiel. C'est principalement eux deux, souriants, riants, amusés, amoureux. Entrecoupés de dessins d'Anna jeune, de Gabriel un peu, un ou deux de Sam - c'est lui qui lui avait demandé - et même de Michel et Lucifer.

Il passe sa paume sur la plus magnifique des créations.

Un portrait d'eux deux où ils sont représentés lors de leur premier halloween. Absolument pas effrayants, rieurs, et des bonbons pleins les joues et les mains.

Un sourire vient éclairer ses traits.

« - Ça fait tellement longtemps, tu sais. Je crois que ça me manque. Ton sourire, ta voix, tes yeux, juste toi. Ta naïveté, ton optimisme. Je crois que je ne dirais même rien pour ta foi catholique ! Mais s'il te plait pardonnes-moi. Juste une fois. Dit moi que ce n'est pas grave, que tout va rentrer dans l'ordre, qu'on va aller manger tous les deux un bon burger. Juste... Parles-moi, Cas'. »

Mais rien ne lui réponds.

Rien, alors qu'il entend la respiration sifflante derrière la porte. Alors qu'il sait qu'il est là, à l'entendre.

« - Peut-être qu'il va finir par répondre. Garde confiance, gamin. » murmure un des passants du couloir. Balthazar, il croit. Il s'en moque, mais il adresse tout de même un sourire triste à l'homme.

Parce que tout le couloir, tout l'immeuble le connaît et le voit venir.

Tous les jours.

En attente d'une réponse qui ne vient pas.

Alors il prend patience, et il attend. Il sait qu'un jour Cas' va finir par répondre et qu'il pourra entrer. Qu'il le verra, tout rayonnant et souriant, et qu'il va lui fondre arcedans les bras, qu'il va l'embrasser.

Dean se nourrit de chimère parce que pour le moment, Castiel refuse d'ouvrir la porte.

Cette fichue porte.

Encore une fois, il jette un dernier regard au numéro incrusté dans le bois - il a fini par l'apprendre par coeur - 598. Et il s'en va. Laissant là l'album grand ouvert, arrêté sur leur page.

Il le laisse là parce qu'il espère que Castiel ouvrira la porte.

Mai, parce que la Terre devrait cesser de tourner si tu ne me réponds plus.

Dean est revenu, une fois de plus.

Il a l'impression d'être un chien qui gratte à la porte pour que son maître lui ouvre - et franchement à ce stade, passer pour un chien ne le gênerait pas.

Il lèche distraitement une glace au lait. Au lait parce que c'est le parfum préféré de Cas' et qu'il veut avoir l'impression d'être encore avec lui, de partager encore des choses avec lui. Et puis il se rappelle qu'eux deux c'est terminé, et il mord avec plus d'intensité dans la glace, lui gelant les papilles.

Mais Dean s'en moque.

« - J'allais t'acheter une glace, tu sais. Sauf que la vendeuse me connaissait. Sa soeur est une des passantes du couloir, selon elle. Alors elle m'a dit que ce n'était pas la peine, qu'après tout ce temps, tu ne m'ouvrirais pas. Tu deviens connu Cas'... Et tu déteste ça l'attention, non ? Alors s'il te plait. S'il te plait... »

Sa voix se casse un moment. Alors il inspire profondément, il se relaxe.

Et il reprend.

« - Ma voisine est enceinte. Le club de danse a fermé près de chez moi pour rouvrir dans une autre ville. Il va y avoir un nouveau Starbuck bientôt. Les soldes sont pour dans deux semaines. On a un projet à rendre en physique - et tu n'es pas là. Je sais combien tu aimais que je te racontes toutes ces anecdotes de ma banale vie, avant. C'était étrange. Mais tu es Cas', et ça prend tout son sens. Tu as toujours été différent de nous - tu l'es toujours - plus bon, plus gentil. Plus ouvert avec les autres. Mais si embrouillé avec les relations humaines Cas' ! Un vrai ange descendu du ciel... »

Dean sourit.

Il voudrait lui parler, évidemment. Mais à défaut de ça, ça le rassure de l'entendre en vie derrière la porte, de l'entendre respirer, de savoir qu'il est là.

C'est le seul moment de sa journée qui compte pour lui.

Le seul moment où il a l'impression de vraiment vivre.

Alors ça compte.

Beaucoup.

« - Sam m'a dit qu'il était inquiet pour moi, aujourd'hui. Je lui ai dit que tout allait bien. Je lui ai dit que tu n'allais pas tarder à m'ouvrir la porte. Je ne veux pas la forcer comme Gabriel. Comme Michel. Comme Lucifer. Je veux que tu m'ouvres, toi. Je veux que tu me parles. Je veux... Je veux que l'on se retrouve Cas'... »

Il sent un regard fixé dans son dos, alors il se retourne.

Michel.

Lucifer.

« - Toujours là ?

- Toujours là. »

Le deuxième hoche la tête, met leur différent de côté pour cette fois et lui désigne la porte. « - Tu veux entrer ?

- Non. »

Sa réponse fuse implacable tandis que l'autre hausse un sourcil. « - Ce sera le seul qui m'ouvrira. »

Michel et Lucifer lui répondent par un sourire. Triste. Amusé. Moqueur. Joyeux. Il ne sait pas. Dean ne sait plus les différencier, il ne se rappelle que celui plein d'éclat de vie de Castiel.

Alors quand les deux entrent et qu'il aperçoit une touffe de cheveux noirs, il s'empresse de ramasser ses affaires et de partir.

Ce sera Cas' qui lui ouvrira.

Toujours.

Juillet, et la chaleur ne fait que me rappeler que tu n'es pas à mes côtés.

« - Tu sais quoi ? Charlie était là aujourd'hui, elle et ses cheveux que tu as toujours trouvé bizarres tout en les adorant, à rire, à sourire et à ramener ses expressions idiotes toutes les minutes et ça m'a encore fait pensé à toi. Tout se ramène à toi, de toute façon, non ? Toi qui ne comprenait jamais le sens figuré. Toujours là à me dire qu'il ne pleuvait ni des chiens ni des chats, que tu ne voyais pas de quel bout de rouleau je voulais parler, que tu ne voyais pas comment on pouvait croire "dur" ou si du fer croyait en quelque chose. Que tirer des cheveux ne faisait pas d'une situation quelque chose d'étrange. »

Dean est encore là aujourd'hui.

Cette fois, il s'est assit contre la porte, à écouter.

Il écoute un peu de tout et de n'importe quoi. Sa respiration principalement, les bruits des oiseaux qu'on perçoit un peu, les discussions, les dialogues. Les murs sont très fins, ici. Pour que tout le monde puisse savoir ce qui se passe derrière les portes, sûrement.

De la musique, aussi.

Des choses calmes, calmes comme lui.

Parce qu'il n'est pas d'humeur à écouter du métal, du rock. AC/DC. Cas' adore AC/DC pourtant, se dit-il. Mais ça ne change rien, alors il n'écoute pas.

Parce que Cas' n'a pas ouvert.

Parce que ça fait sept longs mois qu'il n'a pas ouvert, et septs longs mois durant lequel Dean se déteste. Il se déteste que Cas' refuse d'ouvrir les yeux et de mettre les choses au clair avec lui.

Il continue d'être silencieux, mais là.

Et même s'il ne l'a pas vu, Dean s'imagine son ange assit derrière la porte, il se l'imagine, une moue sur le visage et écoutant attentivement toutes les bêtises qu'il disait.

Comme toujours.

« - Tu ne trouves pas le temps long ? Elles m'ont dit que tu allais finir par me répondre, un de ces jours. Mais je ne les crois plus. Je ne sais pas quoi penser. Est-ce que tu me pardonneras, Cas' ? C'était un accident, un stupide accident, et je ne l'ai jamais voulu. Et je comprends que ta confiance en moi ait disparue. Si tu savais comme je m'en veux... Parce que tu sais que je t'aime, Cas'. Et seulement toi. Uniquement toi, Cas'. S'il te plait ne doute pas de ça. »

Dean se laisse glisser le long de la porte.

Il sent le bois chaud lui effleurer la peau, et il n'y fait pas attention. Il s'imagine Castiel dans la même position derrière la porte et il se met à sourire. Un sourire dévasté, qui lui mange tout le visage. Mais un sourire.

« - Anna et Elsa, Cas'... Elsa et Anna. Alors, je voudrais un bonhomme de neige... Peux-tu ouvrir cette porte Cas' ? »

Juste ouvrir cette fichue porte...

Septembre et les cloches sonnent en même temps que ton absence.

Dean est en retard aujourd'hui.

Alors il court, il court du plus vite qu'il peut, il s'essouffle, il se moque du regard des gens, il court.

Il court jusqu'à atteindre l'immeuble tant désiré, et s'engouffre dedans comme une rafale de vent. Il n'a juste à monter ces étages et il y sera. Il est désolé, il est désolé, il est en retard.

« - Bonjour Dean ! » lancent tous les regards, lancent tous les sourires.

Et il lève la main, il hoche la tête, mais il continue de courir.

Il n'a jamais été en retard - jamais. Et il a peur de découvrir cette fois ci que la porte sera à tout jamais fermée, qu'il n'y a plus la respiration derrière la porte. Parce que Cas' est enfin passé à autre chose.

Il ne veut pas, alors il court. De toutes ses forces.

« - C-ca's... Je suis en retard. J'ai pourtant insisté pour être relâché avant. Je lui ai dit que j'avais des choses très importantes, mais il a refusé. Saleté d'Azazel... Si tu savais à quel point il est horrible. Si tu avais fait la même école que moi... Ça aurait été amusant, tout les deux, dans une grande école ensemble. Mais j'ai été stupide. Et j'ai détruit nos liens. Juste dit moi quelque chose, s'il te plait. »

Toujours ce même silence. Insupportable.

« - J'ai croisé Gabriel, hier. Et tu sais quoi ? Son regard était horrible. Accusateur. Furieux. Si... triste. Parce que je t'ai brisé, Cas' alors que la seule chose que je n'ai jamais voulu c'est te garder intact. Si... triste parce que tu ne veux jamais ouvrir cette porte, parce que tu ne l'as pas fait depuis sept mois maintenant Cas'. Et c'est dur, t-t-tellement dur. »

Dean se passe sa main sur son front, se fustige parce que ce n'est pas ça que Castiel veut entendre.

« - J'avais trouvé un job le mois dernier. C'était pas vraiment bien payé, mais c'était mon premier travail. Apprenti mécanicien. Je veux faire du commerce, je le sais. Mais ça m'a plu. Papa a beaucoup crié, d'ailleurs. Il ne comprend pas c'est tout. Je me rappelles à quel point tu me disais de tenir le coup pour Sam. Il va bien, si tu veux savoir. Il s'est même dégoté une copine - très jolie - elle s'appelle Jessica. Je lui souhaite au moins une fin différente de nous deux. »

Un nouveau signe de tête d'un passant dans les couloirs.

Dean commence à en avoir l'habitude.

La triste habitude.

Alors il ramasse ses affaires, et une fois de plus, il s'en va.

Et cette fois, il n'a pas regardé la porte.

Novembre, parce que c'était peut-être le moment de m'en aller.

Dean n'a jamais pleuré.

Il n'a jamais pleuré étant gosse, parce qu'il devait s'occuper de Sam.

Il n'avait jamais pleuré un peu plus grand, parce qu'il devait être un modèle.

Il n'avait jamais pleuré à l'adolescence, parce que tout ça c'était fini.

Il n'avait jamais pleuré devant Castiel, parce que c'était celui qui chassait ses larmes.

Mais aujourd'hui, il pleure. Il expérimente pour la première fois ces gouttes salées, ces yeux qui le piquent, et son visage enneigé qui se creuse avec les sillons de larmes.

« - Il neige aujourd'hui, Cas'. On aimait beaucoup la neige tous les deux. Surtout toi. C'était pur, c'était blanc, c'était comme une mer de divin. Voilà que je deviens poétique... Elle me l'a dit aujourd'hui, Cas. Elle m'a dit que c'était pour aujourd'hui, que tu n'allais pas m'ouvrir la porte et peu importe si tu étais juste derrière. Tu sais, ça fait presque un an. Que tu ne m'as pas ouvert. Que je t'ai brisé, que tout est de ma faute. »

Dean se tient debout devant la porte en bois, il parcourt du regard le numéro. L'inscription.

Celle qu'il a vu tant de fois.

« - C'était de ma faute. C'est de ma faute. Je pourrais dire que non, que la route était glissante, que la voiture a dérapé. Que l'arbre était vraiment au mauvais endroit... Mais on le sait tous les deux, Cas', c'est de ma faute. Même si tu es vivant, même si tu es derrière cette porte. Même si tu refuses de me parler. Parce que c'est moi qui ait décidé de partir de cette soirée. C'est moi qui en avait assez. Moi qui te voulait pour moi tout seul. »

Les passants dans le couloirs sont arrêtés, ils le regardent tous.

Dean a l'impression d'être un clown, un animal au zoo, mais il s'en moque, il continue.

Il ignore les blouses médicales qu'ils portent, les calepins, les regards tristes, il continue.

« - Alors peut-être que je vais briser ma promesse, Cas'. Une fois de plus. Je vais ouvrir cette porte. Je vais ouvrir, je vais te voir. Je vais te parler face à face. Puis je vais partir. »

Sa main se bloque sur la poignée. Il l'effleure du toucher. Cette poignée qu'il a juré de ne pas baisser, il la baisse maintenant. Il pose sa main, il ignore le reste du monde et il entre.

Et il le voit enfin.

Castiel.

Il est là, sa respiration sifflante si familière et son coeur qui bat.

Il est là, allongé sur son lit blanc, les machines qui bippent à ses côtés, il est là dans le silence inquiétant de cette salle. Alors Dean s'approche, il le regarde une dernière fois, il regarde plongé dans ses rêves dont il ne sortira plus et il essuie sa dernière larme.

« - Promis Cas', la dernière. »

Et c'est seulement à cet instant qu'il se retourne vers le reste des passants du couloirs - des infirmiers, des médecins - et qu'il hoche doucement la tête de haut en bas.

« - Vous pouvez y aller. »


Pourquoi est-ce que j'écris des choses si tristes moi ? O_O