Et voici, comme promis, la seconde et dernière partie de 'In my Line of Work' ! Elle est un peu plus longue que la précédente, donc j'imagine qu'il devrait y avoir cinq chapitres…

Cette fois-ci, les inspecteurs Kobayashi, Shiguré et Ayako se retrouvent confrontés au meurtre mystérieux d'un homme politique, retrouvé mort dans son bureau. Le problème : Pas d'arme du crime, pas de témoins et pas d'indices… Si ce n'est cette odeur étrange qui flotte sur les lieux du crime…

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LES FICELLES DU MÉTIER II

Le téléphone a sonné en fin de matinée, au beau milieu de la pause-café. Sachez d'abord que, de toute la journée, c'est un des pires moments pour recevoir un appel parce que c'est l'heure à laquelle l'estomac commence à réclamer un peu d'attention et ce qui nous préoccupe le plus, c'est comment le remplir quand midi sonnera. Un coup de téléphone avant le déjeuner signifie qu'il va falloir sauter dans une voiture et filer quelque part sans savoir quand on aura la chance d'aller se restaurer. Parfois, ça ne dure que quelques minutes, ce qui est somme toute acceptable. Mais s'il s'agit d'un meurtre, vous êtes quitte pour passer des heures à hanter les lieux du crime jusqu'à ce que vous ayez assez faim pour bouffer le corps qu'on voulait vous montrer.

… D'accord, peut-être pas si faim que ça.

Bref. Shiguré et moi avons été appelés pour aller examiner un macchabée au moment même où nous discutions de nos projets pour le déjeuner avec Ayako, un peu après dix heures. Départ immédiat, donc, direction la banlieue chic de Tokyo, dans l'un des immeubles les plus classes, neuvième étage. Bien sûr, avec cette saloperie de circulation nous n'y étions pas avant onze heure moins le quart. Shiguré a oublié le numéro de l'appartement, mais avec le troupeau d'uniformes amassés au bout du couloir, ça n'a pas été difficile de trouver la bonne porte.

- Pitié, faites que ce ne soit pas trop long… a marmonné Shiguré tandis que nous brandissions nos badges en entrant dans la pièce. J'ai rendez-vous avec Izuru à 11h 30…

On nous a conduit dans un bureau. Apparemment, le macchabée était toujours dans son fauteuil. Je ne pouvais voir que son profile, mais même d'ici, je savais que ça risquait de me couper l'appétit. Il y avait une drôle d'odeur dans la pièce.

- Tu es sûr que tu auras envie de déjeuner, après ça ? J'ai demandé.

Shiguré s'est avancé et a retourné le fauteuil vers nous. Ce n'était pas vraiment joli à voir. Pas que le type lui-même soit terriblement laid, mais ses yeux braqués sur nous et qui paraissaient prêts à bondir hors de son visage ridiculement contorsionné étaient plutôt effrayants. Sa tête était penché sur son épaule. Il portait un costume gris foncé dont la veste était accrochée sur le dos du fauteuil. La quarantaine bien sonnée, des cheveux bruns grisonnants. Il y avait un revolver sur le sol, presque à portée de main. Il me semblait vaguement familier, mais je n'arrivais pas à la resituer.

J'ai appelé un des gars du labo pour qu'il nous expose la situation.

- Kubo Masaki. Cinquante trois ans et figure politique notoire d'extrême droite. On a beaucoup entendu parler de lui récemment. Il a fait tout un tas de discours très engagés.

Voilà pourquoi il me disait quelque chose.

- C'est sa femme qui l'a trouvé. Elle est entrée dans son bureau ce matin et voilà précisément ce qu'elle a vu.

- Il y a un revolver mais je ne vois aucun impact, a remarqué Shiguré. De quoi est-il mort ?

Il regardait le corps avec un intérêt morbide. Dans le métier, on est habitués aux cadavres, mais celui-ci ne ressemblait à aucun de ceux que j'avais vus.

- En fait, on cherche encore, a répondu l'officier. Ce n'est pas une attaque, apparemment. À première vu, j'aurais dit du poison, mais jusqu'ici les tests n'ont rien donné. Peut-être que l'autopsie nous éclairera un peu plus. En tous cas, si c'est bien du poison, il doit être très rare, parce que je vous assure que je n'ai jamais vu ces symptômes avant.

J'ai échangé un regard avec Shiguré. Ça n'était pas vraiment une bonne nouvelle.

- Et si ce n'était pas du poison ? A demandé Shiguré.

- Alors je ne sais pas. À regarder sa tête, on dirait presque qu'il est mort de peur. Mais dans cette ville, je ne vois rien d'aussi effrayant que ça.

- Vous seriez surpris, ai-je répondu un peu sèchement.

Voilà une journée qui commençait en beauté. Il n'y a rien de pire qu'une mort dont les causes sont inconnues. L'officier a dû voir les têtes qu'on tirait.

- Si j'étais vous je ne m'alarmerais pas comme ça, a-t-il dit. Il vaut mieux attendre les résultats de l'autopsie avant de conclure quoi que ce soit. Et puis, ça fait juste un an que je travaille ici, j'ai peut-être laissé passer quelque chose…

J'ai poussé un gros soupir. Pour couronner le tout j'avais le droit au bleu de service.

- Écoute, petit, demande leur d'en finir avec l'autopsie et reviens nous voir, ok ? Non ! Pas tout de suite ! j'ai grogné alors qu'il commençait à s'éloigner en direction du corps. Quand nous aurons fini. En attendant inspectez tous l'appartement et tenez-nous au courant.

Shiguré a secoué la tête d'un air réprobateur alors que le pauvre type quittait la salle.

- Tu pourrais être un peu plus sympa, Kobayashi.

J'ai haussé les épaules. Je crois bien que Shiguré a encore levé les yeux au ciel, mais il n'a rien dit. Il sait que je suis toujours comme ça, quand on me branche sur une sale affaire. Alors a commencé la routine. Parler aux voisins, vérifier les caméras de surveillance, rechercher d'éventuelles empreintes… je suis sûr que vous avez vu assez de séries policières pour vous faire une idée.

La seule différence avec la télévision c'est que les acteurs finissent généralement par découvrir quelque chose. Pas nous. Après plus d'une heure à tourner en rond (Shiguré a finalement appelé Izuru pour lui dire qu'il serait en retard) nous étions de retour dans le bureau avec Mr. Cadavre.

- Pas de signe d'effraction, les voisins n'ont rien vu, rien n'a été déplacé, a grommelé Shiguré qui devient toujours nerveux quand il attend de voir Izuru. Personne n'a rien remarqué de suspect. T'es sûr que ce type n'est pas tout simplement mort d'une attaque dans son bon vieux fauteuil ?

- Le type du labo a dit qu'ils y avaient pensé.

Je n'étais pas de meilleure humeur. Je déteste les affaires qui stagnent. Et j'avais faim.

- Ce n'est certainement pas une mort naturelle.

Shiguré a soupiré.

- Bon, et le flingue ? On dirai que Masaki l'avait à la main et qu'il l'a laissé tombé, non ?

- Ou bien on l'a placé ici pour nous faire croire qu'il l'avait laissé tomber, ai-je répondu en m'agenouillant à côté de l'arme pour mieux la regarder.

J'ai éternué. Cette odeur bizarre commençait sérieusement à irriter mes narines. Le revolver était tout ce qu'il y a de plus commun. Je l'ai ramassé avec un pan de ma veste pour ne pas y déposer mes empreintes, puis j'ai ouvert le chargeur. Il était plein.

- Peut-être que quelqu'un l'a menacé avec et l'a forcé à avaler du poison ?

- Mais pourquoi laisser l'arme ici, une fois Masaki mort ? a demandé Shiguré. Ce serait plutôt bizarre. D'habitude, les criminels abandonnent leur revolver quand ils veulent faire croire au suicide, mais vu que Masaki est intact, cette hypothèse ne tient pas debout.

- Un point pour toi. Passe moi une pochette.

Il me l'a passée et j'ai mis le flingue dedans. Quand j'ai relevé la tête, Shiguré avait un drôle d'air. Il a levé le nez en l'air et a reniflé quelques secondes.

- Tu sens cette odeur ? Il m'a demandé.

J'ai reniflé aussi, puis éternué encore. Un parfum sucré…

- Ouais, je crois que je fais une allergie. On dirait du parfum… Ça te dit quelque chose ?

- Hum… Tout ce que je eux te dire c'est que c'est un parfum de fleur.

J'ai hoché la tête.

- Après tout, tu en sais sûrement plus que moi sur ce point.

Shiguré a haussé un sourcil.

- Tu insinues quelque chose, Kobayashi ?

J'ai fait quelques pas dans la pièce, cherchant la source de cette odeur.

- Rien du tout.

- Allez, a dit Shiguré, tu penses que c'est normal qu'un homo s'y connaisse en parfums de femmes, c'est ça ?

J'ai essayé de rouler des yeux. Je n'ai vraiment rien contre les homos - après tout, ça fait des années que je bosse avec Shiguré - mais je crois que je n'ai jamais réussi à me débarrasser entièrement de ce genre de préjugés.

- Laisse tomber, okay ?

Il a laissé tomber, mais j'étais sûr qu'à la première occasion, il allait tout raconter à Ayako et qu'ils allaient se foutrent de moi pendant des semaines. Pendant ce temps, j'avais fini par trouver l'endroit où l'odeur devait être la plus forte. Sur les vêtements du mort. J'ai essayé de ne pas trop y penser quand j'ai retiré sa veste au cadavre pour la sentir. Quand j'y suis finalement arrivé, l'officier du labo était de retour. J'ai agité la main en direction du corps.

- Il est entièrement à vous. On en a terminé.

L'officier s'est approché avec un suaire et, à mon grand soulagement, a recouvert le visage du macchabée. Je lui ai tendu la pochette qui contenait le revolver.

- Compris. Qu'est-ce que vous comptez faire de ça ? Il m'a demandé en regardant la veste.

- Sentez la.

Je lui ai passé et il l'a placée sous nez.

- Ça vous dit quelque chose ?

Il a fermé les yeux et inspiré encore une fois.

- C'est une fragrance florale. Pas du parfum. Les parfums sont distillés dans un paquet de produits chimiques et finissent par puer la pisse de chat. Ça, c'est naturel.

- Cette odeur est répandue partout dans la pièce et particulièrement sur le corps. Vous n'avez aucune idée de ce que ça peut être ?

L'officier a secoué la tête.

- Pas la moindre.

Shiguré a haussé les épaules.

- Ne me regarde pas comme ça, je t'ai dit tout ce que je pouvais.

J'ai soupiré. Génial. J'ai toujours exécré les puzzles. Je me suis massé les tempes en essayant d'occulter la pensée du déjeuner.

- C'est sa femme qui a trouvé le corps, n'est-ce pas ? J'ai demandé au type du labo.

- Oui. Si vous voulez lui parler, elle est en haut, chez une voisine.

J'ai fourré la veste dans un deuxième plastique et je l'ai filé à l'officier.

- Faites nous analyser ça et trouvez moi la provenance de cette odeur le plus vite possible. Shiguré, je passe un coup de fil à Ayako et on monte voir. Peut-être qu'on pourra apprendre quelque chose d'intéressant.

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J'ai appelé Ayako pour lui demander ( ne vous avisez jamais de lui ordonner quoi que ce soit si vous voulez garder votre ego intact ) si elle voulait bien faire quelques recherches pour établir un profile complet de Masaki. Elle adore fouiller dans les archives. Tout le contraire de moi, qui préfère toujours être sur le terrain (j'imagine que je suis un homme d'action dans l'âme). Puis Shiguré et moi avons décollé.

Les appartements à l'étage du dessus ressemblaient en tous points à ceux du neuvième. Par contre tout était beaucoup plus calme sans brigade de police fouinant un peu partout en quête d'indices. Il n'y avait qu'un officier qui gardait un œil sur Mme Masaki, laquelle était assise sur le sofa, à côté de sa voisine. Elle portait toujours sa chemise de nuit et sa robe de chambre et ses mains tremblaient.

- Masaki-san ?

Elle nous a regardé et a battu des paupières comme une chouette inquiète. Nous lui avons montré nos badges.

- Je suis l'agent Kobayashi et voici mon partenaire, l'agent Shiguré. Nous voudrions simplement vous poser quelques questions.

Elle m'a jeté ce regard que me réserve normalement les toxicomanes quand ils sont ramassés au petit matin après s'être shootés toute la nuit. J'ai toussoté et fait signe à Shiguré de s'approcher. Il est vraiment gentil, alors je me suis dit que Mme Masaki se sentirait plus à l'aise avec lui. Dommage qu'Ayako n'ait pas été là, je sais que Shiguré n'aime pas trop s'occuper des victimes trop secouées, mais on ne peut pas tout avoir.

Il a pris une chaise et s'est assis devant les deux femmes. La voisine, une jeune femme qui gardait un bras autour des épaules de son amie, s'est un peu détendue en le voyant sourire.

- Je suis sincèrement désolé de ce qui est arrivé, Madame. Nous ferons de notre mieux pour trouver celui qui a fait ça à votre mari, mais nous allons avoir besoin de votre aide pour ça.

Mme Masaki l'a fixé pendant un instant, puis elle a baissé les yeux sur ses mains, posées sur ses genoux.

- Je l'ai trouvé comme ça, a-t-elle murmuré, comme si elle criait. Je suis entrée dans la pièce et il… Il…

Un violent frisson a agité ses épaules. Sa voisine a cherché à la reprendre dans ses bras, mais Mme Masaki a secoué la tête.

- Avez-vous vu ou entendu quelque chose de suspect la nuit dernière, madame ? A demandé Shiguré.

Elle a encore secoué la tête.

- Je lui ai fait à dîner, hier - du poisson à la vapeur, son plat préféré. Je le lui ai amené dans son bureau. Il était assis à travailler mais au moment où j'ai ouvert la porte, il s'est retourné et il a pointé son revolver sur moi…

- Son revolver ? L'ai-je coupée aussitôt.

Mme Masaki a sursauté et Shiguré m'a jeté un regard noir. Je suis plutôt bon quand il s'agit d'interroger des suspects, parce que je n'ai pas besoin de mettre des gants et ça s'accorde mieux avec mon caractère. Malheureusement on ne peut pas utiliser la même tactique avec les victimes. Shiguré a détourné la tête. Je pouvais dire à la position de ses épaules que je ferais mieux de la fermer jusqu'à la fin de l'entretien si je ne voulais pas être décapité.

- Vous disiez, son revolver, Masaki-san ? A repris Shiguré.

- Oui. Il l'a acheté il y a trois jours.

- Il y avait une raison particulière à cela ?

Les yeux de Mme Masaki se sont faits distants.

- Eh bien, ces derniers jours, Kubo-san était très à cran. Il ne voulait plus sortir et il ne cessait de répéter que quelqu'un "cherchait à l'avoir"… J'ai essayé de le convaincre que c'était ridicule - Ce n'est pas la première fois qu'on le menace et rien ne s'est jamais passé - mais il ne voulait pas m'écouter. Il a commandé une arme. Il a même changé les codes de l'alarme et il a fait venir les serruriers pour qu'ils posent de nouveaux verrous. J'ai eu du mal à m'adapter à ce système compliqué… Alors j'ai commencé à m'inquiéter. Mais jamais je n'ai pensé que… Que quelqu'un viendrait pour…

Elle a ravalé un sanglot puis s'est redressée.

- Vers la fin, Kubo-san est devenu complètement paranoïaque. Il s'enfermait dans son bureau pendant des heures avec son arme. Il n'arrêtait pas de répéter que quelqu'un aller venir, qu'il allait être assassiné.

- Et il savait qui ? A demandé Shiguré.

Elle a secoué la tête.

- Je ne sais pas. Il disait "quelqu'un" mais il n'a jamais donné de nom. Je… je croyais qu'il devenait fou.

- Vous avez dit que ces derniers jours il était particulièrement à cran, je lui ai dit. Est-ce que quelque chose pourrait le justifier ? Un changement subit ?

- Non, je ne vois pas. À part ce jour là, il est rentré d'un congrès et il s'est précipité dans l'appartement. Il était pâle et il tremblait. J'ai pensé qu'il était malade, mais il m'a hurlé de le laisser tranquille et il s'est enfermé dans son bureau. J'ai appelé Sérika, son assistante personnelle qui est aussi une de mes amies, mais elle m'a dit que Kubo-san allait très bien lorsqu'il avait quitté la réunion.

Donc, quelque soit la chose qui avait terrorisé Masaki, elle était arrivé sur le chemin du retour. Nos chances de retrouver des témoins ou n'importe quel indice après tout ce temps étaient très minces. J'ai échangé un regard avec Shiguré.

- Donc la semaine avant la mort de votre mari, vous n'avez pas quitté cet immeuble ?

- C'est ça. Kubo-san ne sortait presque jamais de son bureau et je ne descendais que pour aller à la lingerie et dans les couloirs.

- Avez-vous reçu des visiteurs?

- Non.

- Pas même un facteur ou un livreur ?

- Toutes les petites livraisons sont montées aux étages par le treuil, a expliqué la voisine qui n'avait pas encore ouvert la bouche. Pour le courrier ou la nourriture, il faut descendre les chercher au rez-de-chaussée.

Shiguré a hoché la tête puis s'est retourné vers Mme Masaki.

- Donc personne n'est entré dans votre appartement. Vous n'avez pas remarqué quelque chose de bizarre dans le quartier ? Ou bien un étranger dans l'immeuble ?

Mme Masaki a fait non de la tête. Shiguré a regardé la voisine qui a eu l'air un peu décontenancée.

- Euh… Non, je n'ai rien vu d'inhabituel non plus.

J'ai soupiré sans pouvoir m'en empêcher. Nous avions déjà demandé aux autres locataires et aux agents de sécurité s'ils avaient vu d'éventuels rôdeurs et personne n'avait pu nous renseigner.

- Pour en revenir à la nuit dernière, pouvez-vous nous dire précisément ce qui s'est passé?

Mme Masaki a fermé les yeux.

- Je lui ai préparé à manger et je le lui ai amené. Kubo-san m'a effrayé en braquant son pistolet sur moi quand j'ai ouvert la porte et j'ai renversé sa soupe. J'ai nettoyé et il est resté immobile à me regarder, son arme toujours en main. Il n'a pas touché à son dîner et il m'a finalement demandé d'enlever le plateau. Je l'ai laissé seul et il a refermé la porte derrière moi. Je me suis mise au lit.

- Quelle heure était-il ?

- Je me suis endormie vers onze heure, un peu plus tard que d'habitude. Kubo-san était toujours dans son bureau. Il n'est pas venu se coucher, mais ça ne m'a pas étonnée. Il travaille souvent très tard.

- Et vous n'avez vraiment rien entendu pendant la nuit ? A demandé Shiguré.

- Non. J'ai attrapé froid et mes médicaments m'assomment. Je dors tellement profondément que je me suis réveillée très tard plusieurs fois cette semaine.

- À quelle heure vous levez-vous, le matin ?

- Normalement vers sept heure, mais comme je vous l'ai dit, je dormais si bien que je ne me suis pas levée avant neuf heure au moins.

- Et il n'y avait rien de bizarre quand vous vous êtes réveillée ? j'ai dit.

- La porte du bureau était fermée et verrouillée. Après la scène de la veille, j'ai pensé qu'il ne voulait pas être dérangé du tout alors je n'ai pas frappé. Je me suis préparé et j'ai fait son petit déjeuner. À dix heure moins le quart il n'était toujours pas sorti et il ne répondait pas quand je frappais à sa porte. Alors j'ai été chercher le double de sa clef pour ouvrir et là… J'ai vu… j'ai vu…

- Ça va aller, a gentiment assuré Shiguré comme elle s'apprêtait à s'écrouler à nouveau.

Si ce corps m'avait effrayé, moi qui ait l'habitude des macchabées, j'imagine ce que cette femme a dû ressentir à cet instant.

- Nous retrouverons le meurtrier, madame, a dit Shiguré. Nous le retrouverons.

J'ai haussé un sourcil alors que Mme Masaki se remettait à pleurer sur l'épaule de sa voisine. Nous essayons toujours de faire de notre mieux pour satisfaire les proches éplorés dans ces cas là, mais, honnêtement, nos efforts ne sont pas forcément récompensés et beaucoup d'affaires ne finissent pas dans la section 'classées'. Et je peux vous dire que Shiguré était à peu près aussi confiant que moi sur ce coup, c'est à dire pas beaucoup.

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- Je n'aime pas ça, je n'aime pas ça du tout…

Shiguré continuait à marmonner alors que nous avions enfin quitté les lieux du crime et qu'il s'était installé avec son cher okonomiyaki pour le déjeuner.

- Ne fais pas cette tête là, Maé…

Izuru, qui était assis sur le banc à la droite de Shiguré qui se débattait toujours avec son repas s'est penché sur pour poser la tête sur son épaule.

- Est-ce que vous pourriez éviter de faire ça en public, vous deux ? Leur ai-je lancé, exaspéré, en essayant de ne pas regarder. Bien sûr, ils m'ont ignoré, comme d'habitude. Je me demande pourquoi je prends la peine de leur faire des remarques.

Je n'oublierai jamais cette après midi là, quand j'ai appris que Shiguré était gay. On travaillait ensemble depuis quatre ou cinq mois à l'époque et on avait pris l'habitude l'un de l'autre. J'aimais bien Shiguré, alors quand il m'a demandé de déjeuner avec lui et son ami, qui revenait justement de voyage, j'ai accepté de bon cœur. On est allé dans un snack quelque part - eh oui, on est jamais que flics - et on s'est assis en attendant son copain, Izuru. Il est finalement arrivé, un type séduisant et bien habillé, un peu plus vieux que Shiguré qui portait un appareil photo professionnel. Je me rappelle m'être retourné quand Shiguré a agité la main puis s'est levé. J'ai été surpris de le voir quitter la table pour aller à sa rencontre. Bon, je me suis dit, c'est qu'ils sont bons amis. Puis Shiguré l'a pris dans ses bras. D'accord, se sont des amis intimes. Et puis, là, au milieu du restaurant, Shiguré a pris l'appareil des mains d'Izuru, a passé ses bras autour de son cou et l'a embrassé. Sur la bouche.

Ayako s'est bien foutue de moi quand je lui ai raconté. Elle m'a dit qu'elle avait su dès la première seconde, quand Shiguré avait passé la porte avec son ordre de transfert, que mon nouveau partenaire conduisait de ce côté là de la route. Eh bien, merci de m'avoir prévenu !

Enfin, ça m'a pris un peu de temps (d'accord, peut-être plus qu'un peu) pour me sentir parfaitement à l'aise quand je pensais que mon collègue vivait avec son petit ami depuis plusieurs années, mais aujourd'hui, si j'entends un officier faire un commentaire désagréable sur le sujet, je suis le premier à lui dire de la fermer. Ce qui ne veut pas dire que je ne suis pas gêné quand Shiguré et Izuru se font des câlins dans un lieu public.

Heureusement, quand Izuru a estimé qu'il avait remonté le moral de Shiguré, il est redevenu sérieux.

- Alors, tu as une idée de ce qui aurait pu se passer, Kobayashi ?

J'ai jeté les restes de mon déjeuner dans la poubelle à côté de moi avant de me rasseoir. Nous étions dans un parc, en face d'une immense école, et ça faisait du bien même si on se les gelait sérieusement. Au moins il ne neigeait pas.

- Rien de bien concluant, ai-je répondu.

Normalement, ce genre d'affaires comportent des détails confidentiels qu'on ne doit pas dévoiler aux civils, mais on peut faire confiance à Izuru, il nous a même fait quelques photos pour le labo, le jour où le type qui s'en charge d'habitude était malade. Et puis c'est parfois utile d'avoir un point de vue extérieur.

- Apparemment, Masaki savait qu'il était en danger de mort et il avait assez la trouille pour s'acheter un flingue pour se protéger. Pas la moindre trace de lutte ou d'effraction chez lui, ce qui veut dire que celui qui a réglé son compte à Masaki est un as ou bien qu'il a très soigneusement effacé tous les signes de son passage. Il y a une odeur de fleur qui empeste dans tout l'appart' et personne ne sait ce que c'est. S'il te vient une idée géniale sur ce point, n'hésite pas à m'en faire part.

- Ça pourrait être une femme? a demandé Shiguré. Il y a ce parfum bizarre partout sur les vêtements et puis l'empoisonnement, c'est une technique féminine.

- Une maîtresse jalouse ?

Izuru a haussé les épaules.

- On ne sait jamais. Mais ça me paraît un peu étrange que Masaki ait été aussi effrayé par une femme, surtout s'il s'agissait d'une ancienne amante. Enfin, personnellement, je ne me sens pas particulièrement bouleversé par la mort de Kubo Masaki. J'ai couvert une de ses campagnes, parce qu'ils avaient besoin de photos. Les trucs que je l'ai entendu dire ne laisse pas planer le doute…

- Ce qui veut dire ? A interrogé Shiguré.

- En gros c'est un connard nationaliste et isolationniste.

- Ah oui ? Ai-je fait, intéressé. Alors qu'est-ce qui le différencie des autres groupes d'extrême droite ?

- Eh bien contrairement à ceux qui arpentent les rues dans des rolls noires en hurlant des slogans ridicules à travers leurs mégaphones, Masaki a un plan précis et un cerveau dont il se sert. Correction : avait.

- Ah… a fait Shiguré. Comment était ta séance, aujourd'hui ?

- Super ! Je te montrerai les clichés quand j'aurais fini de développer.

Izuru, comme vous avez dû le deviner, est un photographe professionnel. Je ne m'y connaît pas trop, mais il fait de très beaux clichés noirs et blancs. Je crois qu'il a fait quelques bouquins avec et qu'il en a tiré un profit honnête. Je les ai vu quand je suis allé chez Shiguré et lui, ils ont tout une étagère recouverte d'albums. J'ai feuilleté la plupart d'entre eux, mais il y en a certains que Shiguré n'a pas voulu que je regarde. Quand je lui ai demandé pourquoi, il a eu un air béat qui m'a fait comprendre qu'au fond, je n'avais pas vraiment envie de les voir…

J'allais appeler Ayako sur mon portable pour lui demandé si elle avait fait des progrès avec le profile de Masaki quand Shiguré a soudainement montré les portes de l'école du doigt.

- Hé, ce serait pas Shiro ?

J'ai tourné les yeux dans la direction qu'il indiquait. Shiguré avait raison. Le petit gamin maigrichon qui attendait devant la porte était bien Kamui Shiro. Izuru a regardé son fiancé.

- Shiro ? Le garçon dont tu m'as parlé ? Celui qui était mignon et qui accompagnait une victime de viol ?

- Ouaip, a confirmé Shiguré. Laquelle victime nous avons failli inculper pour meurtre mais que nous avons dû laisser partir.

- Enfin qu'on a dû laisser se faire emmener, plutôt, ai-je grogné.

Ça, c'était une affaire que je n'étais pas près d'oublier, et pas seulement parce que ça ne faisait pas une semaine qu'on avait bouclé le dossier. Shiro et une femme appelée Karen Kasumi avaient débarqué au poste le matin de Noël en traînant derrière eux un de leurs amis, Subaru Suméragi, parce qu'il pensaient qu'il avait été agressé. Pour simplifier les choses, un macchabée est venu se mêler de tout ça et a changé notre enquête sur une agression en investigation sur un meurtre. Mais Suméragi n'était même pas l'assassin. Il a fallu qu'un troisième type s'embarque là dedans, lui et sa relation tordue avec notre suspect, un troisième type que je n'appréciais pas du tout. Le genre de mec que j'aurais adoré pouvoir mettre à l'ombre.

- Ah, a dit Izuru avec un air entendu (apparemment, Shiguré lui avait raconté toute l'histoire). Hé, qu'est-ce qui se passe ?

- Hum ?

Je me suis retourné vers Shiro. Il n'était pas seul. Un autre garçon, plus grand avec des cheveux sombres bizarrement coiffés, était à côté de lui. Vu la façon dont Shiro se tenait, comme s'il était prêt à s'enfuir à toutes jambes, je pense qu'il n'était pas très content de le voir.

- Oh oh… Le caïd du lycée ?

- On dirait.

Les yeux de Shiguré se sont amincis quand le grand garçon a plaqué Shiro contre un mur et s'est penché sur lui d'un air menaçant. Il a sorti son badge de sa poche.

- Viens, Kobayashi.

Avant que j'ai pu dire quoi que ce soit, Shiguré s'est dirigé vers eux, Izuru sur ses talons. J'ai levé les yeux au ciel et je les ai suivis. Comme je l'ai dit, Shiguré est vraiment un mec sympa, mais quand même…

Apparemment, on est arrivés juste à temps. Le garçon aux cheveux pointus avait posé sa main sur l'épaule de Shiro et commençait à serrer très fort. Le gamin avait l'air d'une demoiselle en détresse. D'accord, ça n'est pas très flatteur pour son ego de mâle, mais c'est vraiment à ça qu'il ressemblait. Shiguré a hâté le pas et il a tapoté l'épaule de l'autre garçon.

- Hé, Qu'est-ce qui se passe ici ? Il a demandé.

Le Caïd s'est retourné et lui a jeté un regard désintéressé. Il était vraiment grand pour son âge, puisqu'il pouvait regarder Shiguré dans les yeux. Il a eu ce sourire typique des jeunes conducteurs qui se font coincer par des flics pour excès de vitesse. Ils pensent qu'ils sont plus malins que nous, mais ils perdent généralement leur air goguenard quand on leur colle une contredanse.

- Police.

Shiguré a montré son badge en essayant de regardé le garçon de haut. Il ne me plaisait vraiment pas. En fait, il me rappelait bizarrement ce tueur en série que j'avais mis en taule il y a deux ou trois ans.

- Tu ne veux pas avoir d'ennuis, n'est-ce pas ?

Le Caïd n'a pas bougé. Derrière lui, Shiro avait l'air au bord de la syncope, tellement il était pâle. Izuru a regardé l'un, puis l'autre, puis finalement il s'est avancé pour se placer entre Shiro et son 'agresseur'. J'ai sorti mon badge à mon tour, en m'assurant bien que mon flingue ne passerait pas inaperçu.

- Allez, petit, j'ai dit, va-t'en et on ne t'inculpe pas pour tentative d'agression.

Le Caïd m'a regardé avec des yeux vides. Plutôt effrayants, les yeux. Et puis il s'est mis à rigoler. Il s'est tourné vers Shiro :

- Eh bien on dirait qu'il va falloir remettre notre petite 'conversation' à plus tard… a-t-il dit avec un horrible sourire.

Shiro l'a regardé avec méfiance comme il se retournait pour partir, fourrant ses mains dans ses poches.

- À bientôt, Kamui.

Shiguré et moi avons bien vérifié qu'il disparaissait au coin de la rue avant de nous tourner vers le gamin rudement éprouvé.

- Tout va bien, Shiro-kun ? A demandé Shiguré.

Shiro, qui regardait toujours le mur derrière lequel l'autre type avait disparu, a sursauté quand on lui a adressé la parole.

- Euh… Oui, ça va, a-t-il bafouillé.

Izuru s'est mis à rire.

- Je vois ce que tu voulais dire par 'mignon', Maéda.

Shiro a viré écarlate et j'ai fusillé Izuru du regard avant de me détourner. Il y avait trois personne qui couraient vers nous, trois adolescents en uniforme scolaire. Le premier était un jeune homme avec une cravate mal nouée et une casquette à l'envers. Venait ensuite une fille, très jolie avec de longs cheveux noirs. La dernière était une fille un peu plus jeune avec un carré et de très grands yeux inquiets.

- Kamui-chan ! A crié la petite en s'arrêtant net devant Shiro. Est-ce que ça va ?

Les deux autres se sont arrêtés juste derrière, la même expression anxieuse sur le visage. Shiro a hoché la tête et ils ont laissé échappé un soupir de soulagement général. Puis ils nous ont regardés.

- Qui êtes-vous ? A demandé le jeune homme un peu brusquement. Il avait l'accent du Kansaï.

Shiguré lui a montré son badge.

- Police. Nous avons vu ce qui se passait alors nous sommes venus aider Shiro-kun.

La fille aux longs cheveux a froncé les sourcils.

- Tu connais ces agents ? A-t-elle demandé à Shiro.

- Je ne suis pas un agent, a fait remarqué Izuru tout en montrant Shiguré du doigt. Je suis avec lui.

Shiro nous a regardés un long moment avec ses immenses yeux violets avant d'ouvrir enfin la bouche.

- Ce sont les détectives Kobayashi et Shiguré. C'est eux que Karen et moi avons vu quand nous avons emmené Subaru au poste de police.

- Oh ! S'est exclamé la petite fille. Enchantée, Monsieur l'Officier !

Elle était mignonne. J'ai essayé de lui rendre son sourire, mais je ne suis pas doué avec les enfants.

- Bon, comment ça va depuis la dernière fois ? A demandé Shiguré. Tout se passe bien ?

Shiro a cligné des yeux comme s'il se demandait si c'était vraiment à lui qu'on s'adressait.

- Ou-oui…

- Il est toujours en un seul morceau, c'est ce qui compte ! a dit l'autre garçon avec un rire nerveux.

Je connais ce genre de rire, j'en entends souvent. Dès que les gens voient des policiers ils se mettent à angoisser et se demandent ce qu'ils ont fait ou pas fait. Comme ces conducteurs qui ralentissent jusqu'à concourir avec des escargots asthmatiques quand ils voient une voiture de police.

- La ferme, Sorata, a murmuré Shiro.

La fille aux longs cheveux a poussé un soupir exaspéré et 'Sorata' a eu l'air blessé à mort. Ça m'avait tout l'air d'un amour à sens unique.

- Et Suméragi-san ? A continué Shiguré. Comment va-t-il ?

Les yeux de Shiro ont hésité entre ses amis et nous.

- Il va… bien.

Shiguré lui a fait un beau sourire.

- Ça me fait plaisir. Je n'étais pas vraiment tranquille, parce qu'il n'avait pas l'air très bien quand Sakurazuka l'a emmené au…

- Quoi ?!

Shiguré, Izuru et moi l'avons regardé sans comprendre. Il nous fixait avec une sorte d'horreur figée, le visage transparent de blancheur, les yeux prêts à bondir hors de leurs orbites. Les trois autres n'avaient pas l'air mieux.

- Qui a emmené Subaru ? a sifflé Shiro.

Ok, je retire ce que j'ai dit sur la demoiselle en détresse. Shiguré m'a lancé un regard étonné.

- Seïshiro Sakurazuka est venu au poste pour chercher Suméragi-san. Vous savez, ce type un peu froid avec des yeux bizarres… la voix de Shiguré s'est éteinte quand il a regardé les dernières traces de couleurs disparaître des joues déjà translucides de Shiro. Hum, il ne vous a pas prévenus ?

Le garçon appelé Sorata n'avait pas l'air content du tout.

- Et vous avez laissé Subaru partir avec lui ? Il a demandé, incrédule.

J'ai haussé un sourcil. Là, les choses commençaient à devenir intéressantes. On dirait que les amis de Shiro savaient quelque chose, eux aussi.

- Nous n'aurions pas dû ? Ai-je contré en essayant de ne pas penser que je m'étais dit exactement la même chose en regardant Sakurazuka s'éloigner avec Suméragi, sa main posée sur son cou contusionné. Visiblement Suméragi-san connaissait cet homme et il n'a pas fait de difficultés pour le suivre. Et puis, c'est bien vous, Shiro-kun, qui nous avez conseillé de chercher Sakurazuka pour lui parler, non ?

Ça a été au tour de Shiro d'être le point de convergence des regards.

- Tu as fait quoi, Kamui ? A fait Sorata, ébahi.

- Mais… A dit la petite aux grands yeux angoissés, Est-ce que le Sakurazukamori…

Sans préambule, la fille aux longs cheveux a fait volte-face.

- Yuzuriha-san, a-t-elle dit d'une voix basse, mais menaçante.

Sakurazukamori ? Qu'est-ce que c'était que ça ? J'ai rangé ce mot dans un coin de ma tête avec la ferme intention de l'examiner plus tard.

- C'est quoi un Sakurazukamori ? A demandé Shiguré.

Aucun des gamins ne lui a répondu. En fait, ils commençaient à avoir l'air sacrément nerveux. Puis la jolie fille a pris 'Yuzuriha' par le bras et a tapoté l'épaule de 'Sorata'.

- Excusez-nous, messieurs, elle a dit calmement, il va nous falloir repartir en cours.

'Sorata' l'a regardé bizarrement puis il a hoché la tête.

- Oui, oui, on va être en retard, n'est-ce pas, Kamui ?

Il a eu un rire tendu puis il a agrippé Shiro et l'a traîné derrière lui. Le gamin continuait à nous envoyer ce regard assassin, tellement glacial que j'en ai encore des frissons.

- Allez, Kamui…

'Yuzuriha' nous a fait un signe de la main.

- Au revoir, Messieurs les Officiers !

Shiguré et Izuru ont répondu en agitant la main à leur tour. J'ai essayé aussi mais ce n'était pas très concluant. Nous les avons suivis du regard pendant qu'ils disparaissaient le plus rapidement possible derrière les portes du lycée. Izuru a regardé sa montre d'u air perplexe.

- C'est bizarre, je croyais que la pause durait encore au moins une demi-heure.

- Peut-être qu'ils ont changé les horaires depuis que tu n'es plus à l'école, a remarqué Shiguré.

Izuru a froncé les sourcils en regardant les lourdes portes.

- Est-ce que c'est moi ou bien ils avaient l'air plutôt effrayés ?

- De quoi ? Que Suméragi soit parti avec Sakurazuka ?

- Non, ce machin, " Sakurazukamori"…

Shiguré et moi nous sommes regardés. Puis Shiguré a fait un grand sourire et il embrassé Izuru.

- Tu es tellement intelligent, parfois, j'ai envie de…

J'ai poussé un ostensible grognement et Izuru s'est mis a rire.

- Est-ce que vous pourriez vous abstenir ?

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Ayako, avec son efficacité habituelle, nous attendait avec une pile de dossiers d'une taille appréciable quand Shiguré et moi sommes revenu après avoir déposé Izuru à la gare.

- Eh bien vous y avez mis le temps, elle a dit sans même relever les yeux de son bureau.

- Désolé, j'ai dit en posant un bentô sur son bureau. On a rencontré quelqu'un.

- Ah ? (Elle a jeté un œil au bentô puis elle s'est remise à lire) Qui ça ?

Je l'ai regardée.

- Shiro Kamui.

- Comment va-t-il ?

- Comme un charme, si tu ne comptes pas ses altercations avec le caïd de son lycée, a dit Shiguré en prenant une chaise. Mais on a quand même découvert quelque chose. Apparemment, Suméragi a dit à Shiro qu'on l'avait laissé partir parce qu'on n'avait pas assez de preuves. Il n'a rien dit sur Sakurazuka.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Que Shiro ne savait pas que Sakurazuka était venu avant qu'on le lui dise.

Ayako a levé les sourcils et repoussé ses dossiers.

- On dirait que Suméragi ne veut pas ébruiter sa relation avec cet homme.

- Ça ne m'étonne pas, ai-je grogné en délogeant une deuxième chaise pour m'asseoir. Shiro avait l'air prêt à nous égorger quand on le lui a dit. Et pas que ça. Shiro étaient avec quelques amis et ils avaient l'air de connaître Sakurazuka aussi. En tout cas, ils en savaient assez pour que l'idée de voir Suméragi partir avec lui ne leur plaise pas du tout.

Ayako a froncé les sourcils et s'est mise à tapoter le bord de sa lèvre avec son crayon.

- Pourquoi, à ton avis ?

- Tu as vraiment besoin de poser la question ? Tu l'as vu, non ? A répondu Shiguré. Ce type donne tout son sens à l'expression "la beauté du diable". Et ne me dis pas que tu penses que Sakurazuka n'a rien à voir avec le meurtre de Tanaka.

- On a déjà parlé de tout ça, Shiguré, ai-je remarqué. Nous n'avons pas de preuves suffisantes. Depuis le temps que tu travailles avec ces avocats, ces procureurs et que tu assistes à des procès, tu devrais savoir que pour inculper quelqu'un de meurtre, il te faut des preuves qui écrasent littéralement le 'doute valable' du jury. Même si Sakurazuka avait le pire défenseur de la ville - ce qui, soit dit en passant, ne risque pas d'arriver - nos pauvres indices ne convaincraient personne.

- Eh bien moi, je crois que tu te trouves une excuse pour ne pas arrêter ce type, parce qu'il te fout les jetons.

Ayako a levé les yeux au ciel.

- Votre conversation est passionnante, messieurs, mais est-ce que vous n'oublieriez pas que Kubo Masaki est en ce moment même au labo en train de se faire découper par les légistes et que vous êtes supposés trouver pourquoi ?

Shiguré a grimacé.

- Merci pour la brillante description.

- D'accord, d'accord… (je me suis assis correctement sur ma chaise en essayant de sortir Subaru Suméragi et son petit copain obsédé de ma tête) Alors, qu'est-ce que tu as trouvé, Ayako ?

Elle a ramassé le dossier qu'elle était en train de regarder.

- Comme l'a dit Mme Masaki, son mari a reçu plusieurs menaces de mort, mais trois seulement ont été enregistrées. Deux provenaient de groupes extrémistes mais apparemment elles n'ont pas été prises très au sérieux et les responsables ont été retrouvés et inculpés. La troisième était plus importante et la police a dû protéger les Masaki pendant un moment en attendant que l'affaire soit réglée. Ce qui n'a pas tardé. Aucune autre menace n'a été rapportée à la police depuis. Masaki n'a jamais eu l'air particulièrement inquiet et il s'est même servi de cette dernière affaire pour se faire de la pub.

- On dirait qu'il n'était pas facile à effrayer, ai-je commenté. Alors qu'est-ce qui l'a fait flipper comme ça ?

- D'après ce que sa femme a dit, on dirait qu'il connaissait son assassin, a dit Shiguré. Qu'est-ce qu'elle nous a dit, déjà ? Qu'il était "très à cran" et qu'il répétait que quelqu'un "cherchait à l'avoir", non ?

Ayako s'est renversée dans sa chaise.

- Si Masaki avait aussi peur de celui qui "cherchait à l'avoir", j'imagine que ce tueur devait avoir une sacrée réputation. D'après ce que vous m'avez dit de la réaction de Masaki quand il a été menacé, je ne pense pas qu'il s'agissait de quelqu'un qu'il connaissait personnellement, donc faire une enquête parmi ses accointances ne nous aidera pas beaucoup. Ça voudrait dire… (elle nous a lancé un regard songeur) Que nous recherchons quelqu'un que Masaki n'a jamais rencontré. Enfin, jusqu'à hier soir.

- Un tueur à gages ? A suggéré Shiguré.

- Mais on a cherché partout dans l'immeuble et dans l'appartement, ai-je fait remarquer, et il n'y a pas la moindre trace d'effraction. Rien qui indique une quelconque violence, pas de dommages. Forcément, l'assassin a dû s'introduire chez Masaki d'une autre façon. Ou qu'il a été introduit. Puisque Masaki est mort après que sa femme s'est couchée, on peut sans doute rayer la femme de ménage, les commis, le facteur et tout ce qui s'en suit. Logiquement, ça devrait être quelqu'un qu'il connaissait assez pour le faire entrer.

- Mouais, mais si Masaki a pointé son flingue sur sa propre femme, a dit Shiguré, si il était assez parano pour manquer de tirer sur quelqu'un avec qui il vit depuis des années, il n'allait sûrement pas ouvrir sa porte au premier venu. Peut-être que le tueur est entré à son insu, mais sans laisser de traces. En crochetant la serrure, par exemple.

- Cet appartement avait le système de sécurité le mieux équipé que j'ai vu. Une vraie base navale. Et il a sûrement était renforcé encore quand Masaki a reçu cette dernière menace. La seule façon d'entrer, c'est par la porte et aucune des alarmes qui y étaient rattachées ne se sont déclenchées. Plus, le concierge et le portier n'ont vu personne dans les couloirs.

- Et les caméras de sécurité ? A demandé Ayako.

- On les a récupérées, mais il y a dix heures d'enregistrement de quatre caméras différentes à visionner, depuis le moment où Mme Masaki et allée se coucher jusqu'à son réveil. Je les regarderai pour déterminer une tranche horaire un peu plus réduite que ça. Mais pour le moment, ce qui m'inquiète le plus c'est comment le tueur est entré.

- Les fenêtres ? A proposé Ayako.

- L'appartement est au neuvième étage et les fenêtres ne s'ouvrent qu'en tabatière.

- Donc la porte s'est gentiment ouverte pour laisser entrer notre assassin ? A fait Shiguré, sarcastique. Allez les gars, un peu de bon sens ! Par exemple, est-ce que personne d'autre n'a accès à l'appart', un ami ou un parent à qui Masaki aurait filé la clé ou le code de l'alarme ?

- Impossible. Masaki était un paranoïaque de première. Tu vois bien qu'il a fait changer tout son système, les alarmes, les serrures… Même si quelqu'un avait eu les clefs, elles n'étaient sûrement plus bonnes.

- Mais Mme Masaki a dit que le bureau était verrouillé quand elle s'est levée et qu'elle a dû prendre un double de la clef pour ouvrir. Le tueur avait forcément la clef s'il a pu fermer la porte derrière lui.

- Bon, donc, selon nos hypothèses, c'est un hybride, ai-je grogné. Quelque chose entre un tueur à gages et une connaissance personnelle de Masaki et on n'est pas prêts de trouver un raisonnement assez convaincant pour exclure l'un des deux.

- Ce n'est pas bête, a dit Ayako. Peut-être que c'est bien les deux à la fois. Une connaissance de Masaki pourrait avoir engagé un tueur pou l'exécuter et lui avoir fourni assez d'information pour lui permettre de s'introduire dans l'appartement.

- Ça n'explique pas comment un assassin que Masaki n'avait jamais rencontré mais dont il savait assez pour se barricader dans son bureau pendant une semaine a réussi à déjouer le nouveau système de sécurité dont seuls Masaki et sa femme connaissaient les codes et à entrer dans le bureau pour achever sa victime, on ne sait pas comment, sans même réveiller la femme qui dormait trois mètres cinquante plus loin. Sans compter le verrouillage de la porte post-mortem.

- Et si c'était la femme elle-même ?

Shiguré et moi avons regardé Ayako. Elle a haussé les épaules.

- On est tous d'accord que c'est très difficile pour un étranger d'entrer dans cet appartement et de tuer Masaki… Alors, peut-être que ce n'était pas un étranger ? On ne s'est basés que sur le témoignage de cette femme et, apparemment, ça ne nous mène nulle part.

- C'est… Possible, j'ai fait, plutôt dubitatif. Mais elle n'avait vraiment pas l'air d'une meurtrière. À quoi lui servirait de trucider son mari ?

- C'est vrai qu'elle n'en a pas l'air, mais il arrive souvent que le coupable soit le dernier suspect en liste, a dit Shiguré.

- Alors il va falloir faire quelque recherches, a conclu Ayako en se redressant. Les circonstances du mariage, des informations de la famille et des amis du couple, bref, je veux un topo complet sur les Masaki le plus vite possible. Les médias sont déjà sur l'affaire et j'aimerais bien qu'on ait avancé un peu avant qu'ils viennent mettre le bordel…

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- Kyoko-san, une suspecte ? C'est une plaisanterie !

J'ai haussé les épaules pour souligner ma neutralité. Nous étions au bureau de Masaki, en plein entretien avec Sérika Ono, son assistante. C'était une jolie femme qui dérivait sur la trentaine.

- Nous cherchons simplement à éclaircir chaque possibilité, Ono-san, a dit Shiguré.

- Eh bien c'est tout éclairci. Vous pouvez d'ores et déjà rayer Kyoko de votre liste.

Ono réorganisait ses dossiers, classant une montagne de paperasse. J'ai eu l'impression qu'elle avait désespérément besoin de s'occuper le mieux possible alors qu'elle tentait d'accepter la mort de son patron. Ou bien elle essayait juste d'ignorer les rugissements du troupeau de journalistes déchaînés qui campaient devant l'immeuble. Il avait fallu se frayer un chemin à la force de nos bras et supporter quelques coups de micros dans la figure pour en arriver là.

- Je n'arrive toujours pas à y croire… Masaki-san, mort ? Qu'est-ce que nous allons devenir, maintenant ?

- Vous n'aurez aucun mal à trouver un autre emploi, ai-je dit, pour la réconforter.

Elle m'a lancé un regard assassin.

- Ce n'est vraiment pas ce qui m'inquiète, pour le moment. Je voulais dire, que va devenir le projet de Masaki-san, ce pour quoi il s'est battu durant toutes ces années ?

Shiguré a froncé les sourcils.

- Et pourquoi se battait-il ?

- Un meilleur avenir (Ono a posé ses dossiers, les yeux flamboyants). Vous voyez l'état des choses, dans notre pays. Les mœurs des générations d'aujourd'hui. La façon dont ces nations que nous avons si longtemps dominées nous traitent à présent. Washington ose intervenir dans notre politique économique parce qu'elle ne lui convient pas ! Nous devons retrouver notre fierté nationale.

J'ai échangé un regard inquiet avec Shiguré, les sourcils levés. Il a levé les yeux au ciel. Aucun doute, c'était un parfait discours idéaliste-extrémiste, vous savez, ce genre de truc qui a causé pas mal de problèmes il y a une cinquantaine d'années. Ça doit être la raison pour laquelle je n'aime pas la politique.

- Hum, Ono-san, pour en revenir à Kyoko Masaki… Que disiez-vous à son propos ?

Ono a sourit. Elle avait l'air plutôt gentille quand elle ne se perdait pas dans ses discours.

- Kyoko est une femme traditionnelle. Obéissante, dévoué, réservée, elle lui offrait toujours son soutien. Jamais elle n'aurait pu lui faire le moindre mal.

- Ah, ai-je soupiré.

C'était la troisième fois qu'on me faisait cette description de Mme Masaki. D'abord les voisins, puis un associé de Masaki avec lequel nous avions discuté et maintenant… Comme je le pensais, Mme Masaki n'était pas le genre de femme à assassiner son mari.

- Que s'est-il passé la dernière fois que vous avez vu Masaki ? Quelque chose vous a semblé bizarre ?

Elle a secoué la tête.

- Pas du tout. Il y avait une réunion, puis j'ai apporté son courrier à Masaki-san pendant qu'il rangeait ses affaires avant de rentrer. Il l'a pris et m'a congédiée pour la journée en me disant qu'il m'attendait le lendemain matin, comme d'habitude. Tout était parfaitement normal jusqu'à ce que j'arrive au bureau, le jour suivant. Kyoko m'a appelée pour me dire que son mari ne pourrait pas venir, qu'il ne se sentait pas bien. C'était la pagaille, annuler tous ses rendez-vous… Mais je pensais qu'il serait de retour le lendemain. (elle a secoué la tête) Ce n'était pas le cas. Kyoko m'a téléphonée tous les matins les quatre jours qui ont suivi pour me prévenir qu'il ne viendrait pas. Quand je lui demandais ce qui n'allait pas, elle me répondait simplement qu'il était malade.

- Est-ce que Mme Masaki était… agitée ? A demandé Shiguré.

Ono a acquiescé.

- Je connais Kyoko depuis que je travaille avec Masaki-san. Plusieurs années. Il m'arrive de la voir en dehors du travail, pour déjeuner. Ces derniers jours, elle avait l'air effrayée. Elle essayait de me le cacher, mais ça n'a pas marché. Elle insistait un peu trop pour me convaincre que tout allait bien.

Jusqu'ici, tout coïncidait parfaitement avec ce que Mme Masaki nous avait dit sur son inquiétude croissante. Je m'apprêtais à poser d'autres questions sur elle quand mon portable s'est mis à sonner. Je l'ai ouvert et je me suis éloigné poliment pour laisser Shiguré continuer l'interrogatoire.

- Allô ?

- Kobayashi ? C'est moi, a fait la voix d'Ayako à l'autre bout du fil. Le labo vient d'appeler. Ils veulent vous voir tous les deux tout de suite.

Au moins, nous avions fait des progrès.

- Entendu, on décolle dès que possible.

J'ai raccroché et je me suis retourné vers les deux autres.

- Shiguré, Ayako vient d'appeler, il faut qu'on aille au labo.

- Ok, a-t-il répondu en s'inclinant devant Ono. Merci beaucoup pour votre aide. Nous vous re-contacterons peut-être…

Elle nous a salué et nous sommes sortis. Dès que nous avons franchi la porte du couloir en direction de l'ascenseur, j'ai secoué la tête.

- Merde, je vois pourquoi Izuru n'a pas été traumatisé par la mort de ce type.

- Oui, il est plutôt libéral, que veux-tu ? a répondu Shiguré avec bonne humeur.

L'ascenseur est arrivé et nous sommes redescendus au rez-de-chaussée. La horde des médias était toujours là, évidemment. Il a poussé un soupir.

- Alors, qu'est-ce que tu penses de l'hypothèse d'Ayako, maintenant ?

- Comme je l'ai dit, Mme Masaki n'est pas le type à dégommer son mari au milieu de la nuit, selon moi, et ce que nous a dit Ono renforce mes convictions. Mais ce n'est jamais qu'un à priori; nous n'avons pas assez de preuves pour l'éliminer définitivement de la liste des suspects. Elle était dans l'appartement quand Masaki s'est fait descendre, elle avait la clef du bureau et nous nous basons seulement sir ce qu'elle nous a dit. C'est peut-être vrai, mais on ne peut pas en être sûrs.

- Ouaip. En tous cas, on dirait que les légistes ont trouvé quelque chose, ce qui est loin d'être notre cas. Parfois, je me dis que j'aurais dû en rester aux patrouilles et à la circulation et je me demande ce qui m'a pris de vouloir être détective.

J'ai approuvé de tout mon cœur, particulièrement quand, souffle retenu, nous avons traversé la rue infestée de caméras. Les flash, les présentateurs et les micros qui poussent comme des bambous en Amazonie me donnent la migraine. Ils se fichent pas mal du nombre de fois où on leur dit ' pas de commentaires' ils continuent à nous tourner autour comme des mouches. Si je ne savais pas aussi bien ce que coûtait le meurtre avec préméditation, je crois que j'en aurais déjà flingué quelques uns depuis longtemps…