Dans cette version, je me suis inspirée de l'époque où j'ai travaillé à l'hôpital Général Juif à Montréal – au bureau des archives et d'admission – pour payer mes études en enseignement. J'ai fantasmé et je me suis amusée à imaginer ce que pourraient devenir mes personnages préférés, s'ils se retrouvaient dans cet univers si particulier. Merci à Jane Austen pour ses merveilleux personnages.
N'oubliez surtout pas de me dire ce que vous en pensez aussi souvent que possible. J'apprécie énormément vos commentaires. Miriamme
Première partie
Penchées l'une vers l'autre, une nouvelle employée et sa formatrice étudiaient les différents formulaires qui pouvaient être utilisés par les médecins de l'urgence. La plus jeune des deux, Élisabeth Bennet, venait d'obtenir un poste à temps partiel au bureau de l'admission de l'hôpital DeBourg.
-Tu vois, chaque fois que tu recevras ce formulaire de réquisition de l'urgence, tu dois repérer rapidement quelle est l'unité de soin qui a été cochée. Ensuite, tu n'as plus qu'à attendre d'avoir parlé à l'urgentologue de garde. C'est lui qui te dira où tu dois placer le patient et à quel moment.
-J'imagine qu'il y en a qui sont plus agréables que d'autres?
-Les médecins? Non, pas vraiment, ils sont tous arrogants, allégua Éléonore, mais je te laisse le soin de découvrir par toi-même lesquels le sont davantage.
La sonnerie du téléphone fit sursauter les deux filles. Éléonore pointa en direction d'Élisabeth pour l'inciter à répondre.
-Oui, allô! Ici la répartitrice, récita-t-elle d'une voix incertaine.
-Lizzie, nous avons un nouveau bébé, lui annonça la voix joyeuse de sa sœur Jane qui travaillait à la maternité.
Élisabeth soupira de soulagement. Avec les naissances, elle savait exactement quoi faire.
-Très bien, je t'écoute Jane…
Entrant rapidement les informations nécessaires dans le programme informatique conçu pour produire le numéro de dossier temporaire du nouveau-né, Élisabeth le répéta à sa sœur et imprima le rapport.
Éléonore supervisa la nouvelle employée pendant encore une heure avant de la laisser seule. Le reste de la soirée, Élisabeth réalisa le travail de répartitrice entièrement seule, bien contente toutefois de pouvoir consulter sa collègue au besoin.
Comme elle étudiait à l'université durant la semaine pour devenir enseignante, Élisabeth ne revint à l'hôpital que le vendredi soir suivant. Dès qu'elle passa les portes du bureau d'admission ce soir-là, elle constata immédiatement que le climat était beaucoup plus tendu que la semaine précédente.
Cherchant Éléonore des yeux et ne la trouvant pas, Élisabeth s'approcha alors de Nadira, une charmante fille d'origine musulmane à qui elle avait déjà serré la main lors de sa première journée. Éléonore vint les rejoindre assez rapidement et manifestement très en colère contre le nouveau médecin de garde qui ne cessait de la harceler avec ses questions précises et embêtantes à propos des procédures qu'il critiquait sans arrêt. Prévenue à l'avance, Élisabeth attendait avec anxiété le premier appel qu'elle recevrait de lui.
Lorsque le téléphone sonna pour la première fois, elle souleva le combiné et répondit d'une voix tendue : Booking?
-Yes, I would like to call in a patient! Emergency Red Unit Bed 22, récita une voix ferme et un peu essoufflée.
-C'est noté. Quel est son nom de famille?
-Bernstein. Vous parlez français?
-On est au Québec non? Où voulez-vous envoyer monsieur Bernstein?
-Unité MHA, temporairement.
-Avez-vous son numéro de dossier?
-Pourquoi?
-Afin que je puisse vérifier s'il a été déclaré VRE ou MRSA…
Fière d'avoir songé à le lui demander, Élisabeth remercia Éléonore en pensée pour l'excellence de sa formation. En effet, le jeune femme savait maintenant que les patients qui avait été testés pour ces deux virus et qui en étaient porteurs, devaient automatiquement être placés dans des chambres isolés.
-Pas la peine, j'ai déjà vérifié, rétorqua le médecin d'une voix impatiente.
-Très bien, votre nom s'il-vous-plait?
-Docteur William Darcy. Et le vôtre?
-Je me nomme Élisabeth. C'est à moi que vous allez vous adresser durant toute la soirée.
-Bien, à plus tard alors.
Après avoir raccroché, Élisabeth se déclara satisfaite d'elle-même. Elle entra le nom du patient dans l'ordinateur afin de consulter son dossier d'admission. C'est alors qu'elle constata qu'il venait tout juste d'être transféré de l'hôpital Notre-Dame et qu'à cet effet, il allait devoir être traité de la même manière que s'il était déjà porteur de l'un ou l'autre des deux virus. Élisabeth s'empressa alors de joindre l'urgence afin d'en discuter directement avec le Docteur Darcy.
Le préposé de l'accueil lui répondit que celui-ci n'était pas disponible. Élisabeth en profita alors pour demander au préposé si l'homme en question avait déjà été transféré ou s'il était encore à l'urgence. Elle souhaitait de tout cœur qu'il ne fut pas encore arrivé dans l'unité de soin MHA, où il serait en contact avec d'autres malades.
-Il est en route pour le MHA, lui confirma l'employé étonné de l'entendre jurer à l'autre bout de la ligne.
-Oh, non... Il doit être considéré MRSA ou VRE positif... Il faut qu'il soit isolé. Je vais appeler l'unité MHA. Pouvez-vous demander au docteur Darcy de me rappeler?
Après avoir raccroché, Élisabeth appela immédiatement les infirmières de l'unité MHA pour leur demander si elles étaient en mesure de mettre le patient dans un isoloir à son arrivée. Devant la réponse négative de celles-ci, elle ordonna le retour du patient à l'urgence. Toutefois, pour être certaine de ne pas avoir commis d'erreur, elle contacta l'infirmière chef qui lui confirma qu'elle avait pris la bonne décision. Soulagée, Élisabeth se remit au travail, s'attendant à tout moment à recevoir un autre appel du docteur Darcy.
Durant l'heure qui suivit, Élisabeth vérifia la disponibilité des lits sur les étages en téléphonant dans chaque unité de soin et en profita pour leur demander si l'une d'elles avait une chambre où monsieur Bernstein pourrait être mis en quarantaine. Une fois qu'elle en eut repérées deux, elle commença enfin à se détendre.
-Booking, répondait-elle dix minutes plus tard.
-Vous êtes folle ou quoi? Pourquoi avoir retourné le patient à l'urgence? Qu'est-ce que c'est que cette histoire d'isolation? Ce patient n'est pas plus contaminé que vous ou moi, l'intima la voix colérique du Docteur Darcy.
-Mais pourtant, il a été hospitalisé à Notre-Dame, il y a deux mois, balbutia la jeune femme.
-Je sais ça. J'ai lu son dossier médical en entier. Je l'ai même sous les yeux. Il a été testé pour les deux infections en quittant l'hôpital Notre-Dame. Les résultats étaient négatifs dans les deux cas. Vous auriez dû me consulter avant d'annuler l'admission, la sermonnait-il méchamment.
Tout en bouillant intérieurement de rage et d'indignation, Élisabeth lui expliqua calmement qu'elle avait tenté de le joindre, mais qu'il n'était pas disponible.
-Je vous avais pourtant dit que le patient n'était contaminé ni par le MRSA ni le VRE, reprit tout de même le médecin.
-Oui, mais nous n'avions pas discuté de son passé médical... selon les directives... tous les patients ayant fréquentés l'hôpital...
-Épargnez-moi votre baratin, la coupa-t-il sèchement, vous êtes encore plus incompétente que vos deux collègues et je vais le faire savoir à qui de droit, la menaça-t-il.
-Si ça peut vous apporter une quelconque satisfaction faites-le, rétorqua-t-elle en sentant la colère à gagner à son tour.
-Vous savez bien que je suis obligé de faire un rapport de la situation. On ne promène pas les patients comme ça. C'est inhumain, renchérit-il.
-Il me semble à moi qu'il vaut mieux en promener un de plus que d'avoir à composer avec un problème de contamination. Entre deux maux, j'ai choisi le moindre, se défendit la jeune femme.
-Le déplacement du patient aurait pu être évité si vous m'aviez fait confiance, la harangua-t-il vertement.
-Bon. Excusez-moi Docteur Darcy, mais j'ai un patient à admettre et je dois finir d'appeler sur les étages pour mettre à jour la liste des lits disponibles, prétendit-elle.
-Soyez assurée que cette histoire n'en restera pas là, la prévint-il avant de raccrocher.
-C'est que voyez-vous, sur ce sujet là, MOI, je vous fais confiance, rétorqua-t-elle, déplorant qu'il eut déjà raccroché.
Fixant le téléphone en bouillant de rage, Élisabeth communiqua avec l'infirmière chef afin de rapporter l'incident. Celle-ci la rassura en lui disant que dans les circonstances, elle n'avait rien à se reprocher. La coordonnatrice promit même à Élisabeth d'en glisser un mot à leur patronne le lendemain. La jeune femme remercia l'infirmière, raccrocha et continua à appeler sur les étages pour terminer l'inventaire des lits disponibles et mettre à jour le tableau des médecins de garde.
Vers 21h00, un décès survint à l'urgence. Lorsque le dossier lui parvint, Élisabeth chercha le certificat de décès et constata immédiatement que la signature était celle d'un résident et non d'un médecin permanent, elle s'empressa de contacter le préposé à l'accueil de l'urgence et lui demanda de venir chercher le dossier à l'admission afin qu'il soit contresigné par un autre. Quelques minutes plus tard, la sonnerie du téléphone la fit sursauter à nouveau : Booking?
-J'appelle pour un décès, l'interpella la voix qu'elle avait appris à redouter.
-Je vous écoute, lui annonça-t-elle froidement.
-Vous ne vous occupez tout de même pas des décès en plus des admissions? S'insurgea-t-il tout à coup.
-Durant les soirées et la fin de semaine, nous faisons tout, lui expliqua-t-elle patiemment.
-Je vois!
-Que voyez-vous exactement?
-Plus de chance de faire des erreurs...
Exhalant un profond soupir, Élisabeth décida de ne pas relever l'insulte et exigea de savoir ce qu'il attendait d'elle.
-Le dossier médical de monsieur Abramovitch, je veux savoir pourquoi il nous a été retourné?
-Euh, il y avait un problème avec le certificat de décès, lui expliqua-t-elle.
-Il était signé pourtant.
-Oui, mais le docteur Gabay - dont la signature apparaît sur le papier - n'est pas sur la liste officielle des médecins permanents de l'hôpital. C'est un résident.
-Le signataire n'est pas le docteur Gabay, soupira-t-il, c'est moi qui ai signé le dossier.
-Merde...
-Je ne vous le fais pas dire...
Après un long silence, Élisabeth osa suggérer, vous devriez montrer votre signature aux préposés de l'urgence, ils pourraient la reconnaître ensuite. Quant à moi Docteur Darcy, c'est la dernière fois que vous me voyez la confondre avec une autre, soyez en certain, lui promit-elle.
-Vous n'en aurez certes plus l'occasion. Après le rapport que je vais laisser sur vous.
Élisabeth mourrait d'envie de répliquer, mais se fit violence et le laissa plutôt poursuivre.
-Je quitte dans dix minutes. Le docteur Richard me remplacera. Ah, j'oubliais, j'ai ordonné aux préposés de ne pas aller vous rapporter le dossier eux-mêmes... après tout, c'est votre erreur.
Ayant dépassé le stade de la colère, Élisabeth retrouva soudainement sa bonne humeur. D'un ton sarcastique, elle remercia le jeune homme pour toutes ses gentillesses et poussa même l'audace jusqu'à lui souhaiter de passer une excellente nuit.
-Ne comptez pas sur l'hôpital pour vous donner une lettre de référence, cracha-t-il juste avant de raccrocher.
Après avoir déposé le combiné, Élisabeth se mit à rire aux éclats toute seule pendant au moins dix minutes au risque de passer pour une folle aux yeux des quelques employés qui passaient devant le bureau d'admission à cette heure tardive.
Évidemment, très tôt le lendemain, elle fut réveillée par la sonnerie de son téléphone et dut s'expliquer avec sa patronne Anna qui souhaitait éclaircir la situation avec elle. Anna fut très surprise de constater à quel point Élisabeth était fâchée contre le médecin en question, mais suite à son témoignage, elle la rassura en lui disant que sa version concordait avec celle de l'infirmière-chef et que le docteur Darcy ne pouvait donc pas avoir gain de cause. Elle l'informa toutefois que pour respecter les normes de l'hôpital, elle était obligée de conserver le rapport rédigé par celui-ci dans son dossier personnel. Résignée, Élisabeth passa le reste de la semaine à ronger son frein en pensant au docteur Darcy.
Le mercredi soir de cette même semaine, Jane appela sa sœur pour lui rappeler qu'elles devaient toutes deux aller à la soirée bénéfice organisée par l'hôpital pour ramasser de fonds pour les enfants atteints de cancer. Tous les employés de l'hôpital étaient invités. Pour l'occasion, Élisabeth avait décidé de mettre la robe qu'elle avait achetée pour aller à son bal de graduation qui aurait lieu à la fin de l'année scolaire. Jane, quant à elle, avait tellement d'ensembles à essayer qu'elle n'arrivait pas à se décider.
Le moment venu, les deux jeunes femmes arrivèrent légèrement en retard à cause des nombreux essayages auxquels Jane se contraignit pour être certaine de faire le bon choix.
Lorsque la directrice de l'hôpital prit la parole, elle demanda à tous les invités de se prêter à un jeu. Elle suggéra que personne ne porte son insigne d'identification et que la soirée se déroule sous le couvert de l'anonymat. La suggestion fut acceptée à l'unanimité.
Très rapidement, les collègues de Jane virent la chercher pour danser. Élisabeth lui envoya la main un grand sourire aux lèvres. Contrairement à ses craintes, Élisabeth constata que l'ambiance était très agréable. Éléonore et Nadira, les deux seules collègues de son département qu'elle connaissait suffisamment étaient déjà occupées à danser. De loin, Élisabeth vit sa sœur être invitée par un très bel homme avec qui elle engagea la conversation tout en dansant.
Élisabeth les observait toujours en retrait, un léger sourire sur les lèvres.
-Ils forment un couple parfait, lui souffla une voix de femme.
Charlotte Lucas, une employée du bureau des archives avec qui Élisabeth avait déjà travaillé l'été d'avant se tenait dans son dos et lui proposa de venir se joindre à elle pour aller commander une boisson au bar. Contente d'avoir quelqu'un à qui parler, Élisabeth accepta joyeusement sa proposition et marcha derrière elle naviguant difficilement parmi les couples qui étaient nécessairement de plus en plus nombreux sur la piste de danse. Elles arrivèrent tant bien que mal au bar au moment où un homme s'en éloignait. Il fut assez rapide pour éviter Charlotte, mais se heurta violemment à Élisabeth qui la suivait de trop près. Une fois le choc passé, elle fut la première à se ressaisir.
-Pardon... Je ne vous avais pas vu, balbutia-t-elle, toujours au sol.
-Ce n'est rien... je n'avais qu'à regarder devant moi, rétorqua l'homme et se relevant prestement.
Jetant un œil appréciateur au spectacle qu'elle offrait en tentant de se relever, il s'empressa de lui tendre sa main, non… en fait, je ne suis pas mécontent de vous avoir bousculé, ajouta-t-il en l'enveloppant d'un regard appréciateur.
-Pardon?
-Ça m'a permis de faire votre connaissance, se justifia-t-il, aimeriez-vous danser?
-Comme ça, tout de suite?
-Vous rougissez, donc j'imagine que ça vous intéresse...
-Mais… mon verre?
Lui prenant le bras pour la ramener vers lui, il l'entraîna vers la piste de danse après lui avoir glissé à l'oreille :
-Laissez donc votre amie s'en charger...
Troublée par le contact soudain de ses mains sur son bras et par la douceur de la voix qui s'adressa à elle, Élisabeth se retourna vers Charlotte à qui elle demanda : Prends-moi une Corona.
-Elle vient danser avec moi, renchérit son compagnon en la poussant devant lui.
Une fois arrivé au centre de la piste, l'homme la prit doucement dans ses bras, un sourire narquois sur les lèvres : Nous avons de la chance... c'est un slow... Tous mes souhaits sont exaucés.
-Vous me flattez.
Le nez dans la chevelure d'Élisabeth, l'homme semblait savourer l'instant.
-Vous portez «L'air du temps»? C'est mon parfum préféré, s'exclama-t-il.
Une longue minute de silence s'écoula. Profitant du mouvement circulaire de leur danse, Élisabeth scruta les alentours et observa les autres couples. Elle constata que plusieurs personnes les observaient. Lorsque ses yeux se posèrent sur Charlotte qui l'attendait toujours au bar avec sa bière dans la main, l'homme s'adressa à nouveau à elle.
-Vous travaillez aux archives depuis longtemps? Lui demanda-t-il.
-Qui vous dit que je travaille aux archives?
-Simple déduction... Ai-je raison?
-Vous n'espérez pas à une réponse j'espère...
-Non, évidemment... le mystère vous sied aussi bien... que votre parfum...
Charmée par son sens de l'humour, Élisabeth ricana doucement. L'homme en profita alors pour la tenir encore plus serrée contre lui.
-Puis-je vous dire à quel point votre présence me trouble? Lui susurra-t-il au creux de l'oreille.
-Dois-je en être flattée?
-Vous seule pouvez répondre à cette question.
-Oui, mais est-ce prudent?
-Vous êtes très séduisante...
-Et vous... un vilain flatteur. Il y a longtemps que vous travaillez à l'hôpital?
-Non, pas vraiment... Pourquoi cherchez-vous à changer de sujet?
-Vous allez trop vite, il me semble, déglutit-elle.
-Seriez-vous prude?
-Timide plutôt...
La musique s'arrêta à cet instant précis.
-N'avez-vous pas envie de me tenir compagnie ce soir? Lui proposa-t-il en lui ramassant la main et la gardant dans la sienne.
-Si vous voulez...
-Non... si vous restez avec moi... il faut que ce soit parce que vous le désirez vous aussi...
-Très bien... je prends le risque...
-Vous avez raison... il y a un risque... car je vous l'ai dit... je vous trouve très séduisante.
Voyant que la danse avait repris autour d'eux, l'homme passa son bras autour de la taille d'Élisabeth et l'entraîna hors de la piste.
-Où donc m'emmenez-vous?
-Là où je n'aurai pas à vous partager avec tous les hommes qui ne peuvent détacher leurs yeux de votre merveilleuse silhouette... ne remarquez-vous donc rien?
-Si. Les femmes me dévisagent avec des couteaux dans les yeux... elles voudraient toutes danser avec vous...
-Erreur. Elles vous en veulent de détourner l'attention de leurs compagnons sur vous...
Arrivée au bord de la terrasse, Élisabeth regarda au loin et aperçut Jane qui dansait toujours avec le même jeune homme. Elle sourit intérieurement en pensant qu'elles avaient toutes deux vraiment beaucoup de chance. Lorsqu'elle reporta son attention sur son voisin, elle constata qu'il la dévisageait intensément et qu'il était beaucoup plus près qu'elle ne l'avait initialement prévu. Son cœur battait très fort et la nervosité la gagna.
-Qu'est-ce qui vous inquiète?
-C'est-à-dire, commença-t-elle.
-Vous tremblez, constata-t-il.
-C'est que vous êtes trop près...
S'appuyant complètement contre elle, il rétorqua : et comme ça, c'est mieux?
Devinant qu'il se moquait totalement d'elle, Élisabeth vint pour rebrousser chemin. Devant sa résistance, elle le taquina à son tour, ce n'est pas juste, vous jouez avec moi...
-Je ne joue pas. J'ai envie de vous embrasser et je m'arrange pour que ça arrive, admit-il d'une voix rauque.
-Vous croyez vraiment que ce serait une bonne idée?
-Et vous, vous m'en voudriez beaucoup si je le faisais?
-Oui... en fait non... c'est que je ne vous connais pas, plaida-t-elle.
-Moi non plus...
Sans lâcher Élisabeth des yeux, l'inconnu se pencha et déposa doucement ses lèvres sur celle de la jeune fille. Son baiser était doux et ses lèvres fraîches. Élisabeth fut heureuse de constater qu'il ne faisait qu'effleurer ses lèvres et qu'il ne cherchait pas à s'imposer davantage. Rassurée, elle releva la tête et lui sourit.
-Ça c'était pour faire connaissance, la prévint-il.
Ne sachant comment interpréter ses paroles, Élisabeth vint pour l'interroger, mais fut réduite au silence par sa bouche qui fondit sur elle. Le second baiser fut vraiment différent du premier. En fait, il correspondait tout à fait à l'idée qu'Élisabeth s'était faite de ce qu'aurait dû être le premier baiser. Incapable de raisonner, la jeune fille y répondit avec autant d'abandon que lui. Lorsqu'il releva la tête, Élisabeth constata que ses deux mains étaient occupées à jouer avec l'abondante chevelure de l'homme et qu'elle donnait totalement l'impression d'être prête à aller encore plus loin.
-C'est très agréable de vous connaître mieux, soupira-t-il d'aise. Il ne me manque plus que votre nom? Non, en fait, attendons plutôt après le prochain baiser...
-Non, le repoussa-t-elle. Je dois aller rejoindre mon amie. Elle doit me chercher...
-Si elle est intelligente, elle ne vous cherche plus à l'heure qu'il est.
La reprenant dans ses bras et l'embrassa tendrement dans le cou.
-Vous êtes une inconnue très désirable. J'aimerais beaucoup faire l'amour avec vous...
-Non! S'insurgea-t-elle.
-Votre raison dit non, mais il se trouve que votre corps lui est très coopératif...
Élisabeth vint pour protester une seconde fois en le repoussant, mais l'inconnu la maintint fermement contre lui. Lorsqu'elle vint pour ouvrir la bouche, il prit à nouveau possession de ses lèvres et l'embrassa fougueusement. Enivrée, Élisabeth abandonna toute résistance et s'accrocha même à ses larges épaules. Lorsqu'il délaissa temporairement sa bouche pour aller explorer son cou et son lobe oreille, Élisabeth était si chavirée qu'elle oublia totalement où ils étaient.
-Il faut absolument qu'on trouve un endroit plus intime... Venez, je vous emmène chez-moi, lui proposa-t-il.
Le jeune homme reprit alors sauvagement possession de sa bouche et commença à laisser ses mains explorer librement le corps de la jeune fille. Lorsque ses mains se posèrent sur ses seins, Élisabeth sursauta, car une étrange vibration lui chatouillait le ventre, l'obligeant à se reculer. Le jeune homme releva la tête, s'écarta vivement d'Élisabeth et jeta un œil au le numéro qui venait de s'afficher sur son téléphone portable.
-Oh, non, rouspéta-t-il, je dois vous quitter...
-Vous êtes médecin?
-Oui, admit-il. Je dois vous quitter, une urgence... Il faut absolument qu'on se revoit?
-Je ne sais pas si c'est une bonne idée, s'inquiéta Élisabeth.
-Attendez-moi. Je veux dire, ne partez pas trop tôt si c'est possible... avec un peu de chance, j'arriverai à me libérer assez vite... Mais, au cas où ce ne serait pas possible, j'ai au moins besoin de savoir où vous travaillez... aux archives médicales?
Sans attendre une réponse, il posa une dernière fois ses lèvres sur celle d'Élisabeth avant de la quitter.
Restée seule, Élisabeth reprit lentement ses esprits et ne savait plus si elle devait se réjouir ou déplorer cette rencontre. Elle était perdue dans ses pensées qu'elle tentait désespérément de mettre en ordre lorsqu'une voix la tira de sa rêverie.
-Lizzie, tu l'as laissé partir? À ta place, je l'aurais retenu de force, l'agaça Charlotte.
-Il a reçu un appel. Une urgence, bredouilla Élisabeth.
-Tu as beaucoup de chance... c'est de loin l'homme le plus séduisant de la soirée? Dis moi ton secret... comment as-tu fais pour qu'il te remarque?
-Je n'en sais rien... c'est arrivé comme ça... tout d'un coup...
-Il ne parle jamais à personne, lui apprit Charlotte.
Soudainement honteuse, Élisabeth se couvrit le visage de ses deux mains.
-Oh Charlotte, mais qu'est-ce que j'ai fait?
-Tu t'es simplement assurée de rendre toutes les filles ici jalouses en attirant l'attention d'un très bel homme, s'amusa Charlotte.
-J'ai complètement perdu la tête, tu veux dire.
-Ça tu peux le dire. Tiens, voilà ta bière, elle est chaude mais c'est de ta faute... je n'ai pas osé vous interrompre.
Pendant qu'Élisabeth porta sa bouteille à sa bouche, Jane arriva derrière elle, un immense sourire sur les lèvres.
-Ah, tu es là Lizzie. Je te cherchais.
-Jane, où est ton cavalier servant? S'intéressa Élisabeth, contente de trouver là un prétexte à changer de sujet.
-Il est en discussion avec la Directrice de l'hôpital. Il va venir me retrouver ici plus tard. Lizzie, ne devinera jamais qui est ici aussi ce soir? Lui lança mystérieusement Jane.
-Qui?
-Le docteur William Darcy.
-Vraiment? Où ça, lequel est-ce? S'intéressa Élisabeth en fronçant les sourcils.
-C'est un bon ami de Charles Bingley, mon cavalier servant. As-tu hâte de savoir à quoi il ressemble?
Silencieuse depuis l'arrivée de Jane, Charlotte se tourna vers Élisabeth, la bouche tordue d'une étrange façon.
-Elle le sait, hein Élisabeth? Même qu'elle l'a trouvé très séduisant…
-Le docteur Darcy, Séduisant? Enchaîna celle-ci les yeux maintenant exorbités. Ça m'étonnerait. Je ne le connais même pas, termina-t-elle en grimaçant.
-Tu l'as trouvé si séduisant qu'il t'a fait perdre la tête... insista son amie en imitant les intonations d'Élisabeth.
-Hein? Mais non, tu dois te tromper?
-Non, c'est bien avec lui que tu dansais…
-Mais, comment le sais-tu?
-C'est ma patronne Louise qui m'a renseignée, pendant que vous dansiez tous les deux.
-C'est impossible! S'indigna Élisabeth, la bouche grande ouverte. Oh, mon Dieu, qu'ai-je fait?
-Lizzie, c'est donc vrai, tu l'as vraiment rencontré? S'intéressa Jane.
-Jane, elle ne l'a pas seulement rencontré comme tu dis : j'appellerais plutôt ça « un coup de foudre ».
-Mais non, Charlotte. Tu exagères... Il ne s'est rien passé... rien de tel... Il m'a simplement invité à danser... Nous avons décidé de garder l'anonymat... il m'a avoué que je lui plaisais... nous sommes venus discuter ici... là... Oh, Seigneur, si j'avais su... Pourquoi, entre tous les médecins de l'hôpital, a-t-il fallu que je tombe sur lui?
-C'est tout, commenta Jane.
-Non... Jane… en fait, ce n'est pas tout. Il m'a pris dans ses bras... il m'a embrassé, avoua sa sœur en rougissant violemment.
-Et il serait allé beaucoup plus loin s'il n'avait pas reçu d'appel? Précisa Charlotte.
-Non. Il ne sait pas qui tu es? Comprit Jane.
-Non. Oh Jane, que vais-je faire? Conseille-moi. Il peut revenir à tout moment.
-Je ne sais pas quoi te dire… admit-t-elle en restant aussi silencieuse que Charlotte pendant quelques secondes. Quoi que, tu aies là une très belle occasion de te venger. Mais, oui, c'est vraiment une bonne idée... lorsqu'il reviendra - si vraiment il revient, tu n'as qu'à prétendre l'avoir séduit volontairement. Oui, c'est ça, tu lui jettes ton nom à la figure et tu fais une sortie digne des plus grandes actrices...
-Jane, j'étais consentante lorsqu'il m'a embrassée, je l'ai même encouragé.
-Qu'est-ce qu'une femme ne ferait pas pour se venger, ajouta Jane.
-Excusez-moi les filles, mais c'est quoi cette histoire de vengeance? Les interrompit Charlotte.
Brièvement, Jane et Élisabeth lui racontèrent, comment de docteur Darcy en était venu à porter plainte contre Élisabeth et ses deux collègues. Comment ensuite celles-ci avaient dues s'expliquer avec la direction et comment surtout Nadira et Éléonore avaient été malmenées. Si Élisabeth s'en était tirée sans une seule égratignure, c'est uniquement parce qu'elle avait eu la bonne idée d'informer l'infirmière chef de la situation dès le début.
-Alors, que vas-tu faire? L'interrogea Charlotte qui pour la première fois, mesurait la situation en fonction des événements.
-Je ne sais pas… je ne sais plus...
Une voix masculine arrivant de l'intérieur prit le trio par surprise.
-Ah Jane, c'est là que vous vous cachiez?
-Charles, laissez-moi vous présenter ma sœur Lizzie et Charlotte, une bonne amie.
Charles serra la main d'Élisabeth et lui demanda où elle travaille.
-Ma sœur et elles ont toutes les deux commencé aux archives médicales, précisa Jane jugeant qu'il était préférable de rester évasive.
-Et vous Charles, où travaillez-vous? Lui demanda Élisabeth.
-À l'urgence. Je suis un urgentologue...
-Vous n'êtes pas de garde ce soir?
-Non Charlotte. Dieu m'en garde. Mon ami William l'était et il a déjà été appelé... il risque d'en avoir pour la nuit... Jane, voulez-vous danser maintenant?
-Je veux bien. Lizzie, tu vas rester n'est-ce pas? S'enquit Jane en lui faisant un clin d'œil.
-Je t'ai dit que j'allais y penser...
Ne sachant quelle décision prendre, Élisabeth suivit sa sœur des yeux tandis qu'elle s'éloignait au bras de son cavalier et demanda à Charlotte de la laisser seule.
Pourquoi, entre tous, et pour la première fois de sa vie, avait-il fallu qu'elle perde la tête pour celui-là même que tout l'obligeait à détester. Comment faire pour justifier son comportement auprès de lui. Avouer qu'elle ne connaissait pas son identité, serait se rendre vulnérable à ses yeux, prétendre qu'elle savait qui il était, serait détruire ses chances d'apprendre à le mieux connaître. Et lui, comment réagirait-il en apprenant sa véritable identité? Il serait certainement furieux. Surtout s'il avait reçu les commentaires de sa patronne au sujet de l'incident de la fin de semaine.
Elle en était là dans ses réflexions, lorsqu'une main se posant sur son épaule l'obligea à se retourner.
-Me revoilà, s'exclama joyeusement William Darcy.
-Si tôt? Bégaya Élisabeth.
…À suivre…
Merci de commenter... Miriamme
