- « Quel bordel !
Voila que je parle seul maintenant, ce n'est pas dans mes habitudes mais depuis quelques temps, je ne sais plus quelles sont mes habitudes. Je voudrais partir, fuir, loin de cette foule, de ces retrouvailles, ces adieux, de ce brouhaha qui m'oppressera inévitablement. Mais je ne peux pas.
Je tente de slalomer entre ces groupes comprimés et anonymes. Le quai est blindé encore une fois cette année. J'aurai pensé le contraire, avec tous ces événements, cette guerre déclarée.
Je suis seul.
Ma valise est lourde, la cage de cette saleté d'hiboux me gêne mais que pouvais-je faire ? L'abandonner ? D'habitude la rentrée est pour moi une routine qui n'a rien d'exaltant. Père profitait de ce passage à Londres pour m'emmener aux Gagossian Gallery, nous buvions un thé à la réglisse puis nous rejoignions Kahoby qui surveillait mes bagages sur le quai 9 3/4 de la Gare King's Cross.
Aujourd'hui je suis seul et cette rentrée me paraît une étape insurmontable. Pourtant rien à changer. La locomotive rouge flamboyante est toujours là. Pourquoi rouge d'ailleurs ? Pourquoi n'est-elle pas verte ? L'horloge indique toujours l'heure, la fameuse pancarte indique bien Poudlard Express, pour les imbéciles qui ne savent pas où va la seule et unique locomotive de cette voie. La masse est toujours là, grouillante, foisonnante, dégueulant de couleurs vives et sales, suintant d'hypocrisie douçâtre, fumante de vapeur malodorante, mugissante de bruits, de cris, de geignements. Le dégout. O par Merlin ! Si j'avais le courage de fuir toute cette bouse de dragon, de faire demi-tour… Pour aller où ? Poudlard a toujours été ma seconde maison, quoique j'aie pu en penser autrefois.
J'ai peur.
On me bouscule. Ma cage tombe et cette saleté de hiboux se met à pousser des petits cris ridicules de panique. Je pense avec horreur que si j'étais un hibou, je ferais les mêmes cris.
- « Excusez-moi jeune homme !
Le rustre vêtu d'une cape violette fait mine de me venir en aide.
- « Laissez Monsieur, ce n'est pas grave.
J'adore ma voix. Elle ne me trahi jamais. Elle me donne une aisance, une assurance fière et sereine que je suis loin d'éprouver.
- « T'as vu papa, il est moche le hibou ! Gazouille une petite fille accrochée à la main du rustre. Celui-ci l'a fait gentiment taire en l'éloignant de moi.
Saleté de morveuse, ignoble créature, ramassis de crotins de Doxys aux baguettes vermoulues ! Je haie les gens ! Je sers les dents et continue ma progression branlante vers mon wagon coutumier. Cette habitude, je ne veux pas la perdre.
Arrivée à destination, j'essaie de hisser mes bagages à l'intérieur. Essoufflé, je reprends ma respiration en observant de nouveau ces êtres autour de moi. La gare est immense, lumineuse, surmontée d'un formidable dôme en verre porté par de gigantesque arcades de fer finement forgées. Quelques balustrades baroques surplombaient le quai. J'imagine cet endroit désert, imprégnée d'une lumière et d'un silence quasi religieux, débarrassé de ces cafards grouillants. Le quai 9 ¾ est vraiment prodigieux, la magie avec laquelle il fût conçu est impressionnante. Je ne peux qu'admirer. J'aimerai revenir ici mais totalement seul. D'ailleurs cet endroit existe-t-il en dehors d'un premier septembre ?
Mon observation s'arrête sur un homme en train d'exécuter un sortilège d'allègement aux valises de son jeune fils. Comment n'y avais-je pas pensé plus tôt? Pour ma défense, je dirais que je n'ai jamais eu à porter de valises de ma vie. Je lance à mon tour ce sortilège d'allègement à mes biens et entre facilement dans mon compartiment.
Je m'installe contre la fenêtre en accrochant dignement ma cravate. Ma cravate noire au blason vert des Serpentard, elle et ma baguette sont mes seules protections. Je reprends mon observation dans le calme de mon compartiment.
La foule compacte se fige progressivement pour se tourner dans une seule direction : Potter. Il vient d'entrer dans le quai, entouré de deux molosses, sûrement des Aurors. Les Wesley et Granger suivent également. Jamais seul Potter, jamais les uns sans les autres ! Quel courage !
Potter n'a pas l'air heureux, il baisse la tête pour ne croiser personne et remet régulièrement ces cheveux au devant de son front. L'idiot ! S'il veut passer incognito, il n'a qu'à changer de lunettes ! Ces deux compères partent de leur côté, vers le wagon des préfets. Potter parle apparemment de sujets sérieux avec le père Weasley. Quel spectacle désolant ! Ne se rendent-ils pas compte de ce qu'ils représentent ? Des stéréotypes de héros, les gens les admirent, ils impressionnent, intriguent, donnent espoir et font peur ! Personne ne voudrait être à leur place. En fait, on parle de guerre mais celle-ci n'implique qu'eux et le maître des Ténèbres.
Je n'ai rien à faire de leurs histoires, je n'ai rien à me reprocher, je suis un sang pur, un des deux représentant de l'estimable famille Nott. Je dois faire honneur à mon nom comme à mon sang.
La porte coulisse. Amory Dolorosys. Un Serpentard de cinquième année maintenant. Il entre en trainant deux énormes sacs. Il sort sa baguette et les lévites sur les porte-bagages
- « Merde au règlement ! Grogne t-il. Il s'installe lourdement face à moi en soufflant « quel bordel ! »
J'esquisse un sourire. Il me fixe et hausse les sourcils d'une curiosité modérée. Je crois qu'il ne m'a jamais vu sourire.
Je reprend mon observation de la foule. Amory fait de même.
- « A qui le dis-tu…Murmurais-je.
Amory ne relève pas. Il sort d'un de ces sacs ses éternels livres de dessins noirs et blancs moldus et se met à le lire dans le mauvais sens comme d'habitude.
Je suis rassuré, au moins le trajet jusque Poudlard restera le même que les années précédentes.
Nous ne parlerons pas, ou si peu. Amory lira sa littérature moldue en esquissant de temps en temps un sourire et moi je regarderais le paysage, le front collé sur la vitre froide de notre compartiment. Personne ne nous dérangera. Les Serpentards savent que nous ne voulons pas de compagnie et les autres ne voudraient pour rien au monde approcher des Serpentards.
Je feuillète les quelques livres qu'Amory laisse à disposition. C'est étrange, les moldus dessinés ont de grands yeux que deux simples couleurs arrivent à rendre brillants. Ils n'ont presque pas de nez et leurs lèvres sont trop fines mais je les trouve fascinant. La première fois que j'ai feuilleté ces livres, Amory rentrait en première année, je n'ai pu m'empêcher de lui demander si les dessins représentaient des moldus pacque je les pensais beaucoup moins beaux. Il m'a expliqué que les moldus aimaient se représenter différemment de ce qu'ils sont vraiment. Qu'ils aimaient se rendre beaux mais aussi s'inventer des pouvoirs magiques. Je fus surpris. Je ne savais pas que les moldus pouvaient avoir de l'imagination et de la créativité, en fait je ne savais pas qu'ils pouvaient penser. J'avais conseillé à Amory de ne pas sortir ces bouquins moldus si jamais il entrait à Serpentard. Il m'a remercié depuis.
Le voyage s'est bien passé. Je me suis nourrie de Patacitrouille.
Nous avançons rapidement vers les calèches.
Il fait déjà froid pour un premier septembre. Je vois au loin ces affreuses bêtes : des Sombrals. Quelle idée de mettre des Sombrals dans une école. Chaque année il y a toujours une ou deux élèves pour crier qu'il y a des bêtes affreuses qui tirent les calèches. Amory aussi les observe, il les a toujours vus. Il ne me l'a jamais dit mais ceux qui voient les Sombrals sont reconnaissables. Ils s'arrêtent le plus souvent quelque secondes avant d'embarquer, ils se figent, se taisent, ont le regard triste, mélancolique ou apeuré. L'année dernière, c'est Potter, il avait l'air ridicule en tentant de les montrer à sa bande. Il n'y a que Lovegood les voit aussi, depuis la première année d'ailleurs. L'idiote ! Depuis elle a gardé sa réputation de fabulatrice excentrique 'Loufoca', c'est comme ça qu'on l'appelle.
Nous entrons dans la grande salle. Amory me souhaite une bonne rentrée et part s'isoler à son emplacement habituel. Je fais de même, je rejoins mon coin de table. Comme ça m'avait manqué ! Je sourirais, si je n'étais pas autant entouré d'imbécile. Les gryffondors hurlent, les Pouffsouffle s'éssclaffent de tout leur souffle en bons blaireaux qu'ils sont, Les serdaigles pillassent comme des affamés, s'excitant sur leurs chaises. Seuls les Serpentards restent dignes et modérés.
La bande à Malfoy s'approche. C'est reparti pour une année d'apparence !
- « Nott.
- « Malfoy.
Je me lève.
Il me sert la main en me souhaitant une bonne rentrée. Je salue le reste de la bande : Zabini, Parkinson, Bulstrode, Greengrass, Goyle et Crabe. Toujours le même cérémonial. Nous nous saluons au retour et au départ de chaque vacance. Ils acceptent mon isolement depuis le début, je crois même que ça arrange Malfoy, après tout, nous sommes au même niveau social, c'est-à-dire le plus haut. Quoique Malfoy me regarde avec plus d'insistance que les autres années. Il s'attend certainement à ce que notre nouvelle condition de fils de prisonniers nous rapproche. Je ne relève pas et ignore sa tentative de connivence. Ils partent enfin de leur côté.
Cette année, les nouveaux Serpentard sont peu nombreux, onze seulement. A Gryffondor ils sont vingt-trois. L'élite se fait rare !
C'est reparti pour une année ! J'ai seize ans, j'ai l'impression d'en avoir cinquante. Je me laisse porter par l'ambiance Poudlardienne et me dirige lentement vers la salle commune retrouver mon fauteuil, mes habitude et ma solitude.
