Au coeur des Ténèbres.

Chapitre 1

Souvenirs lointains

Elle écoutait le bruit léger de l'air au dehors. C'était un souffle à vous rendre fou, à peine audible et pourtant gênant. Elle n'arrivait pas à se concentrer.

Les années avaient passées, son cœur sans cesse repensant à ces instants, ces instants si précieux. Était mort, était il vivant ? Où étaient passées toutes ces années à espérer ? Et cette cachette, au fond de la cabane en bois, dans la forêt ? Pourquoi Grand Mère ne lui avait elle rien dit ?

Elle posa ses coudes sur la vieille table en bois dans le salon de la demeure familiale. Elle avait grandis depuis. Ses rondeurs d'enfant avaient laissé place à une jeune femme malingre, aux yeux cernés et aux angoisses toujours plus présentes. Kathell avait 22 ans. Elle vivait de ce que son potager lui laissait, du produit de ses bêtes et de ce que la forêt lui livrait. On la disait un peu sorcière, à la ville. Pourtant, dans ce XIX eme siècle flamboyant, les croyances avaient bien évoluées. Mais il y avait encore certaines limites et l'une des plus importante était de vivre avec ses semblables, d'avoir trouver homme à épouser à cet âge où la beauté déjà commençait à flétrir doucement. Oui Kathell ne vivait pas dans ce monde de convenance, où la femme portait le corset de la société, quittant le joug parental pour le joug marital.

Et pourtant, cette jeune femme n'était que l'ombre d'une personne, perdue dans le manoir de la colline. Elle avait gardé cette opulente chevelure d'ébène que lui avait légué ses origines, ses grands yeux bleus enfantins et cette bouche de poupée d'un pourpre de sang. Son teint, d'une pâleur de porcelaine précieuse, se teintait d'une vermeille délicat sous le climat cinglant de la Russie. Oui, elle n'était que l'ombre d'une personne. Comment aurait elle pu se comporter comme toutes ces autres femmes, qui minaudaient ? Son cœur à elle était mort il y a longtemps. Elle lui avait donné.

Croisant les bras, elle ferma les yeux et se remémora.


Elle avait 7 ans quand tout ceci était arrivé. Sa mère lui avait demandé d'aller rendre visite à Grand mère, dans la forêt. Grand mère aussi était considérée comme une sorcière. Elle avait abandonné le monde des vivants depuis bien trop longtemps pour ne pas effrayer la populace crédule. Grand mère avait pourtant seulement renoncé aux faux semblants.

Le chemin vers sa cabane était long, deux longues heures à suivre cet étroit sentier que la végétation luxuriante tentait de faire disparaître à tout jamais. Elle était partie en fin d'après midi, un panier au bras, contenant petit pot de beurre, galette et fruits du jardin. Elle avait enfilé ce long manteau rouge qui la transformait en sanglante petite personne. Les enfants de son âge se moquaient, l'appelant le petit chaperon rouge. Cela l'indifférait.

Ce jour là, sa mère lui rappela les consignes de base. Il ne fallait jamais quitter le sentier, ne jamais parler à un inconnu, ne jamais s'arrêter en chemin, et surtout, surtout, se méfier des loups. Le dernier point intriguait fortement la fillette. Les loups étaient une histoire si ancienne. Autrefois ils s'attaquaient aux villages alentours pour se nourrir. Autrefois... Mais maintenant... Les loups étaient si peu nombreux, jamais ils ne se seraient risqués à proximité d'un être humain.

Le chemin de l'enfant aurait pu se passer du mieux possible si ce jour là elle n'avait pas fait une rencontre. Aurait elle vu les griffes si la forêt avait été moins sombre ? Aurait elle entre-perçu les crocs à peine dissimulés ? Cela était peu probable, son âme d'enfant n'aurait pas fait le lien entre le fameux loup tant décrié par sa mère et cet homme entre deux âges, à la barbe brune, aux yeux enfoncés dans les orbites, qui fit mine de s'inquiéter de la savoir seule dans les bois. Naturellement il lui demanda où elle se rendait.

« Je vais voir ma Mère-grand, et lui porter une galette avec un petit pot de beurre que ma Mère lui envoie. »

Naturellement, elle lui avait répondu. Pourquoi se serait elle méfiée ? Pourquoi de la défiance quand cet homme lui avait proposé de l'escorter ? Pourquoi se serait elle méfiée quand celui ci au détour d'un chemin lui avait dit se porter au devant d'elle pour annoncer sa visite ? Sa Mère-grand étant malade, à ce que disait la rumeur, c'était peut être plus sage de la prévenir pour qu'elle ne se tourne pas les sangs en s'impatientant …

L'homme, contrefaisant sa voix, toussotant pour faire croire à un mauvais rhume, avait alors frappé à la porte de la demeure de la vieille dame. Naïve et affaiblie par la maladie, celle-ci n'avait pas supposé la duperie.

« Tire la chevillette, la bobinette cherra. »

Aussitôt dit, aussitôt fait. Ce fut un véritable carnage. La lune s'étant levé avait finit de faire apparaître crocs et griffes. La petite fille entendant tapage s'était mise à courir, courir... Elle ne vit qu'un corps à moitié déchiqueté, du sang partout, du sang, tellement de sang...


Et ce fut la fin...