Les coulisses sont sombres, froides, on y respire le stress de chaque participant. Je suis le prochain sur la liste, le candidat sur scène vient à peine de commencer et je sens déjà mon cœur me monter à la gorge. J'essuie ma transpiration, pour éviter de gâcher le travail de la maquilleuse. La musique Drop des BTS emplit tout l'espace sonore des environs, son rythme me fait vibrer et les voix des chanteurs m'enivrent. Le son aigue des violons passant dans mes oreilles me procure des frissons dans le dos. Le candidat a fait appel à une école de danse pour l'accompagner. Il a repris exactement la même chorégraphie quand dans le MV avec plus de sensualité. À ce niveau là de la compétition on ne peut pas parler d'erreur dans ses choix. On nous demande d'être beau à la vue et à l'ouïe, pas d'être les nouveau Mozart ou un chorégraphe de talent.
Mon costume me donne chaud, choisir le thème de l'hiver en été c'est innovant et en même temps stupide. Seulement, c'est la finale, je ne peux pas me contenter de faire ce qu'on attend de moi. Je ne demande pas une gloire éternelle ou une carrière longue et marquante. Si je pouvais ne serait-ce que chanter une chanson, tourner un MV, je pourrais dire que j'ai réussi. La dernière note au violon se joue, le candidat marque la pause. Sans un regard du jury, on lui fait signe de quitter la scène. Un technicien me pousse dessus, les jambes tremblantes je me met en position. C'est maintenant que je me pose la question, qu'est ce que je fais ici ? Dans un pays dont je ne connaissais pas la langue en arrivant, sur scène prêt à chanter dans une autre qui n'est ni la mienne ni la leur, pour espérer vivre l'espace d'un instant, ce que ressent ceux qui vivent cette aventure quotidiennement.
Je me mets en position, dos au jury. Les premières notes de Snow Man arrivent brusquement à mes oreilles. Je me sens crispé, mes mouvements sont hasardeux, je crois même avoir oublier le début de la chanson. Sans réfléchir, j'accomplis les pas, sans y penser les notes sortent de ma bouche. Maintenant, je me sens vivant, je n'ai plus besoin de but. Si cet instant durait une éternité il s'appellerait le bonheur. Ma boule au ventre disparaît pour ne laisser place qu'à celui que je suis vraiment. Je fais ma dernière pose, la musique s'arrête et comme pour le précédent on me fait juste signe de rejoindre ma loge.
Comme nous ne sommes plus que trois chacun à son espace. Je n'ai plus qu'à attendre, le seul et unique prix est un contrat pour rejoindre un nouveau groupe. L'émission qui suit la compétition est un gros coup de pub pour le label, ça m'est égal, je veux juste vivre, même un instant. Je m'assois, face à mon miroir, mes mains recouvrant mon visage. Je suis fatigué de tout ça, cette mise en scène pour la télé et de tout ce travail pour sortir chaque semaine une nouvelle chanson, une nouvelle chorégraphie, un nouveau costume. En attendant les résultats, je me décide à réviser mes textes de Coréen. Au bout d'une demi heure quelqu'un toque à ma porte. Sans attendre d'y être invité le présentateur de l'émission, un caméraman et l'un des jurés rentrent dans ma loge. Je me lève rapidement de ma chaise et tente de remettre mon costume de manière présentable. Le présentateur s'approche de moi, pose une main sur mon épaule et me demande :
« Hadrien ! Alors, comment s'est passer cette aventure ?
- C'était incroyable, jamais je n'aurais imaginé aller si loin. (Je regarde la caméra) Merci, à tout ceux qui m'ont soutenu même un instant !
- Le moment est venu de connaître le vainqueur. Si je le pouvais je t'aurais choisis dès les auditions !
- Je préfère perdre et me rappeler de ces quelques mois ici, plus tôt que l'inverse !
- Laissons place au résultat. »
Le juré se met dans le champ de la caméra, me fixant avec un air chaleureux mais distant. Un vrai comédien, ça fait partie du job. Il me semble qu'il faisait partit d'un ancien groupe du label, aujourd'hui dissout. Il prend l'une de mes mains entre les siennes et me dit :
« Tu nous as offert des performances fantastiques. Un bel avenir se dessine pour toi. Cependant, aujourd'hui, quelqu'un a été meilleur que toi. Je suis désolé.
- Merci, pour cette belle aventure. »
La caméra se coupe et tout ce petit monde sort de ma loge. Je me rassois face à mon miroir, la mine décomposée, perdu. Je ne sais plus où je suis, où je vais, je sens les larmes me monter aux yeux. Mes jambes se tétanisent tendis qu'un brouillard envahit ma vision. Je pose ma tête entre mes bras et laisse mes sanglots s'échapper. Mes larmes coulent si vite qu'elles sont encore chaudes quand elles arrivent à mes lèvres. J'ai le nez bouché et ne peux plus respirer qu'en reniflant. J'ai tellement travaillé et rêvé pour rien, je ne demande qu'une seconde, une seule pour me sentir vivant. Au milieu de mes pleurs je n'entends pas la personne frapper à ma porte. À sa deuxième tentative, je décide de lever la tête et prend rapidement un mouchoir. Je l'invite à entrer, il s'agit du producteur du label. Je n'arrive pas à le regarder et plonge à nouveau mon regard dans le miroir. Mes yeux n'ont jamais été aussi rouges. Je suis perdu, quel con j'ai été de mettre tous mes espoirs dans ce concours ! Le producteur prend la place à côté de moi, je fais l'effort de me tourner vers lui, accoudé à la table et la tête appuyée contre ma main j'attend. Il prend une grande inspiration et me dit :
« Je tenais à préciser que, jusque là, vous nous avez proposé des prestations impeccables. Vous deviez gagner, si je n'en avais pas décidé autrement.
- C'est à dire ?
- Vous avez le talent et la maitrise d'un professionnel, il serait contre productif de vous faire intégrer un groupe d'amateur. Ce serait gâcher votre carrière !
- Au lieu de ça vous voulez que je n'en n'aie pas du tout ?!
- Pour être direct je veux que vous rejoigniez l'un de nos groupes déjà existants.
- (Je manque une respiration) Pardon ?!
- Il est en baisse de popularité depuis quelques temps. Ce serait dommage pour les membres que tout s'arrête aujourd'hui, alors nos allons en ajouter un nouveau. Avec votre accord bien entendu !
- Je ne sais pas, ce n'est pas une décision qui se prend à la légère.
- Je comprends, tenez. (Il me tend une pochette cartonnée) Voici le contrat, prenez le temps de le lire et donnez moi votre réponse demain matin. Au revoir !
- Demain ! »
Il ne me laisse pas plus le temps de protester et sort de la pièce en pianotant quelque chose sur son téléphone. Je prend une grande inspiration et tente de remettre les choses en ordre dans ma tête. Je prend la pochette face à moi et me décide à l'ouvrir, en plus du contrat il y a le mail et le numéro du producteur. Je range les documents et commence à me rhabiller, j'ai besoin de rentrer, de me poser. Avant de partir je dois faire un tour chez la maquilleuse pour quelques plans de fin et des photos pour les magazines. Cela prend bien plus de temps que prévu, certains journalistes se montrent très insistants auprès des candidats. Une fois la nuit tombée nous arrivons à monter dans le van qui nous est réservé. Il nous dépose généralement à la gare routière et de là chacun prend son propre chemin. Le voyage se fait en silence, il n'y a jamais eu d'ambiance quelconque entre nous, ce n'est pas ce soir que cela va changer.
Contrairement aux autres soir aucun de nous n'a eu le temps de ce changer ou de ce démaquiller. Nous sommes de vraies idoles ambulantes, aucun doute que nous ne passerons pas inaperçu. Enfin arrivés nous descendons et sans nous adresser un regard, partons chacun de notre côté. Il y a déjà quelques personnes à mon arrêt de bus. Comme prévu j'attire quelques regards, certains discrets d'autres volontairement insistants. D'une certaine manière cela me rassure sur mon physique, même si en ce moment j'ai du mal à l'accepter. Je décide de descendre à l'arrêt avant le mien. J'ai besoin de marcher et notre coach nous a donné quelques astuces au cas où nous deviendrions des stars. Qu'est ce que je raconte ?! Je me comporte comme si j'allais réellement intégrer un groupe professionnel ! Les yeux dans le vide, je marche lentement jusqu'à mon domicile.
