On dit que les garçons ne pleurent pas.
Le Geek ne savait pas pourquoi. Il était un garçon, lui, et c'était bien des larmes qui coulaient sur ses joues. Une fois, il avait posé la question au Prof, avant sa disparition. Il avait balbutié et avait refusé de dire quoi que ce soit.
Il s'était alors adressé à la Fille, qui avait soupiré, et lui avait expliqué un truc bizarre de stéréotypes et de domination masculine… Le jeune n'avait pas été plus avancé. Que voulaient dire ces deux termes ?
Il s'était arrêté là. Le Patron lui faisait peur, Mathieu n'avait pas le temps, et le Hippie… Bah, le Hippie.
Puis, Maître Panda était arrivé. Mais il avait oublié sa question.
Elle lui était revenue à l'esprit seulement deux heures auparavant, alors que le Patron tentait une fois de plus de l'enfermer dans sa chambre. Il s'était mis à courir en hurlant dans la maison, avant de se faire réceptionner par l'adorable Panda.
Ce dernier avait hurlé sur le Patron, tout en serrant le jeune en larmes dans ses bras. Ce à quoi l'homme en noir avait répondu, dédaigneux :
« Les garçons ne pleurent pas ».
Répondu à quoi, le Geek ne le savait pas. Il n'y avait pas fait attention. Du coup, il voulut demander, une fois remis de sa crise de larmes, et le vicieux parti, pourquoi les garçons ne pleuraient pas. Mais à cet instant, un Mathieu excédé débarqua en criant qu'on l'empêchait de faire son boulot et l'avait tout simplement foutu au lit.
Blotti au fond de ses draps, triste et tourmenté par cette question existentielle, le Geek fixait le plafond. On le disait stupide, on se moquait de son air un peu ébahi, mais au fond… Il voulait juste des réponses. Si on refusait de les lui donner, comment pouvait-il grandir ?
Qui peut grandir normalement face au silence et au désintérêt, voire à la violence ?
Un frémissement dans l'ombre. De cette prescience n'appartenant qu'aux enfants, le Geek sentit que quelque chose avait changé. Quelque chose d'indescriptible.
Surgissant derrière sa tête de lit, un étrange humanoïde fit son apparition. Le visage blanc, yeux enfoncé dans leurs orbites cerclés de noirs, un costume sombre autrefois d'excellente facture mais à présent déchiré et souillé… Et une main ensanglantée sur sa chemise blanche.
L'étrange être pencha sa tête surmontée d'un haut-de-forme. Regardant fixement l'enfant lui faisant face, il joignit de façon maladroite ses mains gantées de blanc. Malgré son apparence terrifiante, le Geek ne prit pas peur. Au plus, eut-il l'air surpris.
Il n'était toujours pas terrifié quand le Démon prit la parole.
Maudit depuis toujours
Je sors parfois la nuit, en quête de compagnie
J'avoue j'suis un Démon, y a peut-être plus joli, je veux juste des amis
Les grands ne m'aiment pas
Il paraît que je fais peur, que j'apporte la douleur
Mais toi tu me regardes
Avec aucune terreur, et une légère candeur…
Alors s'il-te-plaît pleure pas…
La voix, très grave, semblait sortir – sortait – d'outre-tombe. Elle rasséréna le Geek, qui oublia ses tourments, ses interrogations, pour offrir à l'être démoniaque un demi-sourire hésitant. Oh, non, il ne voulait pas pleurer. Pour rien au monde. Lui aussi, après tout, voulait des amis…
Le son de la porte s'ouvrant avec fracas le fit violemment sursauter. Il tourna vivement la tête vers l'arrivant. Mathieu. Comment avait-il deviné, pour l'intrus ? Avait-il entendu la voix profonde de l'être ?
Pleure pas…
- Mais qu'est-ce que c'est que ça ? brailla le schizophrène tandis que le Démon se levait lentement. Qui êtes-vous ? Vous êtes un démon ! Vous allez rentrer chez vous en enfer et fissa ! J'appelle Jésus sinon !
Ce à quoi, dit la légende, Jésus répondit : va te faire, mec, j'ai des trucs plus importants qu'un démon dans ta maison, sans déconner.
Tout au long de sa diatribe enflammée, le Geek avait senti des larmes lui chatouiller les yeux, des sanglots la gorge. Il finit par pleurer doucement, pressant les draps entre ses doigts, tandis que le Démon, désemparé par les pleurs, se voyait peu à peu disparaître.
Alors s'il-te-plaît pleure pas…
Satisfait, Mathieu ressortit, ordonnant à sa personnalité la plus fragile de dormir, ignorant le désespoir de cette dernière.
Le Geek garda longtemps les yeux fixés sur le mur, pris d'un espoir fou de le voir réapparaître. Finalement, il sombra dans le sommeil.
Pleure pas…
