Pastiche

Une femme vêtue de cuir, au visage ridé de soixante ans et à la démarche d'une jeune fille de vingt, monta sur l'estrade de planches et se tint fièrement debout. Son regard indéchiffrable était posé sur la personne qui lui faisait face.

«Je vais te poser une série de questions, dit-elle. Tu devras répondre vite. Avec ton cœur, pas avec ta tête. C'est bien clair ?

-Oui. Répondit l'autre sans l'ombre d'une hésitation.»

Un sourire se dessina sur le visage de la doyenne.

Elle prit une grande inspiration et se lança :

«Es tu un homme ou une femme ?

-Je suis moi.

-Es tu un homme ou une femme ?

-Ni l'un ni l'autre, et les deux.

-Es-tu invincible ?

-Oui.

-Comment mets-tu un homme à terre ?

-Je le convaincs qu'il est une erreur de la Nature. Je nie son existence.

-Qu'est ce que le bonheur ?

-Nul ne le sait vraiment.

-A qui l'amour fait-il peur ?

-A ceux qui ne connaissent pas d'amour différent du leur.»

Les mots coulaient de sa bouche, s'envolaient, tourbillonnaient.

Ses jambes se campèrent plus fermement dans le sol, alors qu'une lueur de joie passait fugitivement dans ses yeux. Elle reprit ses questions :

-Pourquoi es-tu invincible ?

-Parce que j'ai détruit toutes les barrières autour de moi.

-Connais tu le bonheur ?

-Pas vraiment.

-Aimes-tu les hommes ou les femmes ?

-J'aime. Tout court.

-Aimes-tu les hommes ou les femmes ?

-Les deux.»

Un rayon de soleil apparut à la fenêtre. Caressant de sa main de lumière le visage plein de gravité et au regard sombre qui lui faisait face.

«Les barrières ne sont donc pas une force ?

-Non. Elles séparent les hommes et les détruisent.

-Que dit la nuit ?

-La solitude des gens brisés et le bonheur sans fin des autres.

-T'as t-on déjà brisé ?

-Une fois.

-Quand ?

-Lorsqu'on m'a forcé à me taire.

-Donne-moi un mot.

-Parole.

-Un autre.

-Force.

-Un dernier.

-Amour.

-Marie tes trois mots.

-Courage.»

Elle sourit et s'assit dans le large siège posé derrière elle, masquant tant bien que mal sa jubilation devant une telle sincérité, et une telle fluidité des mots. L'autre n'avait pas cillé. Attendant son verdict.

«C'est bien. Puisses-tu longtemps arpenter la Vie.»

#LeSilenceTue

19 mai 2015