Un Secret

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Chapitre un : Une vie toute à fait ordinaire

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Il est une vérité universellement reconnue, qu'un jeune homme célibataire, pourvu d'une fortune conséquente, doit être à la recherche d'une épouse.

Pourtant Edward Bennet, fils ainé d'un gentleman du Hertfordshire et futur héritier d'une belle mais quelque peu modeste propriété à la campagne, était bien loin des préoccupations matrimoniales dont la bonne société de Londres ou d'ailleurs semblait se délecter.

Il menait une vie paisible, auprès de sa famille, et s'impliquait depuis son plus jeune âge dans la gestion de la ferme et de la maisonnée. Sa vivacité d'esprit, sa bonne humeur constante et son désir de bien faire, ont fait de lui un atout pour son père, sur lequel celui-ci pouvait s'appuyer en toute circonstance.

La maison Bennet avait toujours été quelque peu vivante pour ne pas dire particulièrement bruyante, avec une mère à laquelle la sagesse et la sérénité faisait défaut, des sœurs adorables mais parfois épuisantes à ne plus savoir qu'en faire, et un père préférant se recueillir dans sa bibliothèque plutôt que d'écouter les leçons de pianoforte et les discussions autour du dernier bonnet à la mode ou de la dernière réception des Turners. Bien qu'affectionnant le calme et la liberté que lui offraient les longues balades à l'air pur, Edward n'en demeurait pas moins attaché à son foyer et à tous ces êtres qui lui apportaient un bonheur domestique si confortable.

Dans cette demeure, il se sentait aimé et irremplaçable. Bien que la belle Jane, et la malicieuse Lydia aient une place de choix dans le cœur maternel de Fanny Bennet, son fils Edward, digne héros de la famille, était son favori.

Sa naissance, un an après l'arrivée de Jane, fût une bénédiction. Thomas Bennet, dans la fougue de sa jeunesse, ne s'était jamais préoccupé de ce qu'il allait advenir de son patrimoine une fois décédé. Sa propriété de Longbourn, n'étant pas aliénable à une progéniture féminine, il était condamné à concevoir un héritier masculin. Fort heureusement pour toute la famille, le deuxième enfant Bennet se prénomma Edward, et assura ainsi l'héritage et la protection de sa mère et de sa sœur ainée. La venue de trois jeunes sœurs à sa suite ne fit que confirmer son statut d'éternel sauveur. Quoiqu'il advienne, elles auraient désormais et pour toujours un toit au-dessus de leur tête.

Cette sérénité acquise n'empêchait cependant pas Ms. Bennet de s'inquiéter au plus haut point de l'avenir marital de ses enfants. Elle nourrissait des ambitions toutes particulières pour ses filles, et ne désespérait pas de trouver un bon partit pour chacune d'entre elles.

Sa douce et ô combien resplendissante Jane devrait épouser au moins le fils d'un duc. Lydia pour satisfaire sa soif d'aventure épouserait un militaire, probablement un séduisant colonel revenant de je-ne-sais-quelle contrée lointaine. Elle serait si triste de devoir s'éloigner de sa fille chérie, mais un mariage avec un flamboyant uniforme rouge compenserait cette contrariété. Mary trouverait bien un homme d'Eglise, qui lui conterait les sermons de Fordyce dont elle n'aurait plus à entendre les sempiternelles vertus. Et Kitty … et bien Kitty trouverait un jeune sot duquel elle tomberait follement amoureuse.

Edward n'avait jamais évoqué la possibilité de se marier mais, il lui faudrait une jeune fille, ni trop précieuse, ni trop jolie, avec la tête sur les épaules, et un minimum d'esprit. Edward n'ayant que peu d'attrait pour les qualités féminines, une vieille fille telle que Charlotte Lucas devrait amplement faire l'affaire. Mrs Bennet devait impérativement en parler à Mrs Lucas lors de sa prochaine visite à Lucas Lodge.

« -Fils, M. Morris m'a dit que vous aviez réparé ensemble la clôture de l'écurie. L'as-tu reporté dans le livre des comptes ? » M. Bennet parlait à Edward, son regard espiègle, surplombé de ses petites lunettes, était plongé dans un livre d'astronomie, comme s'il ne s'intéressait guère à la conversation qu'il venait d'initier.

« -Je l'aurais fait Papa, mais nous n'avons utilisé que du matériel déjà disponible à l'écurie. M. Morris est toujours plein de ressources lorsqu'il s'agit de faire des économies. Ce n'était des travaux que de peu d'importance. »

« Mmh …Tu es toujours très modeste mon enfant, et c'est tout à ton honneur, mais sache que je suis conscient de tout l'entretien et de la charge que donne cette propriété. Je te vois bien courir par monts et par vaux toute la sainte journée. C'est une vision extrêmement fatigante que tu m'offres lorsque je suis tranquillement assis sur le fauteuil de mon bureau. » Dit-il avec son sourire en coin si caractéristique et son sourcil gauche légèrement haussé.

Edward afficha un grand sourire, s'approcha des étagères de la bibliothèque et saisit à son tour un ouvrage s'appuyant sur le meuble, aux côtés de son père. Qui conque observerait les deux hommes en cet instant pourrait deviner une infinie complicité, à défaut de leur trouver une réelle ressemblance physique.

Les deux hommes étaient tous deux plutôt grands, et arboraient la même posture. Mais, là où M. Bennet senior avait des longs cheveux blonds-blancs brillant légèrement, Edward Bennet portait les cheveux châtains courts. Scintillants, ils avaient l'air de capter à la sauvette quelque rayons de soleils.

Les joues de M. Bennet étaient flanquées de deux favoris épais, alors que son jeune fils était de nature plutôt imberbe, ses joues trahissant quelque fois son excitation ou son embarras par une légère rougeur sur les pommettes.

Le regard du père était d'un bleu myosotis, d'un de ces bleus que l'on n'oublie jamais, qui contrastait par son apparente froideur avec la chaleur des yeux bruns-verts de son fils, qui évoquait plutôt une balade en forêt après un épisode orageux. Les deux étaient emprunts d'une certaine espièglerie dépourvue de malice.

Enfin M. Bennet, d'une corpulence certaine, avait une carrure beaucoup plus imposante que celle de son fils, plutôt menue et élancée, bien qu'énergique.

M. Bennet en son temps avait eu beaucoup de succès auprès de le gente féminine malgré sa fortune peu propice à l'expansion, il était le favori des jeunes filles et de leur mère. Son fils, était en cela le digne héritier de son père. Bien que n'étant pas attiré par ce genre de frivolité, M. Edward Bennet n'en attirait pas moins les regards.

« - Je voudrais que tu ailles à Londres régler une affaire pour moi. Tu pourrais ensuite passer quelques jours chez ton oncle Gardiner, je sais bien que ce n'est pas la saison mais tu pourras en profiter des divertissements de la ville. »

« - Oh Papa ! Quelle bonne idée ! Cela fait tellement longtemps que je n'ai pas vu mon oncle et ma tante ! Ni même les enfants ! Je pourrais peut-être emmener Jane si tu m'y autorises… » S'exclama Edward, ravi.

Il contempla un instant son fils, et constata qu'il n'avait jamais été aussi proche de son vrai caractère qu'à ce moment-là.

« -Ne nous emballons pas, fils. Je suis satisfait que l'idée de convienne. Je n'ai en théorie rien contre le départ de Jane, mais cela me priverait simultanément de la présence des deux seules personnes saines d'esprit de cette maison. Toi plus particulièrement, sais à quel point je peux être égoïste à cet égard. » M. Bennet vit les épaules de son fils ainsi que son sourire se vouter légèrement. « De plus, j'aimerai que tu y ailles à cheval, cela nous permettrait de faire quelques économies, et ta mère et tes sœurs auront besoin de l'équipage pour rendre visite à ton oncle et ta tante Phillips. »

« -Très bien, cela ne me dérange pas. Quelle est donc cette affaire qui me mènera à Londres ? »

« - Un vieil ami à moi, professeur à Cambridge m'a emprunté il y a de cela quelques années une importante collection d'ouvrages qui me tiennent à cœur. Il doit partir en expédition sur le continent, et je souhaiterais reprendre mes droits sur cette œuvre avant qu'il ne parte. »

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Cambridge était tout ce qu'il y a de plus impressionnant. Son bâti s'imposait de par son architecture presque royale. Et l'immense savoir détenu entre ces murs n'en renforçait que plus l'effet.

Tout en progressant dans les allées et les couloirs, Edward observait scrupuleusement les étudiants. Il se trouvait assez bon juge de caractère et aimait souvent rire des défauts et des folies des autres. Il ne doutait pas un seul instant que Cambridge, en dépit de tout le respect que lui inspirait cette institution, nourrissait son lot de ridicule.

Tous les étudiants étaient au minimum tirés à quatre épingles, à croire que l'une des matières consistait à connaître les secrets des derniers nœuds de cravate de Brummell. Ce qui de son œil d'amateur relevait de la science pure.

La plupart des étudiants le jaugeait de haut en bas, mais ces regards dédaigneux parfois moqueurs ne faisaient qu'ajouter à sa bonne humeur.

Il se demandait si les études à Cambridge permettraient d'affronter les différentes épreuves que la vie leur offrirait. Avaient-ils eux aussi des propriétés dont ils allaient hériter, leur diplôme leur servirait-il lorsqu'ils devront réparer les clôtures délogées par une pluie diluvienne ? Ou alors leur servirait-il pour élaborer des plans d'évasion face aux mères trop désireuses de marier leur fille au plus beau parti ? Surement sa mère ne devait pas être le seul spécimen d'Angleterre, Londres devait avoir une belle collection également…

Secrètement, il enviait ces étudiants un peu trop sûr d'eux, qui avaient eu accès à cette source intarissable de connaissance. Envieux il l'était peut-être mais pas rancunier, chacun naît dans la vie que Dieu lui a donnée. Sa sœur Mary serait surement fière de lui, la belle jambe !

En attendant, il profitait de la fraicheur des murs et se dirigeait vers le bureau du prestigieux professeur Collins, ancien ami de son père.

« -Bonjour M. Collins, je me nomme Edward Bennet. Comment allez-vous ? » dit le jeune homme, une fois entré dans le bureau immense du professeur.

« -Oh oui oui oui je vois, je vous attendais bien sûr. Tout ceci est extrêmement remarquable ! »

Le professeur Collins était un petit bonhomme tout rond, avec des lunettes rondes et un front plutôt dégarni assez rassurant. Il adressa un sourire obséquieux à Edward et lui désigna la chaise en face de son bureau. Les deux hommes s'assirent.

« -Je suis ravi de faire votre connaissance professeur et je vous remercie de m'avoir accueilli si rapidement, vous devez être particulièrement occupé.»

« -ah oui oui oui, très occupé. » Il sorti un petit mouchoir brodé de sa poche et s'épongea nerveusement le front.

« -Voyez-vous comme vous l'a indiqué mon père dans sa correspondance, il m'a chargé de récupérer les encycl…. »

« -Très occupé en effet. » le coupa subitement le professeur, comme s'il n'avait pas écouté un seul mot d'Edward. « J'étais en train de classer mes petits papiers par thème et par ordre chronologique car une éminente Lady de mon entourage m'a conseillé vivement de mettre l'ordre dans mon bureau. Elle m'a dit « Monsieur Collins, cela ne peut continuer, l'ordre conduit à toutes les vertus ». »

«- Oui, c'est une réflexion très sage professeur. » répondit poliment Edward. Il se demandait vaguement qui pouvait être cette mystérieuse lady, mais elle semblait plutôt terrifiante, le pauvre homme tremblait comme une feuille.

« -Tout à fait, c'est d'ailleurs ma chère Lady Catherine, qui m'a conseillé de rendre les ouvrages de votre père à son heureux propriétaire. »

« - Je ne manquerais pas d'en faire par à mon père, il lui adressera, je suis sûr, ces meilleurs remerciements.» Edward en doutait fortement en vérité.

« -C'est remarquable, ne trouvez-vous pas ? »

Edward resta quoi quelque instant, il trouvait en effet remarquable que cet homme ait été un si précieux ami de son père, au point de lui laisser l'usufruit de ces ouvrages préférés pendant des années. Il lui semblait totalement ridicule. Un professeur n'est-il pas sensé réfléchir par lui-même et non s'en remettre aveuglement à un tiers.

«- Le Bureau, Monsieur Bennet, le Bureau ! Il a exactement le bon nombre de tiroir. Merveilleux ! Et puis cette taille ! C'est parfait ! » En vérité le bureau paressait mille fois trop grand pour ce petit personnage et son tas de papiers froissés. « Voyez-vous, Lady Catherine a beaucoup de goût et rien ne dépareille à Rosings Park, son aimable propriété. ».

«- Lady Catherine semble pleine de bon sens et de bons conseils. » Edward n'aimait guère avoir recours au mensonge, mais il avait peur de devoir repartir sans les ouvrages de son père, si il froissait la sensibilité de ce professeur ou plutôt celle d'une Lady Catherine un peu trop présente. « Et, je suis convaincue qu'elle ne pouvait trouver plus avide et reconnaissant auditoire. » La vérité, rien que la vérité. « Vous êtes extrêmement chanceux d'avoir dans vos connaissances une telle Lady ».

« - Oui, très chanceux en vérité. Lady Catherine de Bourgh est la patronne de Rosings Park, somptueuse demeure dont dépend la paroisse de mon pieu neveu, M. Collins, ecclésiastique de son état. Il bénéficie également des précieux conseils de Lady Catherine et m'en fait toujours part expressément. Vous n'êtes d'ailleurs pas s'en savoir que mon neveu Collins, n'eut été de votre naissance, serait l'héritier de Longbourn. »

Edward se senti extrêmement reconnaissant à ce moment-là. Si le neveu du professeur lui ressemblait ne serait-ce qu'un peu, sa naissance et la perspicacité de ses parents avaient sauvé Longbourn non seulement du ridicule, mais des précieux conseils de cette Lady Catherine.

Il y avait parfois des jours où Edward se demandait « Et si ma vie avait été différente? », si des perspectives de bonheurs autres auraient pu être envisagées ? Quand cela arrivait, il essayait de faire disparaitre le plus rapidement ces pensées mélancoliques de son esprit, pour des pensées plus joyeuses. Le jour de cette visite à Cambridge était l'un des jours où il prenait conscience de l'importance de son existence, où il se disait que tout s'était déroulé comme il le fallait pour le bien de sa famille, que rien ne pouvait être autrement. Il était alors heureux. Un bonheur relatif, un bonheur constant, mais un bonheur tout de même.

Edward avait rapidement mis fin à sa conversation avec le professeur, prétextant devoir rejoindre pour diner son oncle et sa tante à Londres. Comme la ponctualité était une règle de vie chez Lady Catherine, le professeur apporta rapidement les précieux livres de M. Bennet et libéra le jeune Edward, à son grand soulagement.

Le nombre d'ouvrages était conséquent, et leur poids n'aidait pas la mobilité d'Edward qui devait éviter sans cesse les obstacles, sans tomber et sans se perdre. Se hâtant vers la sortie afin d'écourter ce parcours fastidieux, il manqua de peu de percuter un des étudiants qui se trouvait là.

Edward abaissa ses livres, et leva les yeux vers l'étudiant pour lui offrir poliment ses excuses. Ce dernier était très grand, assez large d'épaule et très proche d'Edward, ce qui lui donnait l'impression d'être face à une montagne. Une montagne passablement énervée si on s'en tenait à sa mine renfrognée.

L'inconnu pressa le pas sans un mot. Edward lui jeta un regard noir, énervé d'avoir été superbement ignoré quand tout à coup, il fit vol-de-face et la collision tant attendue se produisit.

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Des livres étaient répandus tout autour de lui, une douleur sourde en haut du crâne venait de faire son apparition. Une tête blond vénitien entrait dans son champ de vision.

« -Mais quel maladroit je fais, je suis désolé mon ami ! Je n'ai pas regardé où j'allais, je suis confus ! Vous allez bien ? »

Edward attrapa la main tendue de ce nouvel étudiant qui l'avait percuté de plein fouet.

« -Ne vous inquiétez pas, Monsieur, je vais bien. » le rassura Edward, il semblait réellement inquiet.

« -Non vraiment, je vous présente toute mes excuses, j'étais étourdi ! »

« - Je n'étais pas concentré également, je vous assure les tords sont partagés, M. … »

« - Bingley, Charles Bingley ! » Le visage de M. Bingley venait de s'éclairer en comprenant que le malchanceux ne lui tiendrait pas rigueur de sa maladresse. Edward trouva son visage et son sourire très avenant, et décida presque immédiatement qu'il lui était sympathique.

« -Enchanté M. Bingley. Je me nomme Edward Bennet, mais vous pouvez m'appeler Bennet. » Edward lui renvoya son sourire.

Bingley se pencha pour l'aider à ramasser ces livres et lui proposa de l'aider à les ramener jusqu'à son cheval. Edward ne voulant pas être victime deux fois de ce genre d'accident, accepta volontiers.

« -Darcy ! lança Bingley, Venez donc m'aider, ma maladresse légendaire a encore frappée ! »

La mine renfrognée refit son apparition dans le champ de vision d'Edward, et son mal de tête s'intensifia.

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« - Eh bien mon cher neveu, voilà ta mission pour le moins accomplie. Tu vas pouvoir profiter quelques jours des attraits de Londres. Madeline a, je crois, prévu quelques sorties où elle souhaitera vivement te convier. Je pourrais également te présenter à mon Club, où tu pourras faire de nouvelles connaissances. Je sais à quel point tu es avide de ce genre de divertissement ! »

Son oncle Gardiner était un homme d'une quarantaine d'années, dont on devinait qu'il avait été joli garçon. Une petite fossette au menton, une élégante moustache et un regard jovial, le distinguaient particulièrement des autres hommes de sa connaissance. Il avait trouvé, il y a de cela une quinzaine d'années, la félicité dans le mariage avec Madeline Winter, et ils donnèrent naissance à deux petites têtes blondes Paul et Amélia. Leur bonheur, aujourd'hui complet, réchauffait le cœur à tous ceux qui en étaient témoin. Edward était toujours ravi de les voir et M. et Mrs Gardiner toujours ravis de le recevoir. Son oncle et sa tante était deux personnes sensibles avec qui il pouvait converser sans crainte du ridicule et avec qui il partageait bon nombre de centres d'intérêt.

« - Ah mon cher oncle ! Figurez-vous que j'ai fait de nouvelles connaissances à Cambridge cet après-midi même, dont un éminent professeur, qui alimentera pour quelques soirs ma soif de dérision, je le crains. » Edward se servit une tasse de thé chaud, dont il rêvait déjà depuis le début de son périple. « J'ai également rencontré un ancien étudiant de Cambridge, un certain M. Bingley, aujourd'hui dans les affaires. Le connaissez-vous ? » Interrogea Edward.

« -Pas personnellement. Je crois savoir que son père, feu M. Bingley, a fait fortune dans le Nord de l'Angleterre. Si le fils est aussi doué que le père, il ne tardera pas à vouloir s'installer confortablement. »

«- Je l'ai trouvé très agréable et très affable malgré notre rencontre quelque peu maladroite ! Il doit séjourner à Londres quelques semaines et j'ai promis de lui rendre visite durant mon séjour. Il a vivement insisté pour que vous m'accompagniez ! Il a l'air d'une personne toute à fait généreuse. »

« - En effet, ce jeune homme a l'air d'avoir rapidement conquis ton amitié. » M. Gardiner souhaitait que son cher neveu passe plus de temps à Londres, d'une part car il appréciait sa compagnie, et d'autre part car un jeune homme de son âge, à peine 20 ans, devait profiter un peu plus de la vie urbaine au lieu de se cantonner à la stricte gestion de son patrimoine. De nouveaux amis étaient exactement ce dont Edward avait besoin selon M. Gardiner.

« -Son très bon ami, M. Darcy, a contrario était particulièrement hautain et désagréable. » Edward contemplait sa rencontre avec l'autre homme. Ils ne s'étaient à peine adresser trois mots, mais son air désapprobateur avait rapidement déplu à Edward. Il aurait aimé se moquer librement de lui, mais M. Darcy était bien trop sérieux pour cela.

« -M. Darcy, dis-tu ? » Sa tante Gardiner venait de rentrer dans la pièce avec un plat de scones chauds qu'elle proposa directement à son neveu. « De Pemberley ? » Edward acquiesça.

« - Oui, il me semble que Bingley l'a mentionné. Mais ce n'est qu'une pauvre mine renfrognée avec aucune conversation. »

« - Une mine renfrognée peut-être mais pauvre certainement pas. Le domaine de Pemberley et ses terres avoisinantes représentent près de la moitié du Derbyshire ! »

« - Il possède alors la plus misérable des deux moitiés ! » rigola Edward.

« - Mon jeune Edward, » dit patiemment Madeline, « Tu apprendras que Pemberley est la demeure la plus splendide qu'il m'est été donné de voir. Les bois et les jardins y sont aussi un ravissement. Lambton le village où je suis née, n'est qu'à quelques miles de la propriété de M. Darcy. Bien que nos deux familles n'évoluaient pas dans les même cercles, j'ai eu l'occasion de visiter Pemberley et j'adorerai le revoir. »

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Edward et M. Gardiner arrivèrent à Husting House pour le thé de l'après-midi. La maison était située dans un quartier huppé du centre de Londres, mais présentait des traits architecturaux plutôt simples et dépourvus de toutes fioritures.

M. Bingley les accueillis avec sa bonhomie qui semblait profondément encrée dans son caractère. M. Darcy, et une jeune femme dont les cheveux flamboyants s'accordaient avec ceux de Bingley, les attendaient dans le petit salon où serait servi le thé. Les deux personnages avaient le port de tête altier et semblait tout deux résolus à demeurer droit comme des piquets, les sourcils froncés. La jeune femme était Miss Bingley, sœur de l'aimable hôte.

Edward présenta son oncle, et la conversation qui s'en suivit fût calme et plutôt bonne enfant. Elle était principalement alimentée par le trio formé par M. Bingley, M. Gardiner et Edward.

M. Darcy donnait de temps en temps un signe de tête ou lançait une phrase qui avait le don de n'appeler aucune réponse. Edward décréta que M. Darcy disposait d'un réel talent pour mettre les gens mal à l'aise, et était convaincu que dans certaines circonstances il devait être drôlement amusant de l'avoir à ses côtés, s'il venait à rencontrer une certaine Lady Catherine par exemple.

« - Et où résidez-vous dans Londres M. Gardiner ? » demanda Miss Bingley.

« - Mon épouse et moi-même possédons une petite maison sur Gracechurch Street, Madame. Près de Cheapside.»

« - Cheapside ! » s'indigna Miss Bingley et ne fit pas d'autres commentaires. M. Darcy fronça les sourcils de plus belle, considérant probablement des relations de Cheapside comme hautement répréhensibles. M. Bingley se démena tant bien que mal pour rediriger la discussion sur des sujets plus agréables comme les bienfaits de la pêche à la campagne ou les pièces de théâtre.

M. Bingley avait évoqué la bibliothèque de Husting House un peu plus tôt dans l'après-midi et Edward exprima le souhait de la visiter. M. Bingley, n'étant pas un lecteur assidu, il préféra que M. Darcy se charge de la visite de cette pièce à sa place, il lui fera de toute évidence plus honneur.

Laissant le reste de la compagnie dans le petit salon, M. Darcy entraina donc Edward Bennet dans la bibliothèque afin de lui présenter les différents ouvrages de qualité qu'elle possédait. Edward laissait ses mains courir délicatement sur la tranche des ouvrages, et en sortait un de temps à autre pour l'observer plus précisément.

« - Vous n'avez jamais étudié à Cambridge ? » Demanda M. Darcy d'un ton monotone.

« - Non, jamais. Mon père y a fait ses études cependant, j'ai donc eu un excellent professeur. »

« -Je n'en doute pas. » répondit sèchement M. Darcy. Edward se dit qu'il en doutait au contraire très fortement.

«- Ma tante, Mrs Gardiner, est originaire de Lambton. Elle me vantait pas plus tard qu'hier la beauté de son Derbyshire natal et particulièrement de Pemberley. Retournerez-vous souvent dans le Derbyshire M. Darcy ?»

«- Lambton n'est en effet qu'à quelques miles de notre propriété. Bien qu'ayant conscience des nombreux attraits de Londres, je reste très attaché à Pemberley. Je compte rester auprès de Bingley jusqu'à qu'il ne juge plus ma présence indispensable, et je rejoindrais ma sœur dans le Derbyshire dès que possible. »

« -Oh, vous avez une sœur… » Dit innocemment Edward, mais lorsqu'il vit M. Darcy se renfrognant davantage, il ajouta : « J'en ai moi-même quatre ! Bien que Londres soit très divertissant, il ne peut rivaliser avec la compagnie de mes jeunes sœurs. Je ne peux m'éloigner d'elles ni de notre demeure trop longtemps.»

« - Vous possédez je crois une petite propriété dans le Hertfordshire. Votre père y fait-il des arrangements ? »

« - Mon père préfère de loin nourrir son esprit par diverses lectures. »

« - Dans ce cas-là, qui s'occupe donc de la gestion de vos terres ? » s'étonna M. Darcy

« -Moi-même, Monsieur. Avec l'aide précieuse de notre intendant. »

M. Darcy resta interdit et considéra son interlocuteur durant quelques instants. Edward était assez fier d'avoir ainsi clos toute discussion. M. Darcy se plongea dans un ouvrage de poésie.

« -Quel âge avez-vous ? » Darcy ne lui adressa pas un regard.

« -Pardon ? »

« - Je me demandais quel était votre âge, Monsieur Bennet. Vous ne devez pas avoir plus de vingt-ans. Cela ne doit pas être facile de s'occuper de toute une maisonnée à un si jeune âge. »

« - J'aurais vingt-et-un an dans quelques mois. Je vous assure que je suis tout à fait apte à cette tâche. Je crains ne vous avoir donné une fausse idée de ma famille. Mon père me soutient énormément dans mon désir de m'impliquer dans la vie du domaine et il m'a tout appris. » Edward se sentait jugé, et commençait à perdre patience. Il souhaitait retourner auprès de Bingley et de son oncle.

« - Il est surprenant pour un homme de votre âge, de comprendre toute l'assiduité et les compétences qu'il est nécessaire de fournir pour la tenue d'un domaine, aussi petit soit-il. »

Edward pris la mouche avec cette dernière insulte à peine déguisée, et décréta qu'il était temps de prendre congé auprès de ses hôtes et de rejoindre le cocon familial pour la soirée.

M. Gardiner rejoignit le cabriolet, tandis qu'Edward s'attardait sur le pas de la porte, cherchant ses gants au fond de ses poches. C'est comme cela qu'il surprit une discussion qui finirait de bâtir son opinion sur M. Darcy.

« - Le jeune Bennet est vraiment sympathique, Darcy, ne trouvez-vous pas ? Il a de l'esprit et une manière charmante de l'exprimer ! Je ne serais pas contre prolonger notre relation ici à Londres. »

« - De toute évidence, avec ses manières aussi charmantes qu'elles puissent vous paraître, M. Bennet n'est jamais sorti de sa campagne. Je suis persuadé que Londres n'a que peu d'attrait pour lui et je ne suis pas d'humeur à divertir des jeunes provinciaux inexpérimentés. Voyez-le ci cela vous chante, mais laissez-moi en dehors de toute cette histoire. »

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Mrs Gardiner venait de recevoir un courrier de sa sœur par alliance, Mrs Bennet. Cette dernière encourageait vivement Madeline à s'impliquer dans l'éveil sentimental de son neveu. A défaut de trouver chaussure à son pied, il s'agissait avant tout de faire prendre à conscience à Edward de ses possibilités et de ses responsabilités.

Mrs Gardiner n'ayant pas de penchant pour la manipulation, estima qu'elle pouvait se montrer franche envers son neveu et lui en parla un matin au petit déjeuner entre deux toasts beurrés et une bonne tranche de lard.

« - Edward, que dirais-tu que je te présente quelques jeunes filles de ma connaissance ici à Londres ? »

« -Chère tante, si vous y tenez, je n'y vois pas d'inconvénients. Mais je vous assure qu'avec quatre sœurs à la maison, j'ai plus que mon lot de sensibilité féminine ! »

« - Je pense que d'avoir de nouvelles connaissances, autre que tes charmantes sœurs, te ferait le plus grand bien. »

« -Que cela pourrait-il bien m'apporter de plus ? » s'interrogea sincèrement Edward.

« - De nouvelles perspectives. » Voyant que son neveu ne réagissait pas à sa remarque, Madeline ajouta : « Des perspectives de mariage ».

Madeline le vit pâlir.

« - Je ne suis pas certain que ce soit le moment opportun pour cela. »

« -Et pourquoi pas ? Tu as un revenu assuré et une propriété convenable. Bien que mature pour ton âge, tu restes un jeune homme vif et tu pourrais bénéficier grandement d'une compagnie féminine. » Edward rougit vivement à cela. « Aussi, tu pourrais donner un exemple de félicité matrimoniale à tes sœurs. » Madeline avançait ses arguments avec assurance. Mais son neveu allait calmer ses espérances.

« - Je ne trouverai pas la félicité dans le mariage. » Edward avait parlé d'un ton catégorique et un peu mélancolique.

« - Pourquoi cela ? » Elle vit Edward redresser la tête lui adressant un sourire poli.

« - Je ne pourrais être tranquille, qu'une fois mes sœurs établies. Leur bonheur et leur avenir assurés, je me consacrerai à la recherche de ma félicité. » Il ajouta devant son air inquiet : « Je vous le promets.»

« - C'est très honorable de ta part, mais j'aurais préféré que tu penses à toi en premier pour une fois. Promets-moi d'y réfléchir. Je ne m'imposerai pas en entremetteuse si tu ne le souhaites pas, mais tôt ou tard, tu vas devoir affronter des mères qui voudront miser sur toi pour faire le bonheur de leur fille. »

« - Seigneur ! Je ne suis pas un canasson ! » Ria-t-il retrouvant sa bonne humeur.

Plus tard dans la soirée, la graine plantée par Mrs Gardiner dans l'esprit d'Edward commença à germer. Cependant ce n'était pas, comme elle l'espérait, une jolie rose, symbole éternel de l'amour, qui allait éclore, mais plutôt un sentiment s'apparentant à un sombre lierre grimpant, prenant le dessus sur les espoirs d'Edward.

Il avait implicitement promis à sa tante de réfléchir à ses possibilités de mariage. Pourtant, il avait déjà, et ce depuis longtemps, pris une décision des plus radicales. Seule la réciprocité d'un amour profond et un total respect le conduirait devant l'autel. Or ces deux éléments étaient pour lui inaccessibles à jamais. Le mariage n'était donc pas une option. Il était persuadé qu'aucune femme ne pourrait jamais faire son bonheur, et qu'il ne pourrait jamais combler sa moitié.

Il savait que sa mère nourrissait des espoirs de le voir un jour établi. Il trouvait ce désir égoïste et malvenu. Et au fond, le but d'une telle manœuvre ne serait pas d'assurer son bonheur mais plutôt de maintenir les apparences. Il se sentait parfois las de toute cette charade, et il ne voulait pas devenir une source de déception pour une jeune fille un peu trop naïve.

Il y avait bien une femme qui hantait quelques fois ses nuits. Il n'osait penser à elle durant la journée, mais la nuit son esprit laissait libre cours à son imagination. Elle était mystérieuse et inatteignable. Il ne la connaissait pas réellement, mais, il la découvrait dans ses rêves les plus secrets. D'elle, il n'avait que son nom et un petit objet.

Il sortit délicatement de sa poche une petite enveloppe en cuir marron, qui détenait le précieux objet. Il s'agissait d'un mouchoir brodé, avec de petites fleurs délicates bordant un prénom féminin : Elizabeth.

Ce mouchoir, il avait eu à sa naissance, juste avant que ces parents ne scellent son destin. Elizabeth était le prénom qui lui avait été destiné, avant même que la décision de déposer sur ses frêles épaules le devoir d'assurer la sécurité de sa famille, n'eut été prise.

Edward avait un terrible secret. Edward s'appelait en vérité Elizabeth.

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NB :

1) Les personnages ne m'appartiennent pas, je les emprunte bien sûr à Jane Austen.

2) Le prénom Edward a été utilisé pour une autre fanfiction, ayant le même thème. Il s'agit de « Not Every Gentleman » de HLBr. Pour les lecteurs d'anglais, je vous la conseille.

3) Je souhaite écrire sur ce thème depuis longtemps. J'ai pour objectif une dizaine de chapitres, publiés tous les quinze jours maximum. J'espère que le premier chapitre vous aura plus, je vous remercie par avance pour celles et ceux qui me laisseront une review. Je n'écris pas pour ça, mais c'est toujours agréable de lire les impressions d'une personne extérieure.

4) Pensez-vous que notre cher Bennet devrait continuer ses aventures à Londres ou qu'il serait préférable pour lui de rentrer au bercail ? Dans les deux cas, il croisera la route de notre cher Darcy….

A bientôt

Petit Pain