La rue n'avait pas changé. Et pourtant, cela faisait cinq ans. Cinq ans. Elle leva les doigts à son visage, et doucement, éprouva les quelques rides qui étaient apparues. Les cicatrices, aussi, comme le chemin de traverse en portait lui aussi de la guerre. Son bras la picota. Familier tiraillement. Le ciel s'assombrissait, la soirée allait être douce. Un allumeur de réverbères se mettait au travail, en maugréant, tout en jetant des petits coups de baguettes en l'air sur son passage.

Alors qu'elle s'avançait doucement dans le chemin de traverse, comme une étrangère après tout ce temps, une mélodie l'interpella, devant une boutique d'objets magiques. « Flanagan, antiquaires magiques depuis 1605 », pouvait-on lire sur la devanture. Elle s'arrêta net, fascinée, manquant de se faire bousculer par des passants pressés. C'était un phonographe magique. Il n'y avait pas de vinyles sur la platine. Il semblait chanter pour lui tout seul, indifférent au reste de la rue. L'air qu'il jouait lui rappelait quelque chose. Soudain, le phonographe parut la remarquer, et tel un paon faisait la roue, il tourna son pavillon vers elle. Et, s'adressant à elle, il lui chanta :

« There was a boy
A very strange, enchanted boy
They say he wandered very far
Very far, over land and sea
A little shy and sad of eye
But very wise was he

And then one day,
One magic day he passed my way
While we spoke of many things
Fools and Kings
This he said to me:
"The greatest thing you'll ever learn
Is just to love and be loved in return". »

C'était la voix de Frank Sinatra qui sortait de ce phonographe enchanté. Ses parents l'aimaient, ce chanteur. Combien de fois l'avait-elle écouté, elle n'aurait su dire. Une chanson qui l'emplit de tiédeur, un court instant. Et puis le pavillon se tut. Elle secoua la tête, reprit ses esprits. Elle s'aperçut que la tenancière l'observait, au travers des carreaux, elle poursuivit son chemin. Avant d'atteindre le chaudron baveur, elle passa devant les boutiques qui l'avait tant émerveillée, alors qu'elle n'était qu'une enfant : l'apothicaire, les robes de Mrs Guipure, l'animalerie magique où elle avait choisi Pattenrond... tout cela la ramenait il y a si longtemps. Elle pressa le pas, son sac en bandoulière tambourinait contre elle, tout en serrant sa baguette dans sa poche. Prête à jeter un sort. Les réflexes. Ou les mauvaises habitudes, c'est selon, pensa-t-elle, avec un léger sourire. Et elle entra dans le pub sans jeter un regard en arrière.

Elle régla sa chambre comptant pour une semaine, demanda un hibou et ses repas dans la chambre. En passant dans les escaliers qui menaient aux étages, elle avait croisé son reflet dans un miroir à demi couvert de poussière. « J'ai l'air aussi exténuée que je le suis. Du sommeil, un repas, un hibou, peu importe l'ordre des choses. » Les marches craquaient sous ses bottines, elles aussi fatiguées. Elle s'apprêtait à fermer la porte de sa chambre quand Tom fit demi tour.

- Vous aurais-je déjà vu quelque part, mademoiselle ? Votre visage ne m'est pas inconnu... seriez-vous cette musicienne des Bizarr' Sisters qui a mis le feu à l'étang de sa propriété ?

- Non, ça m'étonnerait, lui répondit-elle, en souriant. Et puis, je chante faux.

- Bonne soirée, mademoiselle, conclut-il en la saluant.

La chambre était confortable, si l'on tenait de compte de la réputation de l'établissement. Un feu dans la cheminée, un divan moelleux et une tasse de thé encore fumante l'attendait. Il y avait aussi un hibou aux plumes froissées qui frémissait impatiemment dans sa cage posée sur le bureau. Il lui fit penser à Errol. Elle jeta son sac au sol devant la cheminée, ôta rapidement son trench et se mit à écrire, fébrile. Puis ratura son parchemin. Reprit. Ça faisait longtemps qu'elle attendait ce moment. Et maintenant, elle ne savait qu'écrire. Elle l'avait pourtant écrite des centaines de fois, cette lettre. Dans sa tête. Comme à Poudlard lorsqu'elle cherchait l'inspiration, ses chevilles s'entortillaient autour des pieds de la chaise, tout en levant les yeux au plafond décrépi. Enfin, elle noircit le parchemin.

« Ginny,

je suis enfin de retour d'Australie. Je suis sincèrement désolée de n'avoir pu assister à l'enterrement de Ron, j'avais des obligations avec le ministère, rapport à toute cette histoire. Il fallait que je fasse certaines choses, avant de partir. Et puis je voulais vous laisser en famille. Enfin... je sais que tu vas m'en vouloir de ne pas t'avoir donné des nouvelles aussi souvent que tu l'aurais voulu (et moi aussi, j'aurai voulu pouvoir t'en dire plus, mais je sais de source sûre que le ministère a retenu et lu notre courrier), mais sache que tes parchemins m'ont fait beaucoup de bien, là bas, pendant cette mission. J'ai toujours la plume de boursouflet que tu m'avais envoyé dans mon portefeuille, d'ailleurs ! Mais je suis là, à présent, et j'ai beaucoup à te raconter, j'en ai fini avec la confidentialité du ministère. Je sais que Harry est reparti là bas, pour régler définitivement le problème. Je ne sais pas si le ministère va le laisser n'en faire qu'à sa tête bien longtemps. Mais il a raison, en soit. Je t'expliquerai, mais le ministère n'a rien fait pour nous aider en Australie, quand les ennuis ont commencé, et plus encore après la mort de Ron. Moi je n'ai pas l'envie de poursuivre ce combat. Harry... tu le connais. Il faut qu'il aille jusqu'au bout. Surtout pour Ron. Mais passons.

Je ne compte pas repartir de sitôt. J'ai pris une chambre à la semaine au chaudron baveur, en attendant de trouver autre chose. Fais moi savoir quand tu voudrais que l'on se voit, je ne bouge pas d'ici, j'ai quelques jours de sommeil à rattraper ! Tu m'as manquée, Ginny. Et j'espère que Pattenrond n'a pas fait trop de dégâts chez toi. J'ai hâte de vous revoir tous les deux.

Au fait, j'ai vu ton article dans le Chicaneur, j'ai beaucoup ri ! Par contre, cette bonne vieille Rita Skeeter n'a pas dû apprécier de se faire traiter de « vieille chouette poudrée nauséabonde ». Ce qu'elle est pourtant.

J'attends avec impatience ta réponse,

Hermione. »