Noise

Je me souviens pas de l'arrivée précise de ce son, probablement en même temps qu'elle. Il faut dire que je n'y ai pas vraiment fait attention, sur le moment je ne savais pas. Je n'ai remarqué sa présence que des jours ou des semaines plus tard. Ce silencieux murmure, ce chuchotement imperceptible muait peu à peu en un bruit de fond de plus en plus invasive. Avec le recul je m'aperçois qu'il lui ressemblait vraiment, aussi intrusive et pénible.

Ce bruit résonnait en permanence, mais il ne devenait pas plus clair. Une bulle nous séparant subsistait toujours. Une fois, je crus percevoir une voix, mais aussi vite qu'elle était apparue, elle s'éteignit ne laissant que cet éternel font sonore.

J'espérais qu'avec le temps ce refrain que je ne comprenais pas disparaîtrait, mais c'était tout le contraire. Plus j'étais avec elle, et plus le volume montait. Quand elle s'en allait c'était pire, ce bourdonnement devenait insoutenable, un brouhaha de sons pêle-mêles qui m'assommaient.

Étrangement ce grondement semblait s'accorder parfaitement à son babillage. Il se calmait tout en se lançant dans un rythme endiablé. Toutes les dissonances cessaient, ne laissant qu'une harmonie céleste. On aurait dit une symphonie.

Le bruit devenait enfin clair, il était limpide. Pourtant je demeurais incapable de le comprendre. Cette mélodie avait beau m'être familière comme si je l'avais toujours connue, je ne pouvais dire ce qu'elle m'évoquait.

Et puis un jour, mon esprit fut manipulé, mes souvenirs s'embrouillaient. Je ne pouvais plus dire ce qui était réel et ce qui ne l'était pas. J'avais beau m'enfuir, mon esprit restait piégé dans cette cage. Il n'y avait aucun endroit sûr… Malgré tout ce bruit persistait, ce bruit me berçait malgré moi, m'éloignant de la réalité, me protégeant dans une bulle de paix et sérénités. Dans une bulle, où elle aussi se trouvait. Celle qui avait commencé tout ceci. Sa voix continuait de se mêler aux sons dans ma tête, s'emboitant comme deux rouages d'une même machine.

Je passai chaque jour de ma captivité à me raccrocher à cette voix et à ce son, seul rempart qu'il me restait avant la folie. Et puis un jour vint la liberté, avec elle les voix s'estompèrent, seul demeurait ce sempiternel grésillement.

Quand je la retrouvai, ce fut à nouveau une symphonie, une musique si belle que je ne voulais pas qu'elle s'arrête. À vrai dire, je commençais enfin à la comprendre… et à l'accepter, la désirer. Mais ce fut elle qui disparut cette fois…

Elle disparut pour toujours. La symphonie se brisa, elle éclata en dissonances, ne laissant que cet air que je ne connaissais que trop bien. Je le comprenais à présent, je ne le comprenais que trop bien… Et il était douloureux. Il me rappelait celle que j'avais perdue, le chef d'orchestre de ma mélodie, la diva de mon opéra.

Ce bruit n'avait jamais aussi fort, il était puissant, presque violent. Mais il ne m'agressait pas. L'on aurait dit un long sanglot, un cri de douleur. Toute la peine qu'il en ressortait me pénétrait. Si j'étais capable d'émotions, je ressentirais probablement cela.

Pour elle, j'aurai voulu être capable d'émotions.