Se glissant sous sa cape d'invisibilité, Harry se faufila dans les couloirs de l'école. Il était bien décidé à en savoir plus, beaucoup plus, plus que ce qu'il avait réussi à surprendre par hasard, par erreur, presque malgré lui... L'incident lui avait permis de découvrir des secrets enfouis qu'il ne soupçonnait même pas, et, à sa plus grande honte, il avait décidé d'en apprendre davantage... à ses risques et périls...
Furtivement, il s'enfonça dans les profondeurs de Poudlard. Ses pas le guidèrent jusqu'aux cachots. L'ambiance y était sinistre, bien loin de l'atmosphère chaleureuse de la salle commune des Griffondor. Il descendit les dernières marches à pas feutrés. La porte était là, massive, froide. Harry prit une grande inspiration, en priant Merlin et tous les saints sorciers que le lieu ne soit pas rendu inaccessible par un sortilège de protection.
A priori, ses prières furent entendues, car la porte s'ouvrit sans bruit lorsque sa main se posa sur sa poignée. Harry eut alors un sourire : il faut croire qu'il y avait eu négligence de la part du Slytherin et, à vrai dire, celle-ci était bien surprenante quand on connaissait l'individu ! Cela ne lui ressemblait pas du tout ! Peut-être avait-il dû sortir précipitamment, oubliant de clore par des sortilèges ses quartiers ! Ou alors la terreur que le glacial maître des potions et directeur de la maison de Salazar Slytherin savait si bien inspirer suffisait-elle, habituellement, à effrayer les plus téméraires et à interdire l'accès à quiconque ?
Harry préféra n'approfondir pas la question, et se glissa subrepticement dans la pièce glaciale. Le lieu ne lui était pas inconnu puisqu'il y était venu quelques fois, avant d'en être définitivement chassé, avec perte et fracas, il y a plusieurs semaines. Mais il n'avait pas, à ce moment-là, fait très attention au triste décor, trop occupé qu'il était alors à rester sur ses gardes face à Snape.
A présent que celui-ci n'était plus là, Harry pouvait contempler à loisir les rayonnages couverts de livres et les étagères chargées de bocaux étiquetés avec un soin quasi obsessionnel. Snape était d'une rigueur absolue et la pièce elle-même semblait transpirer son intransigeance.
Harry ne s'attarda pas plus longtemps sur cet examen. Il ne savait pas de combien de temps il disposerait avant le retour du maître des lieux. Aussi, mieux valait-il ne pas gaspiller des instants précieux en considérations inutiles.
Il s'approcha des étagères. La faible lueur, qui filtrait du soupirail donnant au ras-du-sol, dans la neige, se reflétait sur les flacons ouvragés. Harry approcha la main. Lequel parmi ces flacons contenait la suite des souvenirs de Severus Snape ? Quel flacon lui indiquerait ce qu'il avait cru découvrir du passé du maître des potions ? Il s'empara au hasard d'une fiole et s'approcha de la pensine placée dans l'angle le plus reculé de la pièce. Sa main suspendue au dessus de la vasque trembla ; Harry inspira brusquement pour affermir sa décision et versa d'un seul coup le contenu du flacon.
Le liquide se troubla un instant puis s'agita en formant des rides sur la surface et Harry plongea le visage dans les vaguelettes tourmentées. Il eut l'impression soudaine de se noyer dans une eau de plus en plus opaque avant que celle-ci ne retrouve toute sa limpidité. Il était à présent dans ce qui ressemblait à une maison, sombre, peu soignée, devant un jeune garçon recroquevillé dans l'angle d'une pièce sinistre, prostré au pied d'un homme manifestement ivre qui vociférait en levant la main...
Harry n'eut pas la possibilité d'approfondir ce souvenir : un bruit au dehors le rappela à la réalité. Il émergea brusquement et n'eut que le temps de se rejeter vivement derrière la pensine, dans l'angle sombre du bureau, attirant sur lui la cape d'invisibilité tout en priant pour que Snape ne le découvre pas, car sinon, cette fois, il n'était pas certain de ressortir vivant des cachots !
Réfugié dans l'ombre et cherchant à se faire le plus petit possible, il bloqua sa respiration quand il vit, par le soupirail, la haute silhouette noire apparaître, contrastant violemment sur le fond immaculé.
Severus Snape se tint un instant très droit, avant de faire quelques pas et Harry sut immédiatement que quelque chose était différent chez le professeur. Snape ne semblait pas aussi hautain et dédaigneux que d'habitude. Il y avait quelque chose de... quelque chose de...
Harry sut enfin définir ce qu'il y avait d'étrange dans l'attitude du maître de potion, lorsqu'il le vit chanceler avant de s'effondrer sur un genou dans la neige, alors qu'autour de lui, sur le sol blanc, s'élargissait une immense tâche rouge.
Le spectacle le terrifia : Snape blessé ?! Non qu'il éprouvât quelque compassion pour le trop sévère professeur, mais c'était si... inattendu ! Qu'avait-il bien pu se passer … ?
Blotti dans son coin, Harry était pétrifié : la surprise et la peur l'empêchaient de faire le moindre mouvement et, dans son esprit, les rouages de la pensée semblaient tourner à vide. Il n'avait pas le courage de faire le moindre geste.
Snape se redressa péniblement, et Harry le vit par le soupirail se rapprocher à pas lents et titubants pour atteindre enfin la porte du cachot. Lorsqu'il entra, un vent polaire s'insinua dans la pièce déjà glaciale. Snape referma la porte et se laissa alors glisser contre le panneau de bois avec un gémissement sourd, s'effondrant sur le sol dans une mare de tissus noir. Il grimaça et sa main tremblante sortit des immenses manches de ténèbres. Harry étouffa un hoquet quand il vit l'angle étrange que formait le poignet à la suite du bras et les dessins sinueux que traçait le sang sur la peau blanche, gouttant lentement sur l'épais tissus de laine noire qui paraissait l'absorber.
Les tremblements s'intensifièrent tandis que Snape tâtait avec inquiétude les plis de l'immense robe. Enfin, sa main laissa émerger une petite bouteille qu'il s'efforça tant bien que mal de porter à ses lèvres. Il but alors avidement la potion et fut pris presque aussitôt de convulsions qui tordirent son corps et le laissèrent exsangue et haletant quand elles eurent disparu. La respiration sifflante, Snape se redressa péniblement. Il chancela encore un peu en s'appuyant sur le mur. Son visage fermé semblait plus froid et plus impénétrable que jamais.
Il s'approcha alors des étagères à souvenirs et Harry put examiner la pâleur livide de la peau, et les traits creusés du visage qui semblait avoir vieilli en quelques jours. Le garçon observa cependant avec une sorte de soulagement que le maître de potions était à nouveau ce qu'Harry avait toujours connu : Snape avait recouvré sa démarche altière habituelle grâce à ce qui était manifestement une potion de guérison :il était de nouveau l'homme qui prenait un plaisir manifeste à terroriser ses élèves, à l'aspect froid et distant, raide dans sa redingote noire boutonnée jusqu'au col et son ample manteau. Dans une certaine mesure, le jeune garçon devait reconnaître qu'il préférait cela : au moins, il savait comment réagir alors, tandis que le spectacle qu'il avait surpris auparavant, ou même les souvenirs qu'il avait pu glaner lors de l'Incident, lorsqu'il avait réussi à lire par surprise derrière le bouclier baissé de l'Occlumens, le laissaient déstabilisé et incapable de savoir quel comportement adopter.
Il en était là dans ses réflexions quand tout à coup, Snape balaya rageusement les flacons qui vinrent s'écraser au sol dans un tintement sinistre. Il semblait pris d'une fureur concentrée qui débordait à présent dans une frénésie de tout détruire.
La porte s'ouvrit à ce moment, laissant place aux pans d'une large robe de velours pourpre.
Dumbledore fit un pas pour pénétrer dans les cachots mais se figea quand il vit les fioles brisées qui jonchaient le sol. Il ne lui en fallut pas davantage pour comprendre, manifestement, ce qui s'était passé et même, Harry aurait presque pu en jurer, pour deviner les causes de la fureur de son maître des potions.
La flamme dans le regard du vieil homme parut vaciller et c'est à peine si Harry l'entendit murmurer :
- Severus…
Snape se raidit aussitôt et jeta un regard éteint sur le directeur. Alors, lentement, il leva une main blême sur son visage et il pointa sa baguette sur sa tempe.
Le temps parut alors se figer et Harry se demanda, horrifié, quel terrible drame était en train de se jouer sous ses yeux impuissants.
- Non, Severus, non…. tenta de supplier Dumbledore, les yeux fixés dans les abysses insondables du regard de Snape.
Celui-ci eut une vague grimace qui aurait pu passer, avec un peu de bonne volonté, pour un sourire, avant de hocher la tête et de prononcer d'une voix sourde :
-Oubliette
Son bras retomba alors inerte à ses côtés et les deux hommes restèrent face à face. Dans les yeux de Dumbledore brillaient un éclat qu'Harry prit pour de la compassion.
- Ô Severus, tu n'aurais pas dû ! Il ne fallait pas en arriver là ! Quoi qu'Il ait pu te faire, tes souvenirs restaient le meilleur rempart. C'était ce qu'il y avait de plus grand en toi, Severus, tu ne…
- Arrêtez, Albus. Pas un mot de plus, siffla la longue silhouette noire.
Le vieillard ouvrit la bouche, parut hésiter puis se ravisa. Il s'approcha toutefois de l'enseignant vers lequel il tendit une main que Snape refusa obstinément de prendre. Harry avait l'impression d'assister, blotti dans un coin de la pièce, au choc de deux titans, et il se demandait comment les choses se finiraient et surtout, ce qui avait pu se produire pour en arriver là...
- Pourquoi, Severus ? l
La voix n'était qu'un murmure, presque consterné.
Snape dévisagea un moment son interlocuteur, le visage fermé. Nul doute que l'excellent Occlumens qu'il était s'abritait derrière son pouvoir à cet instant pour ne pas laisser se rompre définitivement les digues de sa colère.
- Pourquoi quoi, Albus ? Grinça-t-il.
Il ricana et eut un geste dérisoire de la main.
- Allons, Albus, ne le savez vous pas mieux que quiconque ?
- Mais pourquoi tous tes souvenirs, Severus ? Pourquoi les avoir tous détruits ?
Severus soutint un instant le regard de Dumbledore avant de détourner les yeux.
- Cela devenait trop dangereux, murmura-t-il si bas que c'est à peine si Harry put saisir son souffle.
- Il t'a torturé, c'est cela ?
Snape ne répondit pas et conserva les yeux rivés sur les éclats épars des flacons brisés qui jonchaient le sol.
- C'est bien cela, Severus ? Insista Dumbledore. Il t'a torturé, n'est pas, Severus ?
Face à lui, Snape haussa les épaules, comme indifférent, puisse se baissa pour entreprendre de ramasser un à un les fragments de verre.
- Je suis désolé, Severus, je ne voulais pas...
Snape se releva d'un bond et fit face au directeur.
- Vous ne vouliez pas quoi, Albus ? Vous ne vouliez pas faire de moi un pion sur votre jeu d'échec ? C'est cela ? Vous ne vouliez pas me manipuler ainsi ?
La voix était sifflante et grinçait sous la colère.
- Vous ne vouliez pas ce qui s'est passé Albus ? Allons, pour qui me prenez vous ? Vous saviez, Albus. Depuis le premier soir où je suis venu vous trouver en rampant pour vous supplier. Vous saviez quelle serait la suite des événements ! Peut-être même l'aviez-vous calculée ! Peut-être même aviez-vous décidé de la sacrifier pour faire de moi votre esclave. Celui dont vous aviez besoin pour vos plans sordides et vos manigances, cracha-t-il.
Dumbledore secoua la tête, comme impuissant face à cette rage insensée qui débordait de toute part, d'autant plus terrible qu'elle jaillissait d'un homme qui habituellement semblait plus froid et maîtrisé qu'une statut de marbre.
- Non, Severus, répondit-il d'une voix triste. Et Harry eut le sentiment qu'il y avait comme des remords, qui sourdaient sous l'intonation du vieil homme. Non Severus, tu te trompes. Je ne voulais pas ce qui est arrivé. Tu es injuste…
Snape parut s'affaisser brusquement sur lui-même : toute sa rage semblait tout à coup évanouie. Sur son visage, Harry ne lisait plus qu'une immense lassitude et un désespoir sans fin qu'il n'aurait jamais imaginé lire au fond du regard du trop fier maître des potions.
Severus soupira et passa une main désabusée devant ses yeux mais il garda le silence. Dumbledore fit un pas vers Snape et esquissa un geste, comme pour prendre celui-ci dans ses bras, mais Snape se raidit et les deux bras du vieillard retombèrent, impuissants.
- Je te demande pardon, Severus. Je ne pensais pas que les choses seraient aussi insoutenables... Ou plutôt, je crois que j'avais volontairement sous-estimé les risques que tu courrais. Je n'ai jamais voulu que tu subisses toutes ces tortures. Je sais que ce n'est pas au-dessus de tes forces, Severus, mais je réalise que je te demande l'impardonnable... Pourtant, tu n'avais pas le droit d'effacer ainsi tous tes souvenirs !
- Qu'est-ce qui vous inquiète ? Que je remplisse moins bien mon rôle ? est-ce là votre inquiétude, Albus ? Rassurez-vous, je suis un homme de devoir..., répliqua froidement le noir professeur.
- Oui, mais ton âme, Severus ?
- Vous inquiétez-vous de cela, maintenant ? Railla Snape d'une voix amère.
Dumbledore choisit de ne pas relever le reproche qui bruissait sous les paroles acerbes.
- Tes souvenirs étaient ce qui te sauvait, Severus ! C'étaient ce que tu ES !
Un rire moqueur coupa les paroles du directeur et Harry eut le sentiment que ce rire était aussi désagréable qu'un sanglot.
- Alors j'aurai au moins réussi cela : j'aurai réussi à ne plus "être"! Oh, si vous saviez depuis combien d'années j'attends cet instant ! Depuis combien de temps je désire ne plus "être" tout simplement. Depuis toutes ces années où je ne suis plus qu'un cadavre qui pense. Mais ce n'est qu'une nouvelle erreur de ma part : l'oubli n'abolit pas la souffrance !
- Tu n'as pas le choix pourtant, Severus, déclara gravement Dumbledore, il te faut boire la coupe jusqu'à la lie, même si cela constitue le plus lourd de mes remords.
Snape eut un geste vague :
- Ainsi, nous devons chacun assumer nos remords et porter le poids de notre culpabilité… mais quelle sera votre rédemption à vous, Albus ? Vous mènera-t-elle jusqu'au bout de l'enfer, comme la mienne ?
Le vieil homme ouvrait la bouche pour répondre, mais Severus le coupa
- Ne vous inquiétez pas, Albus. J'irai jusqu'au bout : c'est le prix à payer pour le marché de dupe que j'ai passé avec vous. Mais je l'assumerai…
Dumbledore considéra un instant cet homme ferme et droit et Harry crut lire dans son regard de l'admiration se mêlant aux remords. Le directeur hocha gravement la tête et fit quelques pas vers la porte pour quitter les cachots. Severus lui tournait à présent le dos et Harry décida de saisir l'opportunité de quitter cet endroit lugubre en s'engouffrant à la suite du vieil homme.
Il passa, invisible, à côté de Severus qui se tenait appuyé au manteau de la cheminée, les yeux fixant d'un air absent les flammes qui dansaient dans l'âtre.
Pourtant, au moment où Dumbledore allait franchir le seuil de la pièce, suivi discrètement par Harry, la voix de Snape retentit derrière eux.
- De toutes façons, avoir brisé ces souvenirs n'a servi à rien.
Le vieil homme se figea pour observer la maigre silhouette qui tourna vers lui un pauvre sourire en pointant son propre front.
Leurs yeux se croisèrent longuement, avant que Snape ne détourne à nouveau le regard pour le reporter sur le foyer qui ne parvenait pas à réchauffer la pièce. Le directeur resta un instant figé devant le maître des potions, perdu au milieu de ses grandes robes noires. Puis il quitta la pièce sans bruit.
Harry se hâta de se faufiler hors du cachot, regrettant tout à la fois d'en avoir appris plus que ce qu'il souhaitait, mais également de ne pas avoir pu lire davantage de souvenirs de Snape avant que ceux-ci ne soient détruits. Il remonta, perplexe, déstabilisé par cette conversation qu'il avait surprise malgré lui, tentant en vain d'analyser son sens et les enjeux qu'avait soulevés cette discussion entre les deux maîtres.
Ce ne fut qu'une fois arrivé dans sa chambre, au milieu des meubles aux silhouettes rassurantes qu'Harry réalisa brusquement et regarda dans sa main : au cœur de sa paume reposait le dernier flacon des souvenirs brisés de Severus Snape….
