Au commencement était le Chaos, un espace immense et ténébreux.

Le Chaos régnait sur une Terre hérissée de montagnes inaccessibles elles mêmes, déchirées d'éruptions volcaniques. Les océans y étaient déchaînés, et les tremblements de terre terrifiants. Des inondations gigantesques, des éboulements de toutes sortes, et des cataclysmes ignorés de la mémoire même des Hommes, bouleversaient sans cesse ses entrailles. Violence et destruction … C'est ainsi qu'était la Terre au début des âges.

Et c'est là, au sein même de ces cataclysmes terrifiants que naquit leur Histoire.

Elle serait racontée par les Hommes pour l'éternité avec crainte et fascination, et la mémoire de leurs combats, leur existence même, deviendrait légende. Elle deviendrait mythique.

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- « Alors c'est ainsi ? » s'enquit Angelica d'une voix étranglée « et cela le sera toujours … ? » termina-t-elle d'une voix basse.

- « Oui. La vie sera violente, mon amour, car la création est à ton image : puissante et illimitée, mais je peux te promettre ceci » lui répondit Jonas tandis qu'il replaçait une mèche blonde trempée de sueur derrière son oreille « tant qu'il y aura une once de souffle dans mon âme, notre amour viendra adoucir cette violence. « Allons, viens Angelica et contemple avec moi, vois notre puissance et jouis de notre amour. Désormais, tu seras Gaïa, toute puissante mère des Hommes, ils t'aimeront, te craindront et nous veillerons sur eux ».

Attrapant la main de Jonas, celui que les Hommes appelleront Eros « l'amour qui amollit les âmes », elle s'avança d'un pas résolu. Sous leurs pas, l'ordre et la cohérence firent leur œuvre. Le Chaos s'apaisa. Les volcans s'endormirent, le sol s'affermit, la végétation s'enracina, et les fleuves prirent leurs cours.

Lorsque tout devint silencieux, ils s'assirent en se blottissant l'un contre l'autre, épuisés.

- « Vois » lui souffla-t-il, tandis qu'il pointait le doigt vers la voute céleste constellée en souriant « Nous l'appellerons Ouranos. Je l'ai voulu immense afin qu'il te couvre toute entière. Chaque fois que tu le contempleras, tu te rappelleras que mon amour n'a d'égal que le tien. Je hanterai tes pas, et serai à tes côtés. Chacune de tes inspirations sera une ode à mon amour. ».

Elle suivit son regard, contempla un instant Ouranos, et sourit. Puis, elle tourna la tête vers lui et lui répondit « Aussi grand que notre amour … ».

Prenant ses mains dans les siennes, Jonas les porta à ses lèvres et y déposa un baiser. Elle frémit.

« Je t'aime » murmurèrent-ils de concert. Et ces mots s'abimèrent dans l'infini tandis qu'ils se regardaient. Dans les yeux d'Angelica régnait l'éternité, et leur amour s'y répercutait sans fin comme deux miroirs mis en abîme. Jonas y contempla sa propre âme s'y noyer. Elle était Gaia … son commencement et sa fin. Il lui sourit.

Avec regret, il s'arracha de son étreinte et projeta son regard vers le sablier posé non loin d'eux, puis soupira, « Mon temps sous cette forme touche à sa fin. Les grains du sablier sont presque tous écoulés »

- « Non ! » s'écria t elle, les yeux écarquillés. « Reste ! Reste encore avec moi. Pourquoi nous obligent ils à cela ? »

- Jonas soupira « Tu sais pourquoi. Si seulement … Angie ... Il reste tant à faire … j'ai besoin que tu me le promettes… Promets moi promets moi de poursuivre notre œuvre. Finis la pour nous. »

- D'un mouvement vif, Angelica se dégagea de son étreinte « Non ! je ne veux pas. Je ne peux pas. Pas sans toi » lâcha-t-elle, avant de reprendre d'une voix plus faible « Je ne survivrai pas sans toi ». Des larmes coulaient doucement le long de sa joue « Pas sans toi … »

- « Tu as toujours été la plus forte d'entre nous Gaïa … » murmura Jonas « Quelque soit ce qui nous sépare et la forme à laquelle je suis condamnée, je t'aimerai toujours. Tant que je vivrai là » conclut-il en pointant son cœur. « Je serai toujours avec toi… ».

Il sourit, et la brise se leva, emportant avec elle, Jonas, la chaleur de son corps matériel et le souvenir de ses mots. L'heure de la sentence avait sonnée. Ils venaient de lui arracher Jonas, son visage si doux, et son sourire. Sa damnation à elle commençait.

Angelica hurla à en perdre la voix. Qui l'entendrait de toute façon? L'écoutaient ils seulement ? Personne.

Elle était seule, désormais murée dans sa douleur.

Jonas et elle avaient enfanté une Terre mais elle, Angelica, était seule, abandonnée, déserte et vide tout comme leur Terre. Il ne restait rien lui permettant de se raccrocher à Jonas, rien, sauf le souvenir d'un murmure emporté par le souffle chaud « je t'aimerai toujours … ». L'éternité et le silence l'enveloppèrent, et elle s'y abandonna. Le temps ne lui importait plus.

Loin au dessus de la Terre, la contemplant depuis son immensité, Ouranos sentit poindre dans son cœur une douleur.

Qu'était ce ? Etait ce de l'amour ? Cette douleur semblait si semblable à celle d'Angelica ?

Etait ce du désir ? Angelica était si belle, si forte et si fragile, ravagée par les affres du chagrin.

Il l'observa longtemps, jouissant de leur immensité commune, et son désir s'enracina. Il la voulait sienne, rêvait de la posséder toute entière, de la couvrir elle qui n'avait de limites que celles qu'il expérimentait aussi. Et sa décision fût prise : Il la ferait sienne.

Il réfléchit longtemps à son approche, la peaufinant sans cesse, la voulant parfaite.

Et, un soir, alors qu'elle s'était endormie le visage baigné de larmes, il se para de ses plus beaux atours, et descendit vers elle.

Elle s'éveilla lorsqu'il la frôla.

- « Qui est ce ? » murmura t elle

- « Shhh, shhhh, ce n'est que moi » lui souffla-t-il à voix basse afin de rapprocher la tonalité de sa voix de celle de Jonas « Je leur ai dérobé une nuit car je ne puis me résoudre à être séparé de toi. Angie … Ignores tu que je serai toujours avec toi, présent dans chacun de tes murmures ? ».

Angelica sourit. Etait-ce un rêve ? Quelque chose clochait …

- « Pourquoi ne parviens-je pas à distinguer tes traits, mon amour ? Pourquoi te cacher de moi ? »

- « Ce n'est pas de toi que je me cache, mais de Cronos. » lui répondit il avant de l'entraîner doucement à s'allonger avec lui. Se blottissant dans sa chaleur, il enfonça son visage dans ses cheveux. Il posa un baiser sur sa nuque et rapprocha davantage son corps « Angie … laisse moi t'aimer … savourons ses heures que j'ai dérobées au temps et aimons nous avant qu'il ne nous échappe et ne nous sépare encore ».

Elle sourit et s'abandonna à l'obscurité et à celui qu'elle cachait.

Les premières lueurs du jour révélèrent la duperie dans toute son horreur.

- « Ouranos ?! » S'écria Gaïa atterrée « Qu'as tu fait ? Qu'avons nous fait ? Tu m'as dupée ! Maudis sois tu ! » hurla-t-elle avant de s'effondrer en larmes.

Lui tournant le dos, Ouranos regagna sa demeure, souriant et satisfait. Les chuchotements et les murmures seraient désormais les habits d'Ouranos, ceux des complots. Ils signeraient son nom : Whispers.