Hello tout le monde ! Je reviens d'entre les morts avec un petit OS sur Aventures, encore et toujours, trois fois rien. Bon, je sais que je suis très peu présente ici, sur Twitter et internet de manière générale en ce moment, mais c'est juste à cause de mes études. Je suis en révisions mi-avril, en partiels fin avril et en grandes vacances (oui oui) le 5 mai. Je vais essayer de poster 2-3 petites choses d'ici là, mais je serai à nouveau vraiment active en mai ! (Pour ceux qui suivent ma fiction principale, Escape from reality, je pense qu'elle ne reviendra pas avant mi-avril)

Cela dit : ce texte est dans un style un peu différent de celui de d'habitude. Je teste des choses, j'expérimente, n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez !

Des bisous sur vous, j'espère que ça va vous plaire ! :)


8h du matin.

Soleil levant.

Autour du puit à larges bords, une dizaine de femmes s'activent. Elles bavardent gaiement, assises sur la margelle aux pierres encore froides, debout à côté tirant vivement leur seau hors de l'eau ou tenant leur récipient contre leur hanche en attendant leur tour pour puiser. Elles se sourient avec amitié en se croisant, s'embrassent, aident les plus vieilles et les enfants à porter leur seau trop lourd. Elles se confient les secrets et les méfaits du village, jouant la surprise ou annonçant à la volée qu'elles se sont toujours méfiées de cette petite trainée, de ce vieux dégoutant ou de cet étranger au teint trop pâle. Par groupes de 3 ou 4, elles rentrent lentement chez elles, profitant de la fraicheur de la matinée qui ne durera pas : au cœur de cet été lourd et sec, il ne fait pas bon mettre le nez dehors après 11h du matin. Trop chaud, trop sec.

L'eau des seaux ne risque pas encore de chauffer sous l'effet du soleil violent : elles s'arrêtent devant la maison de chacune et les au-revoir s'éternisent, agrémentés des derniers ragots de la journée (« Il est encore sorti de chez lui hier soir, il ose vraiment tout… », « Mon mari lui a fait détruire un nid de frelons en échange d'un repas, il faut bien être un peu généreux de nos jours », « Je l'ai croisé l'autre nuit, en rentrant des champs… Il m'a regardée, qu'est-ce que j'ai eu peur ! »). Finalement, la dernière porte se ferme derrière la dernière puiseuse et les rues se taisent.


10h du matin.

Soleil levé.

Autour du puit qui résonne de son eau frémissante, quelques enfants babillent. Ils courent autour des pierres, grimpent sur le toit de bardeaux qui protège l'eau de la lumière et de la chaleur, glissent, se rattrapent, éclatent de rire. Ils se poursuivent, chantent des airs innocents et jouent dans la poussière du village. Soudain, le plus grand a une idée. Il a 10 ans, il est grand, il est fort. C'est un jeune chef qui donne ses ordres et ses troupes lui obéissent, plus ou moins sagement.

« Allez, ramassez des pierres et suivez-moi ! Prenez-en autant que vous pouvez ! »

La petite armée obtempère et les mains s'activent. Les poches, les tabliers se remplissent de cailloux de diverses formes et de diverses tailles. Finalement, les enfants se mettent en marche derrière le général improvisé. Ils rient beaucoup et se demandent à haute voix où on les conduit ainsi. Pourvu que ce ne soit pas trop loin ! Ils sont lourds, ces cailloux. Et ils font mal aux mains. Soudain, le petit convoi s'arrête. A force de bavarder, de chanter et de se disputer, les enfants n'ont pas vu le temps passer.

Le général les a faits s'arrêter devant la dernière maison du village, une petite cahute assez délabrée, à l'écart des autres, qui fait peur aux plus petits. Certains se mettent à pleurer : Maman ne veut pas qu'ils aillent ici ! Elle dit que c'est dangereux, que le monsieur qui vit là est très méchant et va leur faire du mal ! Le chef les bouscule un peu :

« Allons, vous n'êtes pas des bébés ! Vous ne craignez rien, de toute façon, je suis avec vous. »

Un peu rassurés, les petits se taisent. Leurs sanglots disparaissent aussi vite qu'ils étaient apparus : le jeu qu'on leur propose est si amusant ! Cette masure n'a pas de vitres aux fenêtres, on peut donc très facilement lancer les pierres dans la maison ! C'est le papa de Meeri qui leur a appris. Les plus habiles réussissent du premier coup, mais la plupart des projectiles n'atteint pas l'objectif désiré. Une pluie de cailloux s'abat sur les planches qui servent de murs et claquent contre le bois sec. Tac tac tac ! Quel drôle de bruit ! Tac tac tac tac ! Oh, Michal a atteint la fenêtre, bravo Michal, bravo ! Tac tac tac tac tac tac tac tac tac tac tac OOOOOH ! Deux grands yeux en colère ont surgi derrière la fenêtre assaillie.

Terrorisés, les enfants s'enfuient en criant et retournent chez eux.

Ils n'ont pas vu les yeux en colère se remplir de larmes à leur vue et retourner se cacher dans leur ombre familière.


Midi.

Soleil de plomb.

Autour du puit dont les pierres rayonnent de chaleur, personne. L'atmosphère est étouffante. Les quelques arbres qui survivent tant bien que mal à cette sécheresse ne suffisent pas à rendre la place du village agréable. Celle-ci restera vide et silencieuse jusqu'à 16h. Là, l'air sera supportable.

Soleil de plomb. Lumière écrasante. Solitude étincelante.

Regardant à droite et à gauche, vérifiant que personne ne traîne dans les rues à cette heure étouffée, il sort de sa maison. Il a pris deux seaux, qu'il tient dans ses mains pâles et décharnées. Il se dépêche, court presque vers cette eau salutaire qu'il attend depuis le matin. Habitude. Il préfère souffrir un peu de la soif, même par ces chaleurs, que de subir les regards, les silences et les moqueries, voire les crachats des femmes qui fréquentent le puit tôt matin. Du coup, il y va le midi : là il est presque sûr de ne croiser personne. Passant devant une maison aux volets clos, il entend derrière un cri étouffé :

« Chien de sorcier ! »

Il baisse la tête et presse le pas. Comme pour répondre à cette insulte quotidienne, une fenêtre de l'autre côté de la rue s'entrouvre et laisse passer une pierre qui le manque de peu.

Il se met à courir. Ne lâche pas du regard son objectif : le puit. Prendre son eau, repartir, rentrer chez lui et se barricader derrière la porte fragile de sa masure.

Arrivé auprès du puit, il s'arrête. Jette un coup d'œil méfiant derrière lui. Soupire et passe une main sur son visage en nage. Il s'assied sur la margelle et fait une grimace. Les pierres sont vraiment brûlantes. Il renverse la tête en arrière et goûte la douceur de la lumière qui caresse son visage. Il vit dans l'ombre, pâle et froid, et ce moment est sa seule source de chaleur de la journée. Au grand jour, caché par la lumière, couvert par les rayons brûlants du soleil sec, il se sait seul et profite de la tendresse que lui prodigue le silence.

Un peu de paix…

Bon, il ne s'agit pas non plus de s'éterniser. Qui sait ce qu'ils pourraient faire s'il traînait trop longtemps dehors ? Allez, courage. Il se lève, accroche son seau au crochet et tourne la manivelle pour puiser l'eau nécessaire et la remonter. Réitère l'action pour son deuxième seau.

Il crache dans ses mains, prend une grande inspiration et soulève avec un rictus ses deux seaux pleins d'eau. Il détestera toujours sa faiblesse physique qui le contraint constamment à dépenser sa précieuse énergie dans des tâches si basiques. En ce moment, la moindre fatigue peut mettre en danger son intégrité mentale, et il ne peut pas se permettre de perdre le contrôle. Il serre les dents, baisse les yeux. Ne pas se faire remarquer, ne pas faire de bruit. Il s'éloigne du puit, le plus vite possible pour que son eau reste fraiche. Vivement l'automne.

Soudain, un bruit l'arrête. Des pas dans son dos. Il retient son souffle… Un ombre s'étend au-dessus de lui et le jette dans la lumière d'un regard. La peur saisit ses entrailles.

« Eh, toi, qui portes de l'eau, tu pourrais m'en puiser pour faire boire mon cheval ? »

La voix est jeune, sèche, inconnue. Il hésite un instant à faire comme s'il n'avait pas compris, mais préfère ne pas prendre de risque. Il n'est pas d'humeur à affronter un cheval à la course, et encore moins un homme en combat singulier. Bien trop dangereux, surtout par cette chaleur.

Il se retourne et lève les yeux. L'homme qui lui a adressé la parole est à contre-jour, et le soleil joue sur sa silhouette une gamme éblouissante, démultipliée par son armure métallique. Il fait une grimace. Merde, un paladin de la Lumière. Il ne manquait plus que ça.

Il soupire et, sans rien dire, pose ses seaux au sol devant le destrier qui plonge sa tête dans l'eau encore fraîche. Le chevalier, qui a mis pied à terre, lui adresse un signe de la tête en guise de remerciement. Quand le cheval a vidé les deux récipients, il retourne rapidement vers le puit, essayant d'ignorer le regard qui le suit. Rapidement, il remplit un des seaux et le présente au paladin qui s'est approché de lui.

« Tenez, buvez, gentilhomme, ça vous fera le plus grand bien à vous aussi.

Il ne sait pas vraiment pourquoi il fait ça. Peut-être est-ce parce qu'il a besoin de parler à une personne qui ne l'insulte pas, peut-être est-ce parce qu'il a besoin de don gratuit. Se donner. Offrir un peu de lui-même et de service avant de se renfermer dans son petit 'moi', derrière les barrières protectrices qu'on lui a imposées et qu'il entretient avec ferveur. Ou peut-être qu'il a juste peur de cette montagne de muscles, et qu'il essaye de s'attirer maladroitement ses faveurs.

Ou tout à la fois. Il n'en sait rien lui-même.

Le paladin hausse un sourcil, surpris, et accepte l'offre sans mot dire. Il boit longuement, à même le seau, et quand il a fini, remonte à cheval. Avant de s'éloigner, il se tourne une fois encore vers son interlocuteur :

« Une dernière chose, paysan. Je cherche un certain… (Il sort un parchemin de son gantelet et plisse les yeux pour le lire) Balthazar, Octavius, Barnabé Lennon. Il paraît qu'il habite dans ce village, où est-ce que je peux le trouver ? »

L'interpelé, qui plonge une troisième fois ses seaux dans le puit, fronce les sourcils. Sans se retourner vers le paladin, il répond :

« Ce nom ne me dit rien, cette personne ne doit pas habiter ici. »

Il a fini de puiser. Il se saisit rapidement de ses seaux, fait un signe de tête au chevalier en passant devant lui. Reprend le chemin de sa maison avec un certaine précipitation, probablement due au poids de son chargement. Arrivé chez lui, il pose vite sa réserve d'eau dans la pièce la plus fraîche, un petit réduit sans fenêtres, et ferme sa porte à double tour.

Se protéger de la chaleur. De la lumière.


14h.

Soleil tapant.

On frappe à sa porte. Installé à sa table, il pose sa plume en soupirant. Il hésite un instant, avant de se lever et d'aller à la porte d'un air las. Sans ouvrir, il demande :

« C'est pour quoi ? »

Une voix jeune, sèche et désormais connue lui répond :

« Je veux parler à Balthazar Octavius Barnabé Lennon. Ouvrez-moi ! »

Merde. Encore cet imbécile de paladin de la Lumière. Ces connards de villageois l'ont vendu tellement, tellement vite… Il se crispe. La peur tord ses entrailles et, au fond de lui, une petite voix acide commence à chantonner un air menaçant.

Il serre les poings. Inspire et expire lentement pour se calmer. Ne pas céder, Ne pas craquer. Ne pas se vendre.

« Je ne connais pas cette personne, elle n'habite pas ici, répond-il en essayant tant bien que mal de paraître naturel.

- On me la fait pas, celle-là. Ouvre-moi, ou je défonce ta porte, connard de péquenot ! »

Bon, ça n'a pas marché. Tant pis. Il le savait, de toute façon. Cette situation bancale ne pouvait pas durer. Il se concentre pour refouler ses envies brûlantes de violence au plus profond de lui et commence à préparer froidement un sort. Ne pas céder. Ne pas craquer. Ne pas se perdre. Faire peur à ce lourdaud en armure, caster son cheval le plus vite possible et fuir, reprendre son ancienne vie d'errance, tout lâcher. Tant pis pour son matériel.

« Je vous répète que je ne connais pas de Balthazar ! lance-t-il à tout hasard pour se donner du temps. Je ne sais pas de quoi vous parlez !

- Tu l'auras voulu, saleté ! »

Il recule et se prépare à projeter un jet de flammes vers la silhouette qui forcera la porte. Dans quelques secondes… Fracas. La porte vole en éclats, explosée par un coup de pied massif qui le surprend l'espace d'une seconde avant qu'un morceau de bois ne frappe son œil avec une violence inouïe.

« Ah ! »

Il recule et porte instinctivement la main à son visage. La douleur, fulgurante, le prend d'un coup. Des larmes jaillissent, mêlées de sang, il gémit, recule encore, percute une chaise ou une caisse ou un meuble quelconque, perd l'équilibre, et s'effondre. Sa tête frappe quelque chose de pointu et avant de sombrer, il est ébloui par un grand trait de lumière qui jaillit de la porte détruite.

Merde.


14h30.

Soleil tremblant.

Il reprend lentement conscience. Il sent à nouveau son corps, allongé sur le sol de terre battue, et son esprit reprendre un peu de sa vigueur sans qu'il n'ait à fournir d'effort.

Il ouvre les yeux. Les referme, ébloui. Une intense lumière filtre au travers de ses paupières, et sa curiosité maladive reprend le dessus. Pourquoi n'est-il pas attaché, ficelé sur le dos d'un cheval en direction de Castelblanc pour se faire juger, pourquoi n'est-il pas enfermé, prisonnier, dévasté ?

Il ouvre les yeux. Bat des cils. Sa vision se précise, et à contre-jour devant le soleil qui illumine la pièce, une silhouette sombre se penche au-dessus de lui.

« C'est bon, t'es réveillé ? »

Il hésite à répondre sèchement que non, il continue de faire une petite sieste sur ce sol si agréable, mais encore une fois il se retient. Ce paladin ne lui fait pas peur, mais il ne lui inspire pas confiance. De toute façon, personne ne lui inspire plus confiance depuis bien des mois. La force de l'habitude.

« Allez, fais un effort et lève-toi Machin. J'vais pas foutre en l'air toute ma mana pour que mademoiselle retrouve toute sa forme. »

Le ton, sec et désintéressé, pas vraiment menaçant, l'intrigue suffisamment pour le sortir définitivement de sa torpeur. Il se redresse sur ses coudes, passe une main sur son visage et s'assied. Accroupi devant lui, le paladin de la Lumière croisé ce matin le fixe avec un air inexpressif.

« C'est bon, on a fini sa petite crise ? Allez, on se lève, on s'assied à ta table pourrie et on discute. Et vite, j'ai pas que ça à faire. »

Il hausse un sourcil sans comprendre. Comment… ? Est-ce que, par hasard… Un espoir surgit, diablement excitant. Et s'il n'était pas venu à cause de sa nature ? Et s'il n'était pas au courant ? Un sourire très léger étire ses lèvres desséchées.

« Vous m'avez soigné. Vous avez utilisé de votre mana pour soigner mon œil et me réanimer. »

Ce n'est pas une question. Il constate, c'est tout, et une étrange sensation enflamme ses entrailles. Figé depuis trop longtemps par l'indifférence générale et contagieuse, pris dans les anciennes glaces du mépris, de la peur, de la solitude, son cœur a un petit mouvement étrange. Il bat. Il se bat. Pour renaître. Pour revivre. Reprendre des forces. Reprendre une activité qu'il avait abandonnée.

Comme un feu brûlant, dévorant tout sur son passage, redonnant vie et vigueur à des émotions autrefois mortes, une sorte de reconnaissance sourde pour cet homme qui ne l'a pas encore rejeté prend possession de son esprit.

Il ne le remerciera pas tout de suite.

Pour l'instant, il essaye de se lever, et sa tête tourne. Le paladin, toujours indifférent, s'est déjà assis à sa table de travail et regarde par la porte ouverte (ou plutôt défoncée) en attendant qu'il le rejoigne.

Finalement, il parvient à se mettre debout, et va lentement s'installer en face du paladin qui se tourne vers lui.

« Alors, c'est Balthazar, Octavius, Barnabé Lennon ton blaze ? Wow, trop long. Je vais t'appeler Bob, c'est plus court et puis c'est rigolo.

- Excusez-moi, paladin, mais pour autant que je me souvienne nous n'avons pas gardé les porcs ensemble. Vous pouvez m'appeler Balthazar, aussi, comme tout le monde. Et est-ce que je pourrai savoir ce qui vous amène ici ? Je ne connais même pas votre nom. Avant de me donner des surnoms stupides, il serait de bon goût que vous vous présentassiez, il me semble. D'autant plus que vous avez littéralement explosé ma porte, j'aimerais savoir à qui je dois m'adresser pour faire rembourser ces dommages.

- Te fous pas de ma gueule, réplique le paladin. Ta porte, elle valait pas dix kopecks. D'ailleurs, dans 2h tu t'en battras tellement les couilles que tu l'oublieras complètement.

- Pardon ? Je ne comprends pas. Et vous pourriez arrêter de me tutoyer ? On se connait pas !

- Calme-toi ! Je m'appelle Théo Silverberg, je suis paladin de la Lumière. Et j'ai une proposition pour toi. »


16h.

Soleil confiant.

Cela fait plus d'une heure qu'ils parlent autour de la table branlante. Cela fait à peine plus d'une heure, et Balthazar a l'impression de connaître cet homme depuis des années. Certes, il n'est pas difficile à cerner (c'est un homme entier, assez basique quoique parfois surprenant), mais plus il lui parle, et plus il a l'impression qu'un lien puissant les attire, et les renforce mutuellement. Comme s'ils n'avaient attendu que cela, que la rencontre de cet être si différent pour ouvrir les yeux sur ce qui les entoure, pour ressentir la vie autour d'eux, pour vivre.

Cela fait plus d'une heure que Théo a proposé à Balthazar de l'accompagner pour former un groupe d'aventuriers comme certains paladins décident de faire, choisissant son nom au hasard parmi une liste d'anciens élèves de la Tour des Mages.

Cela fait plus d'une heure que Balthazar hésite à accepter, et que de fil en aiguille il en est venu à se confier plus ou moins. Son renvoi de la Tour Rouge à 18 ans, violent, soudain, désespérant. Son errance à la poursuite de la liberté pendant plusieurs semaines. Sa capture et son emprisonnement par l'église du Feu, et sa semi-libération, cette détention partielle et assignation à résidence dans ce village haineux qui le méprise pour son activité magique, à qui il fait peur sans le vouloir.

En évoquant son histoire à ce paladin, qui ne semble pas relever les trous béants de son récit (il n'est pas fou, il se rend bien compte qu'il n'a aucun intérêt à parler du démon qui l'habite), il comprend que cet homme fait preuve, malgré les apparences, d'une tolérance surprenante, quoique relative.

Finalement, mage ou pas, hérésie ou pas, il semble bien que ce Théo Silverberg se batte royalement les couilles des potentielles casseroles traînées par les personnes qu'il rencontre. Du moment qu'elles ne s'attaquent pas à lui, qu'elles restent à leur place, qu'elles font bien leur boulot… Pas de souci. Mais au moindre débordement, sa confiance est perdue. En même temps que votre vie.

Un silence s'installe. Balthazar n'a pas cessé de sourire, émerveillé par la confiance qui lui est accordée : une personne lui parle ! Le regarde, l'écoute ! C'est fantastique. Et il prend sa décision : tant pis pour les lois de l'église du Feu. Tant pis pour les potentielles poursuites. Le Cratère est assez grand pour pouvoir vivre des aventures loin de la juridiction de ses pires ennemis.

« Ecoutez, Théo, c'est d'accord. Je veux bien vous accompagner. Le temps de préparer mes bagages, et je suis à vous.

- Ça fait 3 fois que je te dis de me tutoyer, Machin. La prochaine, c'est mon pied dans ton cul, pigé ? »


18h.

Soleil couchant.

Il a mis un peu de temps à mettre ses affaires en ordre. Retrouver au fond d'une énorme caisse en bois sa chère robe ignifugée, essayer tant bien que mal de lui redonner son éclat d'autre fois. Classer les papiers qu'il veut emporter, et les autres. Ranger ses herbes, ses potions dans des fioles étanches. Tenter un sort de rapetissement pour tout mettre dans sa besace, échouer. Décider de laisser l'inutile derrière lui. Marquer la rupture.

Il n'a accordé aucune attention aux villageois qui passaient devant sa bicoque en jetant un coup d'œil méfiant et prudent à l'intérieur, intrigués par ce mouvement et la présence d'un cheval devant cette masure habituellement silencieuse. Non, aujourd'hui il s'en fout. Il est au-dessous de leurs préoccupations quotidiennes, de leurs peurs, de leurs injures et de leurs dénonciations. Il les méprise, non, mieux : il les oublie. Dans son esprit, ils ne sont déjà qu'un souvenir prématurément vieilli, mélangé à d'autres, oublié, perdu.

Finalement, il est prêt. Théo, qui a attendu 2 heures en râlant, soupire une énième fois quand il s'écrie :

« Attends, attends, j'ai encore un truc à faire ! »

D'un geste violent, il renverse la table désormais vide à terre, lance sur elle tout ce qu'il laisse derrière lui : papiers, vêtements usés, paille de sa maigre couche, fioles qui laissent échapper des liquides colorés, ustensiles trop pesants. Pris d'une exaltation nouvelle, il tend les bras vers cet amoncellement varié.

Une flamme puissante jaillit de ses mains et s'attaque brutalement à sa cible. Il éclate de rire, et alors qu'une fumée épaisse commence à s'échapper de sa maison, il en sort en courant. Dehors, Théo écarquille les yeux.

« Mais qu'est-ce que tu branles ? T'es complètement dingue !

- J'en ai strictement rien à foutre ! »

Il rit encore, il ne peut plus s'arrêter. D'un geste magnifique, il fait apparaître devant lui son cheval, Brasier, qu'il flatte doucement avant de monter sur son dos. Alors que la lumière du jour commence à descendre, se préparant à un très long coucher d'été, il resplendit d'un feu intérieur qui illumine son regard. Il jette un dernier coup d'œil à la bicoque qui s'enflamme, donne un coup de talon à Brasier et part au galop à travers le village qu'il hait.

Suivi par un Théo blasé, il arrête vivement son cheval sur la place du puit à larges bords, autour duquel quelques femmes s'activent, des enfants jouent et des hommes revenant des champs se reposent. A son arrivée, les conversations et les jeux s'arrêtent. Tous les regards se tournent vers lui. Un des hommes, grand, fort, musclé, se lève et s'écrie :

« Tu essayes de t'échapper, maudit ? Retourne dans ton trou, où je… »

Derrière Balthazar, une voix interrompt le paysan :

« Ferme-la, péquenot. Vas niquer tes chèvres, et laisse passer les aventuriers. Sinon c'est mon épée dans ton corps, et tout de suite. Pigé ? »

Balthazar éclate de rire.

« Allez, sans rancune, les gars. Vous êtes tous de belles enflures, mais je m'en branle complètement ! Restez dans vos taudis, appelez les soldats du Feu, maudissez-moi ! Vous me ferez plaisir ! Dans six mois, je reviendrai vous sauver de l'attaque du dragon Salvenien, qui ne manquera pas de venir détruire 2 ou 3 maisons, comme chaque année, et vous me remercierez. Ça sera ma meilleure vengeance. Vivez, grandissez, faites l'amour, vieillissez, mourez ! Et toujours dans la bonne humeur qui vous caractérise ! Allez. Salut à tous. »

Et dans une gerbe de flammes spectaculaire qu'il lance vers le ciel, couvrant la place de sa lumière rouge, terrorisant les villageois, il lance à nouveau son cheval au galop, adressant comme dernier souvenir à ses harceleurs un doigt d'honneur magnifique.

Dans une heure, l'élite des soldats de l'Eglise du Feu sera à leurs trousses. Tant pis. Ils ont beaucoup d'avance, et une confiance en eux qui pourrait déplacer des montagnes.

Au loin, dans leur dos, une épaisse fumée monte vers le ciel qui s'obscurcit. Bob emporte avec lui la lumière, et les ténèbres du brasier qu'il a allumé sur les cendres de son passé se mêleront au cœur des villageois.


Ah, enfin fini ! J'ai eu un peu de mal à conclure, mais je voulais vraiment publier ce texte avant la fin du mois de mars (pile à l'heure ahah). J'espère que ça vous a plu, n'hésitez pas à me dire ce que vous pensez de ce style que je tente, de cette vision de la rencontre entre Théo et Bob.

Ah, et question : je pense faire 2-3 autres textes dans la continuité de celui-ci, en formes d'OS et toujours en expérimentant des styles différents : sur la rencontre avec Grunlek, avec Shin, la découverte du démon de Bob, leur première mission… Est-ce que je les publie dans la continuité de ce texte, ou séparément ? Sachant que ce sera des styles très différents, a priori, mais que ce sera en gros la suite… J'aimerais savoir ce que vous en pensez ! ^^

Beusous, et à la revoyure ! :)