J'ai retrouvé récemment ce texte, écrit il y au moins trois ans, qui m'a semblé pouvoir faire l'objet d'un one-shot ; je vais néanmoins le mettre en ligne en deux fois en raison de sa longueur.

Je l'ai beaucoup retravaillé, car les parties dialoguées étaient excessivement "écrites", surtout celles de Sirius.

Ce texte traite du début de l'après Azkaban de Sirius, du début de sa reconstruction (ce chapitre a d'ailleurs failli s'appeler "Reconstructing Sirius"). C'est un thème qui me fascine, parce qu'il est tellement humain : comment recommencer une vie quand on a traversé l'horreur ?

Les noms de Sirius, Remus, Dumbledore, Azkaban appartiennent à JKR, le reste est issu de mon imagination et des mes autres fics, notamment le personnage d'Isolfe Dazurs et la manière dont Remus a été libéré de sa lycanthropie. Les changements rapides de points de vue et de temps sont voulus et reflètent le désarroi des trois protagonistes, mais aussi l'espèce de symbiose chaotique qui s'instaure entre eux.

Bonne lecture !

Out of the prison (première partie)

Donc, tout c'était déroulé dans une apparente normalité, de vieux amis se retrouvant après une longue période, dont on ne savait pas trop si elle était voulue ou pas, l'un présentant à l'autre sa future, et forcément charmante, épouse, l'autre faisant doucement connaissance d'elle, constatant que oui, ils étaient fichtrement bien assortis.

Si c'était la première fois qu'Isolfe et Sirius se voyaient, Remus, lui, avait déjà repris contact avec le rescapé d'Azkaban : Dumbledore s'était proposé comme intermédiaire, et avait négocié auprès d'un Sirius d'abord réticent ce premier rendez-vous. Celui-ci avait eu lieu dans un de ces bureaux de passage que louent certaines sociétés muggles : Sirius ne voulait plus de magie et ne supportait plus les espaces ouverts. « Je suis perdu si je n'ai plus 4 putains de murs autour de moi » – c'est la première chose qu'il avait criée à Remus, d'une voix crissante où rage et l'humiliation se télescopaient. Il se tenait raidi sur sa chaise, presque tétanisé. Il n'avait presque pas regardé Remus, qui n'avait sur lui dire que de banales paroles de réconfort, dont il avait honte en les prononçant, sachant combien elles ne pouvaient être que déplacées. Il eût sans doute fallu qu'il se tût et qu'il lui prît la main, mais il pressentait aussi que Sirius l'aurait repoussé. Albus lui avait déclaré, avant le rendez-vous, qu'il lui conseillait d'être le plus naturel, le plus normal possible, que le retour à la normalité était ce dont Sirius avait le plus besoin. Mais que peut-on faire de normal face à quelqu'un qui vient de subir 12 ans d'Azkaban ? s'était demandé intérieurement Remus. Au bout d'une demi-heure à peine, Sirius lui finalement demandé de le laisser seul ; Remus avait fait une dernière tentative et lui avait demandé au moment de partir comment il pouvait l'aider. Sirius s'était contenté de hausser les épaules. Pourtant, alors qu'il quittait la pièce, il l'avait rappelé et lui avait crié « T'as compris, hein ?, je peux pas te répondre, on m'a vidé la tête, y'a plus rien dedans».

Une semaine plus tard, Dumbledore apportait une procuration, signée de Sirius, au bénéfice de Remus Lupin: il le chargeait d'aller chercher une certaine somme d'argent sur le compte qu'il possédait à Gringotts et dont le séquestre magique venait d'être levé. Remus s'était acquitté de cette tâche avec diligence ; un jour plus tard il revoyait Sirius, au même endroit afin de lui remettre les fonds demandés. Sirius était assis, sur la même chaise ; il lui avait semblé un peu moins pétrifié, un peu moins absent. Il s'était rapproché de lui, afin de lui remettre la bourse pleine de pièces d'or, Sirius avait lancé son bras en avant, comme pour l'arrêter et il s'était saisi du sac du bout des doigts. Et après, il lui avait à nouveau demandé de le laisser seul.

Presqu'un autre mois s'écoula pendant lequel Remus n'eut de nouvelles de Sirius que par l'intermédiaire d'Albus. Ce dernier assurait à Remus que Sirius faisait des progrès : il avait cessé de trembler, il mangeait avec davantage d'appétit, il acceptait même maintenant de prendre une potion de sommeil, qui lui assurait des nuits réparatrices. Réparatrices, le mot était si bienvenu, ils l'avaient répété tous deux, il leur avait semblé aussi précieux qu'un début de solution.

Remus tenait scrupuleusement Isolfe au courant de l'état de Sirius, elle l'écoutait en silence, grave et infiniment attentive ; mais elle ne posait jamais aucune question, ne faisait jamais aucun commentaire. Encouragé par cette silencieuse application, Remus s'était mis à lui parler de Sirius Black, de Sirius maraudeur, de Patmol.

Un jour, Hibouposte apporta une lettre de Sirius : un assemblage pas très logique de quelques mots, que Remus eut du mal à déchiffrer. Il finit par comprendre que Sirius en avait assez de sa chambre dans la maison de repos de Longpeace, une annexe de Saint Mungo, où Albus lui avait obtenu une place, qu'il se sentait suffisamment bien - le mot était souligné de deux traits épais et maladroits - pour envisager d'habiter seul. Il demandait à Remus de lui trouver un studio, dans l'Angleterre magique, mais surtout pas à Londres.

Remus en parla à Isolfe, ils commencèrent leurs recherches sur la côte ouest, à Newport, puis Cardiff, mais c'est finalement à Bristol qu'ils trouvèrent un petit appartement meublé, clair et propre, que louait un charmant couple de vieux sorciers. Remus revint visiter les lieux avec Sirius, ce dernier déclara que cela ferait l'affaire et qu'il y emménagerait dès le lendemain. Il refusa l'aide que Remus lui proposait, au prétexte qu'il n'avait qu'un sac de vêtements à transporter, mais il lui demanda de retourner pour lui chez Gringotts, et de lui ramener une nouvelle somme d'argent muggle.

Remus s'acquitta de cette nouvelle mission, et Sirius, qui voulait apprendre comment s'utilisaient les billets et les pièces muggles, l'invita dans un pub du Bristol muggle. Là, comme le silence s'installait entre eux, il demanda d'une voix morne à Remus de lui parler de sa nouvelle vie. Remus lui raconta Isolfe, Thoerdag, sa réintégration dans le corps professoral d'Hogwarts. Il le fit rapidement, car il savait que Sirius avait du mal à rester concentré plus de cinq minutes sur un même sujet. D'ailleurs, il n'était pas certain que celui-ci l'écoutait vraiment, il semblait davantage occupé à surveiller les aller et venues des clients du pub ; il ne lui posa aucune question. Remus proposa de le raccompagner chez lui, Sirius refusa, d'une voix furieuse qui fit lever quelques têtes autour d'eux ; il s'en alla donc le premier.

Deux semaines plus tard, Remus lui avait proposé de venir passer à Eoch le week end de Saint Adrew.

Donc, oui, ce premier séjour de Sirius chez eux s'était donc déroulé à peu près normalement. Jusqu'à leur dernière soirée en commun.

Isolfe avait mis un point d'honneur à sophistiquer le menu de ce dîner, mais tout en subtilité – un potage aux châtaignes et au chorizo, un sauté de veau aux tomates et au basilic et un biscuit à l'orange, ; elle avait associé Sirius aux différents préparatifs, lui laissant les tâches les plus valorisantes, tout en se gardant les plus ingrates - épluchage de légumes et corvée de vaisselle sans recours à la magie, ils savaient que Sirius voulait s'en éloigner le plus possible. Remus s'était proposé pour aller couper du bois dans le jardin, Isolfe, légèrement anxieuse à l'idée de rester seule avec Sirius, avait quand même obtenu de lui qu'il s'installât devant les deux fenêtres de la cuisine. Sirius s'était montré plein de bonne volonté, parfois très maladroit, parfois très ingénieux, finalement toujours en décalage par rapport aux situations les plus normales, que ce soit en plus ou en moins. Mais au moins présent et actif et semblant finalement rassuré de se trouver enfermé dans la cuisine. Ils avaient parlé des tâches culinaires qu'ils étaient en train d'effectuer, Sirius avait interrogé Isolfe sur ses années d'études à Hauteville, elle avait sélectionné les aspects les plus amusants : manies des professeurs, us et coutumes typiquement français qui étonnent et amusent toujours les Anglo-Saxons (eh non Sirius, pas de maisons et autres confréries à Hauteville, une seule masse d'élèves, finalement tous contre tous….). Ils en étaient arrivés à parler du Codex des Potions et Isolfe lui avait dévoilé les avatars successifs que son titre avait enregistré – ç'avait d'abord été le simple et peu inventif Cod Pot, puis les choses s'étaient compliquées en Old Pot, ultérieurement, par un juste retour de balancier, le old s'était francisé, devenant Vieux Pote et grâce à une astucieuse progression dans l'alphabet, le « o » de pote avait abouti à un « u » et le pote était devenu pute, après quoi il suffisait de faire l'accord au féminin et tous les élèves sorciers savaient de quoi on parlait quand il était question de la « vieille pute ». Sirius avait ri, un rire clair, qui semblait avoir trouvé facilement son chemin et qui avait supplanté le sien. Mais toujours, créée par lui ou par elle, elle n'aurait pas su dire, cette impression d'être constamment sur le fil du rasoir, et de risquer de le blesser, ou de le faire exploser, à cause d'un seul mot. Ses mains avaient donc été très maladroites, renversant des plats, cassant un bocal d'épices : ils avaient ensuite continuer à s'activer dans l'odeur opulente du curry royal. …

Une fois le dîner achevé, Remus avait préparé du café et du thé, et ils s'étaient installés dans le salon.

Enfin, Sirius - venait-il de prendre conscience que le temps qu'il lui restait à passer chez eux diminuait et que cette raréfaction l'obligeait à agir - s'était demandé à voix haute ce qu'il allait faire à partir de demain midi. Voilà, ils y étaient, celui qui pose la question et ceux qui doivent y trouver une réponse. Du moins, c'est comme cela qu'Isolfe avait analysé la situation, se disant qu'elle et Remus devaient lui proposer de continuer à l'aider. Elle s'était lancée, trop rapidement sans doute, aucune réponse préparée d'avance, elle savait qu'elle risquait de se fourvoyer, mais le silence lui avait semblé insupportable. Et pourtant pour Sirius, le silence était tellement habituel, peut-être d'ailleurs était-il en ce moment en train de le savourer, ayant déjà oublié la question posée.

Elle s'était donc levée de son fauteuil, pour leur signaler que c'était elle qui allait prendre la parole et elle avait marché jusqu'à la fenêtre, pour s'y adosser, le dos contre la vitre noire, peut-être parce qu'elle avait peur au moment d'aborder un sujet si sensible. Sirius l'avait regardée, surpris de ce mouvement, qui venait déranger la quiétude de la pièce, surpris de l'entendre respirer, comme si elle allait plonger dans une eau froide et douteuse.

– Ne reste pas là, en Angleterre, quitte le nord, pars au sud, va plus bas, descend, en Italie par exemple, ou en Grèce, va chercher le soleil et la beauté. Abandonne le reste, là bas, les paysages sont tellement magnifiques, tout est si tellement serein, et puis la Méditerranée est bleue et tiède, tu sais, la mer des origines, là où on plonge, pour renaître, pour prendre un nouveau départ.

Remus avait constaté que la voix, d'abord hésitante, avait vite trouvé un ton chaleureux et amical. Mais que c'était peine perdue pour Sirius, qui recevait chaque mot, chaleureux et amical, comme un gifle. Bon sang, c'est lui qui aurait dû parler, pas Isolfe, Sirius était déjà souvent ingérable avant, donc maintenant ça devait être encore pire. Et Remus avait senti que son ami avait envie d'exploser depuis ces trois jours, qu'il était arrivé avec cette envie, sans le savoir vraiment, et qu'elle avait monté, sournoisement, et finalement quoique Isolfe aurait pu dire, que c'eût été lui ou elle, il était inévitable que Sirius se mît à hurler – et que cela faisait partie de sa guérison, mais qu'il n'était pas prêt à l'admettre. Mais merde, il n'aurait pas dû la laisser en première ligne.

Il se lève donc, va chercher Isolfe, la fait asseoir dans le fauteuil qu'il occupait, au moins sera-t-elle près de lui. Mais bien sûr Sirius va penser "contre moi". Et maintenant il le voit bondir sur ses pieds, venir vers eux, sa voix est craquante de colère.

- Merci pour tes conseils à deux noises ! Tu crois vraiment que c'est en allant me tremper le cul dans de l'eau tiède que je vais me débarrasser d'Azkaban ? Tu devrais aller y faire un petit séjour, ça te ferait changer de point de vue ! T'as jamais dû voir un dementor de près, toi !

Isolfe s'est mise à trembler, mais elle juge inutile de le détromper. Elle repousse brutalement la main de Remus sur son bras, lui échappe, se lève, passe devant Sirius, de face

– Allez continue, libère de toi ça, je t'écoute,

et va se remettre dans l'autre fauteuil, jambes croisées, le forçant à la suivre et à se repositionner face à elle. Remus décide qu'il vaut mieux les laisser tous les deux, il lui suffit de simplement rester vigilant. Après tout, n'est-ce pas l'ancien Sirius qui est en train de réapparaître ? Et tant pis si c'est celui des mauvais jours.

Sirius aboie :

- Bon Dieu, ma vie a été foutue en l'air, j'étais innocent pourtant, et c'est tout ce qui tu trouves à me dire !

Isolfe prend une longue respiration, et se redresse, le dos droit pour lui faire face.

– Sirius, ce n'est pas toute ta vie qui a disparu, si on faisait un peu d'arithmétique, OK ? tu as quel âge ? 34 ans comme Remus, donc 12 ans, ça fait quoi ? un tiers de ta vie, un peu plus. C'est sur ces années là, celles d'avant, que tu dois te reconstruire, tout ce qui sera toujours toi.

– Me reconstruire, voilà que tu te prends pour un maçon maintenant. Reconstruire, mais bon sang et après, si je reste vide dedans ? Des murs qui enferment du vide ? ça ressemblerait foutrement à Azkaban, ce truc !

Il se lance dans un grand éclat de rire, rauque, qui déraille dans sa bouche. Isolfe reprend patiemment, ne vient-il pas de lui tendre une perche ?

– Il faut que tu essaies, il faut que tu y arrives, parce que autrement, ils continueront à te démolir, même si tu leur as échappé, et ce seront eux les vainqueurs. Ils t'ont chassé de ta vie, tu dois la réintégrer.

Il s'assoit lourdement sur le bras du fauteuil qu'elle occupe, se penche vers elle, une grande masse hostile. Elle doit résister à sa première impulsion, se recroqueviller au fond, tout contre le dossier. Il la domine, s'il voulait, il lui serait facile de se mettre à la frapper sur la tête.

– Allez, continue dans cette veine, ça devient amusant : si j'ai bien compris, il faut que j'accouche d'un autre Sirius. C'est bien une idée de bonne femme !

Elle se redresse

– Je n'ai pas dit cela, mais tu es libre de mettre les mots que tu souhaites sur ce qui te concerne. Mais tu as mille fois raison en parlant de naissance, et tu sais les naissances, ça peut aussi concerner les mecs ! Il faut que tu acceptes le fait qu'Azkaban, c'est fini et que tu en es sorti avant d'avoir atteint ton point de non retour.

Sirius saute sur ces pieds, fait quelques pas vers Remus, puis se retourne et revient vers elle.

- Arrête tes délires de psycho mal digérée. Et t'as vu comme tu parles, c'est froid, de la glace, tu n'y crois pas, on dirait que tu récites un cours, ou que tu t'apprêtes à me taxer un maximum pour toutes ces foutaises.

Elle se lève brusquement, le bouscule sèchement, retourne se mettre près de la fenêtre, mais cette fois-ci elle leur tourne le dos, attentive à l'obscurité, pour échapper à tout ça, ne serait-ce que quelques secondes. Pour se calmer, elle s'efforce d'identifier toutes les formes qui meublent le jardin : les silhouettes basses des huit chênes qui donnent le nom à la maison, leur maison, le massif de lavande, plus loin le camélia… Peine perdue, la voix désagréable et mordante l'a déjà rattrapée.

– T'as pas de conseil à me donner, toi, tu connais rien de tout ça – tu peux pas savoir. Moi j'ai eu le sale rôle et toi le bon, le truc facile. Trop facile, hein finalement, à peine tu piges que Remus est un monstre, que tu trouves la solution, que tu règles le problème, et évidemment personne n'y avait jamais pensé, il fallait que ce soit toi ! Et voilà, une petite morsure de rien du tout, je suis certain que tu n'as même pas eu mal, et même que ça devait être aussi bien que de se faire baiser par ce beau mec, un type qui s'appelle Machindag, c'est excitant, hein ! et voilà ton chéri est enfin redevenu un homme. Super efficace, j'espère que Remus a demandé l'ordre de Merlin hors classe pour toi ! Et puis ton truc c'est vachement plus glorieux, plus glamour que ce que tu me proposes : me casser en Italie.

Il s'est éloigné, sans doute pour faire disparaître Remus de son champ de vision, il hurle dans sa direction

- A toi tout a été donné, à moi tout a été pris.

Elle frémit, elle sait qu'il a raison, elle, a forcément tort, elle devrait se taire, elle devrait partir, elle devrait les laisser tous deux.

– Tu ne pourras jamais m'aider, tu ne pourras jamais comprendre ce que j'ai vécu !!

Puisqu'elle n'est pas partie, non elle est encore là, proche de la fenêtre, il faut qu'elle réponde, elle se retourne, elle parle calmement, tant pis s'il pense que sa voix est froide, mais elle n'a pas le droit à la colère

– Non, je ne pourrai jamais comprendre, et c'est pourquoi je ne cherche pas à le faire, sur ce terrain, j'ai perdu d'avance, tout ce que je peux faire, ce que nous pouvons faire, c'est de t'obliger à voir que, maintenant, tu as d'autres compagnons que les dementors, que c'est à nouveau possible, parce que eux ne sont plus là. Si tu les crains toujours, c'est comme si tu avais peur d'être à nouveau heureux, ou vivant. Et bien alors, accepte cette peur là, si tu penses que tout cela est encore trop risqué, qu'ils risquent de venir te prendre ce que tu commences à remettre en place, alors bon sang, donne toi au moins du temps !

- Je n'ai pas besoin de compassion, surtout venant de gens que la vie a toujours protégé. Toi, tu as peut-être du bonheur plein les mains, mais il t'appartient et même si tu passes ta vie à essayer, tu ne pourras jamais le transmettre.

Il gronde face à elle, si ce n'était la présence de Remus, il la secouerait, il la giflerait.

– Moi je n'ai plus rien, ils m'ont tout pris, tu ne comprendras donc jamais !

Elle prend garde à maintenir sa voix en laisse, mais en contrepartie, elle se rapproche de lui, elle a senti qu'il avait envie de le frapper, alors pourquoi pas ? Elle souhaiterait presque que Remus ne soit pas là et que Sirius se sente libre de s'abandonner à sa fureur, il a besoin d'un exutoire, autant que ce soit elle. Mais comme Sirius reste immobile, elle reprend

– Il y a une chose dont Azkaban ne t'a pas privé, parce que c'était impossible, puisque c'est une chose qui t'a été donnée là-bas – elle voit la perplexité remplacer la colère sur son visage, elle voit, en biais, Remus se redresser - C'est l'expérience d'Azkaban, et cela t'appartient et pour le restant de tes jours ! Commence par là, tu vois, contrairement à ce que tu penses, tu n'as pas les mains vides, tu es plein de cela.

La fureur est revenue sur le visage de Sirius, comme une marée haute, elle lui tord la bouche, bizarrement, d'abord vers le haut, puis vers le bas, comme si finalement elle n'était plus vraiment sûre d'elle

– Comment tu oses me dire de telles choses ? Comment tu peux être aussi dégueulassement cruelle ? C'est comme si tu me disais que je suis plus heureux que le plus malheureux des hommes ! Fous- moi la paix avec ta maudite commisération.

Elle décide soudain d'abandonner, elle n'est pas de taille, elle ne lui est d'aucune aide.

– Tu vois, ça y est, j'ai atteint les limites de ma patience ou de ma psychologie de bazar – par moquerie elle fait le geste de se masquer les yeux des ses deux mains, ensuite elle les écarte en haussant les épaules – je ne ferais que tout gâcher si je restais. En fait, je ne sers qu'à te mettre en colère, donc je te souhaite une excellente fin de soirée et je monte me coucher.

Elle hésite visiblement, elle marche vers Remus, en faisant un détour pour éviter Sirius, elle caresse ses joues, muette d'abord, cherchant d'autres paroles, plus douces, qui seraient bien reçues, enfin elle lui murmure, sur un rythme saccadé, inutilement rapide.

– Surtout, reste avec lui, il a besoin de toi, je suis désolée d'être venue me mettre entre vous deux, je crois que c'est ce qui a tout déclenché, non ? Enfin, je ne sais pas, peu importe… mais là je pensais que j'étais enfin assez forte pour oser exprimer la compassion que je ressentais, grâce … grâce à ce qui s'est passé entre Thoerdag et toi et moi, et finalement non, je m'étais trompée, je ne sais toujours pas, j'ai blessé Sirius.

Elle s'interrompt, essaie de lui sourire, sans succès.

– Je dois être plus douée avec les loups !

Remus s'apprête à dire quelque chose mais elle ne le laisse pas commencer.

- A ton tour maintenant … peut-être que tu n'aurais pas dû me laisser essayer ! Il a besoin de douceur et de compréhension, et j'ai été brutale, je n'aurais pas dû laisser cette … méchanceté - elle ne sait pas s'il s'agit vraiment de cela, elle a honte d'avoir choisi ce mot - prendre prise sur moi et maintenant je renonce et …

Remus l'empêche d'en dire plus, le bout de ses doigts posé sur ses lèvres, un geste qu'il s'applique souvent à lui-même, quand il réfléchit et que ses pensées les concernent tous deux, un code qu'elle a appris à décrypter. Il lui chuchote :

– Calme-toi, ne t'inquiète plus, c'est Sirius qui n'a jamais su se laisser traiter avec douceur, et sur ce point Azkaban ne l'a pas changé, mais comment Azkaban aurait-il pu lui apprendre cela ? Là-bas, il ne s'agit que de prendre, que d'arracher. Va, je reste avec lui le temps nécessaire et après je te rejoins.

Il la serre aux épaules, la fait tourner et la pousse légèrement en avant. Elle se met à marcher en direction de la porte, l'ouvre et la referme doucement. Si elle était sortie sans avoir parlé à Remus, comme elle en avait d'abord eu l'intention, elle l'aurait claquée.

Remus quitte le bord de la table, où il était installé, et s'approche de Sirius, qui est resté au centre de la pièce, où il s'affrontait avec Isolfe jusqu'à ce qu'elle abandonne. Sirius pense tout d'abord qu'il va le frapper, puis il se dit que non, parce qu'on ne tape pas sur un survivant à l'horreur d'Azkaban, mais qu'il va lui demander de quitter sa maison, sur le champ, puisqu'il vient de se comporter d'une façon ignoble, injustifiable. Il pressent pourtant que ce n'est pas ce qu'Isolfe est venue demander à Remus, il n' a pas entendu leurs chuchotements, mais il n'arrive pas à s'imaginer Isolfe demandant cela, et Remus obtempérant. Ce serait normal pourtant, mais cela ne cadrerait pas avec ce qu'il a vu d'eux. Bon Dieu, Isolfe est tellement pareille à lui, comment ne pas le voir, au long de ces deux jours passés avec eux ? Cette façon de se mettre volontairement en retrait pour laisser la place du devant aux autres, parce que ce n'est pas ça qui les intéresse, le devant de la scène, parce qu'ils n'ont pas besoin de se faire admirer, ou même voir par les autres. Ah, et puis aussi, elle aussi intello que lui, j'me demande bien lequel des deux a le plus de livres… ils pourraient supprimer les murs, leurs étagères remplies de bouquins suffiraient à faire tenir le toit. Tiens, il rigole tout seul, plutôt un bon point. Si lui, Sirius, du temps des maraudeurs, avait jamais eu quelques velléités de dégoter une fille pour Remus, il doit reconnaître qu'il n'aurait pas trouvé mieux qu'Isolfe. Finalement, il le comprend d'avoir choisi une moitié muggle seulement, qui l'éloigne de toutes ces histoires de magie à la con. Bon, évidemment, fallait qu'elle soit un peu magique tout de même, pour réussir ce qu'elle a fait, avec, comment s'appelle-t-il déjà Dagmar, Thoerwald ? Bref, un nom scandinave. Bon sang, c'est le cas de le dire, ouais, quand même, alors que tout le monde sait qu'on ne peut rien faire contre çà. Comment en est-il arrivé à lui balancer tout à l'heure une petite morsure de rien du tout… Quel salaud, non mais quel salaud.

Et en ce moment, qu'est-ce qu'elle pense de lui, il a un sacré besoin de le savoir, lui qui s'était toujours foutu des opinions des autres sur lui, et de leurs états d'âme. Parce qu'il se sent aussi terriblement coupable envers elle, et pour compliquer le tout en même temps il sait qu'il est jaloux d'elle, qui lui a pris son ami, le seul qui lui reste d'avant.

Pris, mais non, Sirius, arrête, comme c'est salaud de penser çà, et aussi jaloux de Remus, pour arranger le tout. Pris, non mais, ou alors ça voudrait dire quoi…que maintenant c'est avec elle qu'il passe son temps, qu'il dort dans la même chambre qu'elle, comme les maraudeurs dans leur dortoir, autrefois, avant.

Arrête de déconner, Sirius, c'est pas en pleurant, en regrettant le passé que tu vas arriver à te débarrasser d'Azkaban. Quelle pagaille dans sa tête, il n'arrivera jamais tout seul à se démerder de ce foutu bordel. Et lui qui criait comme un putois qu'on lui avait tout pris, alors que sa tête est remplie de ce bordel. Passer si vite de la fureur au regret – il a envie de lui courir après pour lui expliquer, mais est-ce qu'il arriverait à mettre ça en forme, à lui expliquer qu'il n'a plus que des réactions épidermiques, normal, n'est-ce pas, car il n'y a plus rien en lui, au delà de la couche extérieure. Et que ses fureurs, ses colères ou ses joies, enfin si on peut appeler ça comme ça, ne viennent pas du profond de lui, mais juste de ces deux ou trois centimètres de peau, tout ce qui lui reste – ce qui fait qu'à l'extérieur, il a encore l'air d'un bonhomme à peu près normal, mais en fait, il n'est plus qu'un arbre creux. Et que ces deux jours avec eux, il a dû faire des efforts considérables pour apparaître comme tel, à peu près normal. Et que tout à l'heure, il n'en pouvait plus et qu'il s'est laissé partir. Et il n'est même pas sûr qu'il saurait leur expliquer que tout ça n'a pas d'importance, pas de base, et ne peut durer bien longtemps.

Tiens, maintenant par exemple il ne ressent plus aucune colère, c'est fini, c'est à nouveau le vide. Le vide reposant. Personne ne peut s'imaginer combien Azkaban, finalement, c'est reposant. On n'a plus besoin d'être soi. Pourtant, pourtant, là, depuis ces deux jours, ça s'est remis à faire mal, parce quoi ? allons, il n'est pas si lâche que cela, il peut bien se le dire, parce qu'il a vu, revu, ce que c'est que de vivre vraiment, même s'il a l'impression d'avoir un peu, enfin bordel, beaucoup rafraîchi l'atmosphère, lui et elle sans arrêt sur leurs gardes, sauf quand ils ne savaient pas qu'il était là ! et là encore, il a honte, bien sûr, mais il en avait tellement besoin, et il a bien vu comme ils se défendaient d'aborder les sujets qui fâchent. Les sujets qui fâchent… sauf elle ce soir, la tête la première, en plein dedans. En plein. Comme ils vivent bien, ces deux-là, comme ce serait bien d'être à nouveau, un jour, comme eux. Alors, Sirius, une petite envie de vie ? Ne la bousille pas, c'est tellement fragile. Fichtremerlin, vous m'avez fait venir, aidez-moi, aidez-moi à me remplir. Même si je vous dis que j'ai pas besoin de ça, de l'aide, parce que je peux pas, j'aurais l'impression d'abdiquer, encore, comme j'abdiquais devant eux, faut que quelqu'un me dise que ça n'avait pas d'importance, parce que je pouvais pas faire autrement, que ce n'était plus moi, celui qui ne pouvait rien faire devant eux, je vais crever de ne pas savoir demander votre aide.

Est-ce que Remus s'aperçoit qu'il gamberge autant ? Non, il s'en fout - il est parti s'asseoir dans un fauteuil, sans se sentir obliger de meubler le silence. Au bout d'un moment, Sirius, impatient, se lève, marche de long en large, essayant de regarder les différentes choses qui ornent les murs, mais sans les voir vraiment, tableaux ? gribouillis ? photos ? Il se rassoit, se relève, explose – et voilà, c'est reparti, mais il est obligé, il faut qu'il s'agite pour laisser grandir son envie tranquille, sans ça il serait obligé de se demander si ça en vaut vraiment la peine. Comme les trucs qu'Isolfe a planté hier, les .. ah oui, les bulbes, des tulipes et puis d'autres noms, donc voilà on les balourde dans la terre et puis rien, on attend et au printemps, toc, ça apparaît. Quelle joli regard elle avait en lui expliquant ça et des gestes précis et tendres, ouvrir la terre, poser le truc, remettre de la terre, comme une couverture sur un enfant. Oui, il avait pensé ça – une couverture sur un enfant. Donc, voilà son envie, il va la laisser pénarde, mais il va pas la laisser sous la terre lui, il va la cacher sous des tonnes de conneries.

– Tu ne vas pas la rejoindre ? Tu la laisses toute seule ?

Remus fait non, oui de la tête et puis il dit

– Elle m'a demandé de rester avec toi.

Il croit avoir vu une petite étincelle dans les yeux de Sirius, telle un minuscule triomphe mesquin. Il se demande dans quelle mesure Sirius ne serait pas jaloux d'Isolfe. Sans doute aurait-il dû se rendre à l'idée d'Isolfe qui avait suggéré de les laisser seul, Sirius et lui, pour ces quelques jours. Pourtant, lui avait refusé obstinément, désireux d'associer Isolfe au déroulement de sa vie. A la reprise de cette relation, si importante pour lui.

Sirius s'est planté devant Remus

- Tu n'a rien à me dire ?

et en même temps il se dit qu'il est décidément un sacré con.

– J'avais cru comprendre que c'est toi qui avait des choses à me dire, à moi et à Isolfe. C'est à elle que tu parlais, mais c'est à moi que tu t'adressais, non ? Sirius, qu'est-ce que tu es en train de te dire ?

Remus s'est redressé dans son fauteuil, il a posé ses mains sur ses genoux, dans une attitude de patriarche ou de juge, pense méchamment Sirius.

– Que cette visite chez nous était une tentative pour rattraper la vie normale et que tu as échoué et que tu t'en veux parce que Sirius Black, même après 12 ans d'Azkaban, reste Sirius Black, orgueilleux et mauvais perdant. Mais si je te disais que tu dois accepter ce premier échec, ou ce que tu vois comme tel. Que tu dois te donner du temps, toi l'homme pressé. Tu vois, ce trait de caractère ne t'a pas été pris, tu manques de l'humilité nécessaire pour accepter que le rythme du temps de n'accélère pas parce que tu en as décidé autrement.

Sirius lance un rire rageur, qui lui semble tout d'un coup ridicule, aussi ridicule que blessantes les paroles qu'il s'entend maintenant prononcer

– Je constate que tu fais un magnifique porte-parole des pensées de ta femme. Elle pense, même si c'est dans le vide, toi tu répètes.

Il voit Remus blêmir et se tendre, se lever, en train de ne pas céder à la tentation de lui envoyer son poing dans la gueule ? Sirius se répète « Quel con, tu fais, quel infâme salaud ! » Mais le ton de Remus est soigneusement maîtrisé, un modèle de patience et de raison.

– Tu te trompes, et tu es injuste, et tu le sais, je le lis sur ton visage. Et Isolfe n'est pas ma femme, au sens officiel, même si j'adore t'entendre le dire.

Il rit.

Sirius se fait horreur, il se lance dans autre chose.

- Foutremerlin, Remus, t'aurais pas quelque chose à boire ?Un truc fort, de préférence, qui saoule vite, trop délicats pour ça, les vins français !

Remus n'a pas envie de se dire que c'est encore une pique destinée à Isolfe, plutôt une simple remarque de nature pratique. Il se dirige vers un placard, en ouvre la porte et commence à détailler le contenu ; à vrai dire l'inventaire est vite réalisé

– Whisky, gin, cognac ?

– On peut mélanger ? pour améliorer le choix ?

Remus décide de le prendre au mot

– Alors gin plus whisky plus cognac ?

– Idiot, non je préfère éviter d'être malade sous tes yeux. Cognac, s'il te plaît.

– Ah, choix français finalement.

En lui tendant le verre, un gobelet à whisky en fait, Remus voit, avec une infime satisfaction, que Sirius n'avait pas pensé à l'origine de l'alcool choisi.

– Merci.

Il renifle le liquide, la dose est correcte, mais sans s'assoit, Remus l'imite.

– Dis-moi, Remus, tu t'es déjà saoulé la gueule ? Une bonne grosse murge pour oublier qu'y avait pas de femme dans ta vie ? ou que t'étais un loup-garou ?

Remus n'a pas vraiment envie de répondre à la double question, pas envie, ce soir, en plus de tout le reste, de se replonger volontairement dans sa vie d'avant. Pourtant, pour être tout à fait honnête, il se dit que lui a la possibilité de choisir d'y penser ou pas, parce que l'autre côté, la vie après, est tellement pleine et dense et merveilleuse, oui voilà le mot, merveilleuse, qu'elle tient facilement à distance l'avant. Le bonheur efface vite le malheur. Mais pour Sirius, la possibilité n'existe pas, parce que les termes de l'équation sont inversés, avant une vie réussie, et après… Sirius est encore tout imprégné de l'horreur d'Azkaban, et pour l'instant il n' a rien à lui opposer. Il décide alors de répondre, mais sans s'appesantir

– La réponse à la première question est "oui", et "non" pour la deuxième. Et même pour le "oui", l'effet n'était pas si radical.

– Sans doute que tu buvais pas assez. Et maintenant je vois que t'as plus besoin de tels expédients. Moi oui.

Il se relève, il renifle à nouveau, et contrairement à ce que Remus attendait, il n'en prélève qu'une toute petite dose.

Remus décide de revenir sur leur sujet, tant pis si Sirius le prend mal.

- Je pense sincèrement qu'Isolfe a raison et que ce qu'elle t'a conseillé est un choix relativement logique pour commencer à t'en sortir.

Sirius renifle dédaigneusement, et donne de grands coups de poing dans le vide avec la main qui ne tient pas le verre. Il ricane

- Tout çà, pff, des paroles vides, comme de foutues condoléances auxquelles personne ne croit.

Remus reste calme ; il y a des années, du temps des maraudeurs, il avait si fortement admiré Sirius pour cela, cette faculté instinctive, formidable, à se mettre physiquement au centre de la scène, à organiser les événements autour de lui. Le héros, souvent méchant, noir, mais héros quand même. Oui, il l'avait sans doute même jalousé, désespéré de ne jamais pouvoir être comme lui, car s'il l'avait voulu, il avait lui aussi quelque chose de noir et d'héroïque à mettre en scène, le loup tapi en fond de lui qu'il aurait pu choisir de rendre terrible et triomphant. Et alors, il aurait lui aussi sa cour d'admirateurs. Il s'était même demandé, si par moment, Sirius, à défaut de l'envier, ne l'avait pas méprisé de tirer un si mauvais parti de sa particularité. Depuis, Remus a compris qu'on peut trouver sa juste place dans le monde, sans forcément en être le pivot. Les gens qu'on a à côté de soi sont plus importants que ceux qui sont autour. Il insiste

– Si, elle a raison, simplement elle a choisi la mauvaise méthode pour suggérer à Sirius Black ce qu'il pourrait faire de sa vie dans les prochains mois, car n'est-ce – il s'autorise une pointe de sarcasme – personne n'a jamais eu l'impudence de dire à Sirius Black ce qu'il doit faire.

ll abandonne la troisième personne du singulier, un peu trop grandiloquente pour ce qu'il lui reste à dire

– C'est toi qui a les idées, pas les autres ! Surtout pas les autres …

- Et alors, quelle aurait été la bonne méthode ?

– Eh bien, te dire de ne surtout pas envisager d'aller de changer les idées quelque part ailleurs, et surtout de rester à macérer tout seul dans ton coin.

Sirius s'approche de lui, prudemment, Remus pensait qu'il allait exploser devant une telle brutalité, lui qui ose, sans droit aucun, hormis celui que parfois l'amitié vous concède, lui reprocher de ne pas savoir se débarrasser d'une période aussi terrible de sa vie, d'un malheur impartageable. Sirius s'est immobilisé, il médite, lentement, prudemment. Peut-être effectivement qu'il pourrait se dire cela que, puisqu'il ne peut pas partager ça avec eux, puisqu'il ne peut pas faire comme si ça n'avait pas existé, le mieux à faire est de reléguer ces horreurs dans un coin, et de ne pas les laisser se mettre entre lui et le reste de sa vie, même si pour le moment ni lui, ni le reste de sa vie ne représentent plus grand chose. Et n'est-ce pas ce qu'Isolfe lui disait tout là l'heure ? En fait, il est calme, presque serein. Il constate d'une voix presque contrite, hésitante

– C'est … c'est dur ce que tu me dis là .

Remus réfléchit, enserrant les jointures d'une main avec les doigts d'une autre

– C'est volontaire, j'ai pris le risque de passer les bornes, de te blesser, te blesser durement, mais je n'ai jamais vu que la dureté marcher avec toi, non ? Je ne néglige pas ton malheur, et Isolfe non plus, je pense même qu'elle y est plus sensible, mieux que moi, parce qu'une telle expérience lui est fondamentalement étrangère, plus qu'à moi.

– Plus qu'à toi ?

Remus hoche légèrement la tête, Sirius se frappe le front du plat de la main.

- Bon sang, bien sûr comme je suis bête, tu vois, moi je ne me suis jamais vraiment demandé ce que cela pouvait donner de devoir partager sa vie avec un loup.

Sirius ricane, comme un foutu imbécile, un foutu imbécile qui a peur de sourire.

- Tu as changé, Remus, avant c'est moi qui te sermonnait et décidait de ce qui était bon ou pas pour toi! D'ailleurs tu m'avais surnommé Major Magister et moi je t'avais dit que tu pouvais te mettre ton foutu latin là où je pense.

Il ricane à nouveau, Remus sourit.

- C'est toi qui avais besoin d'être aidé, pas moi !

Il a bondi sur ses pieds, s'est rapproché de Remus, pour lui crier ces mots au visage, mais cette volonté de fureur a vite disparue.

- Bon Dieu, comme tu as changé, en mieux évidemment, tu es le maître de ta vie maintenant, tu as un avenir, tu en as fini avec ta solitude de monstre. Tout cela, cette saloperie, c'est pour moi maintenant.

Le timbre de sa voix devient brusquement implorant, succédant si vite à la colère ébauchée, de façon si poignante.

– Tu crois que moi aussi c'est une femme qui me sauveras ? Tu crois que cela fait partie du programme qu'Isolfe m' a prévu ?

Remus lui sourit doucement.

- Je ne sais pas.

Ils restent silencieux un long moment, au bout duquel Remus le sent plus calme, ou épuisé maintenant, ou ayant enfin accepté que quelque chose en lui cesse de résister. Sirius lui dit

– Ok, c'est bon, ça va, je crois que tu devrais aller retrouver – il sourit encore – ta femme.

Quand Remus a disparu, il passe encore un bon moment à se demander si quelqu'un pourra vraiment l'aider à se retrouver et éloigner de lui ces douze années et la peur qu'il a ramenée de là-bas. Puis, lui aussi se rend au premier étage.