§-Le serpent qui danse§

Le bal se profilait depuis plusieurs heures. Il s'ennuyait, c'est certain, et rien ne semblait pouvoir le tirer de sa lassitude. Il vidait verre sur verre, le regard flou, quand soudain, il l'aperçut...

Que j'aime voir, chère indolente,

De ton corps si beau,

Comme une étoffe vacillante,

Miroiter la peau !

Toute vétue d'étoffes légères, fluides et embrassant son corps, elle lui semblait inaccesible... Tournoyante sur la piste, elle était seule au monde... Se déhanchant, allumant quelques brasiers, puis se sauvant, soulevant derrière elle le doux voile de sa chevelure...

Sur ta chevelure profonde

Aux âcres parfums,

Mer odorante et vagabonde

Aux flots bleus et bruns,

Le jeune homme sembla s'éveiller, son corps fut comme embrasé alors qu'au loin dansait sa belle...

Comme un navire qui s'éveille

Au vent du matin,

Mon âme rêveuse appareille

Pour un ciel lointain.

Elle le vit s'approcher... Enfin elle l'aurait, son supplice prendrait fin et elle s'abandonnerait à lui, laissant vagabonder ses fines mains dans ses cheveux dorés... Elle ferait enfin le plongeon fatal dans l'océan de ses yeux, plongeon dont elle savait tout retour impossible... Le plongeon dans l'enfer et la passion la rendait fébrile, et le jeune homme accéléra, ne pouvant plus supporter l'abscence de celle que son coeur venait d'élire...

Tes yeux, où rien ne se révèle

De doux ni d'amer,

Sont deux bijoux froids où se mêle

L'or avec le fer.

Elle l'observa s'avancer, d'un pas souple mais ferme, tel un prédateur dont elle était l'heureuse proie... La lumière tamisée ondulait sur leurs corps, renforçant l'irréalisme de la scène...

À te voir marcher en cadence,

Belle d'abandon,

On dirait un serpent qui danse

Au bout d'un bâton.

Il marchait à sa perte, et il le savait... Mais qu'avait-il à perdre?... Il ne révait que de goûter à ce fruit si longtemps défendu, et fendait la foule, accélérant, comme si sa vie en dépendait...

Et ton corps se penche et s'allonge

Comme un fin vaisseau

Qui roule bord sur bord et plonge

Ses vergues dans l'eau.

Enfin ils se faisaient face, et le jeune homme, l'enlaçant doucement, effleura de ses lèvres cette chair blanche pleine de promesses... Impatients, se moquant du silence les entourant, il l'embrassa, doucement, comme une question...

Comme un flot grossi par la fonte

Des glaciers grondants,

Quand l'eau de ta bouche remonte

Au bord de tes dents,

Elle répondit avec ferveur et ils se retrouvèrent enfin... La danse du serpent a charmé le fruit défendu... Le jardin d'Eden s'est rouvert, et la passion en déferlera...

Je crois boire un vin de Bohême,

Amer et vainqueur,

Un ciel liquide qui parsème

D'étoiles mon cœur !

§-The end§