Āto dorobō

Prologue

Je n'arrive pas à identifier le moment même où la situation m'a échappé des mains. Je ne comprends pas comment j'ai pu en arriver là. Tout ce que je sais se résume à une chose. L'erreur est humaine. Et je ne sais même pas où la situation s'est envenimée. Où la situation a commencé à devoir incontrôlable. Où j'ai fait une erreur ou plutôt des erreurs. L'une d'entre elles étant de mêler ma vie professionnelle à ma vie personnelle.

Permettez-moi de vous raconter une histoire. Non une véritable affaire. L'affaire du voleur d'arts ou Āto dorobō comme on aime l'appeler ici au Japon.


Chapitre 1

POV Natsuki Kruger.

Je n'arrive pas à comprendre pourquoi moi. Pourquoi je me retrouve assise sur une chaise, dans une pièce éclairée uniquement par une lampe. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi on me demande décrire, sur une feuille blanche à l'aide d'un stylo, ma déclaration. Mon aveu. Un aveu dont je ne connais même pas l'origine. Tout ce que je sais se résume à une chose. Je ne sais rien. J'ai été arrêtée ce matin à mon domicile alors que je dormais paisiblement. Emmenée au poste dans ma tenue de nuit. Heureusement que j'avais opté pour dormir en survêtement. Je fixe machinalement la seule vitre de la pièce. J'y distingue mon reflet. Le reflet d'une femme de trente ans paraissant en avoir bien plus. La fatigue de ces derniers mois sans doute. Je sais que derrière ce miroir se trouve plusieurs personnes qui étudient les moindres de mes faits et gestes. Qu'ai-je bien pu faire pour être à sept heures du matin considérée comme un suspect? Ou plutôt le suspect. Ma présence ne semblait pas anodine. Pour autant, je n'arrive pas à me souvenir du chef d'accusation. Chef d'accusation perdu dans la lecture de mes droits ainsi que du passage de menottes autour de mes poignets. L'ouverture de la porte ne fait qu'accentuer ma pensée du départ. Je suis observée depuis le début. La seule chose que j'ignorais jusque-là était leur nombre ainsi que leur identité. Trois personnes prennent alors place. Trois femmes. Parmi elles, deux dont je connais réellement l'identité. L'une d'entre elles vient d'ailleurs se positionner à côté de moi pendant que l'autre reste en retrait, son regard posé sur la vitre. Elle ne me regarde pas. Je décide de ne pas lui demander des comptes. La seule femme que je ne connais pas prend alors la parole.

- Je suis la commandante Midori Sugiura. Je ne vous présente pas l'inspectrice Viola ni l'Agent Yuuki, je pense que vous les connaissez assez bien. Ou est-ce une erreur de ma part?

Je souffle légèrement face à cette tirade. Le sarcasme y est percevable. Je décide de me concentrer sur le plus important. Ma présence ici. Je pensais que mes propos montreraient plus mon assurance. Au lieu de cela, ma voix semble me faire défaut. Je commence même à paniquer. Ma dernière crise d'angoisse date de plusieurs années. Je ne souhaite vraiment pas en parler au présent. Je dois poser mon souffle. Et surtout avoir une explication claire.

- Pourquoi ai-je des menottes? Pourquoi suis-je ici? Nao?

Nao baisse instinctivement la tête vers le sol. Je sais ce que signifie ce comportement. Il ne traduit qu'une seule chose. L'impuissance. La commandante reprend plus fermement.

- Votre cousine n'est pas ici pour vous donner des explications. Elle est ici en simple spectatrice. Et pour répondre à votre deuxième question, ne me prenez pas pour une imbécile vous connaissez les chefs d'accusation sur vous, Āto dorobō.

Je ne comprends vraiment pas de quoi elle parle. Je regarde alors la seconde personne qui m'est familière. Shizuru. Les propos de la commandante sont flous. Encore plus que le comportement de Shizuru. Elle semble en colère. Mais je ne sais vraiment pas pourquoi. Mais apparemment, elle ne m'apportera pas son soutien. Peut-être qu'en éclaircissant ce malentendu, je pourrais repartir.

- Āto dorobō ?

- Allez-vous vraiment jouer celle qui ne sait rien?

Midori claque alors fermement ses mains sur la table me faisant sursauter au passage. Pense-t-elle vraiment que je me moque d'elle? Probablement. Elle semble essayer de se calmer mais en vain. Nao reste calme à mon plus grand étonnement. Mais ce comportement n'est pas forcément bon signe.

- Plus de dix ans qu'Interpol essaie de vous mettre la main dessus alors cessez de nous prendre pour des amateurs! Il est mieux pour tout le monde que vous passiez aux aveux et ce maintenant!

Nao fixe un instant son chef. Elle semble lui poser une question silencieuse à laquelle Midori répond par un hochement de tête. Elle saisit alors quelque chose à sa taille s'avérant être un trousseau de clés.

- Avances tes mains vers moi.

Je m'exécute en fronçant les sourcils. Nao semble se battre contre elle-même. Mais encore une fois, je ne comprend pas pourquoi. Elle reprend tout en me retirant les menottes.

- Tu devrais tout nous dire Natsuki.

Voilà pourquoi elle est aussi calme. Elle est aussi convaincue de ma culpabilité. Ma propre cousine. Malgré ce sentiment de trahison, j'arrive à articuler quelques mots.

- Vous dire quoi? Je ne sais même pas pourquoi je suis ici Nao? Expliques-moi.

Shizuru prend difficilement la parole tout en s'installant sur la dernière chaise, en face de Nao. Pourquoi ne me regarde-t-elle pas? Je lui ai donné ma confiance. Ma reconnaissance. Mon amitié et surtout mon amour. Tout ceci pour finir sur une chaise? Moi en suspecte, elle en inspectrice? J'aurais dû suivre mon instinct. Ne pas succomber à mon envie.

- Que vous êtes Āto dorobō serait déjà un bon début Kruger-han.

Son ton est amer et froid. Comme lors de notre première rencontre. J'aimerais sourire à ce souvenir mais le lieu n'est pas propice à cela. Je veux qu'elle me regarde.

- Shizuru ...

- C'est Inspectrice Viola!

La colère. Pourquoi est-elle en colère? Je décèle une autre chose dans son regard. La déception. Mais sait-elle à quel point son détachement me fait mal? Mais je ne peux pas lui faire une scène. Pas ici. Peut-être que je devrais respecter la dénomination qu'elle souhaite.

- Inspectrice ... Je vois. Alors Inspectrice Viola, sachez que je n'ai aucune idée de toute merde! Quant à toi Nao ... Comment peux-tu croire que j'ai ... Ma propre cousine ne me croit pas. C'est du délire.

Je n'ose même pas regarder leur chef. Je serais déjà en prison si on l'écoutait. Pour autant, elle propose une chose me laissant perplexe.

- Nous vous laissons une chance de nous expliquer.

- Vous expliquer quoi?

- Vos dix dernières années. Nous vous couperons quand nous aurons une question alors si vous êtes vraiment innocente, ce que je doute fortement, vous coopérerez. Sinon je vous collerais moi-même au trou c'est clair?

Je n'ai rien à cacher alors j'accepte. Mais je dois savoir la chose le plus importante pour moi. Ma cousine semble attendre que je prenne la parole.

- Nao?

- Hum?

- Où est ...

- Avec Miyu rassures-toi. Elle va bien.

J'essaie de me souvenirs de tout. Depuis ces dix dernières années, je suis en colère. Surtout à cause de la réaction de Shizuru. Elle, à qui j'ai déjà livré une partie de ma vie. Elle qui ne semble ne pas avoir écouté pour oser m'accuser sans preuves. la colère est alors perceptible dans ma voix.

- Je vais vous raconter toute ma vie ... Pour que je puisse la poursuivre au côté de la seule personne importante pour moi. Ma fille.

Shizuru frissonne légèrement face à mon ton dur mais essaye de paraître stoïque. Je sais alors qu'elle regrette sa précédente réaction. Midori reprend alors sa demande.

- Nous vous écoutons.

"Du plus loin que je me souviennes, je n'ai aucune idée de qui pouvait être mon père. Ma mère m'a élevé ici à Fuuka jusqu'à mes treize ans. J'allais à l'Académie de Fuuka avec Nao et essayait du mieux que je pouvais de réussir. Un soir lors d'une soirée, j'ai dû boire plus que prévu car je ne me souviens pas de grand chose. Tout ce que je sais c'est que je suis devenue mère à l'âge de quinze ans. Hikari a toujours et sera toujours ma priorité. Quand ma fille a eu trois mois, j'ai dû déménager chez ma tante, la mère de Nao ... "

- Vous avez eu des conflits avec votre mère?

- Non.

- Alors pourquoi ce déménagement?

- Ma mère est morte dans un accident de voiture.

Je voyais qu'aussitôt la réponse entendue, la commandante regrettait sa question. Mais ce n'était qu'un souvenir. Un souvenir douloureux. Je me revois pleurer toutes les larmes de mon corps à l'enterrement. Sentir Nao me serrer dans ses bras alors que ma tante prenait soin de ma fille. Elles étaient toutes les trois ma famille. Midori m'arrête dans mes pensées.

- Ensuite?

"J'ai essayé de finir le lycée pour pouvoir rentrer à l'Université. Mais c'était difficile. La mère de Nao était encore en activité et je devais souvent rentrer plus tôt pour veiller sur ma fille. J'ai échappé de très près à l'expulsion mais je n'avais pas d'assez bons résultats pour avoir mon année. La situation était délicate et j'ai préféré abandonner. Redoubler demandait des moyens et je n'en avais pas assez. J'ai décidé de partir de chez ma tante ..."

Midori me recoupe la parole de nouveau. Je ne sortirais jamais de cette pièce si ça continue.

- Elle vous a demandé de partir?

- Non mais elle avait déjà en charge Nao et étant mère célibataire ... Je ne voulais pas être un fardeau.

Nao allait répliquer mais Midori secoua la tête.

- Poursuivez.

"Je ne souhaitais qu'une seule chose : que ma fille ne manque de rien. Et c'est peut-être pour cela que j'ai accepté les agissements de Ahn. Avant que vous me demandez, oui il s'agit bien de la première fille de la famille des Luu. L'héritière de l'empire du cristal."

Midori me fixa avec des yeux ronds. Sans doute se demandait-elle pourquoi j'étais assise ici au lieu de me prélasser dans une baignoire en marbre avec l'héritière. Peut-être avais-je fait une erreur, il y a cinq ans. Peut-être que si j'avais décidé de rester avec elle, je ne serais pas actuellement assise ici. Et surtout que je ne devrais pas faire face au regard rageur de Shizuru. Je savais qu'elle détestait que l'on parle d'Ahn. Pensait-elle que je l'aimais encore? Peut-être. Et elle avait peut-être raison. Une partie de moi lui sera éternellement reconnaissante ... Mais cela s'arrête là. Alors est-ce de l'amour ? Je ne sais pas. Tout ce que je sais se résume au fait que je déteste cette situation. Ce que je ne savais pas c'est que Shizuru rendrait la situation encore plus inconfortable ... Que cherchait-elle à prouver?

- Quels sont vos rapports avec Ahn Luu ?

Je secoue la tête face à la question.

- Je ne répondrais pas à cela.

- Répondez à la question de l'inspecteur Viola s'il vous plaît.

Pourquoi dois-je replonger encore une fois dans ce souvenir ... Que veux-tu réellement entendre Shizuru?

- Ahn Luu était ou plutôt est une femme douce et attentionnée. Son seul défaut était son côté volage.

- Comment l'avez-vous rencontré?

Je fixais machinalement Shizuru puis murmura doucement.

- Une rencontre au hasard ... Peut-être que je devrais cesser de porter de l'importance à ce type de rencontre.

Shizuru se raidit sur le coup alors que sa chef reprit tout en se préparant à noter.

- Je vous écoute.

" J'avais trouvé un boulot de femme de ménage, dans un hôtel. Ce n'était pas le grand luxe mais cela payait les factures. J'avais dix-huit ans et je ne pouvais pas me plaindre. La plupart des clients ne prenait pas la peine de ranger leur chambre ou de refaire le lit. Ahn était l'une des exceptions. Je me souviens être entrée une fois dans sa chambre alors qu'elle finissait de s'habiller. Je l'ai tout simplement ignoré. Mon comportement a dû lui paraître suspect car elle a déposé sa mallette et s'est avancée vers moi avec un léger sourire.

- Tout va bien Miss?

Je m'étais contentée de hocher la tête. Mon patron avait été clair : je n'étais pas payer pour discuter avec les clients. Je me souviens de son toucher doux et délicat. Elle avait simplement pris le balai entre mes mains et m'avait caressé doucement le visage. Je ne pensais pas que l'on puisse me lire aussi facilement. Elle reprit avec une voix plus claire, plus rassurante.

- Pourquoi autant de tristesse sur ce si joli visage ? ... Vous ne semblez guère plus âgée que moi et pourtant ... Il est fort dommage qu'une si belle beauté soit masquée par toute cette douleur.

Je me souviens avoir frissonné légèrement lorsque je la sentis me pousser contre le lit. Elle me sourit légèrement tout en murmurant.

- La chambre est propre alors prenez ce temps pour vous reposer Miss. Cela permettra peut-être d'alléger une partie de vos maux.

Jamais personne externe à ma famille avait été aussi attentionnée avec moi. Et ce ne fut que le début. Elle s'arrangeait pour être toujours là lorsque je me présentais. Peu à peu, nous avons eu des échanges amicaux puis de plus en plus personnels. Jusqu'à son départ. Elle est restée plus de six mois à l'hôtel. Lors de son dernier jour, elle m'a invité au restaurant et malgré mon souhait de décliner l'invitation, j'avais fini par accéder à sa requête. Elle ne prit pas de gants. Elle m'a juste dit entre deux gorgées de vin.

- Je serais prendre soin de ta fille comme si elle était la mienne Natsuki. Alors viens avec moi, je te promets que tu ne manqueras de rien. Ni toi, ni ce que j'espère pouvoir un jour appeler notre fille."

- Sur ce plan là, elle a tenu sa parole. Durant nos sept ans de vie commune, elle s'est occupée de ma fille comme de son propre sang.

- Pourquoi l'avoir quitté alors?

Un léger "crac" m'arrêta dans ma prise de parole. Shizuru avait cassé son crayon de bois en deux. Colère, oui je le savais pertinemment. Elle connaissait déjà tout cela. Elle m'avait alors fait par de son sentiment. Sur l'importance de la fidélité lorsque l'on s'engager dans une vie de couple. Sur son envie de coller une gifle à Ahn suite à son comportement. Mais elle était l'initiatrice de cette discussion. Peut-être ne pensait-elle pas que je me livrerais autant. Je repris tout en me concentrant davantage sur Shizuru.

- Je l'ai surprise une fois la tête entre les cuisses d'une autre femme. Mais je n'ai rien dit. J'avais un toit, de l'argent et ma fille ne manquait de rien. Alors j'ai fermé les yeux. Ahn adorait ma fille. J'ai donc résisté pendant sept ans. Et ce même si on ne couchait plus ensemble depuis plus de cinq ans.

Je vis une légère surprise orner les traits refermés de Shizuru. Cette dernière partie ... Je ne voulais pas qu'elle le sache. Je repris avant de me faire reprendre à partie.

- Et c'est là que j'ai pris conscience qu'Hikari grandissait et que bientôt elle se rendrait compte de la situation. Alors je suis partie. Ensuite j'ai été de villes en villes pour trouver un emploi jusqu'à aujourd'hui. Il n'y a pas grand chose d'autre à dire.

Fin du chapitre 1