Disclaimer : comme tous les écrivains de les héros de cette histoire ne sont pas à moi. Pour mon plus grand malheur …

Notinette : une petite idée d'histoire qui m'est venue subitement et que j'ai mis une soirée à écrire. Histoire en deux parties, la deuxième ne devrait pas tarder, elle est déjà écrite, en tout cas.

Cette histoire est dédicacée à Kethry. Si elle me secouait pas les puces de temps en temps, peut-être que je n'écrirai plus vraiment, à cette heure-ci.

Le testament

Enfermé ! Il était enfermé ! Et par son propre frère, en plus ! Enfermé dans une prison d'eau et de roc, sans sortie. Il haïssait son frère ! Il le haïssait, lui et ses bonnes intentions ! Lui qui n'était pas différent de lui-même ! Après tout, les jumeaux partagent toujours quelque chose, pas vrai ? Et personne ne voyait ce côté sombre se réveiller petit à petit. Son frère ne pourrait bientôt plus faire semblant.

Mais il y croyait encore. A cette justice. A cette paix. A la gentillesse. Et il l'avait enfermé, lui, son propre frère ! Alors qu'il n'avait fait qu'énoncer ce que lui pensait au plus profond de son cœur !

L'homme cria de rage et de désespoir pendant des heures. Il hurla contre son frère, contre son maître, contre le destin, contre les dieux. Il frappa les murs de toutes ses forces, encore et encore, jusqu'à en avoir les poings en sang. Il finit par se laisser tomber sur le flanc.

C'est là qu'il remarqua que l'eau montait. La marée arrivait. Il se chercha un abri, une niche dans un mur. Mais il n'y en avait pas. Les murs n'étaient pas lisses, certes, mais ils n'offraient pas de niche assez profonde pour lui permettre de se mettre à l'abri de la marée.

L'eau montait, et il commença à paniquer. Si elle arrivait au plafond, il ne pourrait pas retenir sa respiration assez longtemps et mourrait. Et même si il avait assez d'air pour respirer, il ne pourrait nager tout le temps. Sur une marée, c'était faisable, mais marée après marée, il se fatiguerait trop.

« SAGA, JE TE MAUDIS !!! »

Hurler contre son frère ne servirait à rien, mais cela calmait ses nerfs.

Quelques heures plus tard, à bout de force, il s'effondra au sol. Sa peau était ridée, gonflée d'eau. Ses jambes ne pouvaient plus faire un mouvement, tant il les avait battues. Ses mains étaient écorchées par les roches du plafond qu'il avait essayé d'attraper pour reposer ses jambes fatiguées. Son esprit était vide. Vide de pensée. Vide de volonté. Mais il restait la colère.

Il n'en pouvait plus. Son corps ne tiendrait plus longtemps. Depuis des semaines, il résistait aux marées. Depuis des semaines, il était enfermé dans cette prison. Depuis des semaines, il ne mangeait que des poissons crus qu'il réussissait à attraper lorsque l'eau remplissait sa cellule.

Il s'était acharné contre les murs, cherchant une faiblesse, un espoir. Mais rien. Aucune faille. Il ne pouvait sortir. Il recommença à frapper. Chaque jour, il se concentrait sur un morceau de mur. Chaque jour, il en sortait les poings en feu et épuisé. Seule la colère lui donnait la force de continuer. La colère et l'idée de vengeance qui l'accompagnait. Il se vengerait de son frère. De son frère et de tous ces humains, ces vermines qui avaient fait de lui ce qu'il était aujourd'hui.

Ce jour-là, après des heures de frappe, il entendit un bruit d'effritement. La pierre se désagrégeait, libérant un espace derrière le mur. Enhardi, il continua, et libéra bientôt un passage. Le mur n'était qu'un faux, et bouchait une partie de la cellule. L'espace était sombre, humide. L'air y était fétide, aucun souffle n'avait transpiré du mur de pierre depuis une éternité.

Kanon s'avança. Il pouvait voir que la marée n'atteignait pas cette pièce. Il ne comprenait pas comment le mur avait tenu. Il aurait du s'effriter, devenir poreux. Une couche de pierre faisait face à l'entrée qu'il avait ménagée. Une table et des tabourets en roche accrochés au mur se trouvaient à droite. Des matériaux qui ne craignaient pas l'eau. Des matériaux fait pour durer. Il s'avança. La couche était froide et poussiéreuse, mais elle était lisse, ce qui était plus confortable que le sol sur lequel il dormait actuellement.

Il se tourna vers la gauche. Il était sûr de n'y avoir rien vu, mais il était intrigué. Il découvrit une statue en pierre. Une statue de femme. Une statue dont le visage exprimait un doux regret, ainsi qu'une force de caractère incroyable. En s'approchant de plus près, il s'aperçut que la femme était en fait une jeune fille. Elle portait une longue toge, à motifs sophistiqués. La femme avait une attitude de défi, droite. Elle portait dans une main un linge, et dans l'autre une balance.

Il contempla la statue pendant plusieurs minutes, puis se détourna pour s'approcher de la table. A son grand étonnement, il y vit plusieurs tablettes de pierre, gravées. Il se saisit de la première et l'examina. Les tablettes étaient écrites en grec ancien. Kanon n'avait jamais été très fort pour la théorie, lors de sont entraînement. C'était plutôt du domaine de Saga. Il préférait largement la pratique et les entraînements physiques. Néanmoins, il s'assit et commença à déchiffrer les inscriptions.

« A toi qui liras ces mots, toi qui seras condamné au supplice du Cap Sounion, laisse-moi te conter une histoire, une histoire qui sera oubliée par les temps futurs … »

A toi qui liras ces mots, toi qui seras condamné au supplice du Cap Sounion, laisse-moi te conter une histoire, une histoire qui sera oubliée par les temps futurs …

Au commencement était Chaos. A l'aube des temps était Gaïa. A l'aube des Titans était Ouranos. A l'aube des Dieux était Cronos.

Mon nom était Thémis, alors. Thémis, fille de Gaïa et d'Ouranos. Fille du ciel et de la terre. Thémis, Déesse de la Justice, de la Loi et de l'Équité. Thémis la Juge, qui regarde ses frères se battre, mais qui n'intervient pas. Thémis la Sage, à qui tous demandent conseil.

J'ai vu défiler les guerres de pouvoir. Issue de la première génération de Titans, j'ai été témoin de la cruauté d'Ouranos, de celle de Cronos. J'ai vu la rébellion des fils. J'ai observé l'avènement des ères. Moi Thémis, la Titanide.

Je ne sais pas ce que tu connais, lecteur, de notre arbre de famille. Cette histoire remonte aux sources de la vie, au temps de Cronos et de Gaïa. Même en étant fille d'Ouranos, comme mon frère, je ne bénéficiais d'aucun traitement de faveur. J'ai appuyé ma mère Gaïa lorsqu'elle a demandé à Cronos de se rebeller contre Ouranos et de libérer les Hécatonchires. J'ai fourni à mon frère les connaissances précises et lui ai élaboré un plan. Sa réussite était totale. Ouranos mourut et Cronos prit le commandement des Titans.

Mais Cronos oublia les Hécatonchires. Pire, l'histoire se répéta. Ayant peur de perdre son trône, il mangea les enfants qu'il eut avec Gaïa, ma mère. Toi qui as découvert ces écrits, connais-tu la perte d'un enfant ? Connais-tu la sensation d'impuissance qui te vrille le cœur, alors que tu ne peux pas agir pour remédier à une situation ?

Affligée de voir Gaïa dépérir, je lui conseillais de cacher son nouveau-né de son mari. Je lui recommandais cette petite île, Crète, où la chèvre Amalthée venait de mettre bas, sous la vigilance d'Ida et d'Adastrée. Dans mon esprit, une tout autre idée tourbillonnait. Gaïa pouvait très bien, par inadvertance, révéler tout à Cronos. Je fis alors la seule chose possible.

Je l'amenais moi-même dans une autre grotte crétoise, où les abeilles le nourrirent. Je vins le voir chaque jour, l'éduquant. Ida et Adastrée, des nymphes de niveau inférieur, mentirent sur mon ordre à Gaïa quand elle venait. Zeus était soit parti à la chasse, soit jouait dans l'île, ou alors était avec les soldats. Les soldats Curètes que Gaïa avait placée près de la chèvre Amalthée nous protégeaient, lui et moi, pendant nos leçons qui faisaient, il faut l'avouer, beaucoup de bruit. Zeus n'a jamais fait dans la discrétion.

Gaïa découvrit la vérité un jour, alors que quatre curètes s'étaient aventurés dans la grotte à la recherche de miel. Zeus voulu les foudroyer pour leur découverte, mais je m'y opposais, ainsi que les Moires, qui m'accompagnaient ce jour-là (1). Représentant la Justice, je ne comprenais que trop que chacun doit assumer les conséquences de ses actes. Les curètes s'enfuirent et rapportèrent tout à la Déesse Mère. On ne trompe pas Gaïa sans en subir les conséquences, qu'importent les raisons. Le soir même, mon châtiment fut annoncé.

Gaïa avait alerté Cronos, roi des Titans, sur ma désobéissance. Ne pouvant devant lui décliner les vrais chefs d'accusation, elle en inventa d'autres.

D'avoir trompé la Déesse Mère dans le seul but de prendre sa place, j'étais coupable.

D'avoir trompé Cronos, mon roi, en m'attaquant à Gaïa, j'étais coupable.

D'avoir voulu la mort de Gaïa, une mort lente et douloureuse, j'étais coupable.

D'avoir voulu sauver un dieu, fils de ma mère et de mon frère, j'étais coupable.

Face à ces accusations, Cronos, juge d'un jour, donna sa sentence. Puisque j'avais voulu faire mourir ma mère dans une longue agonie, je recevrais le même châtiment.

Aidé par nos frères les Cyclopes et les Titans, ils creusèrent dans une falaise une cellule de pierre. Placée dans un endroit où tous pouvaient la voir, au Cap Sounion. A ras de mer. Lorsque la cellule fut construite, il convoqua ses frères, sœurs, sujets, et leur parla.

Il leur dit à quel point il était blessé par mon attitude. Il leur dit que ma condamnation les ferait réfléchir. Il leur dit que toute autre personne voulant le défier finirait dans cette prison, à la merci des marées. Il les obligea à user de leurs pouvoirs pour m'enfermer. Pour que nul ne puisse s'échapper de l'enfer du Cap Sounion.

Je ne sais ce qu'est devenu Zeus. Ni lui, ni Gaïa, ni Cronos, ni les autres Titans. Peut-être ont-ils laissé la place à une autre époque. Peut-être pas. La vie ressemble à ces marées que j'endure. Un flot discontinu d'évènements.

J'y fus enfermée. J'y suis enfermée. Depuis des années. Le corps que je possède faiblit. Il va bientôt mourir. Et même si mon âme est immortelle, une âme sans corps ne peut survivre.

Au fil du temps, j'ai creusé la roche. Assez pour pouvoir me construire un lit, une table et une chaise. Assez pour pouvoir façonner des tablettes de pierre et cette statue. Je veux que les générations futures sachent ce qu'il m'est arrivé. Je veux que tous sachent que j'ai lutté. J'ai toujours lutté. Contre mon père. Contre mon frère. Contre ma mère. Contre les marées. Contre les années. Contre moi-même.

Ceci, toi qui lis, est mon testament. Moi, Thémis la Sage, Déesse de la Justice, de la Loi et de l'Equité, laisse l'usage à tous ceux qui me succèderont du maigre confort que j'ai réussi à amener dans cette prison, pour peu qu'ils le trouvent à travers le mur de pierre qui se mettra en place dès ma mort physique.

A toi qui liras ces mots, toi qui es condamné au supplice du Cap Sounion, voila mon dernier mot : vis. Ne te laisse pas abattre par cette mer qui vient te faire fléchir. Ne laisse pas les autres prendre possession de ton jugement. Peut-être auras-tu mérité d'être enfermé. Peut-être pas. Qu'importe.

L'important est de résister.

« L'important est de résister ».

Kanon reposa la dernière tablette de pierre. Il savait maintenant pourquoi il allait vivre. Pour se venger. Bien sûr. Pour s'élever contre les dieux, qui punissaient arbitrairement même leurs plus fidèles serviteurs.

La colère grondait toujours. Mais à elle s'était jointe une détermination sans faille. Les dieux étaient manipulables. Ils avaient des failles, comme les hommes. Leur perfection n'existait pas. Il allait se venger et montrer cela à son frère.

°°° fin de la première partie°°°

(1) il existe deux versions de l'enfance de Zeus. Pour en savoir plus, l'article « Zeus » de Wikipédia explique tout. Je l'ai légèrement retourné à mon avantage.