Chapitre I - L'idylle
Une balle par tête. C'était métronomique. Il était littéralement inspiré. Son corps, son arme, son esprit, les créatures et l'environnement ne faisaient plus qu'un, se mobilisant pour la bonne réalisation de son exercice : tuer encore et toujours plus.
Il aimait profondément ce genre de moment, c'était paisible, léger, toute chose à sa place, il maîtrisait tout. Nul élément, nul concept était en dessous ou au-dessus de lui car il était tout. Il souffrait pour eux, jouissait pour lui, et se délectait de cette tension entre ces deux sentiments sans cesse renouvelés qui l'animaient. Son cœur battait vigoureusement, irriguant abondamment une nouvelle conscience proche de l'omniscience. Par ailleurs, la dernière fois où il s'était senti aussi vivant c'était au dernier Noël passé avec sa femme et ses enfants... inspiré, éclairé, empathique. Cette impression de ne former qu'un avec sa petite maison de ville londonienne et ses enfants tout aussi était similaire... à la différence près, que son environnement était aujourd'hui un Londres à feu et à sang comme maison, des zombies, des furies et des maraudeurs comme famille.
Ces derniers s'agenouillaient face à la toute-puissance de leur père et de ses balles, les délivrant de leur servitude morbide. Ils tombaient un à un. Un maraudeur. Un zombie. Toujours une balle chacun et le même laps de temps, très rapide, entre deux meurtres.
Mais soudain une balle effleurant le bras de ce père heureux vint brusquement arrêter ce moment d'allégresse !
Il rentra dans une rage noire.
"Neehla, tir percussif sur le maraudeur à 2h !"
Elle s'exécuta et le maraudeur partit en mille morceaux.
À la suite de cela, l'équipe tuant les dernières créatures de cet assaut, Colin bouillonnait, triste et énervé d'avoir été faillible dans un si beau moment...
La dernière créature tuée, Colin prit la parole : "Bordel de merde Neehla , mais qu'est-ce que tu fous! J'ai failli me faire buter ! Faut être un minimum concentré ! C'est des putains de moissonneurs ! Tu fais chier ! Si tu préfères pleurer que de te battre, on n'a pas besoin de toi ! On combat pas une troupe de Turien là, bordel de merde ! Si tu veux voir des beaux Turiens avec de belles cicatrices tu t'es trompé d'affectation !
- "Haha bien dit chef !" Répondit derechef un autre membre de l'équipe.
"Un turien, une turienne ça ne vaut pas grand-chose, ça pèse pas lourd dans la balance, ils feraient mieux de rester sur Palaven à guerroyer entre eux, qu'ils soient au niveau quoi..."
Colin l'interrompit "Ta gueule Hugo ! T'es qu'un connard sans cervelle, tu ferais mieux de te concentrer sur ton boulot si tu veux sauver ta misérable vie !"
- "Pour l'instant ce n'est pas moi qui ai mis votre vie en jeu et j'suis intact chef !"
"Ouais bah si tu continues de parler tu vas pas le rester ! Et puis tu te crois efficace ?! Tu tires une balle tous les quarts d'heure, tu mets plusieurs balles pour les abattre, tu te prends pour un tireur d'élite à te mettre en retrait avec ton mattock, mais t'as aucune stratégie, aucune discipline, tu te laisses régulièrement déborder sur le flanc droit, ta lecture du terrain est lente...si j'étais pas là vous seriez tous mort ! Il inspira : " Et toi j'vais te dire, tu ferais mieux d'aller buter du Turiens si t'as la haine contre eux, au lieu de me faire chier ici, j'ai pas besoin de toi ! Et d'ailleurs j'ai besoin de personne !" Il continua sans interruption d'une manière plus théâtrale, en appuyant ses mots : "Alors toi, Paul, t'as la meilleure place, t'es en hauteur, t'as une vue superbe sur le champ de bataille et tu es tranquille, comme à l'entraînement... Mais il se passe rien ! Putain ! j'veux voir des corps tombés, les gars ! Des corps tombés ! Et encore des corps tombés ! Cet assaut aurait dû être réglé en deux secondes chrono bordel de merde ! J'en ai ma claque de jouer avec des amateurs ! "
Nheela tremblait de peur et se sentait terriblement coupable de ne pas être à la hauteur. Cette guerre était horrible, les abominations auxquels elle faisait face la bouleversaient, la terrifiaient... ces regards livides, cette nonchalance meurtrière, l'absence d'émotion dans l'accomplissement de leurs tâches, cette absence de vie... le tout assombrie par d'énormes machines froides aux rayons brûlant.
Mais elle aimait et respectait énormément son lieutenant, elle voulait tout faire pour le protéger, qu'il soit fier d'elle. De plus, son cœur lui commandait de faire triompher la vie qui anime les humains et les turiens face à la mort que portent leurs frères zombies, cannibales et maraudeurs, si radicalement différent...
Hugo quant à lui était quelqu'un d'aigri, habité d'une rage ignorante et animale. Il détestait les moissonneurs car ils voulaient détruire l'humanité et pour lui, c'était inacceptable.
Paul était un biotique, ils étaient deux dans le groupe avec Sophie, tous deux soldats du 23e régiment français de l'Alliance interstellaire.
Ils étaient de vrais professionnels, préparés à toute situation, combattre des jours durant... Même si, ici, les circonstances étaient exceptionnelles, c'était justement dans ce genre de moment qu'ils se remobilisaient sur leurs acquis, leurs bases, leurs formations. Ils étaient pleins de sang-froid et déterminés à jouer leur rôle : repousser l'ennemi hors de Terre.
Pour Colin, c'était trop. Trop de professionnalisme, trop de sang-froid, pas assez de passion... Il était exaspéré par son équipe entre ces sang-froid du 23e régiment, la sang-gelé turienne du 5e détachement turien de l'Alliance et le sang-vide Hugo qui provenait du 1er régiment américain de l'Alliance Interstellaire, là où ont été formés de grands soldats.
Le lieutenant était énervé, trop loin de ses Noël londoniens. Il rechargea son arme, fit l'inventaire des munitions et des rations, inspecta les environs pour trouver d'éventuelle bonne position pour y placer ses soldats.
Alors qu'il réfléchissait sa colère se dissipa et laissa place à cette excitation qu'il avait souvent lorsque qu'il préparait des combats : tout devait être parfait. Il ne se contentait pas de repousser l'ennemi, il voulait que ce soit efficace, propre, tout en dépensant le moins d'énergie possible. il voulait voir "les corps tombés" comme une danse divine.
Après avoir tout réglé, il alla voir chaque soldat pour leur donner des conseils stratégiques et techniques. L'équipe le préférait comme ça, lorsqu'il était concentré, enthousiaste, joyeux et qu'il donnait des conseils plus pertinents les uns que les autres. Il leur imposait le respect pas son charisme et son talent inné de guerrier, aussi bien militaire que savaient qu'avec lui tout était possible, qu'ils ne risquaient rien. Alors, ils donnaient leur maximum pour le contenter et essayaient d'appliquer au mieux ses prodigieux conseils.
De nouveaux ennemis arrivèrent. "Des moissonneurs ! Tous à son poste ! J'veux voir du beau travail cette fois !"
Ils étaient plus nombreux qu'au précédent assaut pour le plus grand plaisir du lieutenant.
L'équipe était prête, mentalement et physiquement, Avenger, Vindicator, Mattock et Valkyrie chargés, des salves de balles transpercèrent la première ligne composée essentiellement de zombies.
Au fil du combat, les corps tombèrent, encore et encore. Colin pu retrouver son chez-lui, son Noël, sa famille.
Nheela était galvanisée et déterminée à montrer au lieutenant qu'il avait besoin d'elle.
Hugo, lui, se concentra. Il était le seul à ne pas être influencé par le lieutenant, il savait que c'était un atout précieux, et qu'être à ses côtés valait mieux pour tout le monde, mais c'était une forte tête qui faisait tout selon son bon vouloir et ne se sentait nullement inférieur au lieutenant... d'ailleurs il aurait pu être à sa place.
Alors que le combat faisait rage, Colin était heureux, tout se déroulait comme prévu, chaque chose a sa place, sa stratégie s'avérait payante. C'était propre, ils tombaient un à un. Enfin un spectacle à la hauteur de son talent... il y avait l'art et la manière, ils tenaient bien la position et de plus ils étaient efficace.
Mais le flot de moissonneurs étaient ininterrompu, plus le temps passait plus la fatigue se faisait sentir. Les moissonneurs comprirent qu'il fallait une force de frappe plus importante pour défaire cette équipe.
Colin sentit un léger déséquilibre en son for intérieur. Il comprit alors qu'il fallait changer de stratégie, qu'il fallait éloigner les moissonneurs de la position qu'il défendait et soulager ses soldats :
"Sophie ! Avance derrière la voiture là-bas ! Paul, on échange de place ! Hugo balance 2 grenades, 15 secondes entre les deux lancements ! Pareil pour toi, Nheela ! Puis passez tous les deux au fusil à pompes, Nheela tu reculeras pour te protéger avec Hugo et les attirez vers le passage étroit, vous n'aurez plus qu'à appuyer sur la gâchette le plus vite possible ! un, deux, trois !
Tout le monde s'exécuta.
Le lieutenant fut rassuré, les forces de moissonneurs se divisèrent et en prenant la place de Paul, il obtint un visuel sur chaque zone de combat de ses coéquipiers.
Il avait alors la plus grande part du boulot, veillant sur toute l'équipe, tout en ayant enfin la meilleure position: une vue imprenable sur le champ de bataille. Un magnifique tableau... c'était parfait. Il était concentré, efficace et paisible. Il savourait son moment bien à lui.
Sophie avait le poste le plus détaché de son équipe, mais elle avait confiance en son lieutenant. Elle avait peur, mais ce sentiment mêlé à l'honneur qu'elle ressentait d'avoir la confiance de son supérieur pour tenir une position si difficile lui donna l'adrénaline suffisante pour remplir efficacement son rôle. D'ailleurs c'était ce qu'ils ressentaient tous, ils avaient tous des postes plus risqués, mais l'honneur mêlé à la peur et la confiance du lieutenant, qui était réciproque, leur donnèrent du baume au cœur... le plan avait fonctionné.
Sauf pour Hugo, qui ne fonctionnait pas de la même manière que les autres. Pour lui, c'était un affront que de devoir se battre aux côtés d'une turienne. Il n'avait besoin de personne pour tenir son poste et surtout pas d'elle. Dans l'intimité de leurs nouvelles positions, il se sentit libéré de l'emprise du lieutenant et pris la place vacante.
Il commença alors à donner toute sorte d'ordre et à rabaisser Nheela, comme l'aurait fait un supérieur hiérarchique quelque peu sévère :
"Nheela ! À trois tu utilises ton incinération pour créer une brèche et tu avances dedans en continuant de tirer jusqu'à retrouver ton poste !"
Nheela hésita "ma...mais le lieutenant..."
"On s'en fout du lieutenant, t'es avec moi là !"
Nheela avait peur, était horrifié par la boucherie à laquelle elle était complice et se sentait bien seule avec Hugo, elle entreprit alors d'accepter cet ordre pour retrouver le lieutenant, ce qui lui redonnerait du cœur à l'ouvrage.
Elle hocha la tête en signe d'acquiescement
"1...2...3 !"
Nheela lança son incinération, activa les munitions incendiaires, avança tout en tirant et récupéra son poste infesté de zombies, elle faillit y passer plusieurs fois, mais la peur de mourir, le regard du lieutenant qu'il posait sur elle et quelques balles de celui-ci l'aidèrent à tenir tant bien que mal.
Colin était furieux, son œuvre fut bafouée. Il vit Nheela sortir de l'allée et risquer sa vie sans raison. Il l'aida et appela rageusement "Hugo ! Prends mon poste !" Quelques secondes plus tard, il vit Hugo sortir de l'allée et s'avancer vers lui. Après avoir encore donné quelques balles pour Nheela, il en réserva une toute spéciale pour son coéquipier.
Alors qu'Hugo se rapprochait progressivement de la position du lieutenant, Colin se retourna vers lui et lui tira une balle pleine tête, il tomba net. Le combat était fini pour lui.
Le lieutenant fut soulagé, il avait mis fin à une menace plus grande que la mort, la bêtise. Il put alors repeindre les tâches obscures de son tableau et reprit son travail. "Nheela ! Retourne à ton poste, j'te couvre !"
Il se reconcentra et reprit son oeuvre avec passion. La difficulté était encore plus grande il fallait particulièrement veiller sur Nheela tout en continuant de protéger les autres.
Cette dernière fut horrifiée par le meurtre de sang-froid d'Hugo, mais elle savait que que le lieutenant l'avait fait pour la protéger de l'homme qui l'avait mise en danger. Sans doute était-elle plus importante à ses yeux qu'elle ne le pensait. Mais ce sentiment ne parvint pas à calmer l'angoisse d'avoir vu un soldat mourir et la peur grandissante qu'elle avait de devoir tenir la position seule.
Les créatures continuaient leur danse, elles tombaient, s'agenouillaient, sautaient... un spectacle dynamique et coloré.
Colin était inspiré, côtoyait les anges qui à, ce moment précis, étaient de grandes machines à l'œil rouge.
Il ressentit une présence chaleureuse, comme la présence de son épouse, le corps chaud et palpitant d'une femme heureuse et comblée, allongé à ses côtés au coin du feu, accompagné de la sensation d'être hors de tout danger, hors du monde et du temps...
Mais cette chaleur qui l'enveloppait ne provenait pas d'un corps, mais d'un rayon laser rouge sang, au son à la fois dur dans le médium et rond dans les graves qui le rendait sévère et majestueux, comme un rappel à l'ordre d'une personne qu'on estime et que l'on craint à la fois.
Il provenait de l'œil rouge d'un de ces anges mécaniques, qui tua au passage plusieurs de ses enfants zombies, furies, brute et maraudeur au détriment de lui ou de ses coéquipiers.
Les autres voyaient les choses autrement et furent saisis d'angoisse, mais tout de même conscient qu'avec les moissonneurs au-dessus d'eux, c'était au petit bonheur la chance, alors ils redoublèrent de haine contre leurs envahisseurs. Ce fut des plus plaisant pour le lieutenant.
Sophie était enfin inspirée, Colin le voyait bien, son œuvre avait pris une teinte bleutée.
Elle enchaînait les pouvoirs, Ondes de choc, Projection, Nova et Singularité créant ainsi des combos plus meurtriers les uns que les autres. Colin aurait aimé être un biotique, c'était si beau, pur, et majestueux, cela magnifiait un combat. Sophie était d'une si grande élégance, les cheveux au vent, les mains habiles, avec lesquelles elle faisait de grands gestes, la sueur au front de haine, de passion, et surtout d'amour... un amour si grand que Colin supposa que Sophie devait être profondément attachée à l'humanité, voire à la Voie lactée tout entière.
Un tableau émouvant et d'un grand raffinement...son cœur battait fort, il se sentit enfin vivant. C'était pour cela qu'il se battait.
Une éternité passa, mais soudain, Sophie fut touchée, par un pouvoir biotique provenant d'une furie, elle tomba, se laissa glisser de sorte à être assise contre la voiture et continua de se battre, il y avait urgence :
"Paul ! Sophie est en difficulté !"
Paul n'hésita pas une seconde, il courut le plus vite possible vers elle et oublia que son avenger était presque vide. Arrivé près de la blessée, il dut se battre au carniflex.
À partir du moment où Sophie fut touchée, Colin remarqua quelque chose d'étrange... les moissonneurs étaient moins agressifs, comme perturbés... "Est-ce possible ?" Se demanda-t-il.
La question à peine posée, alors que Sophie se vidait de ses forces et que Paul tuait quelques zombies au carniflex, un autre parvint à lui bondir dessus et commença à l'étrangler en tentant de le mordre.
Mais, tout à coup ! Une énorme vague énergétique vint à expulser son ravisseur. Il se releva rapidement, visa le zombie, mais remarqua qu'il était habillé de décharge électrique verte, tout comme lui et Sophie... le zombie semblait inoffensif. Alors que le zombie relevait la tête, il fut pris d'une confiance inexpliquée et aveugle et suivit son regard... il vit les moissonneurs se lever majestueusement et partir sans hâte vers les cieux.
Il hurla spontanément : "Shepard ! Shepard ! Shepard ! Shepard ! Il a réussi ! Nous sommes sauvés !" Il s'égosillait tout en sanglotant, puis il s'écroula par terre de fatigue gardant des forces pour aller soigner Sophie.
La vague passée, Colin, stupéfait, vit les moissonneurs fuirent... mais il se sentait bien dans le combat et eu le réflexe de le continuer, donnant les dernières touches à son œuvre.
Bien qu'il ressentait étrangement plus fort la souffrance de ses ennemis, comme si, il leur ressemblait de plus en plus, il continua de tirer sur les zombies, furies, cannibales et maraudeurs en fuite. Par ailleurs, tous ses sentiments étaient exacerbés, jouissance et souffrance continuèrent de tendre dans un dernier souffle, un dernier chargeur, un dernier cadavre...
Nheela vit le lieutenant marcher au loin, tirant mécaniquement, une balle par ennemi, alors qu'ils fuyaient. Elle avait l'impression de voir un moissonneur, il avait l'air si froid, si vide et si inhumain... c'était insoutenable de le voir dans un tel état. Elle courut vers lui et le serra dans ses bras. Alors le lieutenant lâcha son arme et répondit à l'étreinte en la serrant encore plus fort contre lui. Leurs cœurs battaient à l'unisson.
