BIP BIP BIP BIP BIP BIP BIP….
Sept sons. Sept coups. Sept d'entre eux suffissent à me réveiller. Avant que le huitième n'ait le temps de pointer le bout de son nez, ma main s'abattait toujours sur le réveil. C'était une habitude que j'avais contractée et mon corps réagissait chaque matin de la même manière. C'en était risible.
Le regard embué par la fatigue et les larmes de la veille, le corps encore endolori, je peinai à sortir de mon lit mais, si j'y restais, j'avais l'intime conviction que j'allais me remettre à pleurer. Une douche froide m'aida à me sentir mieux, tout en me débarrassant un minimum des souillures de la veille.
Une fois sorti et séché, je me décidai à changer les draps de mon lit. Cela prit du temps et je savais que j'allais être en retard pour le lycée mais je ne me sentais pas l'envie d'y aller quoiqu'il arrive. En mettant la couverture dans la machine à laver, j'aperçus des taches de sang. Une, deux, puis trois. Elles étaient nombreuses. Était-ce le mien ou… le sien ? Nous nous étions battus, j'avais refusé de me laisser faire.
J'ai depuis longtemps été traité durement mais hier soir, la simple maltraitance a évolué en quelque chose de plus mauvais, de malsain. Et au fond, je savais exactement ce qu'il s'était passé. Il a mis du temps, plusieurs mois, à l'apprendre mais, hier, lorsque nous nous sommes croisés, encore habillés de nos uniformes, il s'en est rendu compte. J'avais réussi à entrer dans le glorieux cursus inquisitorial, celui qui forme les futurs cadres de l'Inquisition.
Nous sommes des amis d'enfance. Depuis notre naissance, lorsque mes parents ont emménagé dans le voisinage, ils se sont très rapidement bien entendus avec ses parents. Et, lorsque mes parents sont morts, c'est sa mère qui a pris soin de moi. En toute franchise, il n'était pas quelqu'un de mauvais, au début. Mais, peu à peu, il a changé. Sans que je puisse faire quoique ce soit, il est devenu mon supplice et mon pire cauchemar.
Il me frappait, m'humiliait, me faisait perdre la tête. J'ai beaucoup souffert mais j'ai longtemps gardé espoir qu'il redevienne comme avant. Bien sûr, ça n'arriva pas. Son caractère empira considérablement au cours du temps, au point d'en faire un délinquant, violent, arrogant, injurieux, détestable et détesté.
Hélas, même après des années, je n'ai pas compris pourquoi il me haïssait tant, pourquoi il ressentait le besoin de me faire souffrir, moi qui étais pourtant son ami. Tout a commencé ce jour où nous devions exprimer nos vœux pour le futur. C'était stupide, nous n'avions que quatre ans, mais j'ai senti que quelque chose s'était brisé entre nous. « Grand Inquisiteur ». C'était notre rêve à tous les deux.
Le Grand Inquisiteur, à la tête de l'Inquisition, décidait de tout dans le pays et le protégeait de la menace que représentait les altérés, les rares humains ayant reçu un pouvoir à leur naissance. Ils étaient les ennemis de la paix, les ennemis de l'Inquisition. C'est ainsi qu'on nous enseignait les choses, depuis le début. Il voulait devenir Grand Inquisiteur car c'était le poste le plus prestigieux dans notre pays. Moi, je souhaitais changer le monde, le rendre un peu plus vivable pour ceux qui souffrent dans l'ombre.
Malheureusement, il n'a jamais voulu rien entendre et s'était opposé à ce que je le concurrence sur un rêve que déjà beaucoup trop de personnes partageait. Dès lors, le harcèlement avait commencé et plus je m'accrochais à ce rêve, plus il s'acharnait sur moi.
« Tu n'es pas digne de devenir Grand Inquisiteur, Deku. Ces gens sont forts, toi tu es faible. » « Personne n'acceptera d'être sous les ordres d'un Deku. Personne ne t'acceptera, sale faible. »
« Réveille-toi, sale merde. Tu ne seras jamais capable d'arriver à tes fins ! Tu mourrais pendant l'examen. »
Le temps était passé, nous avions perdu contact un temps et j'ai pu enfin respirer. Pendant les dernières années de collège, je me suis concentré corps et âme sur mes études et, finalement, j'ai passé l'examen d'entrée avec brio. J'ai obtenu la meilleure moyenne sur les trois épreuves, écrites, orales et physiques, et je suis entré au lycée Shiketsu en tant que représentant des premières années de la section Inquisitoriale.
Puis, nous avons fini par nous croiser.
C'était un accident, un hasard. Ce jour-là, hier, j'étais allé au restaurant avec mes amis, à la sortie du lycée. Sur le chemin du retour, je n'ai pas regardé devant moi, parce j'étais occupé à réfléchir à ce que j'allais faire demain. Et je lui suis rentré dedans. Bien sûr, je me suis immédiatement excusé. Mais le moment où nous nous sommes tous les deux reconnus, tout a basculé. Son regard, sanglant, menaçant, a rappelé à mon corps les coups et les blessures, à mon esprit l'humiliation que cet homme s'était efforcé de me faire ressentir.
Sans rien pouvoir contrôler, j'ai ris. Un rire mauvais, haineux, moqueur. Il portaitl'uniforme d'une école de ratés. De moins que rien. Alors, c'était normal qu'il me haïsse, moi qui fais aujourd'hui partie de l'élite, n'est-ce pas ? Tu es tombé bien bas, Katsuki. J'ai pensé qu'il allait se jeter sur moi, mais il n'a pas bougé d'un pouce. Il est resté, tremblant, sur le bord de la chaussée, tandis que j'ai simplement continué ma route, pris de l'indicible sentiment que j'avais fait quelque chose de mal. Un remord.
Le soir même, alors que je dormais, il est entré chez moi, probablement en utilisant le double de clés de sa mère. Je me suis immédiatement réveillé en sentant son poids sur mon corps et son souffle chaud glisser le long de mon cou.
« Deku… »
J'ai essayé de lutter, mais il avait réussi à me bloquer sous ses jambes.
« Tu n'as toujours pas abandonné ? Tu aurais oublié ? Tu es à moi, Deku. »
Il m'a dévisagé avec une expression folle que je ne lui connaissais pas.
Je réprimai un haut-le-cœur en pensant à ce qu'il s'était passé ensuite.
« Tu m'aimes, n'est-ce pas ? »
Non. Je te déteste.
« Je viens pour te faire mien. »
Ne me touche pas !
« Tu m'entends Deku ? Pourquoi est-ce que tu restes silencieux ? »
Aidez-moi….
Pris d'un soudain vertige, je dus m'appuyer contre le mur. Après avoir vomi, je me sentis un peu mieux, quoique toujours faible. Je finis de nettoyer toute trace des évènements d'hier et de ce matin, à tel point qu'il semble que rien ne s'est passé.
Après un sourire douloureux, je me décide à m'en aller.
« J'y vais ! »
Bien sûr, personne ne me répond et c'est au silence que mes paroles font écho, tandis que la porte se referme lourdement derrière moi.
